51 - Tempête
Tempête
Après l'interlude de Jungkook nous rentrons « officiellement » dans le commencement du dernier tome.
Vous allez très vite comprendre le ton et l'ambiance qu'il dégagera !
On se retrouve en commentaires, bonne lecture et j'ai hâte qu'on en discute! 😯
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L'horizon devant mes yeux paraît disparaître de temps en temps. Si loin et si proche à la fois, néanmoins il reste hors d'atteinte. Des dizaines d'arbres m'offrent un paysage verdoyant magnifique tandis que la brise souffle à travers leurs branches, venant sans tarder caresser mes oreilles.
Cela fait des semaines que je n'ai rien vu d'autre que cette immense étendue de végétation. L'été touche déjà à sa fin et les feuilles jaunissantes se répandent sur le sol. Je n'ai jamais ressenti autant l'envie de m'aventurer dans cette forêt qu'aujourd'hui. Elle, qui m'a souvent semblé ordinaire, faisant naturellement partie de mon quotidien, me rappelle chaque jour la prison dans laquelle je suis désormais prisonnier.
Mon corps frémit à cause du vent frais, mais je ne le remarque pas, ce geste n'atteint même pas mon esprit. Je n'ai pas envie de rentrer. Ces murs que j'aime tant sont devenus étouffants et insupportables. L'extérieur ne va probablement pas tarder à le devenir également, mais au moins ici, je peux respirer en paix.
Un soupir quitte mes lèvres tandis que mon menton tombe sur mon genou levé. Ça faisait longtemps que la boule dans ma poitrine ne s'était pas manifestée. Très, très longtemps.
Elle s'est réformée après notre séjour à Sina, suite aux révélations dramatiques qui nous ont été révélées. Et pour être honnête, je ne pense jamais l'avoir vue aussi pesante et douloureuse de toute ma vie. Je ne pensais même pas que cela puisse être possible.
La phase la plus difficile de toute évidence a été celle qui a suivi le décès de mes parents. La souffrance était si forte, que l'envie de mourir m'avait traversé l'esprit.
Et par miracle, l'arrivée de Taehyung l'a fait disparaître. Cependant, je savais pertinemment que son arrivée n'avait fait que l'apaiser provisoirement. Fatalement, je savais qu'elle ne guérirait jamais vraiment entièrement.
Néanmoins, avec le temps, j'ai eu un faible espoir qu'elle le devienne. Parce que même si ça m'écorchait un peu occasionnellement, je sentais que c'était différent. Que la douleur restait emprisonnée.
Je ne sais pas comment Taehyung a réussi à rendre cela possible, mais sa présence a contribué à ce que le bandage qu'il a appliqué par mégarde reste indemne.
Et il a suffi d'un claquement de doigts, d'un seul instant, pour que tout s'effondre. Pour que les bandages réconfortant sur ma poitrine ne s'arrachent violemment. Intensifiant au passage, la tristesse de la lésion engendrée à l'intérieur.
Le chagrin est davantage présent, comme un feu vif qui brûle continuellement. Puissant et enragé. Gagnant en profondeur, approchant un peu plus chaque jour mon cœur meurtri.
Mais malheureusement, ce n'est pas seulement une question de douleur. La colère est aussi présente en moi, aujourd'hui plus que jamais.
C'est tellement fort que j'ai l'impression que ça coule dans mes veines. J'ai la terrible sensation que chaque partie de mon corps est consumée par l'obscurité. Comme des filaments invincibles et collants, qui s'accrochent à moi, me faisant tomber de plus en plus dans les profondeurs d'un abîme sans fin.
Lentement ma main droite se lève et entre en contact avec la barrière invisible. Un halo de lumière bleue se reflète pendant quelques secondes avant de disparaître à nouveau comme si de rien n'était.
J'ai cette étendue verte sous les yeux, et pourtant je suis coincé ici. Je n'ai jamais vraiment ressenti l'envie de m'aventurer dans cette forêt qui borde notre maison, et pourtant l'idée de ne pas pouvoir le faire me rend fou.
J'aimerais ne pas être en colère après lui, mais je n'y arrive pas. Je suis en colère après tout le monde, sans arrêt. Le pire dans tout ça, c'est que les gens dans cette maison sont les plus importants pour moi. Je les aime plus que tout, mais l'amertume ne s'évapore pas.
Mon index touche à nouveau la clôture et je regarde sa teinte bleuté s'estomper lentement vers le haut. Je pourrais probablement la briser, utiliser mes pouvoirs pour l'endommager et m'échapper. Mais le sort du sorcier est résistant et mon vampire maintient un contrôle quasi continu sur le lien.
Cela signifie inévitablement que je ne peux rien faire d'autre que regarder cette foutue barrière qui entoure tout le domaine. Un animal en cage, voilà ce que je suis depuis plus de deux mois.
Ils disent que c'est pour me protéger, mais ça n'a pas de sens. Ils le font seulement pour que je n'aille pas là-bas. Pour que je n'attaque pas Sina à moi seul. Pour que je ne détruise pas le quartier général et les personnes qui s'y trouvent. C'est pourquoi Darren a demandé à Zach de jeter un sort sur toute la propriété. Pour m'enfermer ici.
Je suis un lion emprisonné dans une boîte en métal, incapable de se défendre, privé de ses griffes aiguisées et de ses dents acérées. Lui qui est pourtant imposant, roi de ses terres, reste sans défense entre ces barreaux. Tout ce qu'il peut faire, c'est s'y habituer, rester calme et attendre. Attendre la moindre ouverture, le bon moment pour se libérer.
Mais il est également possible qu'il devienne fou. Ôter de ce qu'il fait de lui qui il est. Dépossédé de sa liberté, il y a de fortes chances qu'il ne puisse pas parvenir à être raisonnable, ni rationnel. Parce qu'un animal, aussi intelligent soit-il, reste un animal. Un lion demeure une bête sauvage. Mais je sais que tôt ou tard qu'il parviendra à s'échapper. Car ce n'est qu'une question de temps avant qu'il n'explose.
En ce qui me concerne, je suis toujours au milieu. J'essaie de rester calme. Je suis attentif au moindre relâchement, à la moindre ouverture. Je suis toujours coincé et accablé, mais tôt ou tard les choses vont changer. Parce que je perds patience et que l'animosité est ancrée en moi.
Plus les jours passent, plus elle grossit. Telle une boule logée dans mon corps, similaire à celle que j'ai dans la poitrine, à la tristesse qui ne me quitte jamais. Mais cette dernière est étrange, et à la fois si familière.
L'amertume.
Elle fait partie de chacun de nous. À des degrés différents bien sûr, mais c'est quelque chose que nous possédons tous, pour des raisons qui nous sont propres. Et en ce qui me concerne, elle n'a jamais été aussi présente qu'aujourd'hui.
Elle me suit inlassablement, partout où je vais. Telle une ombre qui accompagne son enveloppe charnelle. Elle est la cause de ce que je suis devenu. De la fatalité du monde qui nous entoure. De la barbarie dans laquelle nous vivons et des choses terribles qui se sont produites dans ma vie.
Des morts et la guerre. Encore et encore.
Aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais voulu y participer. J'ai toujours pris soin de l'ignorer. Exclure toute possibilité qu'elle se produise véritablement, et que je doive potentiellement y prendre part un jour.
Mais au fil du temps, j'ai dû accepter l'idée que cela allait arriver et que je ne pouvais absolument rien faire pour y remédier. Que c'était inévitable, même si j'essayais de me convaincre du contraire.
Cette prise de conscience fatidique a été faite récemment. Mon esprit a arrêté de penser et mon cœur a pris le contrôle. Parce que je venais de réaliser plusieurs choses. Des choses qui sont devenues évidentes, encore plus après les événements de Sina. Elles étaient justifiées et pertinentes, assurément. Mais elles n'étaient pas totalement réfléchies. Car elles ont surgi du plus profond de mon cœur mutilé, comme une évidence.
Je veux tuer Azarias.
Je veux participer à la guerre.
Et je veux que ça se termine.
Ces décisions m'auraient sûrement terrorisé il y a quelques mois, mais aujourd'hui ce sont les seules qui me permettent de tenir le coup. Aujourd'hui, penser à elle me rend presque heureux. Car elles m'aident à trouver la force de conclure une journée et d'en commencer une nouvelle.
Je devrais me cogner la tête contre le mur, m'insulter mentalement, prendre une douche froide pour reprendre mes esprits. Mais le plus effrayant dans tout ça, c'est que je suis complètement lucide. Je désire chacune d'elles. J'ai suffisamment réfléchi aux événements récents de ma vie pour le vouloir véritablement.
Je suis fatigué de tout ça. De fuir encore, encore, encore et encore. J'en ai marre de faire des cauchemars toutes les nuits. Je me réveille parfois plusieurs fois en hurlant parce que j'imagine le pire. Parce que je vois un monde dans lequel tout le monde meurt.
Ma poitrine me fait constamment mal. Les crises d'angoisse se sont multipliées. Je ne ressens plus rien. Rien à part cette noirceur qui me possède, qui s'empare de moi au gré des jours. Elle est si forte que je n'arrive même plus à ressentir Taehyung. Au fond de moi, tout est devenu complètement vide. Le néant, total.
Je suis furieux. Contre Azarias de toute évidence, mais surtout contre moi-même.
Mes parents, mon frère, mon oncle, Taehyung. Tous ceux qui m'ont côtoyé se sont sacrifiés pour moi à un moment ou à un autre afin de me protéger.
Mais je n'ai jamais voulu que Jonah se sacrifie. Je n'ai jamais voulu que mes parents meurent pour le venger. Je n'ai jamais voulu que mon oncle porte un tel fardeau. Je n'ai jamais voulu qu'Aleksander devienne un chausseur pour tenir la promesse qu'il avait faite à mes parents. Je n'ai jamais désiré rien de tout ça.
Tout est de ma faute.
Si je n'avais pas été là, Jonah n'aurait pas souhaité me protéger. Il ne se serait jamais rendu au quartier général, où il est resté prisonnier pendant plus de dix ans. Sans moi, mes parents n'auraient peut-être pas combattu Azarias après ce qui est arrivé à Jonah, car ils n'auraient pas eu d'autre enfant à défendre et à sauver.
Si je n'avais pas subi d'hypnose, mon oncle n'aurait pas souffert toutes ces années. Il n'aurait pas été obligé de quitter sa vie pour en vivre une autre complètement étrangère et forcée. Si ce n'était pas pour moi, Taehyung n'aurait jamais subi ma perte. Il s'est sacrifié tant de fois pour moi, pour me protéger. Il n'a jamais rien demandé, et pourtant, c'est sans doute celui qui a le plus souffert.
Et même maintenant, à cause de moi, Zach doit activer ses pouvoirs pour maintenir la barrière et Taehyung par amour et inquiétude à mon égard, ne fait rien d'autre que s'entraîner et canaliser le lien.
Si je ne m'entêtais pas à vouloir m'enfuir, tout serait plus facile pour eux, je le sais. Mais en dépit de l'affection que je leur porte, la colère a pris le dessus depuis ce qui s'est passé à Sina. Je ne peux pas la faire partir et l'arrêter, c'est impossible.
Un feu brûlant de ressentiment m'envahit à chaque fois qu'ils quittent la maison pour vérifier que je ne me suis pas enfui ou pour me demander si j'ai besoin de quelque chose.
Darren m'a menti. Il l'a fait durant plus de dix ans. Tout n'était que mensonge. Toutes ces années, j'ai cru que mon père m'avait abandonné. Si en grandissant j'ai fini par comprendre son geste, car devenir comme lui l'a rendue plus simple à accepter, ce fut longtemps le contraire.
Comment a-t-il pu faire quelque chose d'aussi horrible à son fils ? Ma mère était morte, c'est vrai, mais cela ne lui donnait pas non plus le droit de partir.
De retour chez nous, le dialogue s'est révélé être impossible pendant plusieurs jours. J'étais tellement affecté par cette révélation, qu'à chaque mot prononcé par mon oncle, le chagrin me donnait envie de vomir.
Quand j'ai fini par vouloir entendre la vérité, il m'a expliqué les points principaux. Pourquoi mon frère est allé au quartier général, pourquoi je ne me souvenais pas de lui et pourquoi mes parents sont morts. C'était assez court. Non pas parce qu'il ne voulait pas en dire plus, mais parce que j'étais incapable d'encaisser les détails.
Je le déteste. Je déteste le fait qu'il m'ait menti tout ce temps. Qu'il ait osé me regarder dans les yeux après leur disparition et me dire qu'il s'agissait d'un simple accident de voiture. Me dire que mon père a ensuite rejoint ma mère parce qu'il ne supportait pas vivre sans elle.
Le mensonge est terrible à accepter, car j'ai mis du temps à accepter cette histoire, qui dans le fond m'a toujours paru touchante. Non seulement parce qu'au bout du compte, je n'ai pas vraiment eu le choix, mais en grande partie parce que je crois ça me rassurait de savoir que mon père ne souffrirait plus.
C'est pour ça que le mensonge fait si mal. Car j'avais fini par accepter leur départ. En fin de compte, j'avais trouvé un certain sens à leurs morts. Seulement, les révélations d'Azarias ont tout brisé.
Il n'y a jamais eu d'accident ni de suicide. Il n'y en a jamais eu parce qu'ils ont été assassinés. Et cet aveu, je ne m'étais jamais préparé à l'entendre.
J'ai parlé à Azarias à plusieurs reprises, je l'ai confronté tant de fois sans savoir qu'il était responsable de toutes nos souffrances. Il a tué mes parents. Ils sont morts au quartier général et leurs corps ont certainement été brûlés sans aucun remords. Tel des objets jetés à la poubelle. Il s'agissait de noms supplémentaires ajoutés sur une liste sûrement déjà bien remplie.
J'ai vécu avec un mensonge toute ma vie. Et peu importe combien je l'aime, je ne ressens que de l'amertume envers lui à l'heure qui l'est. Je la ressens, car je veux partir. Les initiatives qu'ils prennent ne sont pas totalement injustifiées parce qu'ils ont raison. Je veux m'échapper et ils font tout pour que cela n'arrive pas. Ma colère s'aggrave principalement à cause de cela. Je suis frustré parce que je ne peux pas le faire.
Je veux tuer Azarias, je ne pense qu'à cela. Mais je dois aussi aller chercher mon frère. Le savoir là-bas est insoutenable. Avant, c'était différent. À cause de ce qui s'est passé durant notre enfance, mon esprit m'a protégé de sa mort en effaçant de ma tête toute trace de son existence.
C'est sans doute l'information la plus difficile à accepter. Ça me semble impossible. C'est mon frère, bon sang. Comment ai-je pu l'oublier ? Comment ai-je pu passer devant sa chambre toutes ces années sans me souvenir de lui ?
Toutefois, je sais aussi à quel point notre cerveau peut être complexe. Nous ne le comprendront certainement jamais complètement, donc je ne veux pas m'aventurer sur ce sujet. Ce que je sais, c'est que cette amnésie est à présent terminée. De la même façon que mon hypnose s'est envolée lorsque Taehyung a failli mourir. Voir mon frère vivant a possiblement eu le même effet.
Je pense chaque heure, chaque minute, chaque seconde, à nos derniers instants. Son corps à la merci d'Azarias, son visage humide de larmes. Maintenant que j'y pense à tête reposée, ce n'est pas seulement Taehyung qui m'a forcé à quitter le quartier général quand j'ai perdu le contrôle.
Mon frère y a également contribué. Je revois son signe de tête qu'il a fait lorsqu'il a dévisagé Taehyung. Comme s'il lui avait demandé de partir, de me sortir de là. Il a fait ce que je n'ai pas su faire à cet instant. Être raisonnable. Comment pourrais-je l'être après ce que je venais de découvrir ? C'était insensé.
Alors il a fait ce qu'il a toujours fait. Me protéger. S'assurer que je quitte le QG et que je sois loin d'Azarias et des lieutenants. Jonah a toujours été le grand frère idéal. Il prenait soin de moi et veillait à ce qu'il ne m'arrive rien. Et même aujourd'hui, après tout ce qui s'est passé, il continue à le faire.
Mon amour pour lui et la vengeance. C'est ce qui m'empêche de perdre la tête, d'abandonner. Parce qu'au fond je sais que si je n'y pense plus, je ne sais pas si je pourrais rester plus longtemps sur cette terre.
Si pour nous Jonah est mort il y a plus de dix ans, savoir qu'il était en réalité captif change tout, absolument tout. C'est pourquoi rester ici est aussi insupportable que tout le reste. Éprouver de l'amertume est une chose, mais savoir que mon frère est là-bas est pire que tout. Mes émotions sont mélangées, je suis en conflit continuel avec mon esprit. Je ne sais plus ce que je dois faire.
Il nous fallait simplement venir à Sina pour négocier. Et même si je savais que nos chances de les convaincre de renoncer étaient minces, un faible espoir dormait encore en moi. Parlez, trouvez une solution. C'est parce que beaucoup d'hommes en ont été incapables que de nombreuses guerres se sont produites. Et c'est ce que je voulais impérativement empêcher. Personne ne désire faire la guerre. Je ne le désirais pas non plus quand nous sommes venus à Sina.
Mais sans grande surprise, il n'y a pas eu de discussion. Les dés étaient déjà jetés depuis longtemps. Nous avons appris la date de l'affrontement, et par la suite Azarias a tout révélé.
Tout a été minutieusement planifié par le capitaine.
Il doit jubiler dans son château après ce qui s'est passé. J'ai franchi la ligne ce jour-là. J'ai même failli tuer un lieutenant sans la moindre hésitation. Azarias voulait que ça se produise. Il voulait montrer à tous, que les Thurisaz sont des monstres, qu'une paix future est impossible.
Et comme un idiot, j'ai plongé la tête la première. Je n'ai fait que confirmer ces faits, en lui montrant qu'il avait raison. C'est à cause d'un comportement agressif et imprévisible comme le mien qu'une alliance est incertaine.
Néanmoins, dire que je m'en veux serait mentir. Si je l'ai fait, c'est parce que j'en ressentais le besoin. Et même si ce n'était probablement pas la bonne méthode, je ne veux pas me sentir désolé. Mes émotions ont pris le contrôle, et si le lien s'est déchaîné, c'est qu'il le fallait.
Si cela n'avait tenu qu'à moi, je serais allé jusqu'au bout. Je sais que c'est minable de penser ainsi. Je ne suis sûrement pas meilleur que nos ennemis, mais c'est ce qu'ils méritent. Ils ont fait souffrir Jonah pendant de nombreuses années, aujourd'hui il est encore captif et je ne peux pas rester les bras croisés.
Si je savais qu'il s'y trouvait, j'aurais fait quelque chose il y a fort longtemps. J'aurais pu le sauver. Et en ce moment même, il serait avec nous. Notre famille serait réunie et mon frère serait en sécurité. Mais ce n'est pas le cas. Jonah est toujours à Sina, piégé dans cet endroit maudit. Il est toujours là-bas et nous ne faisons rien.
Deux mois se sont écoulés et rien n'a changée. Ils essaient juste de me réconforter, et de me rassurer sur son sort. Ils continuent de prétendre que nous agirons pendant la guerre. Parce que le faire maintenant ne nous servirait à rien, car ils s'attendent justement à ce que nous le fassions.
C'est certainement vrai, ils savent que nous désirons libérer Jonah. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas le faire, sous prétexte que nous le ferons le moment venu, c'est-à-dire dans quatre mois.
Ils n'ont aucune excuse acceptable à me donner, quand on sait qu'aucun d'entre eux n'a hésité un seul instant à se rendre à Sina pour sauver Taehyung lors de son exécution. Alors pourquoi ne recommencent-ils pas ? C'est mon frère dont il s'agit. Il est autant de la famille que mon oncle, ou moi pourrions l'être. Et ça me rend fou de voir qu'ils ne font rien.
Je me lève pour la première fois depuis quelques heures et la paume de ma main repose à nouveau contre la barrière. Une lumière électrique plus dense se forme autour d'elle, en y restant plus longtemps.
Ma prise se resserre, et comme si elle était vivante, je la sens résister contre ma peau. Je m'apprête à ajouter l'autre main, mais je lève la tête lorsque je sens une présence dans mon dos. Je me recule alors de la barrière, et sans me retourner j'attrape rapidement une veste qu'il me lance en la gardant au creux de ma main.
— Si tu n'as pas l'intention de rentrer, enfile au moins ça.
Je ne réponds pas et laisse tomber mes jambes au sol, posant le vêtement sur l'herbe légèrement humide en cette fin de journée. Je l'entends soupirer derrière moi et il vient me rejoindre, sur ma droite. Il regarde la forêt pendant un long moment, avant que je ne sente finalement ses yeux se poser sur mon visage.
Remarquant sans doute un frisson auquel je ne prête pas attention, il attrape la veste noire qui m'oblige à enfiler. Comme une poupée, je le laisse faire, n'ayant pas la force de me battre pour quelque chose d'aussi stupide qu'un habit. Lorsqu'il remarque que mon expression renfrognée et colérique est toujours présente, il prend une profonde inspiration et pose ses mains sur ses genoux, haussé vers son torse.
— Tu es encore en colère contre moi ?
Je m'abstiens de lui lancer un regard noir. Sa question est idiote.
— J'en veux à tout le monde. Tu ne fais pas exception.
— J'ai fait ce qu'il fallait faire et tu le sais.
— Non, je ne sais pas justement.
Sa mâchoire se serre à ma voix colérique. Je me lève brusquement, ressentant finalement le besoin de faire les cent pas. L'ongle de mon index vient rapidement décoller la peau morte de mon pouce. Un geste anxieux et contrarié que j'essaie de cacher du mieux que je peux. Son regard me suit et il ne tarde pas à se lever à son tour, restant contrairement à moi, complètement statique, les bras le long du corps.
— C'est mon frère, Taehyung ! Tu m'as pris avec force et tu t'es enfui sans que je puisse dire un mot.
— Parce que c'était la meilleure chose à faire.
Sa voix est toujours aussi douce et calme qu'à son habitude, et ça m'agace qu'il soit si imperturbable alors que je suis emporté par une tempête depuis des semaines. Une tempête dans laquelle personne ne semble vouloir m'accompagner.
— Tu n'étais pas en position de prendre une décision. Si je ne l'avais pas fait, tu ne serais jamais parti.
Mes bras se lèvent hâtivement, comme si c'était évident.
— Bien sûr que je ne serai jamais parti !
Son visage chute quand il me voit si tourmenté.
— Jungkook, murmure-t-il.
— Ce n'est pas différent, tu sais ?
Il souffle à nouveau et lève la tête à ma question. Un léger pli apparaît entre ses sourcils.
— De quoi tu parles ?
— Ton exécution. Ce que Jonah a vécu était exactement pareil. Comme toi, il était entre les griffes d'Azarias et pourtant nous l'avons abandonné.
Ses pupilles se dilate, distinguant sans doute la contraction douloureuse de ma poitrine en prononçant ces mots.
— Il l'a demandé, tu sais ? Il savait que la situation était critique et qu'au moindre mouvement de ta part Azarias lui aurait brisé la nuque. Et il en aurait certainement profité pour te tuer juste après. Ton frère le savait et c'est pourquoi il a fait ce qu'il a fait.
Ayant l'impression que mon torse est sur le point d'exploser, j'arrête de marcher un instant pour pouvoir respirer correctement. Mon buste se soulève et je prends une grande inspiration. Putain. Cela faisait longtemps que je n'avais pas ressenti cette sensation désagréable.
— Bien. Faisons comme si je pouvais l'accepter. Admettons que toi et Jonah ayez fait ça pour me protéger. Qu'est-ce qui nous empêche d'y retourner maintenant ?
Il reste silencieux quelques secondes et fait quelques pas dans ma direction pour saisir une feuille entremêlée dans ma chevelure.
— Azarias s'attend justement à ce qu'on le fasse. Il le tuera avant même que nous puissions pénétrer le QG. Il s'amuse avec toi Jay.
Je le regarde pour la première fois dans le blanc des yeux lorsque je l'entends prononcer mon surnom.
— Et puis si nous attaquons Sina pour sauver Jonah maintenant, nous violerons l'accord de la guerre.
— Au diable l'accord ! C'est juste une excuse, dis-je d'une voix rauque.
— Je sais bien qu'ils s'en serviront comme excuse. Mais cela leur donnerait raison, car le jour de la bataille est déjà fixé.
Si normalement ses caresses me calment immédiatement, sa main qui vient toucher ma joue me fait juste frissonner. Un frisson de déchirement, car même son contact ne peut plus me détendre.
Je ne sais pas s'il s'en rend compte, s'il le remarque vraiment ou non. Mais s'il le fait, il ne retire pas sa main pour autant. Et au fond, je crois que je suis content qu'il ne le fasse pas.
Je profite d'un moment de faiblesse de ma part, pendant lequel mes murs s'abaissent, pour savourer la douceur de sa peau. Ce n'est qu'une question de minutes avant que la colère revienne, avant que je m'éloigne à nouveau de lui.
— Ce conflit ne concerne pas seulement toi et moi, mais tous les Thurisaz. Beaucoup d'entre eux doivent s'entraîner au moment où nous nous parlons.
Égoïstement, je n'y avais jamais pensé.
— Certains doivent même rencontrer leur moitié pour la première fois. Il reste quatre mois avant la guerre. C'est du temps pour ceux qui en ont besoin qui ne doit pas être négligé. Et c'est valable pour nous deux.
Il a raison. Une infime part de moi le sait, mais je ne peux que le contredire.
— Et que fait-on pour mon frère ? Il est supposé attendre quatre mois de plus là-bas ?
Sa pomme d'Adam se soulève lentement quand il déglutit.
— Mon frère doit patienter, pendant que nous nous entraînons sans la moindre inquiétude, car on sait que rien ne se passera avant la date convenue. C'est ça que tu proposes, Taehyung ?
La manière dont je prononce son nom est impassible et provocatrice, et je sais qu'il déteste ça.
— Il a passé plus de dix ans au quartier général, je suppose que quatre mois ne changeront pas grand-chose pour lui.
Je cesse de marcher, abasourdi par les mots qu'il vient de prononcer.
— Il nous a demandé de nous enfuir pour qu'on puisse profiter de ce temps précieux. Pas pour qu'on le gaspille en venant le sauver, quitte à prendre le risque de tout gâcher.
— Tu n'es pas sérieux ?
Ses pieds reculent quand mes iris écarlates apparaissent brusquement.
— Tu sais que j'ai raison. Seulement tes émotions t'empêchent de t'en rendre compte.
— Ah, tu crois ?
Il ne tressaille même pas lorsqu'une aura rouge se dessine autour de moi. Depuis ma transformation à Sina, je contrôle les différentes phases du lien facilement.Même si je n'ai pas nécessairement envie d'accéder à nouveau à la dernière, c'est désormais plus facile de jongler avec les deux premières.
— Ne joue pas à ce petit jeu avec moi Jungkook.
Sa voix gutturale me fait presque trembler de plaisir. Voilà, c'est bien. Sois en colère. Cesse de toujours aller dans mon sens par crainte de me blesser. Je le suis déjà de toute façon. Alors descends avec moi dans les enfers, c'est peut-être là seule chance que j'ai pour remonter.
— La barrière de Zach ne tiendra pas éternellement. Si vous ne voulez pas bouger, je sauverai mon frère moi-même.
Je ne lui laisse pas le temps de répondre et je me dirige à nouveau vers la clôture, dissipant l'éclat pourpre autour de moi en un instant. Je m'assois en tailleur devant elle, comme si elle allait disparaître à tout moment.
Au bout du jardin, derrière moi, Taehyung met du temps avant de rentrer. Il me regarde, je le sais. Mais je ne dis plus un mot. J'ai dit ce que j'avais à dire ce soir. Ce que je ne cesse de répéter depuis que nous sommes rentrés.
Mon frère est ma priorité. Il l'était déjà à l'époque et il le restera éternellement. Aujourd'hui, plus que jamais.
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Les bases sont posées, et vous comprenez déjà l'état mental ou se trouve Jungkook.
Que pensez-vous de leur discussion ? Je suis curieuse dites-moi tout !
Je reprends le travail Lundi 6 donc je ne peux rien vous promettre sur la fréquence des publications mais je ferais au mieux !
Prenez soin de vous et couvrez vous bien ! ♥
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