🐺10🐺

Je commence à m'enfoncer dans un sommeil réparateur. L'air est tiède, le vent léger apporté par la fenêtre ouverte me frôle la peau, laissant deviner la verdure présente à l'extérieur et me permettant ainsi de me sentir dans mon élément.

Mes longues boucles noires me chatouillent le nez. Il faudrait que je les coupe, arrivé-je à penser confusément, déjà emportée par les limbes du pays des rêves. Mes yeux papillonnent et finissent par occulter la douce teinte de la lune, que j'entrevois dans le ciel sombre.

Un bruit me sort de ce léger début de sommeil. Je grogne, ennuyée, et tente de me retourner pour retrouver une position confortable. Mais c'est peine perdue, un souffle profond me parvient depuis l'extérieur et je soupire.

Qui est devant ma cabane ?

En silence, je me lève et sors sur la pointe des pieds, aux aguets. Mes muscles protestent, déjà épuisés par la journée, mais je les ignore et glisse un regard vers l'endroit situé sous ma fenêtre. Tout est plongé dans la pénombre, mais je parviens à distinguer une silhouette assise contre le mur. Les odeurs qui m'emplissent les narines me livrent l'identité du loup et je fronce les sourcils. Que fait-il ici ?

Mes pas me rapprochent de Kelian et je m'assieds à ses côtés, les yeux levés vers le ciel. Ma légère robe de nuit ne fait pas barrière à la brise fraîche qui m'effleure mais je ne fais que croiser les bras sans pour autant rentrer. Ce n'est pas demain la veille que ce froid de rien du tout va me tuer.

Et puis, je veux savoir pourquoi Kelian est sous ma fenêtre en pleine nuit.

Excellente question, je me la pose aussi. Il n'est pas vraiment le stéréotype de l'amoureux transi qui chante une sérénade sous la fenêtre de sa belle, si tu vois ce que je veux dire.

Clairement. Il n'est, de plus, pas amoureux... et il n'a pas chanté.

Je soupire.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

Kelian pose un regard flou sur mon visage. Ses lèvres s'entrouvrent pour me répondre, alors que ses yeux restent dans un vague inaccessible, dirigés vers moi.

— Je... Je dois te parler.

Il hausse à peine la voix, murmurant presque. Je suis étonnée... De quoi Kelian pourrait bien me parler ? De sa sœur ?

— La lune est claire, ce soir.

Je fronce les sourcils. Il semble vouloir inconsciemment retarder le moment où il aura à me parler. C'est étrange, je ne pensais pas le loup si prompt à douter, ou à se livrer...

— C'est vrai, lâché-je platement, ne sachant quoi répondre.

— Tu sais, Jaïna n'est que ma demi-sœur.

J'écarquille les yeux, mais Kelian n'en reste pas là et poursuit, le regard levé à présent vers l'astre nocturne.

— Je ne suis pas le fils de Jeanne, la femme de mon père. Ma mère était une femme remarquable, elle. Tandis que Jeanne se cache et reste derrière lui, je suis sûr que ma mère aurait été présente pour son enfant... Pour moi.

Il marque une pause, puis soupire. Ses iris d'argent semblent osciller, comme si des gouttelettes d'étoiles voulaient s'échapper. Il clôt les paupières et pince les lèvres. Je ne dis rien, étrangère à ses émotions. Je me demande surtout pourquoi il me raconte tout ça, maintenant et de cette façon...

— Je suis né dans les montagnes, pas au sein de la Meute. Ma mère vivait seule. Lorsqu'elle a été tuée par Rorgan... (il serre brusquement les poings sur ses genoux, agrippant le tissu noir qui les recouvre avec férocité)... Lorsqu'il l'a tuée, mon père m'a recueilli. Il s'est occupé de moi. Mais je n'avais pas de mère... Et puis, il s'est rapidement remarié avec Jeanne, ils ont eu Jaïna et j'ai grandi avec la Meute. Jeanne n'a jamais été méchante avec moi, mais je sentais qu'elle ne m'aimait pas comme un fils. Je n'ai pas cherché à me rapprocher d'elle une fois que je l'ai compris, même si j'ignorais la raison de l'absence d'affection qu'elle avait à mon égard. J'avais mon père, la Meute et ma sœur, ça me suffisait.

Il inspire profondément. Je suis à présent sûre qu'il tremble. Ses mains sont crispées sur son pantalon, sa mâchoire est contractée et ses yeux restent obstinément fixés vers la lune, comme pour éviter de me regarder. Je me retiens presque de respirer. C'est pour ainsi dire la première conversation de ce genre que nous avons et je me sens extrêmement flattée qu'il décide, pour une raison inconnue, de se confier ainsi à moi. Je le laisse parler sans l'interrompre, ça me semble la meilleure chose à faire. Pour sa part, je sens Morrigan attentive et à l'écoute, aussi intéressée que moi vis-à-vis de ce que dit Kelian.

— Peu à peu, je grandissais et comme j'étais le fils de l'Alpha de la Meute, je me devais d'être fort pour lui succéder, si c'était nécessaire. Les entraînements étaient durs mais, à la surprise de mon père, je les endurais sans trop de problème. Je... J'étais trop puissant pour mon âge. Il l'a vite remarqué. Alors il l'a caché. La Meute n'a jamais rien su, j'ai dû faire semblant d'être plus faible durant des années, sans vraiment savoir pourquoi, mais il me disait que c'était pour ma sécurité. Je l'ai cru, je n'ai pas posé de question, j'étais jeune...

Je me suis crispée à mon tour, les paroles du loup faisant leur chemin dans mes réflexions. Mon souffle s'échappe par saccades. Je fixe la lune du regard sans oser l'effleurer, lui, au risque de découvrir ses yeux rivés sur moi.

— Et puis tu es arrivée. Toi, ta puissance foudroyante et ton arrogance insupportable.

Je manque de lui retourner un regard furieux, mais me retiens car je sais qu'il est sérieux et ne veux pas le brusquer alors qu'il se dévoile. Je ne manque pas de tact à ce point, tout de même.

— Tes attaques étaient trop fortes pour ton âge, surtout que tu ne t'étais jamais entraînée. Ça m'a mis la puce à l'oreille... Alors j'ai parlé à mon père.

Kelian se tourne vers moi, se lève et se place juste en face de moi, masquant l'astre de nuit qui lui fait une aura d'argent. Ses yeux gris me fixent. Je retiens mon souffle, toujours assise contre le mur de bois, dans l'herbe.

— Il m'a révélé la vérité, Lyka. Il m'a dit que... que ma mère... était... une Louve Supérieure !

Sa voix a subitement monté d'un ton, il a presque terminé en hurlant. Il agrippe ses cheveux, lève le visage vers le ciel et souffle.

— J'arrive pas à croire que... que je t'ai dit ça, murmure-t-il au bout de quelques secondes silencieuses. Je... Je ne l'ai dit à personne...

Il s'assied contre le mur en se laissant presque tomber. Je sens qu'il a peur de ma réaction. Il faut dire que j'ignore moi-même comment réagir... Dois-je le remercier de sa confiance ? Ne rien dire ? Le prendre dans mes bras pour qu'il arrête de trembler ?

Mais bien sûr, quelle fière réaction ! Elle va sûrement provoquer sa colère, tiens ! Ce n'est pas un louveteau apeuré à qui tu peux faire des câlins ! C'est Kelian, rappelle-toi. Heureusement que tu n'y pensais pas sérieusement, j'aurais eu envie de te frapper.

Je n'aurais jamais fait ça, de toute manière, soupiré-je dans ma tête en levant mentalement les yeux au ciel. Kelian reste Kelian, avec sa fierté d'Alpha.

D'ailleurs, la mienne aussi, doit rester intacte. Pas question de réagir sous le coup d'une émotion quelconque. Il faut que je réfléchisse pour ne pas le blesser.

— C'est pour ça que Sorgin te laissait suivre le même entraînement que moi, lâché-je donc simplement, d'une voix calme et posée qui ne me ressemble pas.

— Oui, il l'a senti... Dès que nous avons combattu dans la clairière. Il m'a pris à part peu après pour m'en parler loin de tes oreilles... Je lui ai tout expliqué.

Il baisse la tête, toujours sans me regarder en face. Il se met à jouer avec ses mains, ne sachant quoi en faire, poussé par une inquiétude étrangère à son comportement habituel. Je ne dis rien durant les premiers instants, encore déboussolée par toutes ces informations, puis me tourne vers lui.

— Ça explique beaucoup de choses, Kelian.

Il lève un sourcil et me jette un regard en coin.

— Ça m'explique enfin cette rivalité constante, cette espèce de jalousie qui t'habitait constamment lorsque je me trouvais dans les parages. C'est parce que tu ne supportais sans doute pas le fait que je me pavane dans ma puissance alors que toi, tu devais te cacher... soufflé-je doucement. Ai-je tort ?

Il me regarde soudain avec un air surpris. Un léger sourire fleurit alors sur ses lèvres et il me dit :

— J'espère donc que tu ne m'en veux pas, Lyka, d'avoir reporté cette frustration sur toi, de t'avoir laissé croire que tu étais la seule...

Je secoue la tête.

— Tu n'es pas responsable de ton caractère de cochon, Kelian, fais-je pour désamorcer l'ambiance sérieuse qui a soudain empli l'atmosphère.

Il grimace brièvement.

— D'ailleurs, si tu veux tout savoir, je ne te supportais pas pour beaucoup de raisons, dont ton caractère hautain virant au mépris...

—  « supportais » ? souligné-je avec un air taquin.

J'ai l'impression que lui changer les idées est une bonne solution, de plus je ne me sens pas très à l'aise avec ces questions de sentiments et de rivalités mixées à la tristesse que ressent Kelian.

— Disons que tu fais des progrès...

Il se lève avec un sourire timide et me tend la main. Je la prends avec surprise et il m'aide à me remettre debout, tandis que je jette un œil embarrassé à ma tenue soudain très courte. Cette robe de nuit, si elle n'était pas aidée par la pénombre pour me couvrir, serait très indécente.

— Bon, on se voit demain, me lance Kelian.

Il s'éloigne agilement parmi les troncs puis s'évanouit dans l'ombre. Je rejoins mon cabanon avec l'impression que des milliers de pensées se bousculent dans ma tête. Les révélations de Kelian se mêlent à la constatation que nous avons réussi à ne pas nous étriper durant une conversation.

***

Le soleil est brûlant. Je sors de mon logement vêtue d'un t-shirt noir débardeur et d'un pantalon léger coupe kimono, tout en terminant d'avaler la bouchée de viande qui a clôturé mon déjeuner. Dehors, lorsque je franchis un cours d'eau frais et clapotant, me rejoint Sorgin, sourire aux lèvres.

— Bonjour, me salue-t-il simplement en m'emboîtant le pas.

Je hoche la tête.

— Kelian m'a dit, attaqué-je directement.

— Ah, dit simplement le Loup Supérieur. C'est bien, il progresse. Il faut qu'il se débarrasse de sa manie de tout garder pour lui et de reporter sa frustration sur les autres, il n'en sera que plus fort.

Je hoche à nouveau la tête et continue de marcher sans rien dire. Sorgin me jette un coup d'œil puis reprend.

— Ça permet aussi de passer à l'étape supérieure... Sans mauvais jeu de mot.

Je souris. Nous allons donc progresser, nous rapprocher de notre objectif... Nous arrivons, les filles. Restez en vie encore un peu, nous allons vous sauver.

Je redresse la tête et bombe le torse, soudain pleine d'espoir et d'entrain. Déterminée, je rejoins Kelian, qui nous attend à la lisière d'une petite clairière traversée d'un cours d'eau. Nous nous saluons d'un signe de la main et nous retournons vers Sorgin. Ses yeux verts vont de Kelian à moi, puis de moi à Kelian. Il semble satisfait de ce qu'il voit, puisqu'il se place en face de nous et croise les bras, un léger sourire au coin des lèvres.

— Bien. Puisque Kelian n'a plus aucune raison de se retenir, nous allons intensifier les entraînements, et surtout les combats. Je veux que vous donniez le meilleur de vous-même, que vous gardiez en tête votre but. Pour aller sauver vos amies, vous devrez être quasiment imbattables. Alors ce n'est pas le moment de faiblir. Compris ?

— COMPRIS ! hurlons-nous à l'unisson, plus remontés que jamais.

***

Les jours s'enchaînent à nouveau dans une routine exténuante. Nous nous entraînons inlassablement. Nos muscles brûlent de concert, nos sueurs se mélangent sur le sol de terre sèche, et nos esprits sont alignés sur notre objectif.

Jaïna. Nora.

Bientôt...

Mon coup de poing est bloqué par la parade apprise de Sorgin, qu'exécute Kelian à la perfection. Ça se voit qu'il s'entraîne depuis sa naissance. Il maîtrise bien plus vite que moi tous ces enchaînements guerriers.

Je recule d'un pas et amorce un balayage, qu'il évite avec une vitesse surprenante. Il se précipite sur moi et me fait basculer au sol, où je me rétablis en une bascule arrière, me retrouvant haletante, mais bien hors de portée. Kelian serre les poings et fléchit les jambes, mais Sorgin intervient, depuis sa place à l'orée de la clairière.

— Stop. Vous avez bien combattu, tous les deux. Lyka, ne t'inquiète pas si Kelian apprend plus vite que toi : il est plus habitué à ces techniques. Tu possèdes un avantage certain dans l'habitude que tu as de contrôler cette force Supérieure. Lui, doit encore se réfréner malgré lui afin de ne pas se blesser lui-même. Somme toute, conclut-il en nous regardant tous les deux, vous êtes pour l'instant de niveau équivalent, et vos endurances ne cessent d'augmenter. Bravo.

Il se lève et nous invite à rejoindre la rivière d'un geste. Nous ne nous faisons pas prier et plongeons dans les flots rafraîchissants. Même si nous avons pied sur toute la longueur du cours d'eau, c'est un véritable bonheur de refroidir nos muscles soumis à de rudes épreuves chaque jour. J'effectue quelques brasses et frictionne mes cheveux, bien trop longs à présent. Je les rattache en chignon approximatif pour dégager mon visage. Même si nous sommes habillés, j'évite toujours de fixer Kelian. L'eau plaque malheureusement nos vêtements sur notre peau, dessinant les reliefs de nos muscles légèrement trop développés pour notre âge, mais reflets de nos statuts de Supérieurs. Je reste dans mon coin et Kelian fait de même, ce qui nous arrange tous deux.

Nous ressortons bientôt et rejoignons Sorgin, apaisés et fiers. Nous progressons bien et l'espoir de bientôt partir nous emplit l'esprit.

— Il est temps... murmure Sorgin lorsque nous nous sommes assis à ses côtés. Il est temps pour vous d'embrasser votre réelle puissance.

J'échange un regard surpris avec Kelian. N'avons-nous pas déjà appris la plupart des enseignements que Sorgin devait nous donner ? Que nous reste-t-il comme « réelle puissance » ? Nous aurait-il encore caché une facette de notre nature ?

Le crépuscule nimbe la chevelure blanche du loup de reflets orangés, tandis que les arbres bruissent doucement sous l'action de la bise. Il garde le regard fixé sur ses mains, croisées devant son visage, car ses coudes sont posés sur ses genoux. Son kimono immaculé, légèrement balayé par le vent, accompagne ses cheveux dans leur danse. Le Sanctuaire est toujours aussi calme, serein, cependant l'atmosphère s'est chargées de secrets.

— Je ne pouvais pas vous en parler avant, mais je pense que c'est le moment. Lyka, Kelian, il reste une chose que peuvent utiliser les Loups Supérieurs, qui leur est propre et surtout, qui est gardée secrète depuis leur chute. Peu sont au courant, à moins d'avoir côtoyé l'un d'eux de près... Je vous demande donc de ne pas en parler aux quatre vents.

Il porte ses yeux vert vif sur nous, s'assurant de notre assentiment. Nous hochons la tête et il poursuit.

— Hormis les capacités physiques exceptionnelles que nous possédons et qui nous permettent de dépasser les plus puissants Alphas, nous avons une particularité plus utile lors de combats contre plusieurs adversaires, où la vitesse, par exemple, devient moins avantageuse. Je ne parlerai pas non plus du transfert d'aura, que Lyka a déjà expérimenté face à Quin — oui, je suis au courant — et qui nécessite une excellente maîtrise afin de ne pas s'affaiblir. Je ne maîtrise d'ailleurs pas ce point et je vous prierai de ne plus en user, ce serait mettre vos vies en danger pour rien, car ce n'est pas une aptitude utile à mon sens.

Il soupire et secoue la tête, un léger sourire aux lèvres.

— Mais je m'égare. Je disais donc, que les Loups Supérieurs possèdent un avantage inconnu de la plupart des loups. Un avantage dont vous ne soupçonnez pas encore l'existence.

Pendus à ses paroles, nous tendons l'oreille. Mes mains se tordent, Kelian déglutit difficilement. Mes pensées essaient de deviner la suite, mais jamais je n'aurais pu deviner ce qui suit...

— Nous possédons une forme de magie qui nous offre à chacun un don aléatoire. Je vais donc tenter de provoquer l'apparition des vôtres durant les prochains jours...






Bon... Je suis de retour !

C'est un chapitre pleeeeiiiin de belles révélations ! J'ai mis du temps à l'écrire mais j'espère qu'il reste cohérent, que vous n'êtes pas trop perdus parmi cette avalanche de nouvelles choses... 😁

Alors...

L'histoire de Kelian ? Un mot à dire ? 😏 De la compassion, malgré tout, ou alors il est toujours exécrable et détesté ? 🤔

La petite bombe de Sorgin, tout à la fin ? Une idée de ce qui va en découler ? 😇

On se revoit bientôt, mais examens obligent, ça va pas venir tout de suite... Excuses d'avance !

J'espère en tout cas que ça vous plaît toujours (on a dépassé les 4K de vues je vous adoooore ! 😍) et que vous n'êtes pas prêts de me quitter en si bon chemin... Après tout...

🎉L'intrigue ne fait que commencer ! 🎉

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