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Je sors du taxi en râlant. Une rafale glaciale me fouette le visage, et des flocons s'emmêlent dans mes cheveux. Nous sommes pourtant en juillet !

Le village de ma "tante" est situé très au nord, et les températures frôlent en ce moment les deux degrés. Je ne comprends pas comment on peut avoir envie de vivre ici. Il fait bien trop froid !

Même si, pour une fois, je suis heureuse d'être plus résistante aux températures extrêmes que la moyenne.

Je piétine la neige de mes baskets et resserre ma veste sur mes épaules. J'ouvre maladroitement le coffre de mes doigts légèrement engourdis, et en sors ma valise d'une main gelée. Je ne paye pas le taxi, il a été payé d'avance par mes tuteurs. Le chauffeur démarre en trombe en m'aspergeant de neige fondue et noirâtre.

Le froid se fait encore plus sentir, maintenant que je suis trempée. Super. Ça commence bien, les vacances.

Je grommelle contre l'impatience des taxi-mens et monte rapidement les marches larges couvertes de verglas qui mènent à la porte de la propriété. De ma main libre, j'appuie sur la sonnette.

Je trépigne sur place pour ne pas me transformer en glaçon, le temps pour l'habitante de parvenir à la porte. J'entends les bruits des clefs derrière le sifflement du vent, et la porte s'entrouvre. Je me faufile à l'intérieur, et la porte claque derrière moi.

La chaleur du hall me frappe de plein fouet, et je m'adosse à la porte fermée avec soulagement. Je sens le sang couler dans mes membres et les réchauffer, accompagné de picotements peu agréables.

- C'est toi, Lyka ?

Je me tourne vers l'origine de la voix, et tombe nez à nez avec le sosie d'Irène. Les mêmes boucles blondes, les mêmes yeux verts, mais une douceur dans le visage que n'aura jamais ma mère adoptive. Avec ses quelques ridules aux coins des yeux, elle me donne l'impression d'être une grand-mère, mais sans l'âge, juste avec le tempérament. La femme sourit, et je me surprends à esquisser un timide rictus pouvant s'apparenter à un sourire.

- Oui, je réponds simplement.

- Je t'attendais ! Et bien, rentre, il fait vraiment froid dehors, je vais te débarrasser de ton manteau...

Ses yeux tendres se posent sur ma silhouette, et je lui tends ma veste de cuir, gênée. Je n'ai pas l'habitude que les gens aient de petites attentions envers moi, généralement tout ce à quoi j'ai droit c'est une parole rude ou des chuchotements médisants.

Mon hôte accroche ma veste à un porte-manteau, puis me fait signe de la suivre dans les escaliers.

- Viens, je vais te montrer ta chambre.

Sa voix chaleureuse porte dans tout le hall, tandis que je la rejoins, valise à la main, et que je la suis dans l'ascension des marches. L'escalier est tout en bois, poli et brillant. Il ne fait aucun bruit et mon hôte garde le silence. Ces moments calmes ne me gênent pas, je n'aime généralement pas le bruit et apprécie la solitude.

Une fois en haut, elle prend un couloir et pousse une porte. Se tournant vers moi, elle dit avec chaleur :

- Voici ta chambre. J'espère que tu t'y plairas.

Je découvre une pièce meublée tout de bois. Une armoire, une commode et une table de nuit accompagnent l'immense lit deux places. Un miroir est accroché à un mur. Une douce odeur de lavande, bien moins forte que dans le jardin de mes parents adoptifs, flotte dans la pièce. Je respire profondément. Une fenêtre laisse entrer la lumière du jour, à présent grise à cause de la neige. Des fleurs de givre fleurissent à l'extérieur.

Je me tourne vers ma tante, mais elle me dit :

- Installe tes affaires, je vais préparer le repas pour que tu manges. J'ai du travail au village, tu vas devoir t'habituer à rester seule une partie de la journée... Je suis désolée.

- C'est pas grave, je la rassure. Vous ne devez pas changer vos habitudes pour moi...

- Voyons, ne me vouvoie pas, appelle-moi Lorraine, me reprend-elle.

J'acquiesce doucement, sous son regard rieur.

Elle se contente de sourire, puis de redescendre. Je l'entends marcher dans le hall, puis se diriger vers une autre pièce.

Je m'assieds sur mon nouveau lit moelleux, et réfléchis.

Ma tante me fait bonne impression. Elle a été gentille et prévenante. Seulement, je reste méfiante. Je n'accorde pas ma confiance à beaucoup de gens, pour ainsi dire à personne pour l'instant. Je vais voir comment se passent les prochains jours. Mais de toute façon, je suis coincée ici pour deux mois...

Avec un soupir, j'ouvre ma valise pour en sortir mes maigres possessions. Une fois mes habits dans l'armoire, je prends le temps de me recoiffer un peu. Le vent m'a emmêlé les cheveux, si bien que je passe vingt minutes devant le miroir de la chambre. Une fois que mon carré ondulé noir ressemble à des cheveux et non plus à des crins de cheval trempés, je descends rejoindre ma tante.

Je la trouve dans la cuisine, un tablier fleuri noué aux hanches, et une poêle à la main. Elle verse l'omelette dans une assiette, et me tend un verre d'eau. Je souris faiblement et bois à petites gorgées tandis qu'elle prépare cinq autres omelettes.

Enfin, elle enlève son tablier, et me dit :

- Bon appétit Lyka ! Je m'en vais, j'ai du travail, mais si tu as un problème surtout n'hésite pas à appeler. Le numéro est sur le frigo. Je reviens vers vingt heures. Bonne journée ! me lance-t-elle avec entrain en passant dans le hall, où elle attrape un manteau énorme couvert de fourrure et un sac à main, puis sort dans la tempête.

Maintenant seule, je m'assois à table et grignote un bout d'omelette. Il doit être midi, ce que je vérifie en regardant l'horloge au-dessus de la table, accrochée au mur.

Au bout de deux omelettes, je range la table et mets les quatre restantes au frigo pour le soir.

Je tourne ensuite en rond dans la maison, découvrant des pièces tout ce qu'il y a de banal. Un salon avec des canapés, le hall, la cuisine, le couloir avec les chambres, une bibliothèque, et une pièce fermée à clef.

Je décide de ne pas enfoncer la porte, malgré ma curiosité et mon instinct qui me dit que, derrière cette porte, quelque chose d'intéressant m'attend. Je rebrousse chemin, et reviens dans la bibliothèque. Les armoires hautes jusqu'au plafond sont vitrées, et ces dernières sont munies de fermetures. Et bien évidemment, elles sont fermées.

Je décide de sortir. Il n'y a rien d'intéressant ici. En plus, étant à moitié claustrophobe, je commence à me sentir à l'étroit.

Je jette un coup d'œil dehors. Par chance, il ne neige plus, et le vent souffle moins fort. Une profonde couche de poudreuse recouvre le sol, et brille au soleil qui a décidé de pointer le bout de son nez.

Je m'émerveille un moment devant le spectacle, puis me reprends et saisis ma veste. Je n'ai pas de manteau sous la main, il faudra que je pense à aller en acheter un avec l'argent de ma tante, puisque je n'ai pas un euro.

Je trouve quand même une écharpe, que j'enroule autour de ma gorge, ainsi que la clef de la porte, que je glisse dans la poche de mon jeans. J'enfonce mon menton dans la laine, et sors de la maison. Je ferme à clef derrière moi, inspire un grand coup, et commence à marcher.

Je prends d'abord le tracé de la route, pour éviter de me perdre. Ceci dit la maison de ma tante est isolée, et entourée de forêt. Il n'y a que la route bétonnée qui passe à proximité qui rappelle que nous somme proches de la civilisation.

Mon haleine chaude forme des panaches blancs au contact du froid, qui lui n'a pas disparu.

Alors que je marche sur le béton, son contact désagréable au travers de mes baskets, l'idée me vient de visiter la forêt. Les pins couverts de neige m'attirent comme des aimants, et je ne résiste pas longtemps avant de dévier de la route pour m'engager sous les frondaisons.

La neige crisse sous mes pas, et le vent agite les branches des arbres au-dessus de ma tête. Le calme relatif des bois à toujours su m'apaiser. Les seuls bruits que j'arrive à entendre sont ceux des rares animaux qui s'aventurent sur la neige à la recherche de nourriture. Un écureuil grimpe un tronc et disparaît sous les feuilles et la neige des branches. Là, un hérisson a laissé une trace dans la neige. Ici, c'est une empreinte de renard ou bien de grand chien qui marque la couche immaculée. Un oiseau fait sonner son trille, un autre entonne sa mélodie flûtée et aiguë.

Je marche depuis une heure sans voir le temps passer. J'écoute chaque bruit, je regarde chaque empreinte. Je suis captivée par la neige et la forêt.

Totalement détendue, je ne remarque pas tout de suite que les oiseaux ne chantent plus. Les yeux rivés sur une autre trace de chien, la cinquième au moins que je vois, je suis accroupie au sol.

Un paquet de neige tombe sur ma tête, me faisant sursauter et me relever, alerte.

La forêt silencieuse m'avertit du danger. Quelque chose approche.

Je tends l'oreille en me concentrant, et bientôt ce sont de furtifs bruits de course légère qui me parviennent.

Tendue, je décortique les sons que je perçois. Plusieurs personnes courent dans la direction. Ils sont extrêmement furtifs, et sans mon ouïe développée je n'aurais rien entendu.

Aussitôt, je me retourne et cours vers la route. Des bruits plus forts se dont entendre à présent. Ils savent que je les ai repérés. Ils ne se font plus discrets. J'accélère ma course pour les semer. Je cours très vite, et j'ai toujours su semer qui je voulais.

Seulement, là, il me semble qu'ils vont à la même vitesse, si pas plus vite !

Un peu affolée, j'allonge les foulées, et file aussi vite que possible entre les troncs, suivant mon instinct qui me montre le chemin de la maison de ma tante. La neige ne m'aide pas, et mes pieds s'enfoncent par moment sous trente centimètres de flocons.

Mon souffle haché se fait rauque, à présent. Cette course folle ne peut pas durer, je ne suis pas assez endurante pour tenir aussi vite pendant longtemps.

Alors que j'aperçois le béton de la route et la maison au loin, mon pied se prend dans une racine masquée par la neige, et je tombe.

Je roule un peu dans la neige, et tente de me relever. Mais lorsque je veux appuyer sur ma cheville droite, une lance de douleur remonte dans ma jambe. Je pousse un petit cri, à mi chemin entre le gémissement et le râle. Je me suis tordu la cheville.

Je maudis la neige en me relevant à cloche pied.

Je reprends mon chemin vaille que vaille, aiguillonnée par les bruits de poursuite dans mon dos.

Seulement, ma vitesse est considérablement réduite et je ne parviens qu'à clopiner à l'allure d'un escargot.

Les bruits se rapprochent, mon cœur s'affole et je tente d'accélérer. L'adrénaline coule dans mes veines et c'est la seule chose qui me tient encore debout.

Alors qu'il ne reste plus qu'une cinquantaine de mètres, un bruit plus fort que les autres se fait entendre juste derrière moi.

Je fais volte face, et fixe le buisson d'où venait le bruit. Les branches frémissantes me prouvent qu'un de mes poursuivants se trouve de l'autre côté. Mes mains tremblent, et je n'ai plus froid du tout. Je pose mon poids sur mon pied gauche, tout en priant pour que le droit guérisse vite. D'ici quelques minutes, je devrais pouvoir courir. Si je tiens jusqu'à dans quelques minutes.

Mon souffle heurté se calme légèrement tandis que je reste immobile. Inutile d'essayer de m'enfuir, mon poursuivant derrière le buisson me rattraperait.

Des craquements se font entendre et je bande mes muscles d'avance. Je vais devoir jouer serré. Mais au moins, je saurai qui me poursuit dans la forêt dans la neige alors que personne ne me connaît dans les environs.

Une silhouette, rapidement suivie de deux autres, sort du buisson. Lorsque leurs yeux se posent sur moi, je sens que ce ne sera pas une partie de plaisir.




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