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Je titube un moment, perturbée. Je... Je me suis... Transformée ?!!
Les sensations sont si agréables ! Le vent léger dans ma fourrure, la texture de la neige sous mes coussinets, les odeurs innombrables qui chatouillent ma truffe... Je peux à présent détailler l'odeur puissante que m'envoie le loup ennemi.
Je confirme quelques informations déjà connues, comme le genre masculin et la même identité que le jeune homme de ce matin. Mais j'apprends d'autres choses encore. Il n'a pas menti, il est bien Alpha. Il se dégage de lui un charisme puissant, une force certaine et une assurance posée. Je suis légèrement intimidée, mais Carl dégage bien plus de puissance que ce loup alors j'en ai vus d'autres.
Je lève ma tête canine vers mon adversaire, et pousse un vrai grognement de louve. Mes oreilles plaquée sur ma tête et les pattes fermement plantée dans la couche de neige, je fais face. L'autre hésite un instant. J'en profite aussitôt, guidée par mon instinct, pour bondir vers les chalets en faisant volte-face. Une part de moi veut lui faire la peau, mais une autre se résonne. Un supérieur hiérarchique m'a demandé de rejoindre les chalets, je le ferai.
La course est beaucoup plus rapide que celle sous forme humaine. Ma blessure à la patte me fait souffrir mais c'est supportable, et je peux effectuer des bonds puissants devant l'autre loup qui me court après. Seulement, j'ai encore un peu de mal à coordonner mes quatre pattes, et je trébuche de temps à autre. La neige ne me facilite pas la tâche...
Des dents s'enfoncent soudainement dans ma cuisse, et je hurle de douleur en roulant au sol, tentant par des coups de pattes désordonnés de déloger mon agresseur qui s'agrippe à sa prise. Je pose des yeux furieux sur lui, et vois un loup énorme gris et fauve qui plante farouchement ses crocs dans ma fourrure. Je grogne, et reconnais l'odeur de Zag. En un éclair, je me contorsionne souplement et mes dents déchirent sa fourrure au flanc. Il me lâche en grognant de douleur et je bondis vers les chalets à toute allure.
Mes pattes gris perle foulent la neige avec de plus en plus de mal. Ma patte et ma cuisse me font à présent un mal de chien, et je boite fort. Un loup me saute sur le dos, et m'écrase au sol. Je souffle tout l'air de mes poumons et me débats faiblement. Ma cage thoracique est tellement compressée que je ne sais plus inspirer. Je vais étouffer !
A l'odeur, je reconnais le loup noir. Il gronde, et ne semble pas se rendre compte que je vais mourir asphyxiée. Ou alors, il s'en moque.
Je geins en silence, n'ayant plus le moindre air pour émettre un son. Ma vision se floute, je commence sérieusement à manquer d'oxygène. Avec mes dernière forces, je pousse sur mes pattes et arrive à me soulever du sol légèrement, assez pour prendre une inspiration saccadée. Mon adversaire se rend alors finalement compte que je risque d'y rester, et saute à deux mètres d'un bond puissant et élégant. Il sait qu'il a gagné.
Je reste au sol, reprenant ma respiration avec soulagement. J'entends un bruit léger, et Zag sous forme de loup entre dans le petit espace herbeux. Il grogne doucement vers l'autre loup, lui disant quelque chose que je ne comprends pas car il prend soin de parler extrêmement doucement. Le loup noir sort ensuite de la petite clairière en silence, tandis que Zag se dirige vers moi.
- Alors... Tu as échoué.
Sa phrase me blesse, mais il a raison. Zag ne mâche jamais ses mots, il dit les choses comme elles sont et j'apprécie ce trait de caractère. Je me redresse en me retentant de gémir, car mon thorax est encore très douloureux. Chaque inspiration est douloureuse mais je peux respirer, pas comme lorsque l'autre m'écrasait sous son poids d'éléphant. Cette pensée me rappelle quelque chose.
- Que... Que faisait ce loup dans l'entraînement ? parviens-je à articuler.
La langue des loups est formée de grognements, de jappements et de positions du corps, et le tout ensemble forme des phrases aussi précises que celles des humains. Je comprends cette langue d'instinct, même si les subtilités ne viendront qu'avec la pratique.
- Je l'ai envoyé te chercher, puis je lui ai demandé de participer à l'entraînement.
- Pourquoi ? je m'étonne.
- Pour ajouter un élément inconnu, une situation imprévue car tu ignorais qu'il allait t'attaquer. Tu savais que je serai là, mais un ennemi est rarement seul. Tu ne dois jamais oublier cela.
Je hoche la tête. Puis, je pose une question qui me chatouille les babines.
- Je me suis transformée. Pourquoi ?
Zag fixe ses yeux dans les miens. Il semble réfléchir à sa réponse, et je contrôle mes pattes qui veulent le secouer pour lui tirer les vers du nez... ou de la truffe.
- Parce que tu étais prête.
C'est quoi cette réponse ? râle Morrigan.
Je demande des précisions, et il me dit simplement :
- Les émotions sont parfois le facteur de transformation. Mais la plupart des loups se transforment étant enfant. C'est l'aura de la meute qui les pousse, que tu as remarquée par toi-même.
Puis il tourne les talons et s'enfonce dans les buissons vers les chalets. Je soupire et le suis en traînant la patte et en boitant. Mes griffures et morsures me paraissent encore plus douloureuses qu'avant, et même si je sais que ce n'est qu'une impression, je prie pour que Nora ait des notions de médecine lupine. C'est moitié gémissant moitié pestant contre ma faiblesse que j'entre dans la clairière où se situent les habitations, précédée de Zag. Les loups de la meute sortent de chez eux pour jeter un coup d'oeil, et je baisse la tête pour ne croiser aucun regard. J'ai vraiment honte de moi. Je n'ai même pas réussi à fuir ! Combattre est autrement plus complexe, mais fuir !...
Arrivés devant le chalet où je loge avec Nora, Zag s'éclipse vers la forêt en me laissant sur le pas de la porte. L'entraînement est terminé pour aujourd'hui. La louve blonde sort de l'habitation et cache sa bouche de sa main délicate lorsqu'elle voit mon état. Elle m'entraîne aussitôt à l'intérieur et ferme précipitamment la porte. Elle file dans la salle d'eau en me laissant au milieu du salon, et je reste debout mais vacillante en l'attendant. Je n'ai pas envie de tâcher les meubles de sang. Je peux encore attendre un peu.
Mais à peine cette pensée a-t-elle germé dans mon esprit fatigué que je titube et m'affale sur le tapis. Je ne me relève pas et attends, à moitié évanouie, que Nora m'enveloppe de bandages et de désinfectant. Une fois cela fait, elle me soulève sans peine et me couche sur mon lit recouvert d'une protection. Lorsqu'elle ferme la porte, après avoir chuchoté qu'elle me laissait me reposer, je ferme les paupières et m'endors.
Je rouvre les yeux sur ma chambre vide de toute âme sauf la mienne. Une lumière tamisée éclaire la pièce par la fenêtre. Je reste immobile, me remémorant l'entraînement du matin dans mon esprit embrumé. Les bandages qui enveloppent mon corps de louve sont tachés de sang séché, et j'ai encore une légère douleur dans la cuisse, mais rien de trop gênant. Je me remets sur mes quatre pattes, et m'ébroue pour me réveiller totalement. Il faudra que je demande à quelqu'un comment redevenir humaine, je tiens à mon corps d'origine.
Qui te dit que ce n'est pas celui-ci, ton corps d'origine ? lance perfidement Morrigan.
Je ne prends même pas la peine de lui répondre et saute au sol, puis pousse la porte du museau. Je sens l'odeur éventée de Nora, elle est sortie. Je suis seule et je ne sais pas trop quoi faire, aussi je décide de trouver une connaissance qui puisse me renseigner; Zag, Nora ou Jaïna.
Je pousse la porte d'entrée et sors à l'air libre. Au vu du ciel et des odeurs présentes dans l'air, il doit être le milieu d'après-midi. J'ai raté le dîner. Mon ventre se met aussitôt à gronder, et si les loups peuvent rougir je suis aussi rouge qu'une écrevisse... Gêne que je m'empresse de camoufler en reniflant de-ci, de-là pour trouver une connaissance. Bizarrement, le village est presque vide. Quelques loups et louves que je ne connais pas traversent de temps à autre l'endroit, mais sinon beaucoup de gens manquent à l'appel.
Je décide de comprendre ce qu'il se passe, et trottine vers le chalet de Carl. S'il est là, je saurai ce qu'il se passe et je pourrai trouver quelqu'un pour m'expliquer deux ou trois choses.
Une fois devant la porte, je reste figée un moment. Je n'ai pas de main, je ne peux donc pas frapper. Je me vois mal hurler à la porte comme un chien, ni gratter le bois avec mes griffes. Je ne sais pas trop quoi faire...
Puis, alors que je suis là comme une imbécile devant la porte, un bruit provient de derrière le chalet. Furtivement, je m'avance en le contournant. Il y a une fenêtre au premier étage avec un arbre en face, et cette fenêtre est ouverte. Je ne vois personne, ni animal ni humain. Mes yeux balayent les alentours mais les buissons sont parfaitement immobiles. Mes oreilles ne captent pas le moindre son, c'est comme s'il n'y a rien ici. Pourtant, j'ai entendu du bruit. De cela je suis sûre.
Alors que je cherche à comprendre comment le bruit a pu être produit, une idée me traverse la tête. Peut-être que via la fenêtre je pourrai entrer dans le chalet et trouver Carl ?
Je sais que ça ne se fait pas de rentrer chez les gens, mais... Je n'ai pas le choix. La honte d'imiter un chien en grattant à la porte est plus grande que la peur de me faire attraper à rentrer par la fenêtre. C'est vraiment mon ego qui parle là.
Un ego d'Alpha, renchérit Morrigan.
Je ne réponds rien et entreprends de grimper à l'arbre en face de la fenêtre pour y entrer. Seulement, je ne pense pas que l'évolution ait permis aux loups de grimper aux arbres, et c'est avec énormément de difficultés que je parviens à escalader jusqu'à la première branche. Tremblante sous l'effort, je m'y stabilise et regarde vers l'ouverture. La fenêtre doit être à deux mètres, approximativement. Assez large pour que deux loups y sautent de front, et assez haute pour que mes oreilles ne soient pas raccourcies.
Je prends fermement appuis sur mes pattes et prépare mon saut. Je n'ai pas encore une bonne maîtrise de ce corps assez nouveau pour moi, et j'ai peur de rater mon saut. Et si je m'écrase par terre ? Je suis à plusieurs mètres de haut, je risque une belle fracture au minimum. Je jette un coup d'œil apeuré en bas. L'herbe me paraît si loin... Lorsque le paysage se met à tourner, j'avale ma salive et reporte mon attention vers mon objectif. Je n'ai pas de deuxième chance.
Je fléchis lentement mes pattes arrières, et ferme les paupières. Je les rouvre quelques secondes plus tard, et souffle un bon coup. Je plaque mes oreilles, et m'apprête à sauter lorsqu'une voix retentit près de moi :
- NON !
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