🐺22🐺
Les jours suivants, les deux renardes ont tout fait pour me faire craquer. Ce n'était pas l'idée du siècle, car j'étais déjà énervée et tendue, mais alors à cause d'elles, je suis une boule de nerfs vivante.
Nora me réveillait chaque jour en chantant faux dans tout le chalet. J'ai failli lui faire manger ses pâtes moi-même en lui enfonçant le bol dans la bouche, mais je me suis contrôlée. À grand peine, certes, mais j'ai réussi à ne casser que deux arbres innocents. Ensuite, Jaïna me posait des questions toute la journée à propos de ce qui s'est passé dans le bois. Je ne disais rien, et elle inventait devant moi des théories plus inventives les unes que les autres. J'étais plus gênée la fois suivante que la précédente, aussi je l'évitais dans la journée pour ne pas aborder ce sujet, mais elle me retrouvait souvent. Je finissais par m'enfoncer de plus en plus profondément dans la forêt à chaque jour qui passait, et Carl me demanda de rester dans les environs. Je disparaissais pendant des heures, seule, apaisée par la forêt, afin d'affronter les soirées avec Nora, quand je n'arrivais pas à l'éviter elle aussi.
- Lyka ? T'es là ?
Je soupire dans ma chambre. Je ferme le livre que je lis et tente de respirer calmement, mais c'est peine perdue. Nora rentre.
- Eh, c'est pas sympa d'éviter tes amies, tu sais.
- Si vous ne faites que m'interroger, je ne vois pas l'intérêt de rester avec vous, je dis.
Elle soupire à son tour et s'assied à côté de moi sur le lit. La lune montante nous éclaire par la fenêtre. Nora passe ses cheveux blonds sur une épaule et me dit :
- Ça a assez duré ce jeu du chat et de la souris, Lyka. Tu sais qu'on ne lâchera pas prise. Dis-nous ce qui s'est passé.
Je ferme les yeux.
- Tu sais que ça ne fait qu'empirer ton état ? Tu nous mens.
- Parce que vous, vous ne mentez pas ? je dis en tentant de contrôler ma voix tremblante de colère contenue.
- Je...
- J'en ai assez, Nora, moi aussi. Mais je ne vais pas livrer mes secrets si vous ne faites pas de même. Et inutile de me dire que c'est faux, je sais que vous ne me dites pas tout. Tu sais quoi ? Je veux savoir ce qui est arrivé à mes parents, pourquoi je suis orpheline, pourquoi je me suis retrouvée à l'orphelinat alors qu'une Meute de loups accueille les orphelins. Je veux trouver des gens qui les ont connus, d'accord ? Je veux trouver quelqu'un qui ne mentira pas, Nora. Et tout ça, je fais en me levant, tout ça, je ne peux le faire que si l'on m'aide et si l'on me dit la vérité.
Elle baisse ses iris verts au sol, tandis que je reste debout. Soudain, dans le silence, quelqu'un frappe à la porte du chalet.
- Je vais ouvrir, je fais.
Lorsque je fais pivoter la porte, une brune me sourit et me demande :
- Je peux entrer ?
- Allez Jaïna, on est occupées aux confessions, autant que tu participes, je fais d'une voix amère.
Elle est surprise de mon ton mais je me décale sans mot et elle entre. Une fois que nous sommes toutes les trois dans la chambre, Nora répète à Jaïna ce que j'ai expliqué. Tout ce que je voulais trouver, des réponses et des gens, et le fait que si tout le monde ment je n'y arriverai pas.
La brune me regarde alors avec des yeux humides. Elle renifle et essuie ses petites larmes qui cherchent à s'échapper, alors que Nora la regarde avec compassion. Moi, je ne comprends pas.
- Et donc ? Dans la forêt ? fait-elle timidement.
- Est-ce que j'ai la garantie que vous me direz la vérité ensuite ? Si je vous explique, vous devrez garder le secret et répondre à une de mes questions. Vous êtes d'accord ?
- Marché conclu, fait Nora lentement.
- Ok, lance Jaïna.
J'ai l'étrange impression qu'elles hésitent. Ce n'est qu'une impression, je la chasse en secouant la tête et leur dévoile ce qui s'est passé dans la clairière avec Lorraine.
- Et donc... Kelian a été d'accord de garder le secret ? s'étonne Jaïna une fois que j'ai fini.
- Oui.
Elle réfléchit.
- C'est pas son genre... T'es sûre ? Je dis pas qu'il n'a aucune parole, il est super fiable, surtout qu'il est Alpha, mais... Il donne rarement sa parole.
- Est-ce que je peux poser ma question, à présent ? je dis en l'interrompant.
Je ne veux pas qu'elle sème le doute dans mon esprit. Rien que l'idée que Carl soit mis au courant et que Kelian m'ait trompée... Ça me stresse tant que j'en ai la boule au ventre.
- Oui, répond Nora. Vas-y.
Je réfléchis. Quelle question poser ? Une seule, la plus importante, juste une.
- Est-ce que vous savez pourquoi je suis aussi... Puissante ?
Un ange passe. Les filles se regardent. Les mains de Nora se tordent. Jaïna soupire et répond :
- On ne sait pas exactement, non.
Mais je sens qu'elles ont une idée. Seulement, mon cœur se serre, car elles n'ajoutent rien. Je serre les poings et ferme les yeux. Je me détourne et lâche :
- C'est dommage que même ainsi, vous mentiez par omission.
Et je sors de ma chambre en claquant la porte.
***
Ma main caresse l'écorce du chêne, lentement, et je me calme. Mes yeux se ferment doucement, retenant les perles salées qui menacent de couler. Je ne pleure jamais. Et certainement pas aujourd'hui.
Mon dos glisse le long du tronc et je m'assieds dans la mousse et l'herbe. La terre est chaude. J'y plonge mes doigts. Les bruits de la forêt entrent dans mon cerveau, l'imprègnent et ressortent alors que mon rythme cardiaque se calme. La forêt est toujours mon refuge. C'est chez moi.
Alors que je somnole, cachée par le feuillage fournis d'un buisson, des bruits furtifs de pas se font entendre. J'ouvre un œil, sur mes gardes. C'est alors que je reconnais la voix de Carl.
- Il faut qu'elle ne sache rien, en attendant le bon moment. Elle est plus puissante qu'elle ne pourrait l'imaginer.
Zag répond alors, tandis que les deux loups s'arrêtent presque devant le buisson. Je cesse de respirer.
- Elle est promise à de grandes choses, c'est vrai. Mais il faut la préserver, elle ne doit rien savoir avant la prochaine lune. Alors, il sera temps.
Les deux hommes poursuivent leur chemin, mais je reste choquée. Je suis presque sûre que c'est de moi qu'ils parlaient.
Je m'extirpe de l'arbuste avec des gestes saccadés, et regarde autour de moi. Ils ne m'ont pas vue, alors je me mets à courir vers les chalets. Mes yeux sont écarquillés, je ne prends plus garde à ne pas déranger les animaux tant que je suis perturbée. Lorsque j'arrive à toute vitesse au chalet, j'ouvre la porte à la volée, et déboule dans le salon, avant de me glisser dans ma chambre en évitant Nora.
Je me couche sur mon lit, les yeux rivés au plafond. Mon coeur se serre. Mes yeux piquent. Encore, je ne comprends plus ce qui m'arrive, encore... Et tout le monde ment, encore. J'en ai assez...
J'enfouis mon visage dans l'oreiller. Je respire lentement en tentant de calmer la colère grandissante qui envahit mon corps, poison brûlant dans mes veines. Mes mains serrent le tissu de toutes leurs forces.
Un coup est frappé à la porte, et je l'entends s'ouvrir. C'est Nora. Ses boucles blondes ondulent alors que je remets ma tête sur le coussin.
- Lyka, qu'est-ce qui se passe ?
- Ce qui se passe, Nora... Tu le sais bien, je grogne.
- Lyka... Tu pleures ?
- NON ! je hurle en sautant du lit.
Mes yeux sont parfaitement secs, et flamboient si fort que les moindres larmes se seraient évaporées sous la chaleur de ma rage. Mes poings se serrent et mes ongles allongés s'enfoncent dans mes paumes. Nora recule, effrayée.
- TOUT LE MONDE MENT ! TOUS ! MÊME TOI ! ET PERSONNE NE VEUT RIEN LÂCHER ! MAIS TOUT LE MONDE S'EN FOUT DE MOI, DE CE QUE JE RESSENS EN IGNORANT TOUT DE MOI ! VOUS N'ÊTES PAS LES SEULS QUE CES MENSONGES CONCERNENT !
- Calme-toi Lyka, tente Nora doucement.
- NON. J'EN AI ASSEZ !
Je me détourne en projetant Nora contre le mur et saute par la fenêtre ouverte. Ma réception au sol se fait impeccablement et je bondis au travers des buissons, les yeux dans le vide, suivant les impulsions de rage qui me guident dans ma course dans les arbres. Je n'ai plus conscience des directions, du haut, du bas, de la douleur de mes membres qui fournissent un effort bien trop violent. Je fais fuir les animaux sur mon passage, arrache les branches, piétine les traces et les empreintes. Les tiges fouettent mes mollets, les branches basses me griffent.
Enfin, cette course éperdue s'achève dans une clairière. Je ralentis, et m'arrête contre un arbre. Je glisse au sol et pose ma tête contre mes genoux. Mon pantalon est déchiré, comme mon t-shirt. J'ai couru beaucoup trop vite... Mes jambes tremblent, j'ai mal.
Le soleil descend dans le ciel sans que je ne bouge. Je reste là, à essayer de le calmer et de retenir mes larmes qui menacent de sortir sans mon autorisation. Un bruit me fait relever la tête avec difficulté. Des pas. Un souffle assez rapide, comme si la personne avait couru.
C'est un Kelian torse nu qui entre dans la clairière sans bruit. Il a dû se transformer pour aller plus vite. Mais que fait-il ici ?
Il s'assied à côté de moi sans rien dire, et je détaille son visage en coin. Il est calme, mais concentré. Il réfléchit. Ses yeux argent sont posés sur la clairière comme s'il regardait dans le vide, mais il tourne le regard vers moi au bout de quelques secondes.
- Tu veux savoir la vérité ? souffle-t-il.
Je fixe mon regard glacé dans le sien.
- Oui.
Je n'ose pas vraiment croire que tout serait aussi facile. Ce serait trop simple. Mais Kelian commence d'une voix apaisante :
- Lors de ton arrivée, Carl a tout de suite perçu ta puissance. Lorsqu'il t'a vue, il n'a plus eu de doute.
Il fait une légère pause. Mes mains tremblent.
- Moi je pense que contrairement à ce qu'ils veulent, tu as le droit de savoir. Tes parents étaient puissants Lyka. Deux puissants loups. Et tu as hérité de leur extraordinaire aura. C'est pour ça que tu guéris si vite et que tu es plus puissante que la moyenne. C'est dans tes gènes. Tu ne dois pas avoir peur ni t'en vouloir ou quoi que ce soit. C'est comme ça, et puis c'est tout.
J'ai l'impression que ces mots ont une portée singulière pour l'Alpha. Il inspire profondément.
- Et c'est juste héréditaire ? C'est juste pour ça ?
- Je ne suis pas dans les plus grands secrets. Je ne peux pas te répondre autant que tu le voudrais. Je sais qu'il y a autre chose, et qu'on me demande de sortir de la pièce lorsqu'ils en parlent. Mais je suis désolé, je n'écoute pas aux portes.
Je ferme les yeux. Ainsi, cette histoire de puissance me vient de ma famille. Une question de résolue.
- Et... je commence, pourquoi n'ai-je pas été adoptée par une Meute ?
Kelian se fait pensif.
- Peut-être parce que personne ne s'attendait à ce que tu existes.
Et suite à cette réponse ambiguë, il se lève. Jetant un regard neutre et redevenu impassible, il me dit :
- Je dois y aller. Je suis censé être dans ma chambre mais je t'ai entendue partir de manière anormale. J'ai pensé que je devais t'aider à trouver des réponses. Maintenant, à la prochaine.
- J'ai une dernière question.
Il s'arrête et le jette un regard inquisiteur.
- Pourquoi ai-je réussi à... Vieillir Quin ?
Il ne dit rien. Il se fait pensif.
- Je... fait-il finalement. Tu lui as donné de l'aura. Il l'a absorbée et... Je ne sais pas, désolé. Mais je crois que personne ne sait sur ce coup-là.
Et il saute dans un buisson en se métamorphosant. Je reste là, un peu surprise. Depuis quand Kelian se soucie-t-il de moi ? S'est-il senti coupable de me laisser dans l'ignorance ?
Je soupire. Que ce soit pour alléger sa conscience ou non, je suis heureuse et reconnaissante qu'il l'ait fait. C'est bien le seul...
Je me relève à mon tour et me change en louve. Je secoue ma fourrure grise avec délectation.
Ah, enfin !
Tu t'es faite plutôt discrète Morrigan, ces derniers temps.
Je n'aime pas tes périodes de pétage de plombs, ça ne me concerne qu'à moitié et franchement je n'en avais rien à faire. Mais bon, tu daignes enfin revenir à cette forme. La meilleure, selon moi.
Mais comme c'est gentil ! Tu ne te soucies pas de moi lorsque je suis mal. Ça ne t'intéresse donc pas de comprendre ? Et je pense que ça me manque de courir à quatre pattes.
Aussitôt, je démarre en trombe vers les chalets. Je profite de ma détente animale pour faire des bons fantastiques et courir plus vite que n'importe quel loup normalement constitué. Ça me fait beaucoup de bien de me défouler ainsi. Mes pattes me propulsent à toute vitesse et mon souffle s'accélère légèrement. Je cours en sprint ainsi en forêt, mais lorsque j'arrive près des chalets, j'oblique vers celui de Carl en ralentissant pour me faire plus discrète. Je ne sais pas vraiment pourquoi, ni même si c'est mérité, mais à la vue de la fenêtre de Kelian au-dessus de l'arbre, je jappe un "merci" sonore avant de m'éclipser.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top