🐺19🐺
Mes yeux s'ouvrent sur un noir complet. Je papillonne un instant, puis tente d'apercevoir l'endroit où je suis. Allongée sur mon lit, en nuisette soyeuse et couleur charbon, la fenêtre est fermée et la nuit sans lune. Aucun bruit de parvient à mes oreilles, et je me redresse sur le matelas. Même le discret ronflement de Nora dans la chambre d'à côté ne me parvient pas.
Serais-je seule dans le chalet ?
Je me lève, un peu curieuse, et vacille légèrement sur mes jambes mal assurées qui sont perclues de courbatures. Je grimace lorsque mes combats de la nuit me reviennent en tête. Ce devait être la nuit précédente. Je regarde mes bras nus et pâles dans la faible luminosité qui m'entoure, et remercie ma régénération rapide qui a fait disparaître mes blessures en une nuit. C'est à peine si je distingue encore quelques lignes blanches qui strillent ma peau.
Je pousse la porte de ma chambre sans bruit, et jette un œil bleu dans la couloir et dans le salon. Personne. Sur la pointe des pieds, je sors du chalet, étonnée encore de ne rien voir du passage de ma colocataire. Elle n'a pas mangé ?
La neige a enfin fondu. Nous sommes début août, et la couche immaculée disparait sous les rayons du soleil, caché à présent puisque c'est la nuit.
Je regarde rapidement si personne n'est dans les environs. Le village de chalets est désert, c'est étrange. Mais quelques lueurs dans les habitations me rassurent bientôt. Ils sont simplement en train de dormir, ou bien mangent chez eux.
Mon souffle se relâche avec soulagement. Je me fais peur toute seule, ce n'est vraiment pas sérieux.
Regarde.
La voix de Morrigan résonne dans ma tête, et elle semble me désigner ces traces dans les restes de poudreuse. Des empreintes de loups, d'autres d'humains. Côte à côte, elles semblent se diriger au même endroit, endroit où je finis par arriver lorsque je suis les traces avec curiosité.
C'est une trappe dans le sol. Elle est légèrement décalée, comme si des gens l'avaient ouverte et puis refermée assez mal. Une brusque émotion me traverse. Je dois me rendre en bas. Mon être me le hurle, me supplie de descendre.
Mon ancienne claustrophobie me prend à la gorge. L'idée de descendre dans le sombre orifice m'est presque horrifiante. Mais je prends sur moi, et inspire un bon coup l'air frais de la nuit, boisé, familier.
Soulevant la trappe avec facilité, je glisse mes pieds dans le trou jusqu'à toucher un barreau d'échelle. Je souffle. Mes yeux se ferment un instant, et je serre les mains sur le premier barreau en m'enfonçant dans le tunnel quasi vertical.
L'échelle me paraît sans fin. Je touche enfin le sol et laisse échapper un long soupir de soulagement. Mais je reprends aussitôt ma traque, car à présent, ce sont des voix et des odeurs qui me parviennent.
- Que fait-on de lui ?
Je sursaute. C'est la voix de Nora. Que fait-elle ici, dans ce souterrain sombre et peu accueillant ? J'avance, les mains effleurant les parois de roche pour ne pas rentrer dans un mur bêtement. Mes sens sont poussés à leur maximum, car la vue ne m'est d'aucune utilité ici. Là, je ne vois strictement rien.
- Nora, ne sois pas dure avec lui. Il est jeune, il n'a que dix ans. Et il est terrorisé.
Je réprime une exclamation de surprise. La seconde voix n'est autre que celle de Zag. Son timbre grave ne peut tromper. Que font-ils ?! De qui parlent-ils ?!
Mon souffle s'accélère. J'ai peur. Ce sentiment me ferait repérer aussitôt, très odorant pour les prédateurs que nous sommes. Je me force à me calmer le plus vite possible, mais c'est trop tard.
- Qui est là ? demande Nora d'une voix forte.
Je ne réponds pas, et attends la suite des événements avec le plus de calme que je puisse trouver dans une galerie souterraine, sous des mètres de roche et de terre, dans le noir et seule. Mais c'est inutile, car une main me saisit brutalement et me plaque contre le mur sans que je n'aie le temps de bouger ne serait-ce que le petit doigt.
- Lyka ! Mais que fais-tu ici ? s'exclame Zag en me relâchant.
Je tousse et masse ma gorge, où il avait pressé sa main avec force.
- Je suis curieuse, c'est tout. De qui parlez-vous ?
- Tu écoutes les conversations ! s'écrie Nora en nous rejoignant dans le couloir sombre. Tu n'as rien à faire ici.
- Je peux savoir où nous sommes ? fais-je à Zag en ignorant mon ancienne amie.
Ce dernier soupire.
- Suis-moi.
- Quoi ? Mais... proteste Nora.
- Tu n'as pas ton mot à dire, claque Zag en marchant vers un point de lumière au loin.
Je le suis en contournant la Bêta furieuse, et plisse les yeux en avançant vers la lueur au bout du couloir. Cinquante mètres plus tard, nous débouchons dans une caverne éclairée de quelques torches. Dès que je pose le pied à l'intérieur, je me rappelle.
- C'est ici que j'étais. Quand je suis arrivée.
- Oui, répond Zag.
- Et... C'est quoi ? Que font tous ces loups ? Ils sont enfermés ?
- Calme-toi. Je vais t'expliquer.
Je cesse donc de parler pour laisser l'Alpha prendre la parole. Il me fait signe de m'asseoir sur un petit tabouret qui traîne, à moitié couvert de poussière, et j'obtempère.
- C'est endroit, c'est une sorte de prison pédagogique.
Je me retiens d'intervenir et le laisse poursuivre.
- Les intrus sont enfermés ici, jusqu'à ce qu'on les relâche ou qu'on applique leur sentance.
- Leur sentance ? ne puis-je m'empêcher de lâcher.
- Qu'on les tue, résume cyniquement Nora.
Zag lui jette un regard sombre et elle se tait.
- Les loups connaissent les risques à s'introduire sur le territoire d'une autre Meute sans s'annoncer. Bref. Il n'y a pas que des ennemis, eux ne restent qu'un court temps ici.
Il fait une pause et me regarde longuement, comme pour choisir ses mots avec soin.
- Les fortes têtes entrent ici. Les enfants trouvés, instables. Tous ceux qui ont besoin de se calmer.
J'enregistre les informations rapidement et revient à ce qui m'a interpellé dans le couloir.
- Et la personne dont vous parliez ? À quelle catégorie appartient-elle ?
- À toutes, ou presque, marmonne Nora en fixant un coin sombre et mal éclairé de la caverne.
Je suis son regard et aperçoit une cage à moitié dans l'ombre. Un repas sobre est posé à l'entrée, comme lâché à la va-vite, ainsi qu'une gourde d'eau fermée, mais personne ne pointe le bout de son nez. Je m'approche doucement dans l'allée de cages en silence, curieuse, et Zag me souffle juste de ne rien faire de stupide.
Arrivée en face de la prison de l'inconnu, je m'accroupis et fouille l'ombre de mes yeux clairs, tout en reniflant discrètement. Une odeur de peur, de colère et de saleté envahit mes narines, et je m'étonne de ne pas l'avoir sentie avant tant elle est forte !
- Hé, je chuchote.
Un grognement presque animal résonne depuis l'ombre. Mais j'entends qu'il sort d'une gorge humaine. Je chasse l'appréhension de mon esprit et murmure :
- T'as rien à craindre.
Le grondement s'intensifie. Je souffle.
- Zag, je peux entrer ?
Mon tuteur me regarde profondément, comme s'il réfléchissait à mes paroles. Enfin, il s'approche, me donne une fine clef argentée, et se recule, se postant non loin, comme pour guetter la suite.
J'introduis précautionneusement la clef dans la petite serrure qui me paraît, malgré sa taille, extrêmement solide. En même temps, elle doit retenir des loups-garous. Lorsque la porte s'ouvre sans grincer, je me faufile à l'intérieur, avant de fermer derrière moi. Je suis dans la cage et des souvenirs peu agréables me reviennent, mais je les repousse. Ce n'est pas le moment.
- Hé. Arrête de grogner.
La personne dans la cage semble se déplacer, et je m'accroupis, baissant la tête à hauteur de mes épaules pour gronder :
- Ne t'avise pas d'essayer de m'attaquer.
Je sens le loup non loin sous l'humain. C'est tout juste s'il le retient de nous déchiqueter.
Sais-tu où se trouve le loup ? Je dois le repérer.
Pour quoi faire ?
Je... Je dois l'aider.
Il est à droite. Un mètre. Je sens son aura, c'est un jeune Oméga. Il n'a pas encore appris à camoufler son rang. Il s'est transformé récemment.
Merci.
Je jette un coup d'œil vers la droite, et comme prévu, j'y croise deux pupilles noisette parsemées de lueurs rougeâtres.
- Viens dans la lumière, je dis doucement pour ne pas l'effrayer, tout en reculant pour lui laisser de la place.
Il semble hésiter, mais comme je ne me montre pas menaçante, il avance doucement vers la rayon de lumière qui parvient jusqu'à la cage. Je vois d'abord apparaître une tête d'enfant, des cheveux broussailleux couleur corbeau, des yeux noisette, puis le corps, entièrement nu.
L'enfant ne peut avoir plus de douze ans, malgré sa maigreur flagrante. La phrase surprise tout à l'heure entre Nora et Zag me revient, et je me rappelle qu'il a dix ans.
- Comment t'appelles-tu ?
Il me regarde curieusement, beaucoup moins apeuré. Ses lèvres sèches se craquèlent lorsqu'il me dit d'une voix rauque :
- Quin.
Je souris d'un air encourageant.
- Quin, je m'appelle Lyka. D'où viens-tu ?
Il se crispe et baisse la tête en reculant à quatre pattes.
- Quin. Reste ici, s'il te plaît, je dis rapidement avant de le perdre dans l'obscurité.
Il s'arrête et me jette un œil terrifié.
- Loin... Loin... De l'autre côté de la forêt...
Il a visiblement l'air traumatisé par quelque chose...
- D'accord, de l'autre côté de la forêt.
Je me tourne vers Zag, qui me regarde avec un air indéchiffrable sur le visage.
- Vous l'avez trouvé sur le territoire de la Meute, c'est ça ?
- Oui. Mais il refuse de nous dire quoi que ce soit, peut-être qu'à toi il dira quelque chose vu les progrès que tu as déjà accomplis.
- Je sais pas trop comment je fais... C'est instinctif, je lui explique.
Je me tourne vers Quin et avance doucement une main. Il la fixe obstinément. Il semble réfléchir, et j'ignore où va aboutir sa pensée. J'ignore aussi comme j'arrive à l'apaiser.
- Lyka... Qui es-tu ?
Sa question incongrue me surprend. Je fronce les sourcils.
- Une louve.
- De quel rang ? chuchote l'enfant.
Je suis vraiment déroutée. Répondant le plus sincèrement possible, je glisse :
- Alpha.
L'enfant rive alors ses yeux aux miens. Ils sont rouges. Une voix plus grave qu'avant écarte ses lèvres et dit :
- Si tu es une Alpha... Pourquoi fais-tu ça ? Les Alphas soumettent. Ils ne discutent pas. Je suis dangereux et je le sais, alors pourquoi es-tu entrée dans la cage ?
Je n'ai malheureusement rien à lui répondre. Le loup me voit rester muette, et avance doucement à quatre pattes, la tête penchée, son regard fouillant mon visage comme pour déceler le moindre signe de menace ou de colère.
Je reste impassible, et l'enfant arrive ainsi à quelques centimètres de moi. Je sais qu'un coup porté de cette distance me serait impossible à contrer, pourtant, je reste là, à le regarder. Il m'intrigue et c'est réciproque. Les yeux dans les yeux, nous sommes immobiles, statufiés, perdus dans nos pensées.
- Je n'arrive pas à savoir... commence Quin.
Il penche la tête.
- ... Comment tu fais.
- Comment je fais quoi ? je chuchote.
Cet enfant me semble mûrir à vue d'œil. Je tends une main hésitante, et effleure sa peau. Il se fige. Un éclair bleu clair fuse entre mes doigts et son bras, éclairant brutalement la cage. Zag se tend à quelques mètres de là. Nora a un hoquet de surprise.
Quin bouge rapidement vers l'autre bout de la cage à une vitesse ahurissante. Il disparaît dans l'ombre, et j'entends qu'ils se replie sur lui-même. Je décide d'en rester là avant que les mystères ne s'épaississent encore plus. Bougeant le bras, j'ouvre la porte de la cage grâce à la clef.
Une fois à l'extérieur, je prends le couloir sans un regard vers Nora et Zag. Je suis dans une sorte de coton, une brume qui envahit mon esprit. Je dois... Aller... Dormir.
Je monte l'échelle en chancelant. J'ignore comment j'arrive à arriver en haut, à l'air libre, sans tomber.
Une fois à la surface, je me mets en marche vers le chalet. Je ne parle pas, mais mes lèvres s'ouvrent et se ferment sans que je ne sache pourquoi. Mes bras pendent le long de mon corps. Que s'est-il passé ?
J'entre dans le cabanon et m'écroule sur mon lit, pour tomber dans un sommeil profond sans rêve.
OK... Tout ça, c'est très étrange.
Vous en pensez quoi ? Vous avez des idées ?... 😏
Sinon, merci d'avoir lu ce chapitre ! Je vois, en plus, le nombre de vues augmenter de jour en jour, c'est super sympa !! Je suis super contente !!! <3
À bientôt ! :)
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