Chapitre 4

-"Monsieur, il reste 5 minutes avant l'atterrissage sur zone."

-"Bien, prévenez le Directeur que nous arrivons."

Nous ne sommes donc plus très loin de la terre ferme, il était temps. Le trajet, bien que court, est plutôt pesant. Personne ne dénie parler depuis le décollage, pas même le Doc, et c'est dans un silence de plomb que je faisais mon premier voyage intersidéral... En étant consciente du moins. Il m'est impossible d'admirer le vide spatial, car il n'y avait aucune fenêtre.

La seule chose qui me reste à faire, c'est analyser avec attention les autres passagers. Une vieille habitude, que j'appliquais dès ma sortie de l'Académie. Que ce soit des ennemis ou des "alliés", je notais tout ce qui pouvait servir. On ne sait jamais quand un ami peut retourner sa veste et nous poignarder dans le dos. C'est donc dans cette optique que j'observe attentivement les passagers du vaisseau. Je remarque immédiatement que les visières noires peuvent être relevées pour laisser place à des simples "lunettes". Grâce à cela, à l'unique vue des yeux, je déduis une chose. 3 des 10 soldats sont des femmes, environ la quarantaine pour la plus vieille je dirais, les autres (Simples passagers compris) sont des hommes.

Les femmes ne sont, de ce fait, pas exclues de la Défense, ce qui me laisse penser que c'est la même chose pour les autres domaines et couches de la société. Une société où l'égalité homme/femme paraît être acquise, c'est presque surréaliste. En effet, la condition de la gente féminine lors des Guerres Cristallines n'était pas au beau fixe. Les femmes ne servant pas la patrie n'avaient comme autre utilité que la reproduction et l'éducation des enfants.
Un bond de 150 ans en arrière avait été effectué et chaque récalcitrante subissait les conséquences de ses actes. Je me souviens très bien des exécutions publiques, celles de militantes pour un retour à l'ancien temps. À Tokyo, Nagoya, Toyota, Kokura et dans toutes les villes, celles qui ne suivaient pas les règles étaient éliminés. Une vraie purge, nécessaire selon nos politiques à la sauvegarde du futur. Plusieurs fois, j'ai assisté à des mises à mort aussi bien d'hommes que de femmes, par pendaison. Voir ces gens qui se débattent, pleurent, jurent. Entendre leurs cris de souffrance et de désespoir alors qu'on les amène à l'échafaud. Pour le public, c'était d'une horreur complète, un acte impardonnable. Pour moi, ce n'était que l'élimination de l'opposition, dangereux pour la pérennité du Japon.

Une main tapotant mon épaule me tire hors de mes ruminations. Je tourne la tête vers la droite et fait face à la personne. C'est un soldat, celui-ci me fixe.

-"Qu'y a-t-il ?" Dis-je froidement, mais sans quitter l'importun des yeux.

-"Oh, rien de grave. Je voulais juste te demander : Qui es-tu ? Je ne t'avais jamais vu avant et tu ne sembles pas d'ici.

Je l'observe attentivement, et je peux assurer qu'il est jeune, sans aucun doute. Il ne doit pas dépasser les 22-23 ans, à peine plus âgé que moi. Ses yeux, d'un marron monochrome, brille néanmoins de curiosité. Je pense qu'il s'agit d'un novice, ayant intégré l'armée depuis peu. Un garçon ayant du mal avec les ordres, mais qui néanmoins est plus que ravi de sa place. Bref, un nouveau voulant faire ses preuves, comme j'en ai vu tant d'autres parle passé. Je suis également d'avis qu'il vient d'un endroit éloigné. Son accent le trahi, il me fait penser aux fermiers américains que j'avais pu croiser lors des guerres.

D'ailleurs, s'il y a bien une chose qui me perturbe dans ce nouveau milieu, c'est la langue. Tout le monde parle l'anglais, à peu près parfaitement. J'ai interrogé Joworgsen peu avant le départ, et ce dernier m'expliqua que l'anglais était devenu la langue principale de toutes les nations en place. C'était nécessaire d'agir de la sorte, non seulement à cause des distances parfois gigantesques à couvrir (Ce qui pouvait laisser le temps à des dialectes locaux de s'établir) mais aussi pour faciliter le commerce et la politique étrangère. Il rajouta que plus d'une langue avait quand même changé en 500 ans, et que moult patois étaient nés. Cela donnait lieu, d'après lui, à des gens ayant un anglais irréprochable, mais possédant une diction infâme. Et le soldat que j'ai devant moi en fait partie, c'est une véritable épreuve que de comprendre ses phrases. Mais avant que je songe à répondre, un autre s'en charge à ma place.

-"Üller, taisez-vous ! Si je dois vous rappeler à l'ordre encore une fois, soyez sûr que votre carrière s'en trouvera écourtée !" Dit un homme en face de moi, probablement le commandant du détachement.

Son armure à une particularité, car un triangle rouge a été peint sur la poitrine. Je pense qu'il s'agit d'une indication de grade, je ne vois pas d'autre explication. Il est aussi le seul à ne pas avoir relevé sa visière. Et contrairement à l'autre, il est parfaitement compréhensible.

-"Désolé mon adjudant, ça n'arrivera plus." Dis Üller, avant de se tourner vers moi et de marmonner des excuses.

Les quelques minutes restantes furent d'un silence de plomb. Puis enfin, nous arrivons au bord de la planète, ou plutôt de son atmosphère. Une couche de nuages épaisse et d'un rouge orangé vif, donnant à cet astre un air encore plus désertique qu'il n'a déjà. La descente est pleine de turbulences, les secousses se font plus violentes à mesure que le vaisseau se dirige vers le sol. Mais malgré ça, aucun de nous ne bouge, nous paraissons impassibles. Jusqu'à ce que le pilote prenne la parole.

-"Chers passagers, nous avons atterri sur Poweria."

La passerelle du vaisseau s'ouvre, alors que moi et les autres passagers, nous retirons nos ceintures et nous nous levons. Je porte immédiatement le regard vers l'extérieur. C'est... Un paysage étrange. Un amas de roches rouges et oranges à perte de vue, et de la poussière voletant dans chaque recoin. Plus je descends vers la terre ferme, plus les alentours se précisent. C'est un environnement dur, abrupte et sans verdure. Au loin, j'aperçois des reliefs montagneux dépassant aisément les 3000 mètres de haut, certain ayant d'étranges structures à leur sommet . Mon regard se porte ensuite sur ma gauche, aussi ce que je vois manque de me couper le souffle. Une immense carrière creusée profondément dans la pierre et où se pressent quantité de petites silhouettes. Des hommes ainsi que des femmes s'activant à extraire les précieux minerais de la terre, au moyen de machines dont le fonctionnement m'échappe. Une vraie ruche, qui grouille d'ouvriers travaillant dans des conditions dantesques. Le Doc n'avait pas tort quand il disait qu'on ne vit pas ici, mais qu'on y travaille. Personne ne doit vouloir fonder une famille ici, enfin de ce que j'en sais. Avec un peu de mal, je reviens vers Joworgsen. Celui-ci est à quelques dizaines de mètres plus loin, occupé à parler avec un homme. Je le reconnais uniquement grâce à un couteau, placé dans un étui à sa ceinture. Je l'avais remarqué là-haut et il semble que mon "tuteur" y tienne. Heureusement qu'il possède ce trait extérieur, parce que je n'aurais pu le reconnaître physiquement (À cause des combinaisons intégrales) et encore moins entendre sa voix, car le vacarme assourdissant empêche d'entendre à plus de 5 mètres. Je me place à côté de lui, attendant qu'il finisse sa conversation.

-"Oh Yanimi je ne vous avais pas vu, s'écrie-t-il en se tournant. Est-ce que vous avez exploré les lieux ?"

-"Oui. C'est clairement l'idée que je me fais d'un paysage apocalyptique." Que je parviens à dire, en tenant le même volume.

-"Effectivement... Venez, on va aller dans un endroit plus calme."

Je le suis, alors qu'il me conduit une centaine de mètres plus loin. Je continue à balader mes yeux aux alentours, et c'est partout la même scène. Des gens anonymes qui se tuent à la tâche, espérant une vie meilleure. Je doute que les salaires soient à la hauteur de la tâche accomplie. Mais je sais en revanche qu'un lieu tel que celui-ci est propice aux grèves et autres révoltes. Ce qui m'amène à me demander quel genre de gouvernement est en place. J'ai beau me trouver au XXVIe siècle, rien ne me dit que la situation politique a évolué. Mais comme plusieurs pays subsistent, il doit y avoir plusieurs formes de pouvoir. Il y a tant d'inconnus dans ma tête, et je dois absolument trouver des réponses à tous mes questionnements. Je ne sais pas encore à quoi je vais servir précisément, mais il me faut être prête, si jamais ça tourne mal...
Je chasse mes tourments quand j'entre dans un nouveau bâtiment. Il s'agit d'une infrastructure modeste, pas excessivement grande. Il y a une croix rouge sur fond blanc qui orne le haut de l'entrée, donc ça doit être un hôpital. Une fois la porte automatique refermée, les bruits de l'extérieur s'évanouissent. L'intérieur est plus exigu que je ne le pensais, il s'agit plus d'un dispensaire en réalité et nous sommes à l'accueil. Il faut passer un sas avant de mettre les pieds dans le dispensaire à proprement parlé. Bizarre, Joworgsen n'a pas mentionné de matières toxiques ou radioactives. Mais le plus étrange, c'est que rien ne sort des tubes aux quatre coin du sas, hormis ce qui semble être un jet d'air comprimé. 10 secondes plus tard, nous passons le seuil puis, presque immédiatement, le Doc débranche le masque à oxygène puis enlève son casque. Je manque de lui sauter dessus, mais il s'empresse de me rassurer.

-"Pas d'affolement, je ne suis pas fou ! Voyez-vous, des dispositions ont été prises afin que l'air devienne respirable ici. Il n'a rien avoir avec l'extérieur saturé en poussière. Je vous invite à enlever votre masque, vous le sentirez par vous-même."

Avec hésitation, je fais ce qu'il dit. C'est une sensation de pureté qui envahit mes poumons. L'air est sain, propre et bien plus respirable que celui que j'ai pu ingérer, du temps où j'étais sur Terre (Qui lui puait tellement, qu'il fallait se retenir de vomir).

-"C'est... agréable. Dis-je en prenant une bonne bouffée d'air frais (Ne sommes-nous pas censés être à l'intérieur ?)."

-"Je ne le vous fais pas dire. Je dois admettre qu'à chaque fois que je viens ici, j'en profite pour sentir autre chose que l'huile de moteur." Déclare Joworgsen avec un large sourire.

-"Alors, c'est ici que se trouve vos patients, dis-je en balayant la pièce du regard. Combien de temps doit-on rester ?"

-"Je dirais un jour et demi, pas plus. Il faut que je me rende dans les différentes chambres pour les examens, que je vois quelques personnes, puis que je signe quelques papiers. Il soupire puis rajoute : Ensuite nous repartirons aussitôt. Pendant que je travaille, détendez-vous. Il y a une salle d'attente derrière la porte de droite qui se verrouille toute seule, sur commande vocale. Profitez-en pour enlever cet attirail, on le fera nettoyer et une infirmière viendra vous apporter une tenue convenable. "

-"Merci, j'accepte les vêtements, mais je garde l'uniforme."

-"Une vieille habitude, hm ? De rester constamment professionnel ?" Me demande-t-il en passant une main dans ses cheveux.

-"Plutôt un réflexe, je préfère assurer mes arrières. Uniquement si ça ne pose pas un problème."

-"Mais pas du tout, dit-il en prenant un ton conciliant, je comprends. Juste, dites-vous qu'il n'y a rien à craindre, vous êtes en sécurité. Et dans un avenir proche, vous n'aurez plus de soucis à vous faire pour quoi que ce soit. Bref, je reviens d'ici à une heure pour vous amener à votre chambre."

Après ces paroles énigmatiques, il me salue pour s'éclipser. Je suis ses instructions et me dirige vers la salle d'attente. Il n'y a personne, c'est calme comme le reste du bâtiment. La pièce est maculée de blanc, avec comme seule autre couleur le noir de la porte. Au même moment, une jeune infirmière aux cheveux châtains et aux yeux bleu marine vient me porter de nouveaux habits (Je ne saisis pas pourquoi je dois me changer, la combinaison couvre entièrement mes vêtements). Je porte désormais un pull à longues manches noir et un pantalon du même coloris. On dirait un jean, mais dès que je rentre mes jambes, je serai prête à parier que c'est du velour. Encore une invention de ce monde, une de plus.

Une fois nouvellement vêtu, je décide d'aller m'asseoir. D'un pas lent, je vais sur une des chaises (Ressemblant étrangement à celles un peu futuristes des années 1950) et je me détends enfin. Il n'y a rien à craindre, c'est bien ce qu'il a dit. Je sais que tout porte à le croire pour l'instant, mais c'est plus fort que moi. Ces dernières 36 heures me paraissent trop belles pour être vrai. Le stress commence à remonter en moi, j'ai l'impression que quelque chose cloche. Non, je ressens plutôt cette désagréable sensation que ça va mal tourner.

Je ne dois pas me reposer sur mes lauriers, ne pas baisser la garde, ne pas devenir faible.

Alors que je commence à me questionner sur je ne sais combien de sujets, un cri masculin déchire le calme apparent. Il vient de dehors, assurément et est d'une tonalité clairement extrême pour qu'on puisse l'entendre au travers du casque et des murs. Mon sang ne fait qu'un tour, un cri de douleur comme celui-ci me fait changer directement. J'attrape l'armure de combat (Car c'est bien de cela dont il s'agit) et me précipite vers l'accueil en l'enfilant avec une rapidité qui me déconcerte presque. Malgré les protestations du réceptionniste, j'arrive à passer le sas et sortir. La lumière m'aveugle une seconde, mais j'arrive à voir le terrible tableau. 10 mètres devant moi, un homme est mort. Il est face contre terre, du sang s'écoulant d'un trou béant au niveau de son abdomen. Des gardes se pressent autour de lui, un brancard est amené pour enlever le cadavre. Autour de moi, la plupart des machines se sont arrêtées, la nouvelle s'est répandue. J'aperçois dans la foule de mineurs, de médecins et de soldats l'adjudant qui se trouvait dans le vaisseau. Il me remarque et commence à s'approcher, jusqu'à ce qu'une détonation se fasse entendre.
Un coup de feu, pas de doute. Et en un éclair, un mineur situé deux mètres à ma gauche tombe. Et là, c'est un carnage, les balles et autres lasers pleuvent. Toutes les machines s'arrêtent et laissent place à l'affolement des gens. Tout le monde se met à courir, tentant d'échapper aux tirs. Partout où je pose mon regard, des hommes ainsi que des femmes tombent sous les projectiles. Moi, en revanche, je parviens à me mettre à couvert dans ce qui semble être une pelleteuse. Les tirs venaient de derrière nous, les assaillants doivent être nombreux. Je ne sais pas qui ils sont ni pourquoi ils font cela, mais je suis sûre d'une chose : Il n'en restera pas un. 

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