🐺12🐺
Le cri me déconcentre et je vacille sur la branche. Mes griffes grattent l'écorce mais sans m'empêcher de glisser sur le côté, et je chute en jappant d'un air paniqué.
Je me raidis pour anticiper le choc brutal avec le sol, mais ce dernier ne se produit pas, étonnamment. Je retombe dans deux bras masculins sans me faire le moindre mal. Je rouvre les yeux et, aussitôt que je vois deux iris argent à quelques centimètres, je me dégage de sa prise et saute agilement au sol. Un grognement résonne et je gonfle ma fourrure gris perle.
- Ne me touche pas.
- Je ne pense pas que tu aurais préféré t'écraser au sol.
Je me tais. Il a raison, et ça m'énerve.
- Qu'est-ce que tu faisais en haut d'un arbre ? me demande le garçon.
- Ça ne te regarde pas.
- Justement, si, ça me concerne quand quelqu'un essaye d'entrer par effraction dans ma chambre.
Je le dévisage, complètement perdue. C'est le cabanon de Carl, qu'est-ce que c'est encore cette histoire ? Il vit chez l'Alpha ?
Comme je suis perdue dans mes pensées, le garçon soupire et souffle :
- Tu n'es pas au courant, évidemment.
Je relève la tête. Je n'aime pas du tout le ton condescendant qu'il a pris. Comme si j'étais une imbécile ! Mes yeux doivent parler pour moi, car un sourire en coin apparaît sur les lèvres de mon interlocuteur.
- Je suis le fils de Carl.
Ça explique le fait qu'il vive chez lui, évidemment. Pourquoi n'y ai-je pas pensé ? Parce que j'ignore tout de la personne en face de moi, jusqu'à son nom.
- Kelian.
Je sursaute. Comment a-t-il su ce à quoi je pensais ?! Là, s'il me dit qu'il peut lire dans mes pensées, je hurle et me tire d'ici. Ça fait trop pour ma cervelle !
- Non, soupire l'autre, je ne lis pas dans les pensées.
- Alors comment sais-tu que je me demandais ton nom ?! Et ensuite que je me disais que tu lisais peut-être dans les pensées ?!
- Vu la tête que tu fais, ce n'est pas difficile à comprendre...
J'en ai assez de ce type, Kelian. Il m'énerve, et je n'ai pas envie de me battre avec lui, puisque je sais que cela se soldera par ma défaite. Je tourne les talons et retourne vers le place du village, si l'on peut appeler ça un village et une place. Mais il semble avoir envie de m'ennuyer, puisque lorsque je passe à côté de lui il me suit avec un sourire en coin.
- Ne me suis pas.
- Tu as besoin de moi.
- N'importe quoi.
- Alors pourquoi cherchais-tu à parler à Carl ?
Je me retourne et lui grogne dessus. Qu'il se mêle de ses affaires, ce petit prétentieux !
Bien dit, intervient Morrigan.
Elle a suivi tous nos échanges depuis un coin de ma tête, et je sais qu'elle est au moins aussi curieuse que moi. Elle aussi a envie de connaître ce type arrogant, même si je m'en défends. Il m'intrigue... Même si ça ne change rien au fait que je le déteste déjà.
Kelian m'observe de ses yeux gris un moment, puis me fait signe de le suivre et se détourne vers le cabanon.
Perplexe, j'hésite. Je me demande ce qu'il veut me montrer, mais en même temps je ne suis pas un chien, il n'a pas à me dire de le suivre.
La curiosité l'emporte, comme toujours, et je m'élance à sa suite. Il se dirige vers l'arbre, et commence à grimper. Intriguée, je reste en bas et le regarde escalader le tronc avec aisance, trouvant ses prises comme s'il le faisait depuis sa naissance. Une fois sur la branche où je m'étais arrêtée, il s'accroupit et me jette un coup d'œil. Voyant que je n'ai pas bougé, il me lance :
- Bon, tu viens ?
Je souffle bruyamment. La grâce d'un loup qui escalade un tronc d'arbre n'est pas ce que j'ai envie de montrer de moi, mais je rejette mon ego malmené ses temps-ci et commence l'ascension pénible. Je peine énormément jusqu'à ce que Kelian m'attrappe par la peau du cou et me tire sur la branche. Je grogne pour faire bonne mesure, mais j'apprécie plutôt le fait qu'il m'aide. Il s'élance alors dans les airs pour plonger par la fenêtre ouverte et disparaître dans la pièce. Il réapparaît, et me fait signe impatiemment de le rejoindre. Je me prépare et prends appuis sur mes postérieurs, puis saute à mon tour. Ma détente de louve me permet de sauter sans trop de difficulté mais je doute que, sous forme humaine, j'y arrive aussi bien.
J'atterris sur le parquet en roulé-boulé et me redresse en gémissant un peu. Après une rapide inspection pour voir si je ne m'étais pas foulée une cheville dans la réception à retravailler, je porte mon regard sur mon environnement.
Un lit énorme et d'aspect confortable, une armoire solide et plutôt grande, une table de nuit, un bureau, une chaise et un coffre, c'est tout ce qu'il y a dans la chambre dans les tons noir et gris. Kelian est assis face à moi à même le sol, en tailleur. Il semble concentré.
- Bon, je sais que tu veux te retransformer en humaine.
Je ne vais même pas me demander comment il le sait, après tout ça ne servirait qu'à le conforter dans sa supériorité.
- Donc, il faut que tu saches que la transformation inverse se produit assez vite, mais que le loup ou la louve se retrouve nu.
Ah. Qu'il n'envisage même pas...
- Bien entendu, nous sommes dans la chambre pour que tu aies des vêtements à ta disposition.
Je soupire discrètement, soulagée. Au moins il a des scrupules.
- Qu'est-ce que je dois faire exactement ?
- Prends les vêtements à ta portée, comme ça il suffira que je me détourne, dit-il en posant une pile de vêtements à côté de moi. Ensuite, tu dois imaginer ta forme humaine. C'est identique à la métamorphose en loup, mais inversé. Compris ?
Je hoche la tête, et me couche de tout mon long au sol. Je ferme les yeux, et ralentis ma respiration. Dans ma tête, je visualise mon corps d'humaine. Je sens rapidement mes os changer de forme. Ça ne fait pas vraiment mal, c'est juste désagréable, une légère douleur diffuse.
Je sens enfin que je suis de nouveau comme avant. Un léger vent, dû à la fenêtre ouverte, caresse ma peau, me faisant frissonner. Ma fourrure épaisse de louve commence à me manquer. Je repousse le sol de mes mains et m'assure de mon intégrité physique. Tout est normal, même mes oreilles ont disparu, heureusement. Je jette un coup d'œil à Kelian, qui est poliment de dos, en regardant vers la porte d'un air inspiré. Je tire les vêtements à moi, et les enfile prestement. Un jean un peu trop long, un sweet de fille noir et vert et des sous-vêtements.
Comment peut-il avoir ça chez lui ?!
Je mets cette question au placard, trop indiscrète. Et je ne suis pas sûre de vouloir la réponse. Je lui lance :
- C'est bon.
Il se retourne et me jauge. Sous forme humaine, il est une tête plus grand que moi. Ses yeux troublants me fixent, et je les soutiens. Ce duel de regards est un soulagement pour moi, une vieille habitude qui revient et qui me calme un peu.
L'autre Alpha ne semble pas impressionné. Il hausse même un sourcil provocateur. Je serre les poings. Il va voir.
J'envoie mon aura heurter la sienne, comme je l'ai déjà fait sur John, l'Oméga. Le bleu clair se heurte à un mur d'argent très épais. J'engage la bataille, poussant sur ses barrières d'aura dans l'espoir qu'il cède. Je bourre dedans, je fonce tête baissée, mais il ne capitule pas. Je vois qu'il serre les poings lui aussi, que sa mâchoire se carre, et je prends un petit instant pour jubiler. Ma louve s'excite dans ma tête, elle veut sortir et soumettre ce rival, mais je la retiens. Je n'ai pas envie de me retransformer par mégarde, même si ce n'est pas automatique quand Morrigan prend le contrôle.
L'argent qui s'oppose au bleu commence alors à attaquer. Des lances viennent transpercer ma barrière personnelle, que je reforme aussitôt, pour qu'elle se déchire à nouveau. Kelian a visiblement plus d'expérience que moi, il connaît des stratégies pour faire ployer. Il forme des lianes avec son aura, pour les faufiler dans les interstices qui restent dans ma carapace encore imparfaite. Je sens qu'il va gagner. Je le sais, il est plus fort, et ça m'énerve. Je vais devoir me soumettre, chose que je ne supporte pas encore. C'est hors de ma nature, je dois gagner !
Mais plus le duel se poursuit, et plus je me conforte dans l'idée que je vais perdre. J'ai de plus en plus de mal à contrer ses attaques méthodiques, stratèges, et reformer ma barrière me demande beaucoup d'énergie. Qu'est-ce qui m'a pris de provoquer un Alpha ?
Tu le devais ! Tu dois connaître ta position vis-à-vis de tous les loups de la Meute, c'est vital et nécessaire. Seulement, celui-ci est au-dessus. Tu n'es pas la seule à qui ça donne envie de tout casser.
Au moins, Morrigan me comprend. Je vais devoir abandonner.
Je rétracte mon aura doucement, vaincue. L'autre ne me poursuit même pas. Il est parfaitement conscient de sa victoire. Son sourire en coin a d'ailleurs déjà reparu.
- Par où est la sortie ? je demande, pressée de sortir de cette pièce et de quitter Kelian.
- On n'en a pas fini. Tu as d'autres questions, celles par exemple que tu devais poser à mon père.
- Justement, c'est à ton père que je vais les poser. Où est-il ? je rétorque, agacée.
- Pas là. Il n'y a que moi qui puisse répondre à tes questions pour le moment. Ne crois pas que ça me fasse plaisir, vu ton caractère pourri, mais bon, je ne vais pas te laisser avec tes questions. Quoique ce serait drôle... ajoute le jeune homme pensivement.
Il est sérieux ?... soupire Morrigan.
Bon, on va dire qu'il a raison, que son père n'est pas là. Peut-être est-il avec les autres loups, quelque part sans que je ne sois au courant ? Il vaut mieux que je lui pose mes questions, en vitesse, puis que je parte à la recherche de mon tuteur.
- OK, alors répond-moi. Où sont-ils tous ?
Ma voix sèche et cassante l'énerve, je le vois bien. Mais je ne l'apprécie pas, alors je m'en moque de la manière dont je lui parle. Il me fusille du regard, appréciant peu ma mini rébellion verbale face à sa supériorité. Sa mâchoire se serre et il crache entre ses dents :
- Ils sont à la chasse. Comme chaque dernier du mois.
- Sans toi ?...
J'ai apparemment touché un point sensible, car son regard se fait encore plus dur. Il serre les poings, et me grogne dessus.
- Oui, des loups doivent rester sur place. C'est mon tour. Maintenant si tu n'as plus de question, je vais t'inviter à resauter par la fenêtre et à foutre le camp.
- Si gentiment demandé... je grommelle.
Je me détourne et enjambe la fenêtre prudemment. Après un regard railleur en arrière, juste par provocation, je saute puissamment dans l'arbre. En réalité, je manque presque de tomber, et mes mains aggripent in extremis la branche. La prochaine fois, je passerai par la porte, quoi que dise Kelian. Je me hisse sur la branche et glisse le long du tronc. Une fois au sol, je cours vers la place et m'arrête au milieu, indécise. S'ils sont à la chasse, je dois les attendre. Nora et Jaina sont certainement avec eux, puisque je n'ai croisé aucune des deux en me réveillant. La nuit va tomber, je le vois à la position du soleil, et l'air se rafraîchit. Je n'arriverai pas à dormir, et je ne compte pas rester ici, où je risque de recroiser Kelian... Il ne me reste plus que la solution forêt.
Je me dirige vers mon cabanon d'abord. J'aimerais bien courir dans la forêt sous forme de louve, histoire de me familiariser avec ce corps, et ainsi, secrètement, j'espère observer la chasse. Même si je sais que si je me fais prendre, je risque gros. Le jeu en vaut la chandelle, alors je rentre dans le cabanon pour en ressortir quelques secondes plus tard, munie d'un sac à dos. C'est sûrement à Nora, mais de toute façon, elle n'est pas là. J'y ai mis des vêtements chauds, de l'eau, une barre de céréales, un essuie au cas où je serais mouillée, et mon téléphone. Au cas où.
Une fois cachée dans un buisson touffu, assez loin des chalets, je pose le sac à dos. Je me couche alors sur le sol, tournée vers le ciel qui s'assombrit. Je ferme les yeux et me concentre pour amorcer la métamorphose.
Lorsque je me relève, je suis sur quatre pattes. Je m'étire avec bonheur. C'est fou ce que j'aime déjà cette forme, pourtant si différente de ma forme humaine.
C'est toi qui pense cela, mais ton cœur est celui d'une louve. Grâce à moi, répond Morrigan.
J'acquiesce, car je m'en suis rendu compte petit à petit. Ma part louve ne fait que grandir, prenant parfois le pas sur ma part humaine, et entraînant certaines réactions instinctives qui font bien rire Nora, comme lorsque j'avais geint comme un chien pour ne pas me lever. C'était assez humiliant... Mais avec le recul je trouve cela normal.
Je me sors de mes pensées, et lève la truffe. Une fois l'effluve discrète de la Meute repérée, je m'élance. C'est parti, en chasse.
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