54 - Décision
Décision
Je suis de retour ! Désolé pour l'attente, merci pour votre patience et votre soutien sans faille. J'ai adoré écrire ce chapitre et j'espère que vous l'apprécierez tout autant que moi.
Bonne lecture les amis. 🤎
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Je franchis la porte de manière aussi discrète que possible en arrivant dans la pièce. Dès qu'il remarque ma présence, il se lève rapidement pour allumer la lampe de chevet. Avec des cheveux ébouriffés et des yeux plissés de fatigue, il bâille longuement en me fixant.
— Jay, ça va ?
En regardant l'horloge indiquant cinq heures du matin, je ne peux m'empêcher de sourire. J'entre dans sa chambre au milieu de la nuit, et malgré cela, il s'inquiète de mon bien-être. Je ne mérite vraiment pas un ami aussi attentionné que lui.
— J'interromps ton sommeil de manière brutale, et malgré tout, tu trouves le moyen de t'inquiéter pour moi.
— Je suis ton meilleur pote, c'est mon boulot, dit-il en ajustant sa crinière bouclée.
Un faible sourire se dessine sur mon visage, les yeux humides. En me fixant, il se lève tout d'un coup en fronçant les sourcils quand il remarque mon expression préoccupée. Réalisant donc que quelque chose ne va pas, son visage devient sérieux, et il jette sa couverture avec quelques oreillers au sol.
Il s'allonge et pose ses pieds contre le mur en face. Voyant mon hésitation, il tapote la couverture, m'encourageant à le rejoindre. Je m'assois à mon tour, rapproche ma tête de la sienne, et lève les jambes sur le lit. C'est une position que nous adoptons depuis l'enfance, lorsque ça va pas, à la recherche d'un peu de réconfort.
Je prends des draps supplémentaires dans un tiroir de la commode pour nous couvrir, puis fixe le plafond. La pleine lune se reflète dans la chambre grâce aux volets entrebaillés, laissant une lueur rassurante dans la pénombre.
Alek a toujours eu peur du noir. Il a eu une veilleuse pendant longtemps, et en vieillissant, je suppose qu'il a dû chercher d'autres alternatives.
La plupart des angoisses de l'enfance s'estompent avec l'âge, mais je comprends que c'est difficile de guérir complètement certaines d'entre elles. Lorsqu'il me voit fixer la fenêtre, un petit sourire apparaît sur son visage fatigué.
— Elle est toujours là. J'imagine qu'elle restera jusqu'à la fin de ma vie.
— Tu te sentirais peut-être seul sans elle, donc ce n'est probablement pas une mauvaise chose.
— Tu penses ?
Il lève les sourcils en tournant la tête vers moi.
— Il faut trouver du positif dans tout ça, non ?
— Mm, certainement.
Ma poitrine se soulève lentement à mesure que j'inspire. L'ambiance est agréable, et je vais mieux que les jours passés. Je pense que j'avais vraiment besoin d'être seul avec Alexander.
— Je t'écoute.
Mes yeux se détournent du plafond alors que sa voix résonne, m'obligeant à tourner le cou dans sa direction.
— Tu es venu pour discuter, alors vas-y. À moins que tu sois ici pour jouer une scène d'un film d'horreur et me donner une crise cardiaque en pleine nuit.
Mon rire résonne dans la pièce, et mon épaule heurte furtivement la sienne.
— Tu parles, j'en ferai une même avant que tu te réveilles.
Son rire se mêle au mien avant de s'estomper dans la nuit froide. Le sourire amusé sur mes lèvres s'efface pour laisser place à une ligne droite empreinte de tristesse. J'ai pris ma décision, et désormais rien ne pourra me faire changer d'avis. Cependant, je ressens le besoin d'avoir le sien avant de partir.
Nous avons grandi ensemble, il connaît mon frère. Je veux savoir ce qu'il pense. Peut-être que j'ai besoin d'entendre que je ne perds pas la tête. Que dans l'atrocité de la situation, j'ai un tant soit peu raison. Je scrute un instant par la fenêtre, contemplant la beauté de la pleine lune.
Avoir l'approbation de mon meilleur ami apaisera sans doute ma propre souffrance de laisser ceux qui restent.
Alors que ma vision s'égare par la suite en direction du ciel étoilé, je le sens m'observer. Je le sais. Il me regarde attentivement, pour essayer de découvrir ce que je pense. Et quand une phrase sort de ses lèvres, je comprends qu'il a deviné.
— Tu vas partir, murmure-t-il.
Mes iris délaissent finalement la fenêtre pour se reporter dans le vert des siennes.
— Oui.
Ses pupilles s'agitent précipitamment, réalisant la dure réalité de la situation. Une mèche de ses cheveux tombe sur son front, recouvrant légèrement son œil droit.
— Toi aussi tu trouves que c'est insensé ?
— Que tu veuilles aller chercher ton frère ? Non.
— Mais tu es contre.
Il secoue la tête et un voile préoccupé se pose dans son regard.
— Je ne suis pas contre Jay. C'est tout à fait compréhensible que tu souhaites le sortir de là. Je m'inquiète juste pour toi.
Un léger sourire se forme sur mon visage.
— Je suis un Thurisaz, je devrais pouvoir gérer Alek.
— Sans aucun doute, mais tu seras seul. Amène au moins Taehyung avec toi.
Entendre son nom accélère soudainement ma respiration. J'aimerais qu'il puisse venir avec moi. Revenir à Sina est loin d'être plaisant après ce qui s'est passé. J'y vais non par plaisir ou par envie, mais par obligation.
Ça ne va pas être facile d'affronter ceux qui ont tué mes parents et emprisonné mon frère. Je peux bien l'imaginer. Mais je dois le faire si je veux sauver Jonah. Même si ma peur est là, je dois la cacher et l'oublier autant que possible durant mon voyage.
— Nos avis diffèrent, je ne peux pas.
Un léger trait apparaît entre ses sourcils.
— Je le sais bien, mais il ne te laissera jamais partir.
— Alors, nous nous combattrons si nécessaire.
Prononcer de tels mots me semble presque irréel. Je n'aurais jamais pensé dire quelque chose comme ça, et encore moins que Taehyung en serait la cible.
— Ne dis pas ça, Jay.
Agacé, je me lève précipitamment, l'obligeant à me suivre.
— Je n'ai pas d'autre choix. Il ne se passe pas une nuit sans que je rêve de lui. Si je ne vais pas le chercher, je mourrai sûrement de l'inquiétude et de la colère qui me consume de jour en jour.
Affecté par mes paroles dures, il se tait alors que son dos touche le rebord de la fenêtre derrière lui. Il se frotte les yeux et soupire longuement, m'offrant le temps de me calmer un peu.
Le nœud anxieux coincé au fond de ma gorge me donne la nausée. Je fais de mon mieux pour la contenir, en respirant lentement. Le silence tombe dans la pièce, ne laissant audible que le bruit des chouettes perchées dans les arbres lointains. Dans un mutisme de plus en plus oppressant, je regarde la nuit noire derrière mon meilleur ami avec la poitrine lourde et le cœur triste.
J'aimerais qu'il y ait d'autres solutions, que toute cette situation soit résolue facilement. Toutefois, les enjeux sont bien trop importants à quelques mois de la Troisième Grande Guerre. Mais après tout ce que nous avons traversé, après tout ce qu'il a subi, je refuse de le perdre. Ça m'est impossible de le savoir là-bas, avec ces monstres.
— Alors, je viens avec toi, dit-il soudainement.
Mes yeux quittent le clair de lune pour se concentrer sur ceux du chasseur. Ses cheveux roux en bataille le rendent extrêmement attirant, mais ce qui retient mon attention, c'est son visage.
Je ne vois aucun sourire, aucun éclat d'amusement qui pourrait trahir ses paroles. J'aperçois seulement son sérieux intimidant, et sa détermination, lorsqu'il me toise. Quand je reprends mes esprits, je secoue hâtivement la tête, ne me privant pas de lui montrer mon désaccord.
— C'est hors de question.
— Je ne demande pas ton avis.
— Et pourtant je me permets quand même de te le donner. Je refuse, c'est trop dangereux. Si les choses tournent mal et qu'il t'arrive quelque chose, je ne me le pardonnerai pas.
— Jungkook, murmure-t-il en se redressant.
— Mon frère. Ma responsabilité.
Je sursaute quand il se précipite brusquement vers moi d'un pas rapide et attrape le col de mon pyjama, me poussant contre le meuble derrière moi. Une douleur brûlante me frappe immédiatement dans le bas du dos, mais je l'ignore, trop surpris de voir une telle colère dans les yeux du rouquin.
J'ai tendance à oublier qu'il n'est plus le jeune garçon que j'ai connu autrefois. Il n'est plus l'enfant innocent que je protégeais à l'école. Ce n'est plus un gosse et ses réactions me le rappellent fatalement chaque jour. Sa mâchoire se serre de colère alors qu'il me regarde. Un souffle irrégulier s'échappe de sa bouche tandis que sa poitrine se soulève rapidement.
— Et si quelque chose t'arrivait hein ? Tu veux jouer au brave, mais y as-tu pensé une seule seconde ?
Sa voix se brise à la fin, révélant une émotion qu'il ne prend même pas la peine de cacher. Ses mains tremblent contre moi et toute ma colère retombe soudainement.
— Alors c'est que ça devait se produire.
— Donc tu es prêt à...
— Il le ferait pour moi et tu le sais.
Un soupir de stupéfaction quitte sa bouche, et ses mains me lâchent sur-le-champ.
— Il y est allé cette nuit-là pour me protéger. Pour essayer de comprendre, d'obtenir des informations que mes parents nous cachaient. Dans le même but que le leur.
Ses iris s'adoucissent.
— Que ce soit le silence de mes parents ou bien celui de Jonah. Ils n'étaient en aucun cas différents. J'en étais la raison, les deux fois.
— Je sais. J'ai été horrifié d'apprendre qu'il y est allé seul.
Il ne dit rien un moment, comme si les souvenirs de ce moment lui revenaient à l'esprit. Fatigué de la conversation ou du fait que j'ai complètement gâché sa nuit, il se laisse à nouveau tomber sur le sol, se faisant tendrement cueillir par la douceur de la couverture.
Je me frotte l'arrière de la tête et je me sens tout à coup coupable de la tournure de la discussion. Je suis venu lui demander son avis avant de partir. Je ne voulais pas le contrarier et me fâcher contre lui. Je le rejoins sans tarder, et tripote le bouton de mon pyjama, soucieux.
— Je suis...
— Oh, tais-toi.
Mon regard se dirige doucement vers lui.
— Tu es vraiment incorrigible.
Il secoue la tête d'exaspération, mais je suis rassuré de finalement voir un rictus s'afficher sur son visage. Ses yeux sombrent, disparaissent, laissant leur lueur magnifique apparaître. Je mordille ma lèvre inférieure et fixe ses taches de rousseur une seconde.
— Tu m'aimes quand même, dis-je d'une voix calme.
— Mm, dit-il en bousculant mon épaule.
Je ris doucement, et ma chevelure bascule en arrière, quand il se lève une nouvelle fois, se posant sur le rebord de la fenêtre. Je le rejoins sans tarder et j'aperçois qu'il observe le ciel. Je ne comprends pas immédiatement pourquoi, jusqu'à ce que je remarque que les étoiles sont moins nombreuses que tout à l'heure.
— Tu comptes partir avant le lever du soleil, n'est-ce pas ?
— Oui.
— Et je suppose que ton sac est déjà ?
— Oui.
Je m'attends à ce qu'il me réponde, mais ma nuque se tourne vers lui au moment où je n'entends rien d'autre. Le regard profond, il détaille l'entièreté du jardin, comme s'il cherchait quelque chose. Quand il paraît l'avoir trouvé, il hoche la tête avec détermination puis se retourne vers moi.
— Rejoins-moi dehors dans une heure.
J'ai à peine le temps de voir furtivement un énorme sac noir sous son lit, qu'il le saisit et dépose une des lanières sur son épaule droite. Mais avant qu'il ne puisse quitter la chambre, j'attrape d'un coup son poignet, ce qui l'immobilise d'emblée. Mes sourcils se froncent de confusion, tandis que je scrute une seconde fois le sac à dos. Je sais précisément ce qu'il y a dedans, et c'est bien ce qui m'inquiète.
— Que fais-tu ?
— Tu ne souhaites pas que je vienne, mais tu ne m'empêcheras pas de t'aider.
— Alek, dis-je dans un murmure.
— Taehyung sentira directement quand tu quitteras la maison, je sais ce que je dois faire. Alors si tu as des choses à faire, profites-en.
Il fait une brève pause, tout en replongeant ses prunelles verdâtres aux miennes.
— Une heure, Jay.
Je n'ai pas le temps de répondre, qu'il sort de la pièce, me laissant seul, dans un énième silence. Quand je regarde l'extérieur une minute plus tard, je l'aperçois courir de tous les côtés après avoir jeté des choses sur l'herbe.
La barrière de Zach n'est plus là. Ma crise les a calmés vis-à-vis des restrictions, après avoir vu comment elle m'a impacté. C'est pourquoi j'ai décidé de partir aujourd'hui. Et en tout honnête, j'estime avoir suffisamment patienté.
Je jette un œil à l'horloge pour confirmer combien de temps il me reste et me dirige vers le salon. Mon sac m'attend patiemment installé sur une chaise et je prends un moment pour vérifier une dernière fois le contenu, pour m'assurer d'avoir l'essentiel. J'ajoute quelques collations supplémentaires et mon regard se tourne vers la commode en bois où sont posées deux lettres.
L'une d'elles a été rédigée il y a quelques jours, tandis que l'autre est encore blanche. J'ai beau avoir passé des heures assis à mon bureau, les phrases ne viennent pas. Non pas que je ne sache pas quoi écrire, bien au contraire. J'ai tellement de choses à dire que je ne sais pas par où commencer. Parce que je sais à quel point il est frustré et en colère. Pas forcément contre moi, mais envers lui-même.
Je saisis le papier et m'assois sur le canapé après avoir attrapé un stylo qui traîne sur la table basse. Son nom est déjà écrit. C'est bien le seul mot que j'aie été en mesure de marquer. Je soupire longtemps et sentir mes poumons se vider fait un bien fou.
Mon index tape nerveusement plusieurs fois sur la surface en plastique pendant que je réfléchis. Mais c'est sans doute là le problème. Je ne devrais pas réfléchir. Une lettre est le moyen idéal pour faire passer des mots qui ne sont pas prononcés à haute voix, c'est l'occasion d'être entièrement honnête. Il ne me reste plus beaucoup de temps et le ciel commence déjà à s'éclaircir.
Je soupire une seconde fois et laisse ma main bouger toute seule, laissant mon cœur guider mes pensées. Si je réfléchis trop, je finirai par ne rien écrire, et c'est la dernière chose que je veux.
En essayant d'avoir l'esprit aussi léger que possible, l'ancre imprègne alors le papier. À mesure que les lignes commencent à s'aligner, je prends soin d'écouter mon environnement d'une oreille attentive. Il est encore tôt, mais je dois faire attention. Je surveille également l'heure. Je ne dois pas être en retard.
Quand j'estime que toutes les choses importantes que je voulais lui confier sont là, je pose les deux lettres sur le meuble à côté de la porte. Il me reste quelques minutes avant l'heure convenue. J'attrape donc la pile de vêtements que j'ai au préalable préparée la veille et je cours vers la salle de bain du rez-de-chaussée pour me changer.
J'enfile un pantalon cargo noir et j'attache un harnais sur ma cuisse droite avec poche intégrée. J'en profite alors pour y mettre quelques pieux en bois à l'intérieur. J'ajoute un autre équipement à ma taille pour y insérer cette fois des soins de première nécessité. On ne sait jamais ce qui pourrait arriver sur la route, et je préfère envisager le pire par mesure de précaution.
Je me vêtis ensuite d'un col roulé moulant noir pour me tenir au chaud ainsi qu'une veste en tissus de la même couleur. J'arrange la capuche derrière ma nuque pour qu'elle ne puisse pas me gêner et entre mes pieds dans de grandes bottes ébène après avoir mis une grosse paire de chaussettes. La météo change vite à cette période de l'année et je vais beaucoup marcher. Elles sont charnues, souples et seront parfaitement utiles en cas de mauvais temps.
Je me tourne ensuite vers le miroir pour me coiffer un peu. Mes cheveux sont longs et je n'ai pas vraiment l'envie de m'y attarder trop longuement. J'attrape donc un élastique dans l'un des tiroirs et fais une queue de cheval précipitée sur la moitié de ma chevelure. Quelques mèches glissent du caoutchouc, tombant aussitôt devant mon visage. Je lève mon regard sur la vitre, me toisant quelques secondes. Puis je les pose sur mon annulaire gauche, ou je fais lentement tournoyer ma bague.
Comme si une partie de moi refusait de partir, nos souvenirs se rejouent dans ma tête pendant une fraction de seconde. Ils sont si intenses et émouvants que ma paume saisit soudain le bord du lavabo.
J'hésite un instant à l'enlever, de peur d'être déconcentré durant mon voyage, mais je m'y refuse en fin de compte. La retirer et la laisser au fond d'un meuble n'y changerait rien. Ma décision et mon départ n'ont aucun rapport avec mon amour pour lui et je ne veux pas voir mon doigt sans elle.
Je prends une profonde inspiration pour retrouver mon calme avant de sortir. Debout devant la porte d'entrée, dans les dernières minutes qui me restent, je contemple les murs et chaque objet, la gorge nouée. Je ne suis pas sûr de revenir ici. Alors j'en profite. Je m'efforce de détailler tout ce qui traverse mon champ de vision. Je veux pouvoir m'en rappeler jusqu'à la fin.
Je nous revois couché sur le canapé, échangeant des câlins affectueux et d'autres plus intenses dont ma peau se souvient encore. Je me vois pleurer dans les bras de mon oncle, craignant de les perdre.
C'est exactement pourquoi je le fais. Parce que cette crainte est toujours là, plus forte que jamais. Nous ne cessons pas de nous soucier des personnes que nous aimons du jour au lendemain. En fait, c'est tout le contraire. Cette angoisse grandit tellement avec le temps qu'elle semble nous engloutir à chaque instant. En partant seul, en laissant mes proches derrière moi, j'enlève une partie de cette inquiétude de mes épaules.
— Merci de m'avoir accueilli auprès de Taehyung, murmurais-je, la voix tremblante.
J'attrape ensuite mon sac à dos avec détermination et referme la porte derrière moi sans regarder. Quand je m'arrête près de l'endroit où Zach avait l'habitude de poser sa barrière, Alek me rejoint. Je peux dire à la façon dont il tient son sac qu'il a fini ce qu'il avait à faire.
Les yeux un peu étincelants, il fait quelques pas pour se placer devant moi. Il attrape délicatement le col de ma veste avec ses mains froides pour l'arranger et jette un coup d'œil furtif à mes vêtements comme pour vérifier que je suis bien couvert et équipé. Il me détaille longuement et je me tais en l'observant faire. Quand son regard croise à nouveau les miens, il se mord la lèvre pour contenir un sanglot.
— Je suis fier de toi.
Ma joie est aussi considérable que la sienne. La boule dans ma gorge grandit, rendant mes larmes pénibles à retenir.
— Le petit garçon de Sina en a fait du chemin, n'est-ce pas ?
— Je te retourne le compliment, dis-je un sourire en coin.
Je suis également fier de lui. De tout mon cœur. Et je tiens à ce qui le sache. Mon enfance aurait été monotone et éprouvante sans lui. Je dois beaucoup à Taehyung c'est vrai. Mais sans Aleksander, demeurer sur terre aurait été insoutenable.
Il m'a aidé à grandir et à tenir tête aux autres sans avoir envie de vomir ou de me cacher derrière mes parents. Je n'aurais pas pu avoir un meilleur ami que lui et je lui en serai éternellement reconnaissant. Malheureusement, les épreuves de la vie nous ont séparés, mais je sais mieux que quiconque qu'il existe des liens indestructibles.
Ce ne sont pas les obstacles rencontrés ou le passage du temps qui démontrent la beauté d'une amitié, mais notre capacité à y faire face sans que rien ne change.
Plus de dix ans se sont écoulés, nous avons chacun évolué dans notre vie, mais notre amour l'un pour l'autre est toujours le même. Et le fait qu'il m'aide en ce moment même à partir, au risque de se mettre le groupe à dos, en dit long sur la personne qu'il est.
Mon corps recule brutalement lorsque son torse se presse contre le mien. Ses bras musclés s'enroulent autour de mon dos, me faisant un câlin réconfortant. Son menton repose doucement sur mon épaule tandis que je lui rends son accolade.
Je le serre trop fort, je le sais. Je le sens dans toutes les parties de mon corps. Mais je ne veux pas le lâcher. Je désire profiter de ce moment, car c'est peut-être le dernier que nous partageons.
— Merci. Pour tout.
Je n'ai pas besoin de donner plus de détails. Trois mots suffisent pour exprimer ce que je ressens. Je sens tout à coup qui lève la tête, il doit observer le ciel. Sa couleur commence à être trop claire à mon goût, j'ai perdu du temps.
— Avance.
Je recule doucement et fronce les sourcils tandis qu'il fait signe devant moi. Je fais quelques pas, puis il connecte deux fils qui se trouvaient juste sous nos pieds.
— La maison est entourée de pièges, et je viens d'activer le dernier.
En voyant ma pomme d'Adam s'élever trop lentement, il devine mon inquiétude.
— Tu veux que je les enlève ?
Je secoue le visage et passe l'autre bandoulière du sac sur mon épaule.
— S'ils me voient partir, il n'y aura rien entre eux et moi.
Il hoche la tête et jette un coup d'œil furtif vers la maison avant de se pivoter vers moi.
— Fonce, chuchote-t-il.
Nous nous scrutons un instant en silence, mais un simple regard en dit long. C'est moi qui coupe le contact, me dirigeant vers la forêt, mais je m'arrête quand sa voix résonne derrière moi. Je me tourne légèrement vers ma droite pour le contempler une dernière fois.
— Ramène ton frère à la maison.
— J'y compte bien.
Ma voix est rauque et plus ferme, car il n'y a plus de retour en arrière possible. Néanmoins, je suis prêt. Je rêve de ce moment depuis des mois. Sans me retourner, je sais que Alek regarde la demeure. Tout le périmètre est sécurisé, mais il monte la garde tant que je ne suis pas hors d'atteinte.
D'abord doucement, puis mes jambes accélèrent leur cadence au fur et à mesure que j'avance. Le vent matinal frappe mon visage de plein fouet, faisant voltiger mes quelques mèches détachées en arrière. Sans surprise, j'atteins assez vite la forêt. Elle qui, pendant des semaines, était si lointaine et inaccessible, est dorénavant à portée de main.
Je peux enfin sentir son odeur réconfortante et toucher ces écorces du bout des doigts. Elle n'est qu'un petit obstacle à surmonter avant d'atteindre mon objectif, et j'imagine qu'il y en aura d'autres à venir. Mais chaque pas que je fais me rapproche un peu plus de Jonah, et c'est une immense victoire à mes yeux.
En essayant de maintenir une vitesse décente et une respiration régulière, je m'arrête précipitamment lorsque j'entends des voix au loin. Cela vient de la maison. Il y a de légers cris, ce qui signifie que quelqu'un vient de tomber dans l'un des pièges d'Alek. Ces bruits de douleur se transforment immédiatement en gémissements de frustration et de colère.
Ma poitrine se soulève, mes mains tremblent, et l'une d'elles s'appuie rapidement contre un arbre, sentant un vertige arriver. Me connaissant par cœur, la voix d'Aleksander résonne à travers les arbres dans un cri sourd et perçant.
— Jay ne regarde pas en arrière ! Cours !
De là où je suis, j'arrive à percevoir la maison. Elle est floue et je ne vois que des silhouettes, mais je reconnais la sienne immédiatement.
— C'est de la folie ! Reste ici, laissez-nous gérer ça !
La voix de mon oncle se brise et il tombe au sol après avoir couru sur plusieurs mètres. Zach s'agenouille à côté de lui pour l'aider à se relever. Je m'attends d'ailleurs à ce qu'il utilise sa magie. Il pourrait m'attraper aisément d'où il est, mais il ne fait rien. Il sait que ma décision est prise. Je l'ai confirmé officiellement en quittant la maison. Et me forcer à rentrer serait inutile à ce stade.
Les mots d'Aleksander résonnent dans ma tête et je reprends sur-le-champ ma course. Quelques coups sont échangés entre mon meilleur ami et les Thurisaz. Je l'entends parfaitement, mais je me force à continuer. Cette fois, nettement plus rapide, je traverse la forêt à toute allure.
J'avance avec détermination, mes pieds glissent silencieusement sur le sol recouvert de feuilles mortes. J'évite quelques troncs échoués à terre à cause des tempêtes récentes, ignorant au passage la légère douleur que je ressens lorsqu'une branche touche ma joue, tailladant sur le coup mon épiderme.
La lueur du soleil levant filtre à travers les branchages et illumine furtivement mon visage. Chaque pas est calculé, chaque mouvement réfléchi. Je ne veux pas uniquement leur échapper, mais m'émanciper d'une vie qui me tue à petit feu.
À mesure que je progresse, j'entends les pas de Taehyung derrière moi. Je m'attends à en entendre trois de plus, mais il a l'air seul. Il a probablement demandé à Yoongi, Hoseok et Jimin de rester là-bas.
J'accélère, suivant des chemins serrés pour le désorienter quand bien même il est bien plus vif et rapide que moi. Les murmures du vent dans les feuilles et le doux craquement des brindilles sous mes pieds créent une harmonie naturelle qui accompagne ma fuite. Chaque minute qui passe me rapproche de la liberté, même si cela signifie la rupture inévitable avec ceux que j'aime.
— Tu ne peux pas partir comme ça ! On peut trouver un compromis.
Quand j'entends sa voix derrière moi, mon souffle se coupe et mon corps hésite à s'arrêter. Je secoue vigoureusement la tête pour m'y empêcher et continue sans me retourner.
— Il n'y a plus de compromis à faire. Je dois sauver Jonah.
Parler fait un mal de chien à cause de mon essoufflement, mais j'arrive à crier suffisamment pour qu'il m'entende.
— Et qu'en est-il de nous ? Que devient notre amour, notre histoire ?
Si je faisais tout jusqu'à présent pour me forcer à courir, ces mots me pétrifient immédiatement, ne m'étant pas préparé à les entendre. Ma poitrine brûlante se soulève hâtivement et j'hésite à fixer mes pupilles dans les miennes.
Il s'est également arrêté pour écouter ma réponse. Pourtant, il pourrait m'attraper sur place en une seconde à peine. Il pourrait me ramener et m'enfermer dans une pièce s'il le voulait. Mais il se tient devant moi, les joues pourpres, attendant patiemment que je lui réagisse.
— Parfois, l'amour nécessite de laisser l'autre partir, même si ça fait mal.
Je dis cette phrase presque mécaniquement. J'essaie de ne plus réfléchir. Elle provient juste du cœur, du fond de mon âme. De cette manière, elle est plus facile à prononcer.
— Arrête tes conneries bon sang ! Laisse-moi venir pour t'aider au moins, souffle-t-il désespérément.
— Je n'ai pas besoin de ta protection.
Mon ton est plus sévère, plus brutal.
— Aucun d'entre vous, à l'exception d'Alek, ne partage mon opinion depuis le début. Alors je fais ce que j'aurais dû faire depuis le départ.
— Et la guerre ?
— Au diable la guerre Taehyung !
— Tu es aveuglé par la colère, ce n'est pas toi qui parles.
— Si c'était moi à sa place, tu aurais éradiqué Sina de la carte il y a bien longtemps.
Son silence répond pour lui.
— Après tout ce qu'il a enduré, Jonah ne mérite-t-il pas le même traitement ?
— Et si la bataille éclate avant, que feras-tu tout seul ?
— Je me battrais. Après tout, nous sommes les élus, non ? On mettra fin à cette folie une bonne fois pour toutes.
Il ouvre la bouche pour parler, mais je repars au plus vite, ne voulant pas perdre mon temps avec lui, au risque de ne pas réussir à partir. Je suis content d'apercevoir la fin de la forêt à quelques mètres de là. Une lumière jaune m'aveugle d'un coup et je vois le soleil apparaître à l'horizon. J'accélère ma cadence quand j'atteins enfin la lisière, mais ne m'arrête pas pour autant. Taehyung ne va pas renoncer aussi facilement, ce n'est pas son genre.
Cependant, lorsque j'entends un bruit sourd derrière moi, je réalise que Taehyung vient brutalement de s'arrêter. Mes pieds heurtent violemment la terre après mon arrêt précipité et j'observe le vampire et la raison de ce qui la contraint à ralentir.
Il vient d'entrer en collision avec une lumière bleue qui l'immobilise sur-le-champ. Toutefois, ce n'est pas un piège d'Aleksander, mais la magie de Zach.
Il n'a pas sécurisé le jardin comme il l'avait fait ces derniers temps, non pas par épuisement ou par pitié envers moi, mais simplement parce qu'il avait changé d'emplacement.
Zach savait que j'étais sur le point de partir. Que ce n'était qu'une question de temps, après m'être rendu compte que l'extérieur n'était plus protégé. Il savait que j'allais partir et que Taehyung viendrait me chercher. Que rien ne pouvait l'arrêter à part lui-même.
En parlant du sorcier, il surgit d'un coup derrière Taehyung et s'appuie contre un arbre, un faible sourire aux lèvres, rassuré de voir que j'ai eu le temps de passer avant que le vampire ne m'atteigne.
Furieux, Taehyung attaque le portail pour tenter de l'ouvrir, mais la couleur du sort change soudainement, signifiant que Zach vient d'augmenter sa puissance.
— Putain Zach, laisse-moi passer !
Je n'avais jamais entendu la voix du vampire aussi menaçante et rauque auparavant. Il fixe le sorcier de ses yeux écarlates, et j'ai peur qu'une bagarre n'éclate entre eux.
— Je ne peux pas. C'est sa décision, respecte la.
— Il va se faire tuer !
— Il possède tout ce dont il a besoin, ne t'en fais pas.
— De quoi parles-tu ?
Zach me fixe brièvement, la fierté brillant dans ses yeux.
— L'amour et la colère sont les armes les plus puissantes, Taehyung. Ne sous-estime jamais leur impact sur quelqu'un qui est prêt à tout.
Le vampire, toujours silencieux, se tourne vers moi. L'inquiétude et la colère marquent son visage, et je me sens coupable, car c'est en partie de ma faute. Je resserre les sangles de mon sac pour limiter ses mouvements et m'approche de la barrière pour me placer devant lui.
— Laisse-moi partir, c'est mon combat, le mien seul.
Son expression s'adoucit légèrement à mon ton plus doux. Malgré l'envie de le toucher et de l'embrasser avant de partir, je m'abstiens, conscient du risque que cela représente.
— C'est mon frère, je dois y aller, murmurai-je.
Ses yeux, redevenus bruns, me fixent pendant un moment interminable. Je garde le silence, lui laissant le temps de se calmer, de s'habituer à mon départ.
Les oiseaux chantent autour de nous, atténuant le poids du silence. Les adieux semblent moins déchirants dans cette atmosphère. Il soupire profondément et hoche lentement la tête.
— On se retrouve ici, dans quelques semaines.
Il me demande de retarder le déclenchement de la guerre, et j'ai bien l'intention de le faire. Conscient que je ne suis pas seul dans cette histoire, je m'efforcerai de prévenir une bataille générale prématurée, même si mon intervention risque de choquer le reste de l'armée. Je suis idiot mais pas imprudent. Bien que parfois des doutes m'assaillent.
— Dans le cas contraire, je serais le premier présent sur les lieux. Je ne te lâche pas, ajoute-t-il.
J'acquiesce, rassuré de savoir qu'il sera là quoi qu'il arrive. Je lance un sourire de gratitude vers Zach, puis je m'avance vers l'étendue d'herbes hautes. Une voix éraillée résonne derrière moi, celle du vampire. Je sens que mon cœur va exploser, mes jambes menacent de fléchir. J'ai anticipé ce moment pendant des jours, mais le quitter reste douloureux. Cependant, je reste debout, le dos droit, affichant un regard sérieux, empreint de courage.
Il y a un mariage à célébrer, alors tu as intérêt à rester en vie, murmure-t-il, laissant une larme glisser lentement sur sa joue rosée.
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J'aime beaucoup ce chapitre. Qu'avez-vous pensé les amis ? Vos passages préférés ? Dites-moi tout, je suis curieuse.
Merci encore pour votre immense patience. J'enchaîne le boulot et je vais avoir un gros mois de février, donc j'essaie de jongler au mieux avec tout ce que je veux faire.
Des prédictions pour la suite ?
Vous pouvez me retrouver sur Instagram si ce n'est déjà pas fait, je vous préviendrai dès updates à venir + j'adore discuter avec vous ! ( nakussa_watt )
À très vite, prenez-soin de vous.🤎
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