Chapitre 12 : Luke

Trouver le moyen de discuter avec Selena n'était pas facile. Avec leur discussion du mercredi soir, il avait envie d'en savoir plus, qu'elle réponde à ses questions. Cependant, à part quelques messages qu'ils avaient pu échanger, il n'avait pas eu l'occasion d'avoir un moment avec elle pour discuter réellement.

La dispute qu'il avait eue avec sa mère n'aidait pas à ce qu'il trouve du temps libre. Elle était sur son dos plus que jamais. Il n'y avait pas moyen qu'il lui échappe. Seule Mary pouvait sortir de la maison, aller voir ses amis, s'amuser. Luke, lui, passait son temps à faire une partie du travail de son père lorsqu'il ne faisait pas ses devoirs ou ne faisait pas de tâches dans la maison.

Il commençait honnêtement à fatiguer. Devoir se coucher tard tous les jours n'aidait pas. Il dormait à peine quatre heures par nuit, s'épuisait toute la journée... Il en avait plus qu'assez. Il avait envie de passer une journée entière à dormir pour rattraper tout le sommeil qui lui manquait.

Il faillit arriver en retard à son cours. Il se stoppa si brusquement en voyant sa place habituelle prise qu'il trébucha sur ses propres pieds. Il partit à l'arrière, trouvant une place à côté de Selena. Elle lui offrit un léger sourire lorsqu'il s'installa. Elle ne lui parla pas, sortant son téléphone. Quelques secondes plus tard, son portable vibra dans sa poche.

De Selena Dowell :

Ça va ?

Il tourna la tête vers elle, surpris. Elle reprit son téléphone et tapa un nouveau message qui fit vibrer le sien dans sa main.

De Selena Dowell :

T'as l'air crevé et complètement ailleurs

À Selena Dowell :

Juste un peu fatigué, c'est tout

De Selena Dowell :

T'es sûr ?

Il hocha la tête en lui jetant un rapide regard. Elle n'eut pas l'air convaincu mais n'insista pas. Le cours passa, la matinée aussi. Il se réfugia dans la cour à l'heure du déjeuner malgré la brise glaciale qui avait pris possession du climat. La pluie n'allait plus tarder et il commençait à l'attendre avec impatience. Il n'aimait pas l'été. Il préférait largement l'hiver, froid et humide. Il avait du mal à supporter la chaleur et, cet été, elle s'était montrée bien trop forte pour lui. Il avait hâte de voir la pluie noyer le paysage.

Il haussa un sourcil lorsque sa sœur vint s'asseoir à côté de lui. C'était très rare qu'elle ose s'associer avec lui au lycée. Elle avait tendance à l'éviter voire à faire comme s'il n'existait pas. Alors pourquoi venait-elle le voir, soudain ?

- On dirait que tu vas t'évanouir, lui lança-t-elle.

Il soupira et se secoua les cheveux, frustré d'être aussi transparent. Tout semblait être écrit sur son visage et il détestait ça. Lui aussi avait envie d'avoir un jardin secret. C'était quelque chose qu'il n'avait jamais eu, en vérité. Il était bien trop évident. Son visage ne parvenait pas à dissimuler quoi que ce soit.

- Je vais bien, répondit-il par automatisme.

- Ne me la joue pas comme ça, Luke. Je sais que maman te laisse pas tranquille.

- Pourquoi tu viens me parler, Mary ? Ça ne te ressemble pas.

Elle soupira en se levant.

- T'es vraiment désagréable, tu le sais, ça ?

Il ne répondit pas, gardant le regard rivé droit devant lui. Il se sentait déjà coupable de lui avoir parlé aussi froidement. Elle l'avait cherché. C'était elle qui lui parlait ainsi, d'habitude. Malgré tout, elle était venue le voir. Il lui paraissait impossible que Mary s'inquiète pour lui. Ça ne lui ressemblait pas.

- Tu dois pas aller si mal que ça, vu comment tu me parles.

Elle tourna les talons et s'éloigna, le laissant tout seul. Il retira ses lunettes, les posant à côté de lui, pour se frotter les yeux. Il avait déjà une migraine. Il n'avait pas envie d'aller à l'infirmerie pour obtenir un cachet. L'infirmière allait encore vouloir le garder pour une heure ou deux, le temps que le cachet fasse effet et qu'il se sente mieux.

Il cilla lorsqu'on s'assit à côté de lui. Il eut l'espoir que ça soit Mary qui soit de retour. C'était Jared avec un sandwich qu'il agita sous son nez.

- Avale ça avant de tomber dans les pommes.

Luke prit le sandwich et mordit dedans avec colère. Il était si fatigué qu'il n'avait pas faim. Au contraire, il avait plutôt envie de vomir. Sa bouchée eut du mal à passer.

- Tu devrais vraiment te reposer, Luke. Envoie-la bouler, ta mère. Elle est en train de t'user.

- Tu sais très bien que je peux pas, souffla-t-il. Ça sera encore pire.

Jared appuya ses coudes sur ses genoux, serrant ses paumes l'une contre l'autre. Brandon ne tarda pas à débarquer avec son plateau. Il s'assit en face d'eux, continuant de manger. Ils ne parlèrent pas, déjeunant en silence dans le froid.

Lorsqu'il retourna en cours, il frissonnait et avait juste envie de dormir. Il n'avait même pas su terminer le sandwich que lui avait amené Jared. Il en avait encore l'estomac retourné. Il se passa une main sur le front, tentant de se concentrer sur ses cours comme il put.

Le soir, il rentra seul, sa sœur marchant devant lui sans l'attendre. Elle était encore furieuse contre lui. Il ne chercha pas à l'appeler ou à lui parler. Il savait que c'était inutile et, de toute façon, il était trop fatigué pour s'en préoccuper.

- Luke ! Viens ici ! l'appela sa mère lorsqu'il passa le seuil.

Il abandonna son sac de cours au pied de l'escalier et se traîna jusque dans la salle à manger. Sa mère était assise avec deux paroissiennes et elles semblaient préparer quelque chose pour l'église puisqu'elles avaient un bloc-notes sur lequel elles prenaient des notes.

- Va nous préparer du thé. Et n'oublie pas les biscuits, cette fois.

Il ne dit rien, partant dans la cuisine pour mettre la bouilloire en route. Mary entra et le poussa.

- Laisse, je vais le faire.

- Tu n'as pas à...

- Dégage dans ta chambre, par pitié. Tu vas tomber dans les pommes.

Il l'observa longuement, cherchant à savoir pourquoi elle était aussi gentille avec lui. Mary le prit par les épaules et le força à quitter la cuisine.

- Je m'occupe de maman. Va te coucher.

- Merci, Mary.

Elle parut gênée mais elle hocha la tête et le poussa encore. Il céda et monta dans sa chambre. Il s'effondra sur son lit, serra son oreiller entre ses bras et s'endormit aussitôt. Ce fut Mary qui vint le secouer pour qu'il puisse descendre dîner à l'heure. Elle ne dit rien avant de repartir sans attendre qu'il lui dise quoi que ce soit. Il fit de son mieux pour se réveiller, assommé par sa longue sieste. Il ne se sentait toujours pas mieux mais, au moins, il avait dormi.

Sa mère lui lança un regard noir lorsqu'il arriva à table pour dîner, froissé comme jamais. Son père lui offrit un sourire en lui faisant signe de s'asseoir. Il n'adressa pas la moindre attention à sa mère.

- Tu as l'air épuisé, Luke, lui dit son père.

- Je vais bien, mentit-il pour la énième fois.

- Tu n'as pas à t'en cacher, tu sais.

- C'est un idiot, qu'est-ce que tu veux, lança Mary en arrivant avec un plat.

Elle le posa au milieu de la table et elle les servit avant de s'asseoir pour pouvoir dire le bénédicité. Elle prit les devants, ne laissant pas sa mère ordonner à Luke de le faire. Il resta silencieux les trois quarts du temps, répondant à peine aux questions que son père lui posa. En face de lui, sa mère serrait les dents, énervée ou frustrée.

Par chance, elle le laissa aller se coucher juste après le dîner.

Le lendemain, il se sentait déjà mieux. Il savait que ça n'allait pas durer. Il n'avait pas besoin d'être extralucide pour le savoir. Dès qu'elle verrait qu'il s'était reposé, elle lui retomberait dessus. Il fallait qu'il profite au maximum de cette journée avant qu'elle ne se termine.

Mary marcha à côté de lui, son bras touchant presque le sien.

- Tu te sens mieux ? lui demanda-t-elle doucement.

- Oui. Grâce à toi. Merci, Mary.

- Tu... Tu veux savoir pourquoi maman est comme ça ?

Luke se tourna vers elle, surpris. Se pouvait-il qu'elle sache quelque chose qu'il ignorait ? Ça ne serait pas étonnant. Sans qu'il sache comment c'était possible, Mary parvenait toujours à tout savoir. Elle avait une âme de fouine.

- Qu'est-ce que tu sais ?

- Papa est malade. Je les ai entendu en parler. Les médecins ne savent pas encore ce qu'il a mais, apparemment, c'est grave. C'est pour ça qu'elle te fait tout faire, pour que papa n'ait pas à le faire et à se fatiguer.

La nouvelle assomma Luke. Il ne lui vint pas à l'idée de douter de sa sœur. Aussi mesquine que puisse être Mary, jamais elle ne dirait une chose aussi grave si elle n'était pas vraie. Il la connaissait assez pour savoir ça.

- Pourquoi ils n'ont rien dit ?

- J'en sais rien. Ils n'ont pas parlé de ça. Ils parlaient juste des derniers examens qu'il a fait et des résultats. De ce que j'ai réussi à entendre, il a des étourdissements, le nez qui saigne et des migraines. Les médecins ne savent pas ce qui les provoquent mais ils pensent à quelque chose dans son cerveau.

Le coup de massue était puissant. Il ne sut quoi dire. Il ne s'était pas attendu à quelque chose comme ça. Il avait bien remarqué que son père était fatigué mais il n'aurait jamais cru qu'il était malade.

Cette nouvelle abrutissante le laissa dans le flou durant toute la journée. Il eut du mal à suivre ses cours, ignora Jared et Brandon, marcha presque sur les pieds de Matthew qui fut trop choqué pour réagir.

Selena apparut à côté de lui à la sortie, cet horrible maquillage dénaturant son visage. Elle lui envoya un sourire, de l'inquiétude sur le visage.

- Qu'est-ce qui se passe, Luke ? Ça ne va pas ?

Il ne fut même pas perturbé par leurs camarades qui passaient autour d'eux, leur jetant des regards, tentant de savoir ce qu'ils se disaient. Lorsqu'ils furent tous deux hors d'écoute, il lui dit simplement :

- Je te rejoins sur le pont.

Elle hocha la tête et partit devant, montant sur son vélo avec grâce, disparaissant dans la minute. Il inspira et reprit sa route normale. Il changea de chemin, prenant le long détour pour retourner chez lui. Il était fréquent qu'il le prenne pour tenter de se détendre ou pour éviter sa mère un peu plus longtemps. C'était sa seule échappatoire. De plus, le détour contournait le centre-ville et donc, tous les yeux qui s'épiaient entre eux.

Il pivota brusquement pour traverser le petit bois, gagnant le sentier qui menait au pont des sorcières. Selena y était déjà, assise à côté de son vélo. Elle avait les yeux fermés, le visage offert au vent. Elle était vraiment jolie, presque mystique. Si elle ne s'était pas aussi ouvertement affichée comme sorcière, elle serait sûrement devenue l'égérie du lycée. Dans un sens, elle l'était devenue bien qu'elle n'en ait pas tous les privilèges, toute l'adoration qu'elle aurait dû avoir.

Selena se tourna vers lui, un sourire sur les lèvres, de l'amusement dans le regard. Il la rejoignit et s'assit à côté d'elle.

- Ça ne va pas ?

Ce n'était pas totalement une question, réalisa-t-il. Elle savait déjà que ce n'était pas la joie, pour lui. Il n'en fut pas étonné. Il était si transparent pour tout le monde que Selena aussi avait dû lire en lui comme dans un livre ouvert.

- Pas vraiment, s'entendit-il admettre. C'est... compliqué.

- Tu veux en parler ? Je crois avoir remarqué que tu n'as pas beaucoup de monde à qui parler.

- Je suis un tel livre ouvert ?

- Plutôt, oui.

Il y avait de l'humour dans sa réponse bien qu'elle soit sincère. Selena bougea, s'orientant vers lui, une épaule appuyée contre la rambarde du pont.

- Mary m'a dit que mon père était malade. Que c'est pour ça que ma mère se sert de moi comme de son esclave.

- Et c'est grave ?

- On en sait rien. D'après ce qu'elle m'a dit, les médecins ne savent pas ce qu'il a. Ils pensent que ça serait dans son cerveau puisqu'il saigne du nez, a des vertiges et des migraines.

Il tressaillit lorsqu'elle posa sa main fraîche sur son bras dans une tentative de réconfort.

- Je suis désolée pour toi. J'espère que ce n'est rien de grave.

- J'espère aussi. Je comprends pas pourquoi ils n'ont rien dit. Mary et moi ne sommes plus des enfants. On peut encaisser. Et ça m'aurait évité d'en vouloir à ce point à ma mère quand elle continuait encore et encore de me faire faire des trucs pour l'église. J'aurais mieux accepté de devoir bosser sans cesse si elle me l'avait dit.

- Tes parents ne voulaient sûrement pas vous inquiéter, Mary et toi. Tu peux penser les pires choses de ta mère mais je suis sûre qu'elle fait ça pour toi. Après tout, tu es censé reprendre la paroisse, un jour, non ?

- C'est ce qu'ils prévoient pour moi.

- Ce n'est pas ce que tu veux.

Il secoua la têtebien que ça ne soit pas une question. Y avait-il seulement quelquechose qui pouvait ne pas être lu sur son visage ? Il étaitincapable de lutter alors, autant parler. Ça lui faisait du bien. Ilse sentait déjà plus léger. Il savait qu'elle ne le jugerait pas.Elle était la jugée, pas le juge.

- Non. Je veux aller à l'université pour apprendre l'architecture. Ils ne me laisseront jamais faire alors je me suis fait une raison mais c'est ce que je voudrais vraiment faire.

- Tu leur as déjà dit ?

- Non. Je ne veux pas qu'ils le sachent. Ça briserait le cœur de mon père que je ne veuille pas suivre ses pas.

- Tu devrais quand même tenter de leur en parler. Si c'est ton rêve, ils devraient comprendre. Il n'y a pas de raison qu'ils le dénigrent tout de suite s'ils voient que c'est important pour toi. Tes parents t'aiment et veulent ton bonheur, j'en suis sûre.

- Tu ne les connais pas.

- Non, c'est vrai. Mais du peu que j'en sais, je peux deviner. Les parents sont plus faciles à comprendre qu'ils n'aiment le croire.

Il se sentit sourire malgré lui face à son ton moqueur. Elle prenait ça comme une petite victoire. Il se releva et épousseta son pantalon avant de l'aider à faire de même. Tenir sa main, douce et tiède, le troubla plus que raison. Les seules mains féminines qu'il ait jamais tenues étaient celles des vieilles femmes de la paroisse, de sa mère et sa sœur. Il sentit son pouls s'accélérer et ses joues rougir. Il la relâcha rapidement, faisant un pas en arrière, embarrassé.

- Je ferais mieux d'y aller avant qu'ils ne se demandent où je suis passé.

- Tu as déjà fait de la méditation ?

Il cilla, pris au dépourvu.

- Non, pourquoi ?

- Parce que tu devrais. Ça t'aiderait beaucoup. Tu m'as l'air perpétuellement angoissé et en manque de confiance. Tu aurais bien besoin de te recentrer.

- En... méditant ?

Il n'avait pas prévu de paraître si incrédule et dubitatif. Toutefois, c'était comme ça qu'il se sentait. En quoi rester assis avec les yeux fermés pourrait l'aider ? C'était un truc de fille auquel il n'avait pas vraiment envie de prendre part.

- Oui. Tu pourrais être surpris des bienfaits de la méditation, mon cher. Je te ferai essayer, la prochaine fois qu'on se verra clandestinement. Tu verras que tu reviendras pour recommencer.

- On verra, je suppose.

- À la prochaine, répondit-elle simplement avec cet éternel et ineffaçable sourire.

- Salut.

Elle remonta sur son vélo et s'enfonça dans les bois, le laissant seul sur le pont, regrettant qu'ils aient si peu de temps pour discuter. Parce que, il devait l'admettre, cette courte conversation lui avait fait le plus grand bien.

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NdlA : Pauvre, pauvre, pauvre Luke !

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