🐺16🐺
Kelian s'est figé. Les flammes se sont brutalement éteintes dans un chuintement et à présent, il fixe le sommet des remparts d'un regard vide. Ses yeux font l'aller-retour entre la femme famélique et Rorgan, il hésite visiblement à le croire.
- Kelian, il dit sûrement ça pour te forcer à te rendre, ne le crois pas ! m'exclamé-je.
Je me plante face à lui et l'oblige à me regarder en saisissant ses épaules.
- Mais si je ne le fais pas, il va la lâcher... Qui qu'elle soit, murmure-t-il d'un air subitement las.
- Eh, c'est quoi ce coup de mou ? T'as rangé ta détermination au placard ?!
- Lyka, on est bloqués. Si je refuse, il la tue, et si j'accepte, je mourrai.
- Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ! On est loin d'être bloqués. Je te rappelle qu'il ignore encore une petite chose, un détail qui fait que... (je baisse soudainement la voix) cette femme ne s'écrasera pas au sol...
Je lui jette un regard équivoque, priant pour qu'il ait compris. Ses iris d'argent paraissent doucement s'éclairer et ses lèvres s'étirent. Satisfaite, je le lâche et me replace à ses côtés, légèrement en retrait. Alors que Kelian s'avance d'un pas, détermination retrouvée, je bouge doucement mes doigts, appelant les vents à onduler, à se rassembler autour de ma main, imperceptiblement.
- Tu mens, Rorgan. Cette femme ne peut être ma mère, puisqu'elle est morte ! hurle Kelian.
- Ils n'ont jamais retrouvé de corps, Kelian, ricane notre ennemi. Je t'assure que c'est bien elle. Vous avez les mêmes yeux...
- Tu ne fais qu'essayer de me déstabiliser pour t'enfuir, lâche que tu es !
- Suffit !
Il soulève brutalement la femme et la secoue dans le vide. Elle n'a aucune réaction, vraiment aucune... Que lui a-t-il fait ?
- Livre-toi et je la laisse vivre !
Les poings du loup noir se serrent. Il clôt un bref instant les yeux. Il doit me faire confiance, il le doit... J'ai eu le temps d'accumuler assez de vents, j'arriverai à la retenir, mais il faut qu'il accepte de provoquer la chute...
- Jamais ! s'écrie finalement Kelian en évitant de regarder dans la direction de sa soeur, qui, bien qu'elle n'en soit pas la fille biologique, a levé la tête vers son frère à la mention de sa mère défunte.
Jaïna lâche soudainement une plainte et tend une main vers Kelian, qui l'ignore au prix d'un effort immense.
- Ne t'inquiète pas, soufflé-je doucement en serrant le poing.
La puissance de l'air m'envahit peu à peu, mais c'est invisible et si peu flagrant que Rorgan ne le voit pas. Il est focalisé sur Kelian, l'air furieux.
- Tu l'auras voulu... Tu auras tué ta mère, articule-t-il distinctement avant d'ouvrir sa poigne.
La femme chute. Sa robe s'étend autour d'elle, puis se colle à son corps décharné, alors qu'elle file vers le sol à une vitesse ahurissante. Pourtant, à mes yeux, c'est lent ; je vois les courants d'air qui la frôlent, la ralentissent...
Mes doigts se déplient brusquement et le vent jaillit. Les griffes de l'air se saisissent du corps, le maintiennent, puis le descendent à une allure beaucoup plus lente, presque au ralenti. La femme touche alors le sol sans dommage, toujours aussi amorphe, dans une étrange grâce, pourtant l'effort que je viens de fournir fait perler une goutte de sueur sur mon front alors que je reprends ma respiration, que j'avais inconsciemment retenue durant toute ma manipulation.
Un silence pesant s'empare du camp, jusqu'à ce que Rorgan rugisse.
- Toi aussi ! Alors vous êtes venus vous livrer ensemble ! Deux pour le prix d'un, ainsi !
Je me crispe et Kelian et moi nous plaçons dos à dos. Les gardes se sont repris, ils tiennent leurs armes plus fermement et guettent le moindre de nos mouvements. Je distingue même quelques loups parmi les silhouettes humaines. Cette seconde partie de combat s'annonce beaucoup plus ardue...
- Archers ! s'époumone Rorgan. Ne les laissez pas s'enfuir !
Comme si nous allions partir sans ce que nous sommes venu chercher !
Quelques loups apparaissent alors sur les remparts. Ils ont dû monter lorsque nous regardions leur chef... Nous aurions vraiment dû être plus attentifs !
Leurs arcs, de tailles impressionnantes, m'indiquent que ce sont sûrement des armes spécifiques aux loups-garous. Ils encochent tous dans un même mouvement et j'ai le temps d'apercevoir les lames crantées qui forment les flèches. Oui, définitivement, ce ne sont pas des arcs conventionnels.
J'inspire alors un grand coup.
- Kelian, va chercher les filles et la femme. Je m'occupe des flèches.
Il hoche la tête et, à mon signal, bondit vers sa soeur. Dans un cri, je libère alors mes pouvoirs.
Un affreux bruit de déchirement retentit. Une tornade se lève dans le camp, emportant quelques armes légères dans sa puissance furieuse, alors que les gardes reculent avec diverses exclamations paniquées. Ce rideau de vent englobe nos amies et la femme, échouée non loin par mes soins, comme une barrière. Le vent est assez puissant pour repousser les flèches, qui ricochent sans parvenir à transpercer les courants. Un sourire s'établit sur mon visage. Que c'est agréable ! J'ai l'impression de laisser libre cours à toute l'énergie qui sommeille en moi depuis des années, d'enfin être moi, Lyka, entièrement. Et cette puissance, cette force qui pulse dans mon corps, qui fait battre mon coeur furieusement à mes oreilles... Je m'enivre de ce pouvoir nouveau, de cette partie de moi que j'ai si longtemps ignorée.
Mes cheveux volent autour de mon visage, alors que mes yeux brillent comme deux soleils d'un bleu éclatant. Mon visage bascule en arrière, vers le ciel, vers le sommet de cette tornade en furie, puis un rire léger m'échappe. Je dois probablement avoir l'air d'une folle, mais je m'en moque. Je me sens bien. La mort peut me cueillir d'une flèche, d'un coup d'épée, cependant je reste là, au centre de mon élément. C'est un moment à part.
Un rugissement m'arrache à ma contemplation et je me tourne vers un immense loup gris. Alpha, assurément. Ses crocs dévoilés ne demandent qu'à se plonger dans ma chair, ses yeux me détaillent comme sa future proie. Il est parvenu à franchir les vents. C'est certainement le seul.
Alors qu'il se ramasse pour bondir, Morrigan hurle dans ma tête. Il est stupide, ce loup.
J'attends patiemment qu'il ait décollé la moindre parcelle de ses pattes du sable, puis le fauche et l'envoie fracasser la muraille d'air qui tourbillonne autour de nous. Il lâche un geignement pitoyable en s'effondrant. Un faux air compatissant prend place sur mon visage.
- Lyka !
C'est cet appel qui me sort de la drôle de transe dans laquelle je me suis inconsciemment plongée. Kelian me fixe, alors qu'il porte sa soeur sur son dos et que Nora s'est mise debout, encore chancelante, les yeux écarquillés, ébahie devant nos pouvoirs. Les chaînes semblent avoir fondu pour libérer ses mouvements, sûrement l'oeuvre de Kelian.
Il me désigne la femme encore allongée au sol, inanimée, et je hoche la tête. Ma main se lève dans sa direction et les vents s'enroulent autour de son corps, comme un cocon, pour la soulever lentement.
- On peut y aller, affirmé-je, le front plissé par la concentration.
Je ramène la femme près de moi avec quelques mouvements des mains, puis Kelian me rejoint. Nora marche à ses côtés, clairement affaiblie, mais son regard soudain rallumé par l'espoir me confirme qu'elle courra avec nous pour fuir tant que ses jambes la porteront.
- A trois, j'ouvre les vents pour qu'on puisse sortir. Mais on devra aller vite, sinon ils entreront ou nous bloqueront le passage, leur indiqué-je.
Tous hochent la tête et je m'avance vers la future brèche. De l'autre côté se trouve la sortie du camp, mais également quelques loups prêts à nous déchiqueter. Je croise alors les yeux verts de notre amie, emplis de peur comme je ne les avais jamais vus.
- Nora, cours aussi vite que tu le pourras. Je me charge de la femme, Kelian de Jaïna, alors reste entre nous et évite de combattre, lui murmuré-je rapidement. Ca va aller...
Elle hoche la tête et se rapproche de moi, puis je reporte mon attention sur la barrière. Commence alors le décompte...
- Un... Deux... TROIS !
Une brèche se forme et nous nous élançons dans le passage. De l'autre côté, les hurlements reprennent et nous agressent, tandis que les loups tentent de nous ralentir, crocs dévoilés, griffes en avant ; Kelian parvient à raviver une braise échouée dans l'ancien feu de camp et en tire une flamme, qu'il fait bondir d'ennemi en ennemi, laissant monter une clameur de souffrance. Je m'attelle, d'une main, à soulever la femme, tandis que de l'autre je chasse les flèches qui pleuvent sur notre groupe. Malheureusement, quelques-unes passent, ce qui m'arrache une grimace frustrée. Prions pour qu'aucune n'atteigne sa cible et que toutes se plantent dans le sable.
Ce dédoublement de mon attention me pèse sur le crâne comme une enclume. Un étau m'enserre la tête, ce qui provoque un début de migraine atroce... Je serre les dents. Ce n'est pas le moment... de... craquer...
Nous courons, tant bien que mal. La sortie approche. Plus que quelques mètres. Les cris nous entourent, m'embrouillent, résonnent dans mon crâne... Un gémissement m'échappe, un râle de souffrance.
Je sens la barrière m'échapper. Mon énergie s'amenuise, je fatigue et brusquement, c'est comme si je tentais de retenir un fil humide entre mes doigts... Il glisse inexorablement. Puis, soudain, il m'échappe ; les vents s'effondrent sur eux-même.
C'est comme une explosion. Un souffle immense nous propulse en avant, nous envoyant rouler sur le sol de la pinède, comme si nous n'étions que des fétus de paille. Je me relève le plus rapidement possible et me retourne vers le camp, malgré mes vertiges. Le monde tourne autour de moi, mais je parviens à distinguer que les loups ont été projetés sur les palissades. Ils gisent, sonnés, sur le sable. Mais pas pour très longtemps. Nous devons faire vite.
Je me relève et saisis l'inconnue. Je la soulève comme je peux et la place sur mon dos. La fatigue manque de me tomber dessus. Sans l'adrénaline qui coule dans mes veines, je serais probablement à terre, incapable du moindre mouvement... J'ai trop puisé dans mes réserves en invoquant autant de vent en une seule fois.
Je grimace à l'élancement de mes muscles. Cette femme ne pèse quasiment rien, mais c'est déjà trop. Cependant, je me force à faire un pas, puis un autre ; Kelian s'est lui aussi relevé et porte Jaïna avec ses dernières forces. Nora, quant à elle, parvient à nous suivre, et nous nous enfonçons dans la forêt.
***
Les sacs marquent la fin d'un calvaire. Un immense soupir soulagé m'échappe alors que je les distingue au creux de quelques racines, intacts. Nous nous effondrons de concert sur le lit d'épines de pins, puis Kelian élève la voix, où perce l'immense fatigue qui nous écrase après cette démonstration de pouvoirs.
- Il... Il faut vous soigner. Nora, où es-tu blessée ?
- Ce... Ce n'est rien, juste des irritations à cause du métal... Par contre, si vous avez à manger...
Je me traîne jusqu'à mon sac et en sors une tranche de boeuf, que je passe à Nora sans quitter la position à plat ventre. Je me moque de la dignité, de l'ego ou quoi que ce soit ; je suis fatiguée et je ne bougerai pas dans les prochaines minutes.
- Jaïna ? interroge alors Kelian en serrant doucement sa soeur dans ses bras.
Elle n'a toujours rien dit. Ses lèvres obstinément closes m'inquiètent, comme ses yeux dans le vague et les multiples traces de contusions qui parsèment sa peau lorsqu'elle n'est pas dissimulée sous ses vêtements sales et poussiéreux. Elle réagit à peine à son frère, se blottissant dans ses bras à la recherche de son contact. Il l'entoure de ses bras et elle soupire, les paupières serrées comme pour retenir des larmes.
Nora détourne les yeux. Quant à moi, je sens mon coeur se ratatiner dans mon thorax. Jaïna... que s'est-il passé ?
Devant l'absence de réponse de la brune, Kelian soupire et tend le bras vers son sac, en sortant un morceau de viande à l'aspect tendre et rosé. Il le donne à Jaïna, qui l'avale sans enthousiasme, puis s'endort à même le sol. Recroquevillée, comme une enfant, comme...
Une proie.
Je secoue doucement la tête et me redresse en position assise. Nous devons nous éloigner du camp, rentrer chez nous. Ils sauront quoi faire pour remettre les filles d'aplomb. Nous devons leur dire également que nous avons appris à utiliser nos dons, que nous avons vu Sorgin au Sanctuaire, et que nous sommes vivants. Ils doivent s'inquiéter, à la Meute.
Cela fait tout de même beaucoup de temps que nous sommes partis... J'ai perdu le compte, mais au moins deux semaines, si pas trois ou quatre ont passées alors que nous nous entraînions au Sanctuaire. Et, aussi inattendu que cela paraisse, ma Meute me manque. Ils me manquent, ces loups que j'ai appris à connaître au fil du temps passé avec eux...
Quelle mièvrerie... Pour l'instant, pense à rentrer avec ces trois louves diminuées, me rappelle Morrigan avec justesse.
Je secoue encore une fois la tête.
- Kelian, on peut les attacher sur nos dos avec les sangles des sacs. Nous sommes assez grands sous forme de loups pour les porter. Nous arriverons plus rapidement ainsi qu'à pieds et Nora n'est pas en assez bonne forme pour nous suivre, même si nous nous adaptons à sa vitesse.
Il réfléchit un instant, puis acquiesce. Il dépose doucement sa soeur sur le sol forestier et se saisit de son sac. Il se met alors à détacher les sangles de rechanges, celles inutiles, tout ce qui pourrait servir, alors que je fais de même pendant que Nora mord dans un autre bout de viande avec appétit. Jaïna dort toujours profondément, lâchant par instants de petits gémissements angoissés qui ne font que plus me serrer le coeur, mais à aucun moment je ne décide d'interroger Nora sur ce qui s'est passé entre les palissades de bois de ce campement depuis qu'elles ont été capturées. Quant à l'inconnue, peut-être la mère de Kelian, elle reste inanimée tout le temps que nous prenons à nous préparer. Elle s'est assise, mais ne prend aucunement part aux conversations, les yeux perdus, comme si elle voyait quelque chose qui nous échappe. Ses cheveux sales ont une couleur indéfinissable, mais en revanche la teinte de ses iris m'est familière car elle a bien la même que Kelian. Ce sont deux billes argentées, même si elles sont plus sombres chez la femme. En tout cas, elle a à peine touché à la tranche de porc que je lui ai mise entre les mains.
Enfin, nous sommes parés. Kelian porte sa soeur et l'inconnue, quand Nora s'agrippe à ma fourrure gris perle avec un soupçon d'anxiété.
- A quel point tu as dit que tu allais vite, Lyka ?
- Je vais plus vite que tu ne courras jamais, Nora, mais aujourd'hui nous devons nous ménager, nous avons beaucoup donné en énergie pour vous sauver. Accroche-toi bien.
Kelian me jette un regard, puis je jappe que je suis prête. Mes muscles malmenés ont repris de la force après ce court repos, tout comme les siens, qui roulent sous sa fourrure d'ébène. Nous sommes plus déterminés que jamais à rallier la Meute.
Alors, je force mon corps à donner ce qui lui reste, et bondis vers cet appel, au bout de ce fil intangible qui, je le sais, me relie à ma véritable famille.
Nous rentrons chez nous.
Wooooh attention, Tsun-Amie n'a jamais écrit aussi vite x)
Oui, je vais bien, c'est juste l'effet confinement !
Pour en revenir à ce chapitre... Votre avis ? Non parce qu'il se pourrait que ce soit...
... le dernier...
...
...
... avant l'épilogue, bien sûr ! ^^'
On retrouve Nora et Jaïna, qui semblent avoir eu quelques ennuis... espérons que ce ne soit pas trop grave !...
Mais gardons espoir, ils vont rentrer à la Meute, et tout va s'arranger, ils vivront heureux et - Ah, vous me rappelez qu'il y a un tome 3 ?
Bon, on oublie le "ils vivront heureux et auront beaucoup d'enfants", alors... *regard sadique*
En attendant, guettez l'épilogue, et tentez de deviner ce qu'il mettra en scène ! Lyka, Kelian et compagnie, ou quelqu'un d'autre ?...
Plein de bisous depuis 1m50 de distance, à plus tard mes lecteurs préférés ! ;)
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