🐺6🐺
— Lyka ! me crie une brunette aux yeux pétillants. Tu es enfin de retour !
— Oui, enfin, là c'est Morrigan, rectifié-je. Mais étonnamment je suis contente de te revoir, Jaïna.
— Étonnamment ? rit-elle. Eh bien, je suppose que c'est sympa, venant de toi.
Je termine de descendre les quelques marches qui me mènent à la terre ferme et la louve me saute au cou. Je grogne pour la forme, car je sens que ça fait plaisir à Lyka de voir l'affection que lui portent ses amies. Je lui rends maladroitement son étreinte et lance :
— Où est Nora ?
— Oh, elle règle quelques détails pour l'expédition.
— L'expédition ? Tu veux parler du voyage dans les montagnes pour trouver le Loup Supérieur.
— Oui. Elle s'est autoproclamée « responsable alimentation », explique Jaïna en levant ses beaux yeux noisette au ciel. Mais elle ne va pas tarder, elle est impatiente de venir vous dire bonjour.
Et effectivement, une chevelure blonde lumineuse apparaît au coin d'un chalet.
— Lyka ! me salue Nora.
Elle trottine vers nous et me serre à son tour dans ses bras, à mon grand désespoir.
— C'est Morrigan, et s'il vous plaît, stop avec les câlins.
— Oh, désolée... s'excuse la blonde avec un sourire éclatant qui dément aussitôt ses paroles.
— Lyka non plus n'aime pas les câlins, rappelé-je en bougonnant.
Elles rient toutes les deux et je replace une mèche ébène derrière mon oreille pour ne pas avoir les bras ballants. Je fronce ensuite les sourcils en me souvenant d'une chose.
— Mais, ne peut-on pas tout simplement chasser pour nous nourrir ? Nous sommes des loups.
Mon brusque changement de sujet les étonne - après tout, revenons à l'essentiel : manger - mais Nora me répond tout de même.
— Nous serons en territoire hostile. Nous ne serons plus chez nous et ce serait mal vu que nous mangions des proies qui appartiennent à d'autres loups. Donc nous allons emporter des provisions.
— Je ne mangerai pas une bouchée de viande séchée, compris ? m'offusqué-je. C'est dégueulasse. Et puis, qu'ils viennent me chercher des noises... Ils repartiront estropiés, enfin, s'ils repartent bien sûr.
— Morrigan. Nous ne devons pas nous faire repérer... Et si Rorgan envoyait ses loups pour nous attaquer, hein ? me dit Jaïna.
— On en a bien neutralisés trois à nous seules ! pesté-je.
Les yeux des deux louves s'écarquillent aussitôt. Flûte, elles ne sont pas au courant, c'est vrai.
— LYKA ! hurle alors une voix depuis le chalet situé dans mon dos.
Un sourire immense m'étire les lèvres. Il n'a visiblement pas apprécié la jolie griffure de l'autre côté de la porte que je lui ai laissée en plus de celle du chambranle !
— Kelian... Mais... bredouille Jaïna.
Et il y a de quoi, je dois le reconnaître. Son frère est perché sur l'appui de sa fenêtre, les griffes enfoncées dans le bois du chalet au-dessus de la-dite fenêtre. Ses yeux d'argent luisent de rage. Ses muscles sont contractés à l'extrême et ses mains sont déjà transformées - sans doute car des griffes sont plus pratiques pour s'agripper à du bois.
— Quoi ? Tu as fait le vilain Alpha, je t'ai laissé de quoi t'en souvenir.
Il bondit aussitôt au sol, effectue une roulade et se rétablit face à moi. Du haut de ses vingt centimètres de plus que moi, Kelian arbore un sourire que je pourrais qualifier « de mauvaise augure », mais je le sens plutôt amusé, maintenant qu'il a quitté sa fenêtre.
— Morrigan. Tu as relégué Lyka au fin de votre esprit pour combien de temps, exactement ? C'est parce que tu sais qu'elle n'aurait aucune chance face à moi ?
— Posons cette question à Shadow, après tout c'est pour régler tes problèmes personnels que j'ai dû intervenir, répliqué-je avec un sourire narquois.
— Il y a eu un problème avec Shadow ? intervient Jaïna.
— J'aurais pu m'en sortir seul.
— Qui aurait cru que tu avais des problèmes de gestion de ton loup ? persiflé-je. À te voir, tu es le calme incarné.
Jaïna, puisqu'elle en a assez d'être ignorée par son frère, se plante entre nous et pose ses poings sur ses hanches d'un air décidé. Ses grands yeux brillent alors que son frère hausse un sourcil.
— Kelian, tu as intérêt à faire gaffe quand nous serons dans les montagnes. Pas question de t'emporter une fois au milieu d'un territoire inconnu !
— Ça va, je devrais gérer ses crises d'ado ! ris-je.
— Je commence à croire que Lyka ferait bien de revenir, Morrigan. Elle a un minimum de diplomatie, elle.
Je fixe Jaïna avec un air blessé. Une main sur le cœur, je fais mine de renifler pathétiquement. Elle n'a aucune réaction, excepté un haussement de sourcil. Je soupire.
— Ok, ok. Mais je maintiens ce que j'ai dit. Si Shadow pointe le bout de son nez, je lui enfonce le museau dans la boue humide et collante. Et, Kelian, j'aimerais papoter avec lui un de ces quatre... S'il n'essaie pas de me tuer.
Et je ferme les yeux, laissant Lyka remonter à la surface de notre conscience.
Je rouvre les paupières tandis qu'un grand sourire me monte aux lèvres. Ça fait du bien de reprendre le contrôle de son corps !
— Nora, Jaïna, je suis vraiment contente de vous voir, avoué-je.
— Lyka, il me semble que Morrigan est de plus en plus libre de faire ce qui lui chante ! me gronde Kelian d'un air renfrogné.
— J'étais d'accord avec elle, si tu veux savoir. Tu le méritais. Franchement, ton loup est enragé, soupiré-je avec un geste dépité de la main, comme si je le plaignais.
En réalité, je me pose beaucoup de questions...
— Lyka, viens, on doit te montrer les préparatifs et l'itinéraire, intervient Nora alors que Kelian me foudroie de ses yeux gris.
S'il avait des mitraillettes à la place de ces derniers, je serais morte depuis des mois ! Et ça m'amuse toujours autant de l'énerver, d'ailleurs. C'est bien une chose sur laquelle nous sommes d'accord, Morrigan et moi.
Je suis la blonde au milieu des chalets, les yeux grand ouverts. Les odeurs, familières désormais, de ce village forestier et sauvage m'envahissent les narines et je soupire d'aise avec délectation. Je me sens chez moi, et c'est si bon...
Je reconnais facilement le chalet où m'emmènent les louves. Il s'agit de celui de Zag, mon tuteur au sein de la Meute et accessoirement, le barman du Wolf's Whiskey. Il se tient d'ailleurs dans l'embrasure de la porte ouverte, avec un léger sourire aux lèvres qui me réchauffe aussitôt. Mon affection pour lui ne fait que grandir. C'est un peu grâce à lui que j'en suis là, après tout.
Mouais, c'est surtout grâce à nous. Il n'a fait que nous aider un tout petit peu.
Si tu le dis, soupiré-je mentalement, exaspérée et, certes, un peu amusée de sa tête de mule.
— Lyka, entre, m'invite Zag. Nora, il faut vraiment qu'une équipe de chasse s'organise aujourd'hui si vous voulez partir demain, il faut du gibier et les magasins sont fermés.
La blonde hoche la tête et me sourit.
— Ça te dit, une petite chasse avant le départ ? Je vais réunir quelques loups partants. En attendant, ils vont te montrer l'itinéraire je suppose. Je passe te chercher tantôt.
— Bonne idée Nora, acquiesce Jaïna en m'entraînant à l'intérieur.
Dans le couloir, Zag commence déjà à m'expliquer ce que je dois savoir.
— Vous allez passer par les crêtes plutôt que les vallées, elles seront moins fréquentées. L'itinéraire sera mémorisé par chacun d'entre vous, au cas où. On vous donnera quelques repères en ce qui consiste le début du chemin mais ensuite nous ne serons jamais allés aussi loin. Vous devrez vous débrouiller avec ce que Carl a pu rassembler au fil des années...
Nous sommes arrivés dans un petit salon dans les tons rouge sombre et brun, et nous asseyons sur des divans de type chalet de montagne, aux motifs composés de cerfs et de sapins. Blottie dans les coussins, j'observe la carte déployée sur la table basse en bois acajou, juste devant nos yeux.
Un trait sinueux rouge marque notre chemin, tandis que les montagnes, crêtes et vallées ainsi que les ruisseaux et les différents composants importants du décors sont tracés en noir. La carte est relativement précise pour l'espace proche du territoire de la Meute mais au-delà... à peine quelques arbres, cours d'eau épars sont visibles, comme s'ils avaient été aperçus de loin, par une seule personne qui n'avait pas pu les tracer avec précision, qui doutait de les avoir réellement vus. Nous allons nous enfoncer dans des terres inconnues...
Un frisson d'impatience me traverse.
— Donc, voilà votre trajet. Mémorise-le, Lyka, comme ça tu seras sûre de ne pas te perdre.
Zag désigna le bout du tracé rougeâtre.
— Et à partir d'ici... nous ignorons où vous devrez aller. Nous ne sommes jamais allés aussi loin. Et Carl n'a jamais rencontré ce Loup Supérieur en personne, on ignore où il habite précisément même si c'est dans les environs de cette vallée. Elle est appelée la Vallée de la Lune. À part ça, nous ne savons pas grand chose... avoue-t-il dans un soupir. On espère qu'il se manifestera de lui-même. Il vous sentira arriver, en tout cas, c'est certain.
— Pour les provisions, enchaîne Nora, on prendra quelques portions de viande séchée, des fruits secs, des biscuits qui se conservent longtemps, et...
— Tu comptes vraiment me faire manger ça pendant des jours ? la coupé-je d'un air dégoûté.
Elle sourit.
— Tu sais que tu ressembles vraiment à Morrigan, parfois ?
— En même temps, on vit dans la même tête...
La blonde émet un léger rire. Zag le fait cesser d'un regard et reprend les explications.
— Donc vous partirez à quatre, comme ça vous ne vous ferez pas repérer. Ne cherchez pas l'affrontement, peu importe qui se trouve en face de vous. Votre unique objectif est de trouver le Loup Supérieur dans les montagnes, me suis-je bien fait comprendre ?
— Pourquoi me fixes-tu en disant cela ? C'est Kelian le plus bagarreur, marmonné-je. D'ailleurs, pourquoi n'est-il pas avec nous pour ces explications ?
— Vous êtes aussi fous l'un que l'autre, soupire Jaïna avec un sourire las. Ne rejette pas la faute sur mon frère en permanence.
— Et il n'est pas là, intervient à nouveau Zag, parce qu'il a déjà eu ce discours par son propre père. Il a aidé à la conception du trajet.
— Kelian connaît ces montagnes ? m'étonné-je.
— Il a fait beaucoup de patrouilles. Toujours est-il que maintenant que vous savez tout, il vous reste à vous reposer jusqu'à ce soir. Vous partirez de nuit, vous aurez ainsi moins de chance de vous faire repérer par des humains ou des loups. Allez, maintenant, tous au lit !
Nous nous levons sagement. Dans ma tête tournent toutes les informations se rapportant au voyage, je les mémorise et les classe avec soin. Ce serait stupide de me perdre, quand même.
Jaïna, Nora et moi prenons le chemin du chalet de la blonde où j'ai logé pendant les vacances passées. Lorsque mes pas dépassent le seuil, un étrange sentiment d'apaisement me saisit. J'ai l'impression de me trouver dans mon antre, ma maison... au milieu de ma famille. Et ça fait du bien.
***
— Lyka, c'est l'heure.
Mes yeux de glace s'ouvrent difficilement pour apercevoir un morceau de ciel bleu sombre par la fenêtre qui surplombe le lit à ma droite. Les étoiles scintillent déjà et la lueur blafarde de la lune éclaire la chambre. C'est l'heure.
Dans l'embrasure de la porte se tient Nora, en vêtements civils dans les tons bruns, ses longues mèches blondes attachées en une queue de cheval haute. Son visage est sérieux, ses yeux verts, sombres. Elle se détourne et s'en va dans le séjour tandis que je m'habille en vitesse d'un pantalon noir et d'un t-shirt bleu ciel. Je ne dois pas me vêtir de manière spéciale, puisque la majorité du trajet se fera sous forme lupine, soit sans vêtements. Et lorsque nous redeviendrons humains, nous prendrons les habits de notre sac à dos adapté à notre forme animale.
Je saute dans le tapis de poudreuse qui s'étend devant le chalet. Mes pieds s'enfoncent avec un bruit de souffle d'air et un immense sourire s'étend sur mes lèvres. Je retombe en enfance devant ces flocons immaculés qui brillent sous les étoiles. Les sons sont étouffés, mon souffle forme des panaches blancs qui s'envolent vers le ciel. Mes yeux se sont habitués à la pénombre et, à présent, je vois aussi bien qu'en plein jour, ou presque.
J'avance jusqu'au point de rendez-vous. À l'orée de la forêt attendent déjà plusieurs silhouettes qui chuchotent doucement, pleines d'appréhension ou d'excitation, c'est selon. Je repère rapidement Nora et Jaïna, côte à côte, ainsi que Kelian, un peu plus loin, qui s'entretient avec son père, Carl. Zag m'invite à approcher et je le rejoins en silence. Mes pas sont légers sur la neige, agiles et fluides, alors qu'interieurement ma tête tourne. Je vais partir retrouver quelqu'un comme moi, enfin, et de surcroît, je vais fouler des territoires méconnus et sauvages.
Mes doigts fourmillent d'excitation. Zag me sourit.
— Tu es prête ?
Je hoche la tête sans rien dire. Mon regard dévie vers Jaïna et Kelian, en face de leur père. Les bras de l'Alpha de la Meute entourent ses enfants avec une émotion que je l'ai rarement vu manifester. Si Kelian reste stoïque sans toutefois le repousser, la brune lui rend son étreinte avec ferveur. Ce moment me touche brusquement. Mes yeux se mettent à piquer. Je les détourne rapidement.
Moi, je n'aurai jamais droit à cette tendresse caractéristique...
Je secoue la tête. Je ne dois vraiment pas penser à ça, ça ne fera que me plomber le moral alors que je dois me concentrer. Et puis, ce n'est pas moi, cette sentimentale !
— Lyka. On y va.
Je souris brièvement à Nora. Elle me tend la main avec un air solennel et je la prends fermement.
C'est parti. Nous nous enfonçons dans les taillis après un dernier au revoir à la Meute et disparaissons dans l'obscurité des bois sous la lumière blanche de la lune, au milieu des dunes de neige argentée. Mes yeux s'écarquillent, mes sens se réveillent brusquement et j'inspire l'air pur et frais avec bonheur.
Cachée dans un buisson, je retire mes vêtements, replace mon sac sur mes épaules et me transforme.
Ce sont quatre loups agiles qui s'encourent vers l'inconnu... et les réponses.
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