🐺1🐺
J'en ai marre.
Mon poing heurte l'armoire avec force. Elle explose, répendant mes maigres possessions un peu partout dans la chambre vert feuillage. Je hurle.
— Lyka ! La ferme ! Y en a qui bossent ! s'époumone Irène depuis le rez-de-chaussée.
Mes doigts se serrent autour du tissu d'un t-shirt que je viens de ramasser. Je le place avec lenteur sur le lit défaut et inspire profondément.
Vivement la semaine prochaine... soupire Morrigan, contenant avec peine sa rage.
Je suis complètement d'accord. Vivre encore un mois avec eux me semble insurmontable. Je ne cesse de garder difficilement le contrôle sur ma colère et j'ignore ce que j'aurais fait si mon séjour dans la Meute ne m'avait pas apaisée durant deux mois mouvementés. Irène et son mari... Ils ont d'abord tenté de me sonder. Ne voyant aucune explosion de rage violente de ma part dans les premiers jours, ils ont cru que j'avais changé. Oui, c'était la cas mais pas comme ils auraient voulu. Ils ont commencé à m'ordonner toute sorte de choses, comme m'occuper de ma sœur adoptive. Comme le soir où je suis revenue. J'ai bien failli la balancer dehors avec les poubelles, celle-là ! Mais quelques cris ont suffi à lui faire comprendre que je ne plaisantais pas.
Je commence à ramasser mes habits en soufflant. Plus qu'une petite semaine.
***
— Dis, Lyka, tes notes sont en chute libre...
— C'est pas comme si elles avaient un jour été assez haut que pour chuter, rétorqué-je. Je fais ce que je peux.
Irène tremble de fureur. Entre nous, c'est elle qui a le plus de mal à garder son calme. Elle ne supporte pas que je reste stoïque face à elle. Elle déteste l'idée que sa fille adoptive soit aussi nulle en cours, aussi. Mais ce n'est pas ma faute si les profs ont décidé que j'allais avoir moins que la moyenne à chaque fois ! À croire que ce sont mes vêtements perpétuellement noirs qui me donnent la tête d'une rebelle.
Et puis, je dois avouer que ça m'amuse de les voir pincer leur sourire en me rendant ma copie presque couverte de rouge. Et quand j'ai l'audace de répondre correctement, ils trouvent toujours un moyen de me retirer des points.
Irène ne comprend pas ça. Elle est à fond pour les profs. Ce sont eux qui ont raison, tout le temps, pas la sale môme adolescente qui lui traîne dans les pattes, même si elle rapporte des sous.
— Je pense qu'un stage de remédiation s'impose. Tu as eu un sur vingt en mathématiques, ce n'est pas admissible.
— Mais quand est-ce que tu caserais ça dans ma semaine ?!
— Oh, les vacances de Noël, je pense que ça te ferait du bien, répond-elle avec un sourire sadique.
Mes paumes heurtent le bois de la table avec un choc sourd qui la fait sursauter.
— Alors là ! Pas question ! craché-je. Tu m'as déjà casée chez ta sœur !
— Mais tes notes en math ne peuvent pas attendre.
Son calme olympien n'est que façade, je le sais bien. Seulement, elle a trouvé un point sur lequel appuyer pour m'énerver.
— Et qu'est-ce qui te ferait changer d'avis ? fais-je avec une voix mielleuse.
Elle cligne des paupières et semble réfléchir rien que pour faire durer l'attente. Puis, elle claque de la langue et me lâche :
— Tes notes doivent monter. Sinon, adieu le séjour chez ma sœur.
Je ferme les doigts lentement, hors de moi. Je suis à deux doigts de l'étranger. Mes mains me démangent furieusement. Et Morrigan ne m'aide pas en me faisant imaginer sa tête à claque violette et suffocante.
— C'est comme si c'était fait, grincé-je en me levant.
Je lui tourne le dos, pressée de mettre de la distance entre nous, mais elle n'en a visiblement pas fini.
— Et Mariette veut aller au parc. Tu l'accompagnes, et pas question de la laisser seule.
Je serre les poings et grimace. La pire punition. M'occuper de cette peste pourrie gâtée !...
— Ça me fera du bien de prendre l'air.
Et je cours à l'étage m'enfermer dans ma chambre. Je m'enfonce dans le lit et plonge mon regard de glace dans la couleur du mur. Vert forêt, vert pour qu'ici je me sente là-bas... Vert pour me calmer, pour contenir cette envie de meurtre qui grandit.
— Si seulement je vivais chez Lorraine à plein temps... soufflé-je doucement.
Mais ce n'était pas possible. Du moins, pour l'instant. Peut-être que quelques manœuvres juridiques pourraient, dans le futur, me faire habiter chez elle. Mais pour l'instant j'étais coincée ici, avec ces tyrans et leur princesse pourrie gâtée.
Bientôt... Bientôt.
***
— Lyka ! Combien vaut x dans cette équation ? braille la prof en remettant ses affreux cheveux gris derrière son épaule - elle doit se croire stylée, sans doute.
— 9/7, madame, bâillé-je après un coup d'œil au tableau.
Elle écarquille les yeux et remet nerveusement ses lunettes.
— Correct, exactement, 9/7 Lyka, fait-elle en retournant devant le tableau.
Eh bien, si tu comptais me rabaisser devant toute la classe, raté !
Je surprends quelques regards surpris ou suspicieux et leur réponds avec indifférence. Oui, je me suis mise à étudier. Oui, je me suis habillée en bleu. Et oui, je connais la réponse et je ne suis pas complètement débile.
Du coup, la prof de math est la première à tester la « nouvelle » Lyka. Une fausse Lyka, bien entendu. Une Lyka politiquement correcte.
J'en ai déjà marre de faire semblant.
On n'est qu'en première heure. Heureusement que j'ai plus de patience que toi.
Effectivement, mais fais gaffe. La prof te regarde avec sournoiserie. Suis l'espèce de dessin qu'elle fait avec la craie.
Une fonction, Morrigan.
Ouais bah, quoi que ce soit, elle a l'air de vouloir te piéger.
Pigé. Heureusement que tu as une meilleure intuition que l'humaine en moi, dis donc. La voilà justement qui tient son stylo et le mordille en cherchant une victime pour répondre à sa question. La moitié de la classe n'a rien compris, excepté quelques intellos, et l'autre moitié n'a pas écouté. En bref, tout le monde se fait petit.
— Lyka, tu as l'air dans une bonne dynamique. Alors, quelle est l'équation de cette fonction ?
Je manque de soupirer. Vraiment, elle abuse.
Toutes les têtes sont tournées vers moi, alors que mon regard se pose sur le graphique en question. Ah. C'est une fonction basique modifiée par une opération, mais laquelle ?...
— On ne sait pas ? jubile déjà la prof par-dessus ses lunettes.
— Si madame, rétorqué-je. C'est : f(x) = 2x + 3.
Ses sourcils se froncent et je sais que j'ai raison. Elle retourne devant le tableau et des murmures se font entendre. Grâce à mon ouïe de louve, j'aurais pu essayer de les comprendre, mais je n'en ai pas envie et reporte ma maigre attention sur le cours sans intérêt de cette vieille chouette. Une grande partie de mon esprit est occupée à faire ma valise mentalement.
***
— Eh, Lyka, c'est ça ?
Je me retourne, surprise que quelqu'un m'adresse la parole. Un garçon de mon âge se tient devant moi. Ses yeux marrons me détaillent avec attention et il recoiffe un peu ses mèches blondes désordonnées.
Je hausse un sourcil.
— Martin ? tenté-je.
— Exact ! approuve l'autre d'un air sincèrement étonné que je connaisse son nom.
Je vais vous dire : quand on est toute seule toute la journée, on retient facilement les noms, puisqu'on n'a rien d'autre à faire.
— Je... Je... Euh...
Je reporte mon attention sur Martin, qui bredouille. Il suinte la gêne par tous les pores de sa peau. Je me retiens de froncer le nez.
— Tu ?...
— Je voulais savoir si tu avais quelque chose de prévu cette semaine. Samedi, en fait.
Attends... Il veut sortir avec toi ?!
J'ai bugué aussi, Morrigan. Je l'ai croisé deux fois dans les couloirs, il m'a toujours ignorée... Pourquoi ce soudain intérêt ? Avant de faire des conclusions hâtives, on va voir pourquoi il parle de samedi.
— Samedi ? Non, j'ai rien, pourquoi ?
Il baisse un peu les yeux et parle moins fort.
— Ça... Ça te dirait que... Qu'on se retrouve au parc, samedi à midi ?
Mes sourcils se froncent. Mais... Qu'est-ce qu'il me veut ce mec ?!
— Je veux savoir pourquoi, Martin, soupiré-je.
J'étais peut-être méchante ou pas très subtile, mais il ne m'intéresse vraiment pas. Et je me moque qu'il soit blessé.
— Eh bien, pour tout te dire... Depuis qu'on est en primaire, je te vois toute seule, mais j'ai jamais osé t'aborder.
Si je m'étais attendue à ça ! C'est vrai que Martin était dans ma classe en primaire mais de là à imaginer qu'il avait voulu m'aborder...
— Et pourquoi maintenant ? demandé-je.
— Parce que tu sembles... Plus calme. Plus sympa. Parfois tu souris, alors que c'était jamais le cas avant.
Il doit s'apercevoir que ses propos sont vraiment étranges car il se reprend.
— Enfin, je veux dire... Tu as l'air plus gentille. C'est tout.
Il fait pitié.
Je suis d'accord.
Pourtant je n'arrive pas à expliquer les mots qui sortent de ma bouche ensuite.
— Ça marche, rendez-vous au parc samedi à midi.
Et si c'était un espion de Rorgan, t'y as pensé ?
Ce n'est pas un loup. Je l'aurais senti, non ?
Je me mets à marcher vers la sortie de l'école alors que Martin reste où il est, abasourdi. Je sors du bâtiment dans un silence pesant, car tous les élèves sont déjà partis. Je lève le regard vers le ciel gris et me remets à marcher.
— Mais pourquoi j'ai accepté, moi ? murmuré-je.
***
Heureusement que tu t'es coiffée, ricane Morrigan dans mon esprit. Qu'aurait pensé Don Juan en te voyant tel un épouvantail ?
Arrête, il n'y a rien de ça. Je sais même pas pourquoi Martin a envie de m'approcher. Et puis, hors de question de parler de sentiments, de Don Juan ou de quoi que ce soit.
Le voilà qui arrive.
Je me tourne dans la direction que m'indique Morrigan et le voit arriver avec un grand sac blanc.
C'est pour découper ton corps en morceau et l'y cacher ! se moque Morrigan.
Je lève les yeux au ciel mentalement. Lorsque le garçon s'approche, il sourit et me lance :
— J'avoue que je savais pas si t'allais venir, finalement.
— Je suis là. Et c'est quoi ce sac ?
— Mon matériel de dessin, sourit-il.
— Pardon ? Pour quoi faire ?
Il le pose sur le banc en bois gelé sur lequel j'ai attendu assise pendant quelques minutes et en sort un bloc de papier, des crayons de toutes sortes ainsi qu'une gomme qu'il a dû utiliser de nombreuses fois, tant elle est devenue minuscule.
— Tu vas dessiner ?... fais-je d'un air dubitatif. C'est pour ça que tu m'as demandé de venir ?
— Oui, en fait je veux te dessiner toi, lâche-t-il doucement sans oser me regarder.
C'est une mauvaise romance à l'eau de rose qu'il essaie de reproduire dans la vrai vie ?
J'en sais rien, mais franchement ça devient gênant.
— Tu... Tu es d'accord ? bredouille-t-il.
— Mais pourquoi moi ?
— Tu as des yeux uniques et puis... Tu es très jolie.
Je me fige à cette phrase. Hem, de plus en plus gênant, cette conversation.
— Merci, je suppose... balbutié-je.
Il sourit en rougissant.
Oh, tu lui fais de l'effet on dirait !
N'importe quoi. Mêle-toi de ce qui te regarde.
Morrigan ricane en arrière plan, alors que Martin me demande de m'assoir sur le banc pour que l'arbre soit derrière moi. Il prend place face à moi, à même le sol, et dispose un chevalet avec des gestes précis et délicats. Ses grands yeux marron me détaillent un long moment, comme pour graver mes traits dans son esprit, puis il saisit un crayon et commence à tracer des lignes. Je ne peux rien voir, puisque je n'ai pas le droit de bouger et qu'il est face à moi.
Un long moment s'écoule, ponctué de quelques croassements de corbeaux solitaires. Le vent fait bruisser les branches fines qui restent sur les arbres dépouillés de feuilles. Toute la végétation du parc résonne. J'en entends les moindres sons, du piétinement d'un chat non loin jusqu'aux coups de crayon de l'artiste devant moi.
Enfin, la voix de Martin s'élève, brisant le silence.
— J'ai terminé.
Il se lève ensuite sans un mot, attrape son dessin et me le tend sans me regarder. Je tends les doigts et effleure la feuille de papier épais. Il la lâche et je l'approche de mes yeux.
Ma bouche s'ouvre de stupéfaction.
— C'est... C'est moi ?!
Il semble se ratatiner à vue d'œil et je me reprends maladroitement.
— Enfin, je veux dire, c'est super bien dessiné ! Je ne m'avais jamais vue en dessin.
En effet, les traces de crayon, fines et précises, esquissent soigneusement ma silhouette assise sur le banc. Il a mis de la couleur uniquement sur le ciel et mes yeux, qui ont la même teinte de bleu. L'arbre en arrière plan paraît me protéger, formant de ses branches une voûte clairsemée. Les proportions sont parfaites, le dessin est digne d'un professionnel. Je reste ébahie par tant de talent.
— C'est magnifique, soufflé-je en relevant le regard.
Martin sourit d'un air embarrassé.
— Je dessine depuis longtemps...
— Eh bien, n'arrête pas en tout cas ! fais-je en souriant.
Martin dérobe son regard et recule un peu. Il ramasse ses affaires et les range dans son sac tandis que j'admire encore son œuvre. Puis il me lance :
— Tu peux le garder si tu veux.
Je relève la tête, interloquée.
— Mais non, c'est ton dessin...
— Et c'est toi qui est dessus.
Je fronce un sourcil perplexe. Il ajoute en rougissant de plus belle :
— Tu auras un souvenir de moi, comme ça.
Et il s'en va en silence, tête baissée sans se retourner. Je reste seule sur le banc, le papier entre les doigts. Mon souffle forme de la vapeur blanche lorsqu'il s'élève dans les airs. Je profite alors du silence en réfléchissant.
Vraiment, il est très louche. Pourquoi te faire garder ce dessin ?
Je n'en sais rien... Mais c'est gentil.
Et depuis quand on apprécie les gens gentils ?
Depuis qu'on est calmées, Morrigan. Depuis qu'on est apaisées, depuis cet été.
J'aurais sûrement eu une attitude autrement plus froide et méchante avec Martin s'il m'avait abordée il y a quelques mois. Je l'aurais envoyé bouler sans remord.
En tout cas, que l'on ait changé ou pas, je déteste les gens qui baissent le regard.
C'est vrai que c'était désagréable et en même temps, Morrigan, ça faisait plaisir. C'est dans notre nature d'apprécier cette soumission.
Oui mais là, c'était à l'extrême
On ferait bien de rentrer. Carl nous a bien dit de ne pas rester seules un trop long moment, de crainte que Rorgan ne me repère ou ne souhaite me capturer. Voire me tuer, d'ailleurs.
Mes membres s'activent d'eux-mêmes dans ce froid hivernal et je reprends la route pour rentrer. Dans ma tête tournoie sans cesse le nombre de jours qui me restent à passer ici avant de partir. Six, puisque je prendrai la route vendredi soir.
À condition que mes notes grimpent en flèche...
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