🐺6🐺

J'ai mal. Je me réveille difficilement, encore à moitié endormie. Une migraine horrible serre ma tête dans un étau et mes muscles sont si courbaturés que j'arrive pas à me lever.

J'ai un étourdissement de faiblesse et je replonge dans les brumes sans pouvoir l'empêcher.

Je reprends conscience dans une pièce fraîche, mais sur un sol dur et glacé. Je parviens cette fois à me redresser. Je m'assieds et me frotte les yeux, ne croyant pas ce que je vois. Je suis dans une cage.

Les barreaux épais m'entourent à un mètre. La petite cage est juste assez grande pour que je me couche. Le sol nu de béton me glace la peau. Je suis encore vêtue de mon pull bleu ciel tâché de boue et de mon pantalon noir trempé. Mes bottines sont encore potables si on oublie les taches de boue et de neige. Mon manteau, par contre... Il gît en lambeaux à côté de moi.

Je soupire, et place ce qui en reste sous mes fesses pour m'isoler du béton. Je croise mes bras autour de mon torse pour me rassurer. Je ferme les yeux, sentant la crise de claustrophobie pointer le nez.

Après quelques minutes d'hyperventilation, je parviens à me calmer. J'ouvre les yeux et regarde au-delà des barreaux qui m'entoure, les ignorant pour ne plus avoir le sentiment d'être enfermée.

D'autres cages entourent la mienne dans l'obscurité. Mes yeux sont maintenant habitués, et je peux bien distinguer ce qu'il y a. Et ce que je vois me fait reculer au fond de ma cage, recroquevillée, dans la plus grande incompréhension.

Des cages s'entassent contre le mur d'en face, et à l'intérieur se trouvent des loups, d'immenses loups qui dorment ou font les cent pas, les babines retroussées. Je les regarde sans bouger, me demandant où je suis tombée. Ce n'est pas un rêve cette fois, j'en suis sûre. Seulement, je n'arrive pas à me dire que je suis dans la réserve d'un zoo, l'endroit où je me trouve me paraît plus compliqué à deviner que ça. Et puis, on n'enferme pas les gens avec les animaux dans des réserves de zoo.

Un loup gris se tourne vers moi, et jappe doucement. Je le fixe, les yeux grands ouverts. Je n'arrive pas à croire que je comprends ce qu'il dit. C'est une hallucination. "Qui es-tu ?" répète le loup encore une fois. Je reste là, sans bouger, en plein rêve éveillé. Finalement, il semble hausser les épaules et se détourne de moi.

Je ferme très fort les yeux. Je me souviens de la poursuite, de la maison en feu, et du somnifère que j'ai respiré. Ils m'ont donc enfermée avec des loups qui parlent, ou du moins des loups que je comprends. Mais justement, je ne comprends plus rien.

C'est pas comme si tu comprenais avant...

Ah, tu es de retour. Et merci de m'enfoncer. Tu ne saurais pas où je suis, par hasard ?

Nous sommes dans un sous-sol. Si tu utilisais ton odorat, tu le saurais. Et ces loups faiblards m'énervent à grogner et bouger.

Dis-leur toi-même. Moi, je ne parle pas le loup.

Si. Réveille ton instinct et tu comprendras beaucoup de choses. Franchement, tu n'es pas très dégourdie...

Je te remercie...

Je soupire et reporte mon attention sur les loups. Ils sont tous assez grands, et seuls par cage. Je les compte assez rapidement. Il y en a cinq.

Je me détourne de mes infortunés compagnons et me concentre sur les derniers souvenirs que j'ai de ce qu'il s'est passé. Des hommes, plusieurs, m'ont enlevée. Je suis certaine de cela. Et aussi de ce que j'ai appris un peu plus tôt. Ces hommes ne sont pas humains.

Un frisson me parcourt quand je me rends compte que je suis prisonnière de gens non-humains dans un sous-sol avec des loups. Comment faire pire ?

Tend l'oreille et tu verras que quelqu'un arrive.

Je fais ce que me chuchote Morrigan, et distingue par-dessus les bruits des animaux des bruits de pas. Je me plaque contre les barreaux du fond de la cage et attends nerveusement en scrutant la seule ouverture que j'ai pu voir. La porte blindée en métal fait entendre des bruits de déverrouillage, et une forme se glisse dans la pièce en fermant la porte.

La silhouette marche le long des cages, ignorant les loups qui se jettent contre les barreaux en poussant des hurlements. Elle s'arrête devant la mienne et se penche.

Un rayon de lumière éclaire son visage et me permet de le détailler.

L'homme doit avoir la trentaine. Ses courts cheveux foncés, d'une couleur que je ne peux pas bien définir sans bonne lumière, et ses yeux sombres me font aussitôt penser aux frères. Alors c'est avec ces gens-là que je suis ? Il ne leur ressemble pas tellement, mais ne sait-on jamais. Ses traits se plissent tandis qu'il l'observe à son tour. Il se met alors à renifler dans ma direction, et instinctivement je gronde. Il me fixe et grogne à son tour. Je ne me démonte pas et continue de le fixer jusqu'à ce qu'il lâche :

- Alors c'est vrai... Ils ont capturé une petite inconnue. Et une puissante en plus... Tu faisais quoi sur notre territoire, hein ?

Sa voix n'est pas agressive en soi, mais je me crispe et réponds d'une voix plus grave et rauque qu'à mon habitude :

- Je vais où je veux... Il n'y avait pas de pencarte.

Il hausse les sourcils, et semble réfléchir.

Il est venu pour nous admirer ou quoi ? Je le sens pas, ce type.

Parfaitement d'accord avec toi. Je renifle quelques coups, et ajoute :

Et en plus lui non plus il n'est pas humain. Même si c'est bizarre de penser ça...

- Alors comme ça tu ne sais rien...

Je reporte mon attention sur l'homme. Il me regarde avec une sorte de pitié mêlée d'amusement. Je retrousse les lèvres et recommence à gronder. Je n'aime pas être prise de haut, et ce type commence déjà à m'énerver.

Il sourit légèrement, et fait glisser dans la cage quelque chose qu'il tenait dans son dos. Je l'avance à quatre pattes doucement, sans le quitter des yeux, et saisis l'objet avant de reculer comme un animal méfiant. Ce doit être la proximité avec les loups qui me rend autant sur les nerfs. Si bien sûr je néglige ce qui m'arrive ces derniers temps.

Je regarde ce que l'homme m'a donné. C'est une boîte en plastique, grise, toute simple. Je l'ouvre et découvre un pain chaud avec de la viande. Crue.

Je referme la boîte et interpelle mon geôlier :

- Vous allez rester là tout le temps que j'avale ça ?

Il me regarde dans les yeux en disant simplement :

- Je reprends la boîte et je m'en vais.

Alors, retenant une réplique qui ne demandait qu'à sortir de ma bouche, je saisis la viande rouge et sanginolante. Je l'enfourne entière dans ma bouche, et essuie le sang qui a coulé sur le bord de mes lèvres. Ensuite, je sors le pain de la boîte et la tends à l'homme.

Il la prend lorsque je la lance entre les barreaux, me jette une bouteille d'eau et s'en va en refermant les verroux de la porte.

Je grignote le pain petit à petit, en réfléchissant. Cet endroit est forcément une prison. Des cellules, une porte blindée. Ce que je ne comprends pas, c'est les paroles de l'homme. Il n'avait pas besoin de me dire que je ne sais rien, puisque de toute évidence je suis complètement perdue. Cela voudrait-il dire que je suis censée savoir quelque chose ?...

Je m'emmèle dans mes réflexions. Je secoue la tête, et finis le bout de pain. Je bois ensuite toute la bouteille, et la repose en dehors de la cage pour qu'il vienne la récupérer. J'espère que j'aurai plus que ça pour une journée. Je ne sais même pas quelle heure il est.

Je cherche alors dans mes poches, prise d'une illumination. Mon GSM, il affichera l'heure !

Mais je sors un appareil qui ne veut pas s'allumer, faute de batterie. Combien de temps suis-je restée endormie ?

Je range mon GSM et tente de dormir. De toute façon, je n'ai rien d'autre à faire à part attendre. Je n'ai aucune chance de briser les barreaux, et la porte restera close.

J'étale du mieux que je peux mon manteau au sol, et me couche dessus. Au moins, je suis isolée du froid du béton. Je fais abstraction du bruit, des grattements et grognements environnants, et réussis à dormir.

Une forme de routine s'est installée pour moi. Je me réveille sans avoir rêvé, ce qui est plutôt positif. Ensuite, je tente de me coiffer et l'homme (qui m'a dit s'appeler Marc avant de ne plus rien dire) m'apporte tout ce qui est brosse à dents et eau pour me débarbouiller. Il place alors une sorte de tenture sur la cage, et j'ai droit à une intimité relative pour faire ma toilette et mes besoins. Puis il enlevé la tenture et reprend tout. Il revient vers midi (d'après les estimations) pour me donner à manger et à nouveau me proposer de faire mes besoins. Il repart, et je dors un peu. Ensuite, il revient avec le souper et de l'eau. De nouveau, je peux me soulager et il repart, me laissant dormir pour la nuit. Et chaque jour c'est pareil.

Ce manège dure quatre jours. J'en ai assez d'être enfermée. Je suis de plus en plus nerveuse. Je cogne contre les barreaux de ma cage en laissant quelques larmes filer entre mes paupières fatiguées. J'ai mal aux jambes et aux bras à force de ne plus bouger de la journée. Et mon dos ne va pas mieux, car dormir sur un sol de béton n'est pas très agréable. Je dois avoir une tête de déterrée.

Et, anomalie et mystère de plus, depuis que je suis enfermée mes cheveux ont pris quelques centimètres, s'arrêtant à présent à mes épaules. Je n'explique pas une pousse aussi rapide, et c'est une question que je dois rajouter à la liste qui s'étend depuis mon arrivée dans ce village.

Au bout du quatrième jour, Marc vient me voir. Il me parle alors :

- Cette nuit devrait être ta dernière ici, si ta mémoire te revient. J'espère que tu ne feras pas de bêtises entre temps.

Comme si je risquais de m'évader...

C'est vrai que ce serait une excellente idée. Mais si on a une chance de sortir d'ici, autant la saisir et se tenir tranquilles.

C'est vrai que l'idée de m'évader m'a de nombreuses fois traversé l'esprit. Mais à chaque fois, je renonce en revenant à la réalité. Je n'ai aucune chance de sortir.

Cette nuit-là j'ai mal dormi. L'appréhension et le soulagement se battent en moi. J'ai imaginé un sombre incalculable de scenarios pour ma sortie, mais rien ne me paraît plausible.

Enfin, la porte fait entendre un déclic. Je me redresse vivement, et aperçois une silhouette différente de celle de Marc.

La personne marche devant les cages en essayant de ne pas regarder les loups, mais je sens qu'elle a pitié d'eux. Cette constatation me réjouit. Il y a au moins des gens avec un cœur ici.

La jeune fille s'arrête devant ma cage. Elle regarde à l'intérieur, et on se détaille mutuellement. Elle a de longs cheveux blonds comme les blés, encadrant un visage doux et inquiet. Ses grands yeux verts surplombés de longs cils me scrutent un instant, avant qu'elle ne sorte une sorte de grosse clef. Elle l'insère dans la serrure, et un déclic se fait entendre. Je me fige, attendant la suite des événements, tel un chien enfermé devenu méfiant.

La jeune fille me dit d'une voix qui se veut rassurante :

- Eh, tu peux venir, on sort d'ici. Je suis Nora.

Je fixe Nora, hésitante. Puis finalement je déplie mon corps et sort de ma cage. Mes jambes tremblent, mais lorsque Nora fait mine de m'aider, je grogne méchamment. Elle recule, et me laisse me débrouiller. Je fais quelques pas hésitants, puis mes appuis se raffermissant je vais jusqu'à la porte. Je l'appuie contre le métal en reprenant mon souffle, et observe la pièce. Je vois mieux la disposition de l'endroit d'ici, et m'aperçois que les cages sont alignées le long d'un mur, et qu'il n'y a que ma cage sur celui d'en face. L'espace entre est juste assez large pour que trois personnes marchent de front.

Nora me rejoint près de la porte, et je m'éloigne d'elle. Je suis encore méfiante, et enfermer les gens n'est pas ce qui me met le plus en confiance vis-à-vis d'inconnus. Elle ne semble pas s'en préoccuper, et ouvre la porte avec sa clef.

Je plisse les paupières lorsqu'un rayon de lumière m'éclaire pour la première fois depuis quatre jours où tout n'était que faible luminosité et ombres. Nora m'entraîne dans un escalier, qui mène à une trappe ouverte par laquelle passe le soleil.

Lorsque j'émerge à l'air libre, je respire à fond l'odeur de forêt et de neige. Cette odeur m'avait énormément manqué sous la terre.

Je suis Nora sous le vent froid, resserrant les pans de mon pull autour de moi dans une manière inutile de me réchauffer. Nous traversons une sorte d'espace, entouré par des cabanes en bois de type bungalow. Il y en a au moins dix, certains décorés, d'autres non, et je vois de la lumière dans certains. Je serait dans une sorte de campement ?

Mais je n'ai pas le temps de m'appesantir sur la question que Nora ouvre la porte d'un bâtiment brun tout simple. Elle le fait signe d'entrer, et ferme la porte à clef derrière moi. Apparemment, je suis considérée comme toujours prisonnière.

L'endroit où nous sommes est comme un appartement. Une pièce fait office de salon, avec une table pour manger, et une pièce est une cuisine rudimentaire. Deux chambres une personne et une salle d'eau composent le reste de l'espace.

La jolie blonde me désigne une chambre, où ont été disposées des habits sur le lit..

- Je dois t'aider à t'habiller et à te préparer pour rencontrer notre Alpha.

Leur Alpha ? C'est quoi ça encore ? Une secte ? soupire Morrigan.

Je suis d'accord avec elle, mais ne dit rien à Nora. Ce que je fais remarquer en revanche, c'est que je peux parfaitement m'habiller et me laver seule.

Nora n'insiste pas, et je m'enferme dans la chambre. Je fouille dans les habits qui recouvrent le lit, et trouve un pull chaud noir ainsi qu'un jeans noir. Une veste en cuir et des bottines à ma taille complètent mon attirail. Je les emporte à la salle de bain, et me douche rapidement. Je n'aime pas l'eau, et ce ne sera pas quatre jours de captivité qui vont le faire changer d'avis. Lorsque je m'habille, je le regarde dans le miroir et suis choquée de l'image qu'il le renvoie. Celle d'une fille amaigrie, pâle comme la mort, aux longs cheveux trempés noirs. Des cernes violettes sont présentes sous mes yeux bleu glacé, qui brillent de fatigue.

Je me détourne de mon reflet et me coiffe sommairement avant de sortir pour annoncer à Nora que je suis prête.

Nous sortons du bâtiment et elle m'entraîne à travers la place, enfin le centre de la clairière. Des gens sont maintenant sortis des bungalows, et je peux voir deux hommes, dont Marc, qui discutent. Ils se ressemblent étrangement, et lorsque ce dernier me voit, il m'adresse un bref regard avant de reporter son attention sur son interlocuteur. Je vois aussi une jeune fille qui est assise devant la plus grande bâtisse de la clairière. Elle semble de mon âge, mais le sérieux qu'elle dégage lorsqu'elle relève la tête dans notre direction la vieilli. Ses cheveux bruns longs cascadent dans son dos, et ses yeux noisette nous détaillent avant de s'arrêter sur Nora. La jeune fille demande à la blonde :

- C'est elle ?

Nora hoche la tête gravement, et l'autre nous regarde passer avec un air indéchiffrable sur le visage.

La blonde frappe deux coups à la porte, et attend. Elle me souffle, alors que la porte s'ouvre :

- Tu fais ce que l'on te dit et il ne t'arrivera rien.

Ma pauvre fille, nous ne faisons jamais ce que l'on nous dit... ricane Morrigan.

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