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Sa phrase me cloue sur place. Elle repasse en boucle dans ma tête.
"T'es comme eux ! Un monstre ! Comme ceux de la forêt !"
Mais alors... D'autres personnes sont comme nous ?...
Je crois bien, Lyka deux.
Lyka deux ? C'est quoi ça encore ?
Je vais pas t'appeler Lyka, sinon j'aurai l'impression de parler à moi-même...
Techniquement, tu parles à toi-même.
Merci de me rappeler ma folie.
Je coupe la conversation bizarre avec la voix qui prétend être moi, et observe la place. Le vieux me regarde avec surprise, et crainte. Je préfère me détourner de lui, et je marche en silence vers l'hôtel de ville. Mes pensées fusent à toute allure dans ma tête.
Si Mario m'a dit que j'étais "comme des gens", ça veut dire que d'autres personnes sont comme moi ? Et il a ajouté : un monstre. C'est effectivement comme ça que je me vois parfois.
Tu n'es pas un monstre, Lyka. Tu es juste différente.
L'accalmie n'a pas duré longtemps, visiblement. Et puis, qu'est-ce que tu en sais, toi ? Tu n'es pas réelle, je lui lance mentalement.
Elle se tait un bref instant, avant de reprendre.
Je suis réelle. Tu ne l'as juste pas encore accepté, c'est tout.
Déboussolée, je m'assieds sur un banc face à la façade blanche. Je n'arrive pas à concevoir plusieurs choses. Un, une voix me parle dans ma tête en prétendant être moi, réelle, et me disant que je suis différente, ce que je sais depuis ma naissance. Deux, un garçon chef de gang me dit que d'autres gens sont comme moi. Mais ça peut dire plein de choses, cette phrase ! Que des gens sachant se battre vivent ici, que des asociaux vivent ici... Même si en précisant monstre, je ne peux que me dire qu'il sait plus ou moins ce que je suis. Ce que, en fait, je ne sais pas moi-même...
Mais j'oublie la suite de la phrase. Il parle des gens dans la forêt. Les jeunes, ou bien les gens qui m'ont poursuivie ? Les deuxièmes ne peuvent pas passer pour des jeunes, donc ces deux groupes semblant vivre dans les bois me semblent distincts. Ça voudrait dire qu'ils sont comme moi, ou du moins, d'après ce que dit Mario.
Une petite flamme d'espoir s'allume dans mon cœur. Peut-être que... J'aurai des réponses...
Je vois du coin de l'œil la voiture blanche arriver depuis une ruelle. Je mémorise d'où elle vient, puis me lève. Je ne vais rien dire à Lorraine, elle va s'inquiéter, et je ne peux pas vraiment lui dire que j'ai mis au tapis un mec d'une tête de plus que moi... Sans choper le moindre coup, qui plus est.
C'est en plaquant un sourire sur mon visage que je monte dans l'auto, et que nous prenons le long trajet du retour vers la maison.
Lorraine ne parle pas, et moi non plus. Moi, je n'ai rien à lui dire, et elle doit être fatiguée par son travail. Des cernes mauves sont apparues sous ses yeux, et ses mais serrent le volant à s'en blanchir les articulations.
L'heure de retour passe plus vite que l'aller, peut-être parce que maintenant j'ai matière à réfléchir.
Lorsque nous sortons de la voiture, Lorraine me dit :
- Je suis désolée, mais je suis très fatiguée et je vais aller dormir. Fais ce que tu veux, mais sans sortir de la maison.
Je hoche la tête, et nous entrons. Je regarde discrètement si la neige a été foulée, mais ne remarque rien. Aucune trace. Peut-être que je deviens parano...
Une fois entrées, Lorraine monte en me souhaitant une bonne nuit. Je me dirige vers la cuisine, car ma gaufre ne remplit pas mon estomac comme dîner.
Je cuisine en vitesse une omelette, et l'avale tout rond avant de me diriger vers le salon. J'allume la télé, et replonge dans les documentaires animaliers.
Quand mes paupières tombent de fatigue, j'éteins l'écran. Il est déjà vingt et une heure, et je suis lasse. Le froid doit y être pour quelque chose. J'ai vu ou entendu quelque part que le froid fatiguait le corps. Ça doit être vrai.
Je monte les marches d'un pas lourd, et pousse la porte de ma chambre. Des ronflements proviennent de la chambre d'en face, où dort Lorraine. Je souris, et m'enfonce dans les draps une fois en pyjama. La lumière éteinte ne plonge pas la pièce dans me noir, car pour moi il ne fait noir que lorsque je ferme les paupières.
Mon souffle se calme et je plonge au pays des songes.
J'ai froid. Je tâte mes vêtements, et m'aperçois que je suis en pyjama. Qu'est-ce que je fais en pyjama dehors ? C'est alors que je remarque où je suis. Je suis dans la forêt...
Il fait jour. Les pins forment un toit vert et blanc au-dessus de ma tête, et la neige m'arrive aux chevilles. Mes pieds commencent à devenir bleus, si bien que j'avance pour trouver un endroit plus chaud. Même si, dans cette forêt, je ne vois rien qui pourrait m'apporter de l'aide.
Je marche en frissonnant, et je souffle sur mes mains dans l'espoir de les réchauffer. Je ne sens plus mes pieds. C'est alors que retentit la voix qui commence à me devenir familiaire.
Si tu continues, tu vas mourir de froid.
Je suis dans un rêve, je ne peux pas mourir. Et puis, si tu parles, donne-moi une idée pour me réchauffer...
Grimpe dans un arbre.
Je me retiens de me frapper la tête contre un tronc. Évidemment ! Je peux être très idiote parfois.
Je regarde le pin le plus proche. Il est grand, mais je vois de petites inclusions dans le bois. Peut-être que j'arriverai à escalader.
Je me rapproche de l'arbre en tentant de contrôler les frissons de plus en plus violents qui m'assaillent.
Une fois près du tronc, je touche le bois de la main. Il n'est pas froid, il est même... Tiède. Bizarre. Mais je sors ces idées de ma tête et commence l'ascension.
Je n'arrête pas de déraper, de enfoncer des échardes dans les paumes et dans les orteils, mais je continue tant bien que mal. L'exercice commence doucement à me réchauffer, et je m'arrête à la première branche.
Je ne suis pas essoufflée, comme je m'y attendais. Je remonte les jambes et m'assieds en tailleur pour économiser ma maigre chaleur. Je suis sûre que quelqu'un d'autre serait en hypothermie.
Mon pyjama plein de neige ne me procure plus la moindre chaleur, et je me recroqueville en boule. Frigorifiée, mes lèvres bleues, je tente de comprendre ce qui m'arrive.
Ce n'est pas un rêve normal.
Oh ça va. C'est un rêve un peu trop réaliste, mais un rêve tout de même.
Ce n'est pas normal, continue à insister la voix féminine.
Je doute alors. Et si elle avait raison ? Ça n'a pas de sens ! hurle ma raison. Ce n'est pas normal, murmure mon cœur à l'unisson de Lyka deux.
Perdue, je serre mes bras autour de mon buste dans un geste défensif. Le froid mord ma peau. Je ne peux pas m'empêcher de penser que peut-être je vais mourir. Dans la forêt, dans le froid, toute seule.
Tu ne vas pas mourir. Il suffit que tu trouves comment sortir de ce rêve.
On peut sortir d'un rêve maintenant ? Première nouvelle. Et puis, c'est n'importe quoi ! Comment pourrais-tu le savoir ? Je ne sais même pas qui tu es.
Je suis une partie de toi, imbécile. Je te l'ai déjà dit. Et je le sais, c'est tout. Ne me demande pas pourquoi, je ne le sais pas moi-même...
Je réfléchis en soupirant. Autant tenter ma chance, si c'est mourir ici ou écouter une voix...
Je relève la tête et observe attentivement les alentours. Je sens l'approbation de la voix, mais je la relègue au fond de mon esprit. Je le rends alors compte qu'il n'y a aucun bruit. Seulement ma respiration. La neige ne crisse pas sous les pas d'un animal, les oiseaux ne chantent pas.
Une forme d'inquiétude envahit mon cœur. Mes yeux furètent partout, essayant de trouver un indice, quelque chose qui me dise quoi faire pour quitter cet enfer de glace et de neige.
Regarde ! crie la voix si fort que j'ai l'impression que ma tête va se couper en deux.
Je grogne en plaquant mes mains sur ma tête. Mais je regarde au pied de l'arbre, intriguée et alarmée par cette mise en garde.
Au pied du pin se dresse un homme. Je ne peux pas voir qui c'est d'ici, aussi je cesse de respirer pour ne pas qu'il me repère. Tout vêtu de noir, il renifle quelques coups tout autour de lui, comme un chien sentirait une piste. Puis il se fige, et lève brusquement la tête.
Ses yeux couleur charbon me glacent plus efficacement que la neige. Je le reconnais. Le meneur.
Mais que fait-il dans mon rêve ?!!
Il sourit alors en me voyant.
- Qu'est-ce que tu fais là-haut ? Descend, tu n'es pas un chat !
Puis il rit tout seul de sa blague à laquelle je n'ai rien compris.
Voyant que je ne fais pas mine de bouger et que je le dévisage comme s'il était fou, il se tait et braque son regard dans le mien.
Baisse pas les yeux !!!
Comme si c'était dans mes habitudes...
Au bout d'un moment, voyant que je fais pas un mouvement, il serre les poings et le paysage devient flou.
Je me concentre pour garder les yeux fixés aux siens, mais je demande à la voix :
Tu peux me dire ce qu'il se passe ?
Il a fait changer le décors.
Le ton surpris et l'appréhension que le voix laisse transparaître me tente de dévier mon regard. Mais je n'en fais rien. Les duels de regards sont une part de ma nature, j'ai fini par le comprendre.
Sauf que là, s'il continue à essayer de me vaincre, je vais finir par capituler.
Ah non ! Pas question ! Nous n'allons pas perdre contre lui !
Encore une fois, nous allons dans le même sens, Lyka deux.
Si tu pouvais arrêter de m'appeler comme ça, ça m'arrangerait...
Et comment je dois t'appeler finalement ? Tu n'es pas claire.
Trouve un nom, quelque chose de puissant, d'antique...
Bah ça va la modestie...
Je me concentre un moment, puis j'ai une idée. Je la soumets à la voix, qui reste silencieuse un moment, tandis que le regard noir se fait de plus en plus pesant. J'ai l'impression qu'il fait peser un poids sur ma tête, pour me forcer à la baisser, ce qui pour l'instant ne fonctionne pas. Pour l'instant.
J'aime bien ce nom. Tu peux m'appeler comme ça.
Je souris. Je savais qu'elle allait aimer...
Je suis distraite un petit instant par l'endroit où nous nous trouvons à présent, par je ne sais quel sortilège du curieux personnage.
Le lieu me fait penser à un jardin japonais. L'air doux me réchauffe après le froid polaire. Une sorte de temps rouge foncé décoré d'or et de jade trône au centre d'une magnifique pelouse. Un ruisseau alimente un petit étang couvert de nénuphars en fleurs. Un cerisier japonais d'un magnifique rose étend ses branches au dessus de ma tête, puisqu'à présent je suis perchée à la naissance d'une de ses branches. Je peux observer tout cela depuis ma position, car ce fantastique paysage se trouve derrière mon adversaire, qui ne m'a pas lâchée du regard.
La pression sur ma tête se fait encore plus lourde. Des étincelles noires dansent devant mes yeux, qui tentent à se fermer. Je me sens faiblir de seconde en seconde. Le parfum du cerisier me trouble, je perds ma concentration.
Je vais devoir m'en mêler... râle l'autre.
Je l'entends à peine, tant je suis occupée à ne pas ployer. Tout mon être est focalisé dans ce seul but. Ne pas flancher.
C'est alors que je sens une brusque chaleur s'emparer de moi. Un sourire irrépressible naît sur mes lèvres, tant je me sens bien. Je suis plus forte, je me sens plus puissante, plus... Moi. Ma vraie nature ressort, dix fois plus puissante qu'auparavant.
Je redresse les épaules, fière, et plante mon regard à présent bleu flamme mêlé de blanc dans celui de mon adversaire, complètement surpris. Je le force à baisser la tête, et sans que je ne comprenne pourquoi, cela fonctionne au bout de quelques secondes.
Il n'a pas tenu longtemps, ce débutant. Il n'est même pas Alpha...
Je ne m'interroge pas plus sur les propos mystérieux qui m'envahissent la tête, et oblige l'autre à reculer à plusieurs mètres. Alors, je descends du cerisier.
Une fois au sol, je lui jette, agressive :
- Comment je sors d'ici ?!
Il gémit à la manière d'un chien, ce qui me surprend, puis lâche avec un râle :
- Il faut imaginer votre lit...
Tiens, il me vouvoie... Je jubile. Tout mon être est heureux, fier d'avoir mis à genoux cet ennemi. Je me sens extrêmement bien, depuis que cette chaleur a pris place dans mon corps.
Mais je veux rentrer, aussi je ferme les yeux et visualise ma chambre sur l'image de mes paupières.
Je me réveille aussitôt, en sueur.
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