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Je me lève de mon lit en quatrième vitesse, toujours sous l'effet de ma soudaine poussée de force. Je me précipite vers la fenêtre, en écarte les rideaux et plaque mon visage contre la vitre. Je vois l'aube se lever, une lueur orangée baigne la neige de reflets cuivrés. Et, là, au milieu de ce paysage, juste à côté de l'orée de la forêt, se trouvent des traces. Avec ma vue développée, je distingue des empreintes. Le même genre que celles laissées par mes visiteurs de l'autre jour.

Tremblante, je décide de ne plus sortir, sauf extrême nécessité. Après cette incursion dans mon sommeil, je ne veux pas risquer de rencontre face à face. Car oui, je sais maintenant que c'est à cause de lui, que je me suis retrouvée dans cette forêt glacée. Il m'attendait. Il voulait que je vienne, et ne pouvant m'approcher en réalité, il l'a fait en songe.

Je ne peux plus me rendormir après autant d'émotions, et m'habille avec les nouveaux vêtements que nous sommes allées chercher au village.

Je ne sens plus la force qui m'a aidée mais je sais qu'elle est toujours en moi, profondément cachée, telle l'eau qui dort. Et ça me rassure.

On dit merci quiiii ?

Je soupire, et lui dit dans ma tête :

Merci d'avoir réveillé cette force qui dormait depuis des années, celle-là même qui m'a causé tant d'ennuis, ôh Morrigan...

Ce nom, celui de la déesse irlandaise de la guerre, a tout de suite plus à cette voix fière qui m'envahit la tête, venant de je ne sais où.

J'enfile mes nouvelles bottines, et descends les escaliers à pas de loup. Je me glisse dans la cuisine, et chipe une tartine, que je beurre avant de l'enfourner dans ma bouche. Ce rêve spécial m'a vidée de mon énergie, à moins que ce ne soit le réveil soudain de ma nature.

Et dire que je pensais l'avoir chassée...

Je me suis réveillée il y a peu, lorsque tu es arrivée dans ce village en fait. Je ne sais pas pourquoi, mais ce lieu... Est spécial. Attend-toi à de nouvelles choses surprenantes.

Ainsi donc, tu es une manifestation de ma nature ? Tu es quoi exactement ? je m'étonne.

C'est pas à moi de te l'apprendre... Mais je peux te dire que bientôt, tu auras des réponses. Il faut suivre ton instinct.

Je ne peux m'empêcher de lui en vouloir. Elle connaît les questions qui tournent dans mon esprit, et les réponses, mais se tait.

Détrompe-toi, je ne connais pas toutes les réponses. Mais si j'étais toi, ce que je suis mais tu me comprends, j'arrêterai de m'énerver pour rien.

C'est toi qui m'énerve ! je lui dis. Et puis, c'est à cause de toi que je dois sans cesse contrôler mes émotions... Ma vie serait plus simple si tu n'étais pas là.

Morrigan ne trouve rien à répondre à cela, pour mon plus grand bonheur. Entendre des voix dans sa tête n'est pas une chose très agréable...

Je fourre la deuxième tartine dans ma bouche, puis me dirige vers le salon. Qui sait, peut-être qu'il y a des émissions matinales intéressantes ?...

Malheureusement, je ne trouve rien de mieux à regarder que des séries américaines à deux balles. Mais ça fait passer le temps.

Ça fait une ou deux heures que je suis affalée dans le canapé lorsque Lorraine passe sa tête dans l'embrasure de la porte.

- Je vais travailler, je reviens à vingt heures, passe une bonne journée !

Je la salue, puis reporte mon attention sur l'écran. Mais des questions apparaissent aussitôt dans mon esprit.
Quel travail demande à ses employés de travailler plus de dix heures par jour, tous les jours ? Que va faire Lorraine toute la journée ?

Mais je n'ai, encore une fois, pas de réponse. Alors je soupire et m'abrutis toute la journée devant la télé.

Je ne peux pas sortir de peur de tomber sur la bande de la forêt, et je n'ai rien à faire à l'intérieur. Je me lève uniquement pour aller aux toilettes ou à la cuisine, voir dans ma chambre pour observer anxieusement la forêt et les traces, mais sinon je m'ennuie.

Chaque matin, je me lève en sueur. Le meneur m'envoie toute les nuits dans un paysage différents, et me laisse là jusqu'à ce que je trouve la manière d'en sortir. Car, évidemment, ce n'est pas chaque fois la même action à faire. Une fois, c'est sauter de l'arbre. L'autre fois, plonger dans l'eau, où se trouvent des crocodiles. Puis c'est toucher un rocher au milieu d'un troupeau de buffles. L'imagination de cet homme me laisse coite.

Jusqu'ici, ça se passe bien. Je m'en sors. Grâce à Morrigan, qui m'aide, mais aussi grâce à mes capacités. Je ne connais pas le but de ces rêves, mais je ne peux les éviter alors je m'applique à rester en vie.

Cela fait à présent une semaine que ça dure. Une longue semaine où je regarde la télé à longueur de journée, où je fais des cauchemars la nuit et où je mens sur mon état à ma tante. Elle ne sait pas pourquoi je ne sors pas, pourquoi je reste devant la télé, mais elle se contente de me fixer et de hocher la tête, puis de changer de sujet. Je ne la comprends pas, mais apprécie qu'elle ne pose aucune question.

Cette routine commence tout doucement à me rendre nerveuse. Je tourne en rond, énervée, avant de me calmer en frappant des coussins. Seulement, lorsque je les déchire et que le rembourrage sort par de multiples trous, je les jette à la poubelle en râlant contre ma nature pourrie. Et là, Morrigan me dit qu'elle n'est pas pourrie. Seulement, si elle n'était pas là, je n'aurais pas de problèmes...

Ce soir, je fais des crêpes. J'ai fini par me lasser des omelettes. Alors que je casse un œuf, j'entends un hurlement. L'œuf manque de tomber en glissant de mes mains couvertes de blanc, mais je le rattrape in extremis. Je le pose dans le saladier, avant de me laver les mains pour aller à ma fenêtre. La lune brille. C'est le soir, et la forêt qui entoure la maison me paraît mystérieuse, pleine de secrets. Un deuxième hurlement retentit non loin d'ici. C'est un loup, j'en suis sûre.

Je me recule de la fenêtre, tremblante. Ce n'est pas que j'ai peur des hurlements de loups, en pleine nuit, dans une maison isolée entourée de forêt. C'est juste que ce hurlement... Je l'ai compris. Enfin, pas comme des mots, mais... J'ai compris le sens, l'émotion qu'il passe. Et c'est quelque chose de nouveau.

Il va t'arriver beaucoup de choses nouvelles, Lyka. Tu n'as pas encore compris que ta vie est en train de changer ?

Épargne-moi les phrases philosophiques Morrigan, ce n'est pas, mais alors pas du tout le moment.

En effet, mes mains tremblent. Le stress, la nervosité et le sentiment d'enfermement ressortent. Pourquoi maintenant ? Est-ce à cause du hurlement ? Ou bien tout simplement le trop plein ?

Mes mains agrippent le bord de la table. Ma respiration hachée s'échappe de mes lèvres entrouvertes en secouant ma poitrine. Je sens la crise de panique venir, et tente du mieux que je peux d'y résister. Je ferme fort les paupières, et essaie de ralentir mon débit respiratoire, sans succès.

Un autre hurlement atteint mes oreilles sensibles. Mes ongles s'enfoncent dans le bois de la table. Mes muscles sont si crispés que j'ai peur qu'ils ne se déchirent. Je suis au point de rupture, celui que je m'efforce de ne pas approcher depuis des années. Mais les événements de cette semaine depuis que je suis arrivée dans ce village m'ont plus stressée que toute une vie de moqueries...

Lyka ! Il faut que tu m'écoutes ! Vite, sors !

Et où veux-tu que j'aille ?!! Je serai toujours aussi énervée, ça sert à rien ! J'ai repoussé ce moment depuis trop longtemps ! je hurle dans ma tête.

Mais Morrigan continue de me crier de sortir, si bien que j'obtempère à grand peine. J'ai envie de tout casser, de hurler, de crier, et c'est en me mordant la lèvre jusqu'au sang que je parviens à retenir le cri de détresse et de rage qui gonfle dans ma gorge.

Je prends mon manteau, une écharpe, les clefs et mon téléphone en sortant. Ce dernier ne me sert pas souvent, n'ayant personne, ni amis, ni parents, avec qui discuter. Mais j'y tiens, il est une de mes rares objets vraiment à moi.

J'ai l'impression de partir pour de bon lorsque je passe le seuil de la porte. Mais je ferme les yeux et avance dans la neige en me retenant de faire demi-tour pour aller cogner dans les coussins. La rage est toujours là, en permanence, ainsi que la haine, la colère, la frustration, la tristesse, et ce tourbillon manque de me perdre à chaque pas. Pourtant, j'avance.

Une fois à la lisière du bois, je me retourne vers la maison. Lorraine n'est pas encore rentrée, et c'est la seule pensée qui perce dans mon cerveau embrumé.

Je cogne brutalement dans l'arbre qui a le malheur de se trouver à côté de moi. L'écorce éclate, et ma main commence à saigner. Je n'y fais pas attention, et m'enfonce dans la forêt.

Je sens déjà mes sentiments refluer. Ils retournent petit à petit dans mon cœur, où ils attendent, se renforçant, que je les libère à nouveau pour déferler autour de moi. Je ne pense pas aux dégâts qu'ils pourraient causer et me concentre sur ma marche nocturne.

Je me demande pourquoi Morrigan voulait tant que je quitte la maison. Il est vrai qu'un léger malaise, diffus, m'a saisie dans la maison, mais je ne pense pas qu'une vague impression justifie un départ précipité. Et je me demande surtout pourquoi j'y ai obéi.

Je shotte dans la neige en pestant. Cette crise est apparue au mauvais moment. En pleine nuit, lorsque je suis seule... Mais ça, ça vaut peut-être mieux en fin de compte. Si jamais Lorraine m'avait vue dans cet état, elle m'aurait faite interner. Et j'aurais pu lui faire du mal... Je suis dangereuse.

C'est sur cette constatation que je lève les yeux.

Je me trouve dans une clairière. Des hauts pins entourent l'espace exempt d'arbres. La neige forme une mer immaculée, souillée par quelques traces de pattes d'oiseaux. Je reste face à ce spectacle magnifique, la nuit et la lune forment un tableau extraordinaire dans cette clairière.

Je regarde les volutes de vapeur blanche qui sortent de ma bouche, à chaque souffle exhalé. Ils forment des formes si variées, que je pourrais rester de longues minutes à les observer.

Mais un craquement me sort de mes pensées. Aux aguets, je fléchis les jambes en me préparant à courir. Je guette le moindre mouvement, le moindre bruissement en tendant l'oreille.

Une branche tombe sur le sol derrière moi, et je fais volte-face, tendue. Je plisse les yeux, car le noir de la nuit ne permet pas une vue optimale. Certes, je vois mieux dans l'obscurité que la plupart des gens, mais cela reste limité.

Une brindille craque derrière moi, et je me retourne à nouveau. Comme si c'avait été le signal, des bruits de déplacement résonnent partout autour de moi.

Je me tourne dans tous les sens, complètement perdue, ne sachant pas où se trouve... Ce qui fait du bruit. Au bout d'un moment, je craque et crie :

- J'en ai marre ! Qui est là ?!!

Les bruits s'arrêtent tandis que je continue à faire les cent pas, enragée.

Qu'est-ce qu'on attend ?!! Allons les bouffer ! Ce sont sûrement des humains, de toute façon ! me crie Morrigan en tambourinant dans ma tête.

Ces propos me choquent, mais mon corps semble d'accord avec elle. Un grognement monte dans ma gorge, et résonne sourdement tandis que je me ramasse en me baissant.

Je renifle par à-coups, analyse les odeurs et arrive à la conclusion que les gens qui m'entourent... Ne sont pas humains !

Je repousse les questions qui apparaissent dans ma tête et reporte mon attention sur leurs positions.

Je ne sais pas pourquoi, mais ils en ont apparemment après moi. Et je ne compte pas me rendre.

Ils m'ont encerclée. Il y en a dans pratiquement chaque buisson qui borde la petite clairière. Je tourne sur moi-même, et les compte. Ils sont six.

Trop pour nous. On n'arrivera pas à les combattre dans y laisser notre fourrure.

Encore une fois, je ne cherche pas à savoir le pourquoi du comment des mots employés par Morrigan, ce n'est pas vraiment le moment.

Je remarque alors une trouée dans leur cercle. Aussitôt, mes jambes agissent d'elles-mêmes et je me propulse vers le feuillage.

Je le traverse en emmenant quelques feuilles sombres sur mon manteau, et cours ensuite comme si j'avais la mort aux trousses. Ce qui est peut-être le cas tout compte fait. Je zigzague entre les troncs en espérant les semer, mais ils ne me lâchent pas. Je n'arrive pas à courir plus vite qu'eux, et je ne les vois pas dans l'obscurité. Impossible de savoir où ils sont exactement. Seul le bruit de course qui me poursuit me prouve qu'ils sont encore là.

Je manque de rentrer dans un tronc et l'évite de peu, puis recommence à courir.

Mon souffle se fait plus difficile, et mes muscles se font faibles, mais je continue d'accélérer. Il faut que j'atteigne la maison, que j'ai eu tort de quitter. Là, la chose mystérieuse qui l'entoure les arrêtera.

Mais le pressentiment de tout à l'heure ressurgit, tandis que je distingue une lueur orangée entre les troncs. Des bruits de craquements et de crépitement atteignent mes oreilles.

Que se passe-t-il ?!!

Le feu. Il danse sur le bois de la maison de Lorraine. Il lèche le ciel noir piqueté d'étoiles. Et je dérape en m'arrêtant en catastrophe devant ce spectacle de cauchemar. La maison est détruite, le feu a tout atteint, détruisant mon espoir de m'extraire à mes poursuivants.

Impossible de m'y réfugier désormais. Et si Lorraine... Non, je ne dois pas y penser, elle n'est pas rentrée du travail, elle est encore au village. Inutile de s'inquiéter pour elle.

Tu devrais plutôt t'inquiéter pour toi, ils arrivent !! commente Morrigan.

Je fais volte-face et cherche fébrilement un endroit où me cacher. Les hauts arbres seront trop longs à escalader, et je n'ai pas le temps de recommencer à courir. Les pas se rapprochent, je dois faire vite. Je plonge dans un creux dans la neige en retenant ma respiration. Le choc n'est pas trop violent et je me laisse m'enfoncer dans la poudreuse.

Je ne vois pas mes ennemis depuis là où je suis et tends l'oreille pour savoir ce qui se passe.

Ils émergent des feuillages pour s'arrêter à l'endroit même où je me trouvais la seconde d'avant. Leurs pas foulent la neige, et j'espère que mes traces ont ainsi été recouvertes. J'entends alors une sorte d'aboiement puissant. Mon coeur bondit dans ma cage thoracique, et je me fais encore plus petite au fond de mon trou. Un loup ! Il y a un loup pas loin !

Ce n'est pas logique, les loups ont peur des hommes, que fait-il si proche, avec un incendie en plus ?

Je cesse de réfléchir lorsque des voix me parviennent.

- Elle a sauté dans le feu ?

- Mais non, elle n'est pas suicidaire.

Ces voix me sont inconnue, et d'une certaine manière je suis heureuse de ne pas entendre celles des trois hommes de la forêt.

- Elle est cachée. Trouvez-la !

Cette voix, extrêmement puissante, me fait tressaillir. Inconsciemment, l'envie brutale de me rouler au sol me prend, mais je me force à rester immobile, ne m'interrogeant pas plus avant à propos de mes drôles de réactions en ce moment. Je ne respire plus, tendue, les yeux ouverts pour tenter de m'enfuir si jamais ils me repèrent. Les formes sombres se déplacent autour de moi, mais à plusieurs mètres et ils ne m'ont pas encore trouvée. Le bruit du brasier me gêne pour les entendre correctement, et la neige fond petit à petit sous la chaleur proche. Soudain, la couche de neige sous moi s'affaisse, et je tombe dans une sorte de trou de deux mètres de profondeur. Je me relève, paniquée. Ils m'ont entendue tomber, et viennent par ici. Faisant abstraction de ma douleur à l'épaule à cause de ma chute, je me mets à escalader le plus vite possible les bords du trou. La terre qui affleure sous la neige est rendue boueuse par l'eau, et mes doigts glissent, ainsi que mes pieds. Je retombe brutalement au sol, le souffle coupé. Mais je remercie ma constitution particulière et me relève immédiatement. Je fléchis les jambes, et me prépare à sauter. Je n'y crois pas trop, mais c'est ma seule chance de sortir de ce piège.

Je pousse brutalement sur mes jambes et tends mon corps vers l'avant, et dans une détente prodigieuse je parviens à agripper le bord de la fosse et à me hisser. Ce saut m'aurait été impossible il y a quelques jours, mais sans que je ne puisse l'expliquer mes capacités se décuplent de jour en jour.

Je me mets à genoux en soufflant, puis me mets debout. Je me heurte alors à quelque chose qui me pousse brutalement sur la côté. Je cogne un arbre et reste au sol, sonnée. Mes yeux flous me montrent une forme animale ressemblant à un chien, mais avant que je ne puisse faire quoi que ce soit une chose se plaque contre mon visage, humide et nauséabonde.

Je me débats, mais mes forces ont atteint leur limite et le produit me fait perdre connaissance.

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