🐺Prologue🐺
Je cours.
Les arbres sombres et silencieux me regardent passer, impassibles, tandis que je louvoie à toute allure entre leurs troncs. Mes pieds frappent le sol en cadence, leur bruit étouffé par les aiguilles de pin qui le recouvrent. Mon souffle régulier gonfle ma poitrine des odeurs familières de la forêt. Ma bouche laisse échapper des panaches de vapeur blanche.
Je cours, tout simplement, comme tous les jours.
Courir est ma façon de me calmer, de me détendre et de m'amuser. La rage qui m'envahit pendant la journée se dissipe, la tension de mes muscles disparaît, tout comme les piques blessantes et les sermons sans fin disparaissent de ma mémoire.
Chaque soir, après l'école, je sors de la maison. La fenêtre, qu'elle soit fermée à clé ou condamnée par des planches, ne m'a jamais arrêtée. Personne n'à pu me retenir. Ils ont renoncé. J'ai ce besoin instinctif et viscéral de courir dans la forêt.
Lorsque mes muscles commencent à brûler, que mon souffle se fait plus irrégulier et que le froid pénètre sous ma veste de cuir, je décide à regret de rentrer. Je ne veux pas risquer une pneumonie ou une grippe.
La forêt me paraît plus sombre lorsque je la quitte. Le soleil s'est presque couché, et les arbres, mes alliés et seuls témoins de ma vraie nature, allongent leurs ombres sur le sol couvert de feuilles.
J'émerge du couvert des feuilles et m'avance sur la route à pied. Le béton me fait mal aux pieds après la douceur du sol forestier. Sa dureté est la surface que je déteste le plus fouler. Les aiguilles de pin sont tellement plus agréables. Je ne suis pas pieds nus, mais j'ai une conscience accrue des sensations à travers ma semelle.
Après quelques carrefours et tournants, je me trouve dans la rue où je loge. Je ne dis jamais que j'y habite, car pour moi ce n'est pas ma maison. Ce ne sera jamais ma maison. Une maison est un endroit où l'on se sent bien, en sécurité et où on a envie de rester. Aucune de ces impressions ne me traverse lorsque je pense à cet endroit. La façade blanche paraît orange sous le crépuscule, et on voit les rideaux tirés aux fenêtres. Ils sont rentrés, et se préparent à dormir.
Lorsque je contourne la maison pour entrer dans le jardin, une tête blonde écarte un rideau. Derrière la vitre, je peux voir le petit visage enfantin esquisser un sourire sinistre avant de refermer la tenture avec force et impatience.
Ma discrétion est désormais inutile. Elle m'a vue, et la connaissant ses parents seront au courant dans quelques minutes...
Je soupire, lasse, et me mets à zigzaguer entre les rosiers taillés et les bouquets de lavandes dont l'odeur, bien que discrète pour la plupart des gens, agresse sauvagement mes narines sensibles.
C'est le nez froncé que je grimpe dans l'unique arbre du jardin avec aisance, et me stabilise sur une branche large à plusieurs mètres de hauteur. Le vieux chêne me permet d'atteindre ma chambre par la fenêtre sans escalader la façade ni frapper à la porte d'entrée.
Une fois stable, debout sur la branche et dos appuyé au tronc, je pose mes mains sur ce dernier et inspire un grand coup. Je fixe mon regard à la fenêtre, qui fait à peine un mètre de haut sur quatre-vingts centimètres de large. J'expire, puis me mets à courir. Arrivée au bout de la branche, qui ploie légèrement sous mon poids, je saute et tends les mains en avant.
Ce moment où j'ai l'impression de voler, suspendue dans l'air, accélère mon souffle et mes pupilles se dilatent. Mon cœur bat plus fort, comme si le fait de sauter dans le vide plaît à une part de mon être. Il est vrai que la poussée soudaine d'adrénaline, qui n'a pas disparue avec la répétition, me plaît plus que je n'ose me l'avouer. J'aime le risque. Je peux tomber à chaque saut, rater la fenêtre ou glisser de l'arbre. Mais je ne peux m'empêcher de recommencer la fois suivante, avec la possibilité de me faire mal ou même de mourir. Je suis accro au risque.
Mes doigts agrippent le rebord de la fenêtre, et mes pointes de pieds touchent le mur avec un son feutré. L'habitude que j'ai acquise me permet de parfois rentrer sans que personne ne sache que j'ai fugué. Toujours silencieuse, je me hisse sur l'appui de fenêtre, et, en équilibre précaire, je pousse doucement sur le châssis de celle-ci pour voir si quelqu'un a remarqué mon absence. S'ils savent que je suis partie, ils ont verrouillé la fenêtre exprès pour me faire savoir leur agacement et m'obliger à entrer par la porte, afin de me gronder avec une preuve que je suis partie. Mais heureusement, ils ne semblent pas être montés dans ma chambre de la soirée.
C'est donc comme une cambrioleuse que j'entre dans la maison où je vis.
Une fois les pieds sur le parquet, je ferme la fenêtre et m'assieds sur mon lit en enlevant mes vieilles baskets pleines de terre. Ma veste en cuir s'envole jusqu'au crochet du mur, où elle oscille quelques secondes.
Poussant un long soupir, je me couche sur mon matelas en attendant les ennuis, qui ne vont plus tarder.
Je froisse les draps blancs devenus gris avec le temps sous mes doigts en observant, détachée, les rares meubles de la pièce.
Une petite table de nuit rafistolée se tient, vaillante, à la tête du lit. Une armoire branlante tremble, collée à un mur. Mur qui, d'ailleurs, est enfoncé à plusieurs endroits. Sa teinte morne, grise, est impersonnelle, mais me plaît. Cette chambre, je ne la considére pas comme la mienne, alors peu m'importe sa décoration.
Je ne la considérerai jamais comme la mienne.
Des bruits de pas dans les escaliers me sortent de mes pensées. Le parquet du palier grince et la porte s'ouvre avec fracas.
Une petite fille, ma sœur adoptive, passe la tête dans l'embrasure. Ses boucles blondes passent devant son visage poupin et ses yeux verts luisent de malice.
Elle me fait un grand sourire railleur avant de s'éclipser, en évitant de justesse mon oreiller qui s'écrase contre le mur du palier. Elle sait ce qui va suivre et jouit de savoir que l'on va me gronder. Je la déteste.
Je me retiens de la poursuivre pour lui faire ravaler son sourire, mais je n'ai même pas le temps de me relever.
Une haute silhouette se dresse à la place de la porte.
Sentant le discours moralisateur, je me redresse dans mon lit et fixe mon père adoptif, qui me regarde comme s'il rêve de me frapper. Ce qui est d'ailleurs sûrement le cas.
Il prend une grande respiration par le nez, et ouvre la bouche pour déblatérer le flot de paroles qui ne va pas tarder. Je regardd dans le vide, et écoute d'une oreille distraite ce qu'il me hurle pour la centième fois au moins.
Enfin, les cheveux ébouriffés, les yeux exorbités et le visage rouge, il s'arrête pour reprendre son souffle et s'appuie contre le chambranle. Mon regard vide toujours fixé sur lui, j'attends qu'il reprenne et que je puisse dormir.
Mais, comble de malheur, une deuxième personne décide de m'engueuler ce jour-là : ma mère adoptive.
Elle remet son chignon en place avant de continuer le discours de son mari de sa voix insupportablement criarde. Ses yeux accusateurs ne me lâchent pas durant tout son monologue furieux.
Mais ne vous méprenez pas. Ils ne se fâchent pas par peur qu'il ne m'arrive quelque chose ou que je ne sois blessée, perdue ou que sais-je encore de normal pour des parents. Non, ils se fâchent car si je fugue pour de bon, ils perdent la pension alimentaire à laquelle ils ont droit depuis mon adoption, il y a cinq ans.
Quand je n'entends plus rien, je remarque qu'ils me fixent, attendant certainement que je dise quelque chose. N'ayant rien écouté, je tente alors une phrase banale :
- Je sais, je n'aurais pas dû, je ne recommencerai pas...
- Nous t'avons demandé quelque chose, Lyka Mc Nelson !
À l'entente du nom de famille de ma famille adoptive, que je ne considère pas comme mien, je me crispe. Puis le sens de la phrase de ma mère adoptive me parvient. Je souris effrontément et lance :
- Je n'ai pas suivi, vous pouvez répéter ?...
Le regard de tueur que me jette ma mère adoptive me fait comprendre que je n'avais pas répondu correctement, à mon grand plaisir. Je me tais malgré mon envie de continuer sur ma lancée, attendant la suite des événements, rivant mon regard au sien.
Une bataille de regard s'engage. C'est à la première qui détournera le regard. Mais je sais d'avance que j'ai gagné. Personne n'a soutenu mon regard jusqu'au bout. Mes yeux déstabilisent trop. Leur couleur d'abord : Ils sont bleu glacé, clair et intense. Ensuite, la manière que j'ai de regarder les gens droit dans les yeux les perturbent. Ils ont l'habitude des coups fourrés, des regards de biais, en coin, à la dérobée. Mais pas des regards francs.
Ces avantages jouent de nouveau en ma faveur. Ma mère adoptive baisse les yeux.
Une partie de moi jubile. Elle éprouve une joie immense et intense à soumettre les autres du regard, à affirmer sa supériorité.
- Ne fais pas l'effrontée avec nous, Lyka Mc Nelson !
Je réagis aussitôt et me lève, enragée. J'en ai assez.
- Je ne m'appelle pas Mc Nelson !!!
Ma voix claque dans la chambre. Les poings serrés, je redresse la tête et les fusille du regard. Ils ont un mouvement de recul, mais restent dans l'embrasure de la porte.
- Tu es notre fille adoptive, notre nom est Mc Nelson. Et tu cesses de nous contredire ! répond mon père adoptif.
Je me tourne vivement vers la fenêtre, mes ongles s'enfonçant dans mes paumes, afin de ne pas faire quelque chose de stupide et impulsif qui empirera les choses.
Seulement, eux ne sont visiblement pas du même avis, car ils continuent de me crier dessus.
Au bout de quelques minutes, je craque.
Je pousse un cri en frappant le verre de la vitre, qui se fissure. Mon poing vole ensuite vers l'armoire et s'écrase contre le bois dans un fracas épouvantable. La porte de celle-ci saute de ses gonds, tombant au sol, à mes pieds.
Je tremble. Mes poings se serrent convulsivement. Mes yeux volent, se posant sur tous les coins de la pièce. Mon souffle bien trop rapide franchit mes lèvres sans que je ne puisse le retenir. Je sens que je perds le contrôle de moi-même, alors je tente de respirer plus calmement.
Je mets quelques minutes à me calmer. Lorsque je me tourne vers mes parents adoptifs, ils n'ont pas bougé et me regardent avec crainte et colère, mêlées de résignation.
Je sens qu'ils ont quelque chose en tête. Ce n'est pas la première fois que je pète les plombs. Je craque plutôt souvent. Et surtout, violemment. C'est une des raisons pour lesquelles il y a peu de meubles dans ma chambre.
- Lyka... Nous avons décidé de te punir pour ton énième fugue.
Je hausse un sourcil. Ce ne sera pas la première fois... Pourquoi mon instinct me dit qu'ils vont me dire quelque chose que je n'apprécierai pas ?...
- Comme tu récidives quoi que nous fassions, nous allons essayer autre chose. Peut-être que la sœur d'Irène saura te faire comprendre ce que signifie le mot obéir ?
Une minute. Ils ne vont tout de même pas...
- Tu vas passer les vacances chez elle. Les deux mois.
- Quoi ?!! Non ! Je ne la connais même pas, elle vit dans un village sous-évolué !
- Tu apprendras à la connaître. Et tu n'as pas le choix, jeune fille, me rappela ma mère adoptive, Irène Mc Nelson.
Je m'assieds sur mon lit, dévastée. Mes tuteurs m'ordonnent de faire ma valise, puis s'esquivent en rappelant que je pars demain matin.
Sur le moment, je veux tuer ma sœur adoptive pour son caftage.
Je me rends alors compte qu'une douleur sourde pulse dans ma main. Dans ma crise de colère, je n'ai rien senti. Je la lève devant mon visage, et aperçois que la peau de mes phalanges a été lacérée par le bois de la porte de l'armoire. J'ai quelques échardes, et les enlève précautionneusement. Le sang coule et goutte lentement sur le parquet. Avec un soupir, je saisis un linge qui traîne sur la table de nuit. Je le presse sur ma blessure, tout en retenant un gémissement sous la vive piqûre douloureuse qui traverse ma main.
Je ne suis pas inquiète, après tout demain je n'aurai plus rien.
Je pose le linge taché de quelques gouttes vermeilles sur ma table de nuit avant de retirer la vieille valise miteuse de sous mon lit. Je soupire en me dirigeant vers l'armoire à moitié défoncée.
J'ai mes bagages à faire.
🐺🐺🐺
Coucou !
Nouvelle histoire sur un thème nouveau pour moi : Les loups-garous.
Prologue ! On y voit ici le personnage principal, sa sœur et ses tuteurs, mais surtout on entre dans la tête de Lyka.
Que pensez-vous d'elle ? J'espère qu'elle vous plaît, et que j'arriverai à vous accrocher et vous divertir avec cette histoire !
N'hésitez pas à commenter, j'aimerais beaucoup avoir vos avis et ça m'aidera à progresser.
Sur-ce, je vous remercie d'avoir lu ce chapitre, et vous dis à bientôt 😀
Je vous mets ci-dessous le commentaire très touchant d' onde-de-reve qui m'a vraiment fait super plaisir, dans son concours Fruit Contest ❤️ Encore merci à elle! Pour info, j'y ai remporté la première place loups-garous 😍 j'y crois toujours pas xD
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top