🐺11🐺
— Je suis capable de lire des bribes de l'avenir dans les reflets de l'eau, sans pouvoir le changer.
Sorgin nous regarde avec calme, nous sonde de ses yeux verts. Moi, je sens mes mains trembler d'excitation.
— C'est comme ça que tu as su que nous allions arriver, murmure Kelian en écarquillant les yeux.
— Vous ne doutez pas de ce que je vous dis ?
Je tourne la tête vers Sorgin, un léger sourire aux lèvres.
— Personnellement, il m'est déjà arrivé des choses autrement plus absurdes. Alors que vous lisiez l'avenir, franchement...
— Attendez, interrompt Kelian en fronçant les sourcils. Tous les Loups Supérieurs possèdent une telle capacité ?
— Cela dépend de leur caractère, mais oui, tous, vous y compris, confirme le Loup blanc.
— Alors comment ça se fait que nous n'ayons jamais encore fait l'expérience des nôtres ? demande celui aux yeux d'argent.
— Il faut un déclencheur et que vous soyez dans un Sanctuaire.
— Un déclencheur ? relevé-je. Comme quoi ?
— Une émotion, ou bien une certaine situation... C'est assez variable, explique Sorgin en se dirigeant vers les chalets. Demain, nous essayerons de déclencher vos dons. S'ils s'avèrent utiles en combat, ils vous serviront forcément lors du secours de vos amies.
Nous le suivons parmi les cours d'eau et les arbres muets, tandis que je réfléchis intensément. Quel pourrait être le mien ? Et celui de Kelian ? Ces dons sont-ils uniquement psychiques, comme celui de Sorgin ?
Nous nous séparons pour aller reprendre des forces de notre côté, mais je sens que j'aurai du mal à dormir après de telles révélations. C'est aussi le cas de Kelian, qui râle un peu à l'idée de retourner dans son logement après ça. Mais Sorgin insiste pour que nous nous occupions de ces dons demain, durant toute la journée si nécessaire.
Alors que je me tourne et me retourne dans mon lit, mes pensées me ramènent auprès de Jaïna et Nora. Vont-elles bien ? Sont-elles blessées ?
Arrête de te torturer l'esprit. Encore quelques efforts, et nous irons nous en assurer nous-même.
Je soupire, mais obtempère, et les bras de Morphée m'acceptent enfin.
***
— Passons à l'envie, assène Sorgin, alors que le soleil se couche derrière les montagnes.
Durant toute sa course, nous avons essayé de nous faire ressentir diverses émotions, puis de nous mettre dans diverses situations, sans résultat probant. Le gardien du Sanctuaire a donc décidé de passer à des émotions plus rares, plus subtiles.
— L'envie ? Sérieusement ?! explose Kelian. Et je peux savoir comment tu comptes nous faire ressentir de l'envie ?
— Quels sont vos aliments préférés ? demande-t-il, imperturbable et assis en tailleur en face d'un Kelian presque fou de rage.
Toute sa patience vient d'être pompée en une journée. Je doute qu'il ait réellement ressenti autre chose que de la colère.
La mienne risque d'être réduite à néant bientôt, d'ailleurs. Je trépigne. Nous n'avons aucun résultat ! Rien, en une journée entière !
Pourtant, je me contiens encore. C'est une véritable prouesse. Nous avons alterné les entraînements physiques et les essais de déclenchement, ça n'a rien donné, rien, nothing, nada, niets, nichts !
Je m'assieds avec raideur. Cette impuissance et cette frustration risquent à tout moment de me submerger. Je ferme les paupières.
— La banane ! hurle Kelian. C'est la banane ! Mais on s'en fout, je n'ai pas faim !
— Passons l'envie, alors, soupire Sorgin en se pinçant l'arête du nez. Que dites-vous de la joie ?
— Nous ne ressentirons aucune joie dans toute la soirée, Sorgin. Nous sommes plutôt désespérés. Et si ç'avait été le déclencheur, on aurait découvert nos dons depuis longtemps, soupiré-je, les yeux clos.
Kelian s'assied à mes côtés sans rien dire, tremblant de rage et de frustration. Quant au Loup aux cheveux blancs, il ne perd pas une seconde son calme et nous regarde l'un et l'autre.
— Nous sommes donc forcés d'arrêter pour aujourd'hui. Nous reprendrons demain, et après-demain, jusqu'à découvrir vos déclencheurs.
Il se lève et nous laisse sans rien ajouter. Sorgin disparaît parmi la végétation.
Kelian frappe le sol d'un coup de poing. Cela semble le calmer, puisqu'il soupire et ferme les yeux. Je contemple le ciel rougi en m'allongeant dans l'herbe sur le dos, les bras le long du corps, vidée.
On va arriver trop tard. Le temps qu'on découvre ce qui nous déclenche...
Je sens mes yeux s'humidifier et les ferme violemment. Non. Mes muscles se crispent. Je n'ai pas à pleurer... surtout si Kelian se trouve juste à côté de moi.
— Lyka ?
Je l'ignore et me concentre en inspirant profondément, mais il semble deviner.
— Tu pleures ?!
Une larme glisse le long de ma joue.
— Non, murmuré-je d'une voix éraillée.
— Tu sais, on va y arriver...
— Tu n'y crois même pas toi-même ! le coupé-je. Arrête de raconter n'importe quoi. On n'en sait strictement rien.
— Et tu crois que perdre espoir va arranger les choses ?
— Et tu crois que hurler va arranger les choses ?
— Lyka...
— Ta gueule.
Je passe une main sur mon visage pour y essuyer les quelques gouttes salées, puis ouvre les yeux. Cet abruti me regarde.
— Va-t-en.
— Non.
— Casse-toi ! hurlé-je.
Je me redresse et plante mon regard furieux dans le sien. Pourtant, au fond de moi, ce n'est pas la rage qui prédomine. Tristesse, impuissance, colère, tout se mélange dans un maelstrom destructeur.
— Je ne partirai pas avant que tu aies lâché tout ce que tu penses réellement ! me retourne Kelian avec un calme rare.
Je manque de le frapper. Je me reprends in extremis et me lève brusquement pour lui hurler à la figure, hors de moi, les larmes coulant à flots sur mes joues rougies par la colère.
— Elles sont sûrement déjà mortes ! Et nous on est là, on essaie de déclencher de pseudo-dons mystiques alors qu'elles souffrent peut-être le martyr ! On n'y arrivera peut-être pas avant l'année prochaine, qui sait, hein ?!
Ma gorge est mise à mal par mes cris désespérés, ma voix flanche sur les derniers mots alors que je respire fort. Mon corps entier vibre de colère contenue, ma respiration est altérée par la tristesse et l'impuissance. Et le calme soudain de Kelian ne m'aide pas, au contraire ! Comment peut-il rester aussi stoïque alors que sa demi-sœur est peut-être déjà morte après d'atroces souffrances ?!
— T'as rien à répondre ?! hurlé-je.
Je sens un brusque sursaut dans mon esprit. Morrigan est emportée par ma colère et me rejoint bien vite, ajoutant ses propres émotions destructrices au tourbillon qui ravage mes pensées.
Mes cheveux volent autour de mon visage, s'échappent du lien qui les attachait en une queue de cheval pratique pour l'entraînement. Les boucles passent rageusement devant mes yeux, tandis que le coucher de soleil sanglant donne à la scène une atmosphère surréaliste. L'herbe se couche, les arbres fouettent l'air de leurs branches, l'eau s'envole en jets d'écume immaculée. Mes vêtements sombres claquent contre ma peau couverte de sueur. Mes pensées sont occultées par tous ces sentiments que j'ai refoulés depuis mon arrivée, ma vue est voilée de larmes rageuses.
— Lyka ! Arrête !
Mes yeux se ferment. Pourquoi me demande-t-il d'arrêter ? D'arrêter quoi, d'ailleurs ?
— Arrête !
Je rouvre les paupières. Kelian est aplati contre le sol, les yeux plissés pour voir dans le vent qui s'est brutalement levé dans le Sanctuaire. Il a même sorti les griffes pour se maintenir à la terre. Son kimono est balotté par les rafales.
— Lyka, arrête le vent !
Je cligne des yeux. Regarde mes mains, poings fermés de part et d'autre de mon corps crispé. Puis observe le vent se déchaîner tout autour de moi. Puis, je comprends.
J'ai appelé le vent.
Aussitôt que j'en ai pris conscience, les rafales diminuent et le calme revient. Ma respiration hachée me secoue le torse, alors que je tombe à genoux, épuisée.
Kelian se précipite à mes côtés, puis part chercher Sorgin à toute vitesse. Ce dernier, sûrement après avoir remarqué la brise qui s'était levée, est déjà arrivé non loin de moi. Il s'accroupit, demande à Kelian de me soulever pour me ramener dans mon chalet, puis pose une main sur mon avant-bras, le sourire aux lèvres.
— Voilà, tu as déclenché ton pouvoir, Lyka. Tu maîtrises le vent.
Puis je perds connaissance.
***
— C'est pour ça que tu m'as énervée.
Kelian me jette un œil coupable, mais ne s'excuse pas le moins du monde. Pas que je m'y attende, d'ailleurs...
— J'avais l'impression que ça t'aiderait, je sais pas pourquoi, lâche-t-il en détournant les yeux vers les cimes. Mais bon, maintenant, on sait que tu t'appellerais Tornade dans les x-mens.
Je ne relève pas et gobe une bouchée de viande. C'est la pause de midi, on a le temps de se restaurer avant de continuer à chercher le déclencheur de Kelian. Pour l'instant, Sorgin a compté : la peur, le froid, la noyade, la chaleur, l'envie, l'humiliation — non, je ne détaillerai pas cette expérience hilarante — et la douleur physique, bien sûr sans trop de dommages. J'ai émis l'idée de l'amputation, mais ils ont refusé.
C'aurait été le plus beau jour de ma vie ! soupire Morrigan d'un air déçu.
Je la rejoins bien sur ce point.
— Bon, Sorgin nous attend, souffle Kelian en grimaçant. C'est reparti pour la torture.
Il se lève, époussette son kimono et rejoint le Loup aux cheveux blancs d'un air las. Je finis en vitesse ce qui reste de mon dîner et le suis.
— Bon, une autre idée ? Sinon, j'ai pensé à tester l'enfermement, nous explique notre mentor.
Kelian blêmit. Un sourire sadique éclot sur mes lèvres.
— Mais oui ! Dans le noir et ligoté, comme ça, ça teste aussi le stress.
— Tu me le paieras, Lyka, grogne notre victime commune.
Je ne réponds rien et pars chercher des cordes solides. Sorgin nous guide vers un chalet collé au flanc de la montagne. Il est ainsi à l'ombre d'une falaise, ce sera plus simple d'enfermer Kelian dans le noir.
J'adore ces exercices de déclenchement !
Je ne te le fais pas dire !
— Bon, Lyka, attache-le et entre dans le salon. Je vais tout préparer, pendant ce temps-là.
Sorgin pousse la porte, alors que je me tourne avec sadisme vers Kelian. Il me fusille de ses beaux yeux argent, mais ne résiste pas lorsque j'attache ses poignets ensemble dans son dos à l'aide de la corde, avant de nouer ses bras de part et d'autre de son torse. Ensuite, je saisis le reste de la corde pour attacher ses jambes. Il ressemble à un saucisson, ainsi ficelé.
Je pouffe, tandis qu'il meurt sans doute d'envie de m'éventrer.
— Tu prends ton pied, hein ?
— Je dirais pas ça comme ça, mais c'est extrêmement jouissif !
Il grommelle, impuissant, alors que je le soulève pour le placer sur mon épaule en sac à patate. Je sens ses muscles se tendre et je me mets à rire.
— Je donnerais cher pour voir ta tête, Kelian.
— Tu partirais la queue entre les pattes, crois-moi ! éructe le loup noir, tandis que j'entre dans le chalet à flanc de montagne.
À l'intérieur, il fait sombre, mais je distingue Sorgin, qui se tient près d'une barre de fer.
— Je ne pense pas que le porter de cette manière soit nécessaire, Lyka, le dit-il, même si je vois à son sourire qu'il est amusé.
Je ne réponds pas et pose peu délicatement mon fardeau sur le sol, devant la barre de métal. Kelian gronde, mais attaché comme il est, ce serait compliqué de nous faire le moindre mal.
— Bon, je l'attache à cette barre, mets-lui le bandeau.
— Quoi ? Vous allez m'aveugler ? s'exclame le prisonnier.
— Et te bâillonner, aussi, renchérit Sorgin.
Je vois ses cheveux blancs refléter les rares rayons du soleil, tandis qu'il passe une corde autour des poignets du plus jeune afin de l'enchaîner au piquet métallique, en plein milieu de la pièce. Je souris avant de passer le bout de tissu sur les yeux de Kelian, tout doucement, pour le laisser s'en rendre compte. Oui, je vire un peu trop psychopathe, en ce moment.
Lorsque le prisonnier est bien attaché, Sorgin passe un second tissu dans sa bouche. Dès cet instant, Kelian est complètement impuissant.
— Nous reviendrons te chercher dans trois heures, ça devrait suffir. Essaie de ne pas trop baver, tu risques d'avoir soif, ensuite, conseille Sorgin avant de m'entraîner en dehors de la prison improvisée.
Nous nous retrouvons dehors, puis avançons dans la plaine. Le Loup Supérieur reste silencieux et je fais de même, observant le Sanctuaire et sa végétation étrange au milieu des montagnes.
— Tu sais, Lyka, je sens que vous allez bientôt devoir partir, me confie brusquement Sorgin. Le temps joue contre vous, mais je suis persuadé que vous vous en sortirez.
— Vous l'avez vu dans l'eau ?
— Non, répond-il après un instant. En tout cas, je suis satisfait que tu aies déclenché ton pouvoir.
— Est-ce qu'il risque de surgir sans que je ne le veuille ?
Il me jette un coup d'œil.
— Non. Toi seule peux l'entraîner à se manifester, mais tes émotions peuvent le provoquer également. Tu dois te maîtriser, mais je pense que ça ne posera aucun problème.
Un poil soulagée, je m'assieds dans l'herbe et lève le visage vers le ciel, prête à attendre les trois heures que Kelian passera enchaîné. Un sourire un peu perfide m'étire les lèvres. Je suis impatiente qu'il en ressorte, ça risque d'être marrant...
Bon, comment vous dire... Bonjour ?... xD
Ce chapitre est court, j'ai mis du temps à le sortir... Ai-je le droit d'invoquer la raison "je suis en vacances et je travaille un peu" ? Ou alors "l'inspiration venait pour d'autres aventures" ? Ouais non, oubliez, je suis juste désolée :)
Bon, mais venons-en au fait : qu'en pensez-vous ? Du don de Sorgin ? Des situations de nos héros ? De Lyka la psychopathe ? xD
Pensez-vous que l'enfermement va fonctionner sur Kelian ou alors lui faut-il autre chose ? Une idée ? 😏
Et surtout : quel don manifestera-t-il ? 🤔
C'est pas tout ça, mais je retourne me planquer à la cave, en attendant de lire vos commentaires qui me font toujours rire et chaud au coeur <3 Encore merci de suivre cette folle aventure, j'ai vu grand ❤️
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top