🐺14🐺

Pour une fois, ce sont de mélodieux gazouillis d'oiseaux qui me tirent de mon sommeil profond et calme.

Lorsque j'ouvre les yeux, je prends le temps de me réveiller complètement. Ma respiration régulière, lente et apaisée laisse échapper mon souffle dans l'air de la chambre. Aujourd'hui, je la quitte.

C'est un moment important : Kelian et moi quittons ce Sanctuaire, où nous avons passé tant de temps... Les vacances scolaires sont probablement terminées, à présent. Je m'en moque, les enjeux sont plus importants qu'une quelconque réussite scolaire, d'autant que je n'ai jamais été un membre réel de ce système. Je suis à part ; je ne suis pas humaine. Je ne peux pas rester dans cette case, je suis mieux ici, dans la montagne, dans les forêts sauvages.

Mes pensées cessent de s'éparpiller quand je me redresse, puis que je passe sous la douche avant de m'habiller d'un jeans et d'un simple t-shirt bleu sombre. Mes longues mèches noires bouclées sont ramenées en une queue de cheval, puis je me fixe dans le miroir de la salle de bain un instant.

J'ai changé. Pas seulement physiquement, car au-delà de ma prise de muscles et de mon teint plus hâlé, la lueur qui brille dans mes yeux bleus a changé. Il n'y a plus de rage folle, de frustration d'évoluer dans un monde étranger au mien, celui des humains, et la tristesse de ne pas comprendre celui des loups a disparu également. Cependant, mes iris ne sont pas ternes ou sans vie, non ; ils brillent d'un nouvel éclat, fait de détermination et de puissance presque maîtrisée.

Presque, car je sens que des pertes de contrôle se produiront encore, certaines choses peuvent encore ramener la Lyka violente sans raison du fond de ma conscience.

— Lyka ?

Je tourne la tête vers le salon et pousse la porte de la salle de bain, découvrant Kelian sur le pas de porte. Vêtu d'un pantalon de randonnée brun et d'un large t-shirt beige, il ne ressemble aucunement au loup qui sommeille en lui. Il paraîtrait presque humain. Presque.

Ses yeux d'argent me demandent de le suivre et je hoche la tête. Nous savons qu'il est temps.

Côte à côte, nous avançons parmi les arbres et la végétation du Sanctuaire. Le vent est doux, calme, il balaie nos visages délicatement, comme un au revoir. Ou un adieu.

Bientôt, une silhouette familière se dessine devant nos yeux. Les cheveux blancs de Sorgin accrochent les rayons solaires, le faisant presque briller au milieu des troncs couleur miel aux feuilles doucement balottées par le vent. Une étonnante bouffée d'affection nait dans mon thorax. Malgré la méfiance que nous avons nourrie envers lui, il s'est révélé notre plus puissant allié. Le dernier des Loups Supérieurs des Sanctuaires. Le gardien des traditions et des mystères de notre espèce.

Un petit sourire étire ses lèvres, encouragement visible qui me touche.

Devant ses pieds, gisent quelques sacs de voyage aux dimensions lupines. Une odeur de nourriture en émane, dilatant mes narines alors que nous approchons de notre aîné.

— Lyka, Kelian. Le temps de votre départ est arrivé, on dirait.

— Oui, soufflé-je.

— Enfin, renchérit Kelian, le regard brillant.

Ses poings sont serrés, tous ses muscles semblent bandés. Il meurt d'envie de courir hors de ce Sanctuaire. Cela m'étonne d'ailleurs qu'il n'ait pas décidé de désobéir à Sorgin pour aller sauver sa soeur sans son accord... Et ma propre sagesse a de quoi m'étonner aussi ! Peut-être que nous sentions qu'en restant ici, nous allions apprendre d'importantes révélations sur notre nature ? Espérons que ces jours pris à s'entraîner ici n'aient pas d'incidence malheureuse sur nos amies...

— Avant de vous souhaiter bonne chance, commence Sorgin d'un ton parfaitement calme, je me dois d'être sincère avec vous. Vous m'avez accordé une certaine confiance en me laissant vous enseigner ce que je sais. Il est temps que vous sachiez qui je suis réellement.

— Qui vous êtes réellement ? s'exclame Kelian. Qu'est-ce que ça veut dire ?!

Ah ! J'avais quelques réticences à lui faire confiance, voilà ces dernières justifiées ! intervient Morrigan.

— Je suis bien un Loup Supérieur, ce sont mes liens avec Rorgan qu'il me faut clarifier. Je connais énormément de choses à son propos et il y a une raison derrière ces connaissances... Tout comme lui est très bien informé sur les Loups Supérieurs.

— Si vous me dites que vous l'avez entraîné ici comme nous et que vous nous la jouez Obi Wan, je vous jure que je reviendrai vous botter les fesses après avoir sauvé les filles, craché-je. Vous seriez indirectement responsable de la mort de mes parents ! Vous le savez, ça ? Peu importe que vous soyez probablement dix fois plus âgé que moi !

— Je ne suis pas le maître de Rorgan, si c'est ce que tu entends par "Obi Wan", se défend Sorgin avec un geste apaisant, les mains levées paumes vers nous.

— Alors vous êtes quoi, tous les deux ? s'exclame Kelian, probablement autant sur les nerfs que moi.

Nous sommes passés d'apaisement à colère et cet ascenseur émotionnel a le don de me hérisser le poil. Finalement, le Loup blanc soupire et nous regarde dans les yeux.

— Je suis son frère...

Un silence pesant s'établit dans le Sanctuaire.

— Son frère... Oui, d'accord, ricané-je.

— Je suis le frère de Rorgan, mais contrairement à moi, il n'a pas reçu les gènes de Loup Supérieur. Un jour, il est parti de la meute et... il a commencé à tuer tous les Supérieurs qui croisaient sa route... Nous pensons que c'est par rancune, frustration, il ne nous en a jamais parlé. Mais nous ne l'avons plus revu depuis cette époque... et j'ai été assigné au Sanctuaire. Lui a continué, il s'est donné comme mission d'éradiquer notre espèce. Je le connais bien, et c'est pour ça que je veux vous mettre en garde. Il n'est pas sain mentalement, ne vous laissez pas avoir par ses paroles. Il est capable de tout, même du pire, surtout du pire... 

Il laisse passer un instant, pendant lequel Kelian et moi nous jetons un regard perdu, puis reprend d'un air las.

— Je ne pouvais pas le dire d'emblée, vous auriez refusé de rester, or vous deviez manifester vos dons et je devais vous aider. Cependant, je voulais vous le dire avant que vous ne partiez. Rorgan... mon frère aurait pu se servir de cette information pour vous déstabiliser. Et je vous dois la vérité.

Je hoche la tête, une grimace ironique venant étirer mes lèvres de manière incontrôlée.

— Bien. Vous êtes le frère de Rorgan et par ce fait, il connaît très bien notre espèce. A cause d'une crise d'ado qui dure, il tue des gens. Bien. Mais si vraiment vous n'avez rien à voir avec lui, hormis des liens de sang... ça ne change pas grand chose. Vous avez bien fait de nous le dire, mais l'important ce n'est pas ça, actuellement. Nous devons partir. Alors on va prendre ces sacs, courir comme des dératés et sauver nos amies. Par contre... s'il s'avère que vous êtes de mèche avec Rorgan depuis le début...

Un sourire plein de dents s'étire sur mon visage ; menaçant, de mauvais augure, il n'est qu'une pâle illustration des mots que je m'apprête à prononcer.

— Si vous êtes de son côté... Peu importe ce que nous avons tous partagé ici : je reviens et je ne donne pas cher de votre belle fourrure blanche. Je suis par ailleurs sûre que Kelian ne verra aucune objection à me filer un coup de patte.

— Exactement, approuve ce dernier d'une voix sourde.

Un sourire inattendu apparaît sur les lèvres de Sorgin alors qu'il nous regarde tour à tour.

— Je suis fier de vous. Eh bien, revenez si vous le désirez, mais le temps presse : prenez ces sacs et filez.

Nous lui obéissons de suite, sans un mot de plus, et alors que nous laissons derrière nous les arbres et les ruisseaux paisibles du Sanctuaire, je me retourne.

Il est debout, droit, les yeux rivés sur nous. Il semble prier la Lune invisible de nous apporter son aide. Derrière lui, le soleil s'élève au-dessus des pics, et ses cheveux blancs n'en ressortent que plus. Une petite intuition me souffle que c'est certainement la dernière fois que je verrai ce vieux loup... mais je secoue la tête et rattrape Kelian.

Nous avons un objectif.

***

Nos pattes foulent le sol sans même y peser une seconde : nous sommes trop rapides. Le vent glisse sur nos fourrures grise et noire, nos yeux fouillent le moindre recoin de la forêt que nous traversons, nos narines dilatées aspirent tout l'air disponible, à l'affût de l'odeur de nos amies ou d'un loup de Rorgan. Nos oreilles couchées par la course restent opérationnelles, aucun son ne nous échappe. J'ai  l'impression de revivre...
Au-delà du fait de sortir du Sanctuaire pour la première fois depuis des jours — des semaines ! —, je sens que mes capacités ont augmenté.

Mes muscles à peine échauffés roulent souplement sous ma peau, les sacs paraissent peser quelques grammes à peine et nous filons comme des flèches sans effort. Le souffle calme, l'esprit clair. C'est comme si j'étais une autre personne.

Nous émergeons soudain dans un espace dégagé. En face de nous, le vide ; nous sommes au bord d'une falaise abrupte. Alors que nous nous arrêtons sur l'herbe, le soleil réchauffe nos fourrures et un cri de rapace retentit.

La vue est dégagée, depuis notre promontoire. Mes yeux bleus balaient la plaine qui s'étend sous nos pattes. De l'herbe, des collines émeraude, un cours d'eau étincelant, puis, des bois et une pinède. Le vent nous fait face et ma truffe remue soudain. Là.

— Tu l'as senti aussi ? jappe Kelian en se plaçant à mes côtés.

Je hoche la tête. Une odeur de feu de bois. Une présence.

— C'est à quelques kilomètres... Un camp. Regarde, il y a une sorte de tente par-là... En camouflage, à côté des rochers qui jouxtent le grand sapin un peu au nord.

Il approuve d'un signe de tête et se détourne, alors que j'observe le chemin que nous pourrions prendre pour nous y rendre. C'est un sol rocailleux, escarpé, qui descend la falaise plus loin. Il aboutit dans une forêt épaisse, à un kilomètre de la pinède où nous avons repéré le campement.

Je m'élance à la suite du loup noir, l'impatience se faufilant déjà dans mes veines. Mes coussinets effleurent les rochers, je fais attention à ne pas me blesser et je vois Kelian faire de même. C'est fou comme nos corps bougent avec fluidité, grâce et puissance, à mesure que nous galopons vers le bas de la falaise. Nous sommes à peine discernables, discrets et rapides, déterminés.

Alors que je bondis par-dessus un ruisseau de montagne, un sentiment de liberté euphorisant me prend soudain à la gorge et électrise mes membres. Ma vitesse augmente encore.

Kelian ressent la même chose, je le vois : ses yeux brillent et une chaleur étonnante émane de sa fourrure d'ébène. Quant à moi, je me limite autant que je le peux, mais un filet de vent s'enroule autour de mes pattes, accélérant presque imperceptiblement ma course déjà extraordinaire.

Puis, nous ralentissons peu à peu. Les épines de pin recouvrent le sol à mesure que nous approchons. L'odeur de bois brûlé se fait maintenant certaine et les oiseaux se raréfient. Les rongeurs se terrent dans leurs trous, si bien que nous sommes les seuls à se risquer à découvert.

Tout est silencieux, à présent. Même les gazouillis cessent, les courses des souris s'évanouissent. Nous nous faufilons comme des ombres parmi les troncs dénudés. Les seules cachettes sont à présent des buissons, car les pins ont leur feuillage trop haut pour que nous nous y camouflions.

Nous avançons avec le vent de face, heureusement. Les odeurs qui nous parviennent sont multiples : feu, fumée, loups, viande, tissus, sueur... Puis, Kelian se fige.

— Jaïna.

Je m'immobilise à ses côtés.

— Elle est là, souffle Kelian, les narines dilatées.

Je lui frôle l'épaule pour qu'il me regarde, puis lui murmure le plus doucement possible :

— Quel est le plan ? On ne peut pas foncer dans le tas...

— Nous sommes peu, attaquer par surprise n'est pas une solution, approuve-t-il. Alors... faisons-leur croire que nous sommes beaucoup et demandons à négocier.

— Négocier ?

Je sens Morrigan s'offusquer dans mon esprit et je suis d'accord avec elle... Depuis quand est-ce que nous négocions ?

— Nous ne pouvons pas prendre le risque qu'ils leur fassent du mal. De plus, on ignore leur état, peut-être qu'elles ne pourront pas nous suivre si nous nous enfuyons.

Avec résignation, je me range à son avis.

— Allons tout de même jeter un oeil pour les repérer, dis-je néanmoins.

Il hoche la tête et nous avançons doucement, de cachette en cachette. Bientôt, nous arrivons en vue du camp. Forteresse semble cependant plus adapté... Car nous n'apercevons d'abord rien, hormis une grande palissade de bois. Haute de trois mètres et parfaitement hermétique, elle n'est percée que d'une porte gardée par deux loups aux mines patibulaires. Heureusement, cette entrée est ouverte et nous pouvons voir une partie de l'endroit.

Immobiles, nous observons, la respiration la plus faible possible. Dans l'ombre d'un buis touffu aux senteurs écoeurantes, nous avons une vue plutôt dégagée par la porte ouverte.

Il s'agit d'une clairière au milieu de la pinède. Le sol a été aplani, il est à présent tapissé de sable. Un feu de bois presque éteint survit au centre de l'espace. Quelques tentes à motif camouflage ont été dressées en cercle. L'une d'elles, un peu plus grande, doit abriter le chef du camp. Peut-être Rorgan lui-même. Puis, à mesure que je détaille les silhouettes des loups baraqués qui mangent et discutent dans le camp, j'aperçois deux formes au sol... C'est compliqué de le dire avec certitude, cependant il me semble que ce sont elles. Enchaînées, car le soleil se reflète sur ce qui semble être un maillon métallique. Pourtant, je ne perçois aucune odeur de sang, ce qui me rassure, comme Kelian qui semble être parvenu aux mêmes conclusions.

Nous reculons lentement pour ne pas nous faire repérer, puis nous cachons dans un entrelacs de racines, à quelques centaines de mètres.

— Bon, l'attaque surprise, c'est vraiment impossible. Que nous reste-t-il ? Comment faire semblant que nous sommes nombreux ? interrogé-je.

— Tournons autour du camp en hurlant. Nous devons donner l'impression que nous les encerclons.

— Nous pourrons les menacer d'attaquer s'ils ne nous livrent pas les prisonnières... poursuis-je. Bonne idée.

— Et nous dirons envoyer des gens pour négocier, c'est là que nous entrons dans le camp. Nous essayons de faire marcher le chantage, puis si cela échoue, nous nous battrons. Avec nos dons, il y a des chances que nous parvenions à fuir avec les filles sans qu'ils ne nous retiennent.

— C'est risqué.

— Avons-nous un autre choix ?

— Pas vraiment.

Un soupir passe les babines de Kelian, alors qu'il bande ses muscles à mes côtés.

— C'est parti. Tu vas à droite.





En ces temps troublés, je me permets d'ajouter avant la note de ce chapitre :

Courage, lavez-vous les mains et restez chez vous. On ne le répétera jamais assez, mais c'est si simple de sauver des vies. Même si vous vous dites "ce n'est pas pour une fois" ou "moi je ne serai pas malade", pensez aux personnes vulnérables et aidez à ralentir cette pandémie. Si les gens ne se regroupent plus, ils ne transmettent plus le virus et facilitent le travail des hôpitaux, en plus d'éviter aux personnes vulnérables de tomber malades. Le but est de ne pas saturer les hôpitaux par des afflux massifs de patients nécessitant des soins importants. Sinon, le personnel médical sera débordé, alors qu'ils travaillent plus que jamais pour sauver les malades (je le vois moi-même, mes parents travaillent dans un hôpital).

#stayhome

Et puis, c'est l'occasion de rattraper le sommeil et de découvrir de nouvelles activités ! Beaucoup d'idées fleurissent sur les réseaux pour vous occuper, alors aucune raison de désobéir ;)
Important aussi : ne vous rendez pas malades d'anxiété.

Conscient, oui ; Paniqué, non !

Donc restez chez vous, faites attention aux fake news, lavez-vous les mains et trouvez des occupations ! Et vous pouvez évidemment lire mes histoires ! (auto-publicité, oui, et alors ?).

BREF. Après ce petit mot...

— On arrive dans le vif du sujet ! C'est parti pour la mission sauvetage ! Vous êtes dans quel camp :

° ça va rater, ils vont se faire attraper !

° ça va rater, mais quelqu'un va venir les aider ! Qui ?

° ça va réussir, ce sont les meilleurs nos Loups Supérieurs !

° j'en sais rien, peut-être qu'ils vont attraper le corona.

Commentez, votez, partagez, moi je retourne à ma quarantaine où je vais tenter d'écrire quelques petites choses pour m'occuper ! :)

Prenez soin de vous et de vos proches.









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