2.1⭐Isaac
La journée défile rapidement et alors que l'heure dorée colore le ciel de nuance d'orange et de violet, nous avons enfin installé tous les meubles et rangé tous les sextoys dans la réserve avant l'inauguration.
— Lorsque tu auras tout bien décoré, ce sera parfait. Un nouveau départ.
— Merci de m'avoir permis de rebondir.
— Je te dois bien ça. C'est grâce à toi si je ne suis pas partie en vrille, à l'époque. On parlera de l'ouverture officielle de la boutique et de la communication demain. Ce soir, je t'emmène découvrir la vie nocturne d'Asheville ! Ce n'est pas New York ou Los Angeles, mais c'est tout autant agréable.
— Laisse-moi deviner... On est samedi donc on va boire, n'est-ce pas ?
— Il y a trop de brasserie ici pour que tu passes à côté !
— Tu sais que je n'aime plus sortir.
— Je sais aussi que tu dégages une puissante aura de frustration sex-
— OK, j'ai compris. On y va.
Vivi est certes très spéciale, surtout quand elle part dans ses délires extravagants, mais elle est un des rares rayons de soleil dans ma vie actuellement.
Nous avons plus d'une quinzaine d'années de différence, mais je me sens étrangement proche d'elle, même si son envie constante que le monde autour d'elle aille bien peu parfois m'énerve.
Lorsque nous débarquons dans le district « des arts, de la mousse et du BBQ », comme elle l'appelle, je suis assaillie par les odeurs de viandes grillées d'un côté, les notes de musique agitées de l'autre.
— Je croyais que tu étais vegan ? lui demandé-je en la voyant saliver.
— Pesco-végétarienne et seulement en semaine afin de purger mon corps. La chair aide à ne pas perturber mon équilibre.
— Oui, bien sûr.
Nous arrivons devant un immense terrain à vague envahit par des food-truck réunissant de très nombreuses personnes, espace coincé entre deux bars dont l'un d'eux affirme servir la meilleure bière belge de la région.
Je fais confiance à Vivi qui me conseille quoi commander, à qui et surtout quel jour. Elle me présente avec aisance aux barmen ainsi qu'au propriétaire qui paraît ravi qu'un nouveau commerce n'ouvre.
Le mot « sex shop » ne semble faire ni chaud ni froid à personne ici. A contrario, quand j'en ai parlé à mon entourage français, les réactions étaient plus mitigées.
« Ce verre est offert par la maison, future camarade ! » déclare-t-il avec un grand sourire et toute la bonne humeur excessive qu'un américain du nord peut avoir.
Un détail que je remarque d'autant plus après être retourné en France et dont j'ai encore du mal. J'ai tendance, dans mes mauvais jours, à prendre leur exagération pour de l'hypocrisie.
Mais avec Vivi à mes côtés, je suis rassurée.
« Oh ! Coupez-moi ce merdier ! » s'exclame soudain le patron en levant la tête vers l'écran de télévision au-dessus du bar.
Avec affiché en gros plan, pendant une des nombreuses cérémonies récompensant les dernières productions hollywoodiennes, un couple d'acteurs sous une pluie de flash d'appareil photo.
C'est tellement rapide que je n'ai pas le temps de voir Tom et je remercie intérieurement la « philosophie » de la ville dont elle m'avait parlé : ici, les gens s'en foutent de la célébrité.
Ils aiment passer de bons moments avec leur famille, savourer le présent et se tenir éloignés de tous les tumultes des grandes villes, comme celle de Charlotte.
Nous buvons plusieurs pintes et c'est après ma deuxième, lorsque je me lève pour aller aux toilettes, que je me sens un peu vacillante. Je mets une éternité à faire la queue et, quand je reviens à ma place, quelqu'un s'est installé sur ma chaise.
— Eh, c'est ma plac-
— Salut, Lix !
Un mouvement de recul. Ce visage, ce corps et cette désinvolture, je la reconnaitrais entre mille.
Je cherche Vivi du regard, comme si elle était mon point d'ancrage, mais je constate qu'elle est en plein flirte passionnée avec un des barmen, au comptoir.
« Salut... » réponds-je sans conviction avant de m'assoir en face de lui. Sa présence fait monter mon anxiété d'un coup et je le maudis d'avance de gâcher ma soirée.
La dernière fois que je l'ai vu, j'étais toujours à New York en train de subir l'ouragan médiatique suite à mes ultimes paroles en public au sujet de Tom.
Isaac. Un homme de quatre ans mon aîné, des courts cheveux roux légèrement bouclés et un visage lisse, mais parsemé de taches de rousseur. Un regard amusé, des fossettes sur les joues présentent en permanence, car il sourit 80% du temps et des yeux gris clair qui ont fait tomber plus d'une femme.
La seule différence avec notre précédente rencontre, c'est qu'il a parfaitement rasé sa barbe, qu'il s'est encore affiné et qu'il est habillé d'un simple t-shirt et d'un jogging.
S'il n'avait pas deux téléphones portables et une Rolex au poignet, personne ne pourrait se douter qu'il est « quelqu'un d'important », comme il adorait le répéter.
L'attaché de presse de Tom et accessoirement, son ami.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? dis-je en ne retenant pas mon exaspération. Tu n'as pas du travail ?
— Il se trouve que si, justement. En tout cas, ça fait plaisir d'être accueilli comme ça par une ancienne amie !
— Abrège. Tu n'as pas parcouru des kilomètres pour boire une bière en Caroline du Nord. Quelle est la raison de ta présence ?
Soudain, Isaac se met à rire avant de pianoter sur l'écran d'un de ses téléphones et de me montrer un article.
« Tom Lacroix obtient le premier rôle pour une nouvelle série sur l'adaptation d'un comics. »
Viviane avait raison. Et si Isaac est ici, c'est peut-être pour s'assurer que ma présence à quelques kilomètres de Tom ne va pas atteindre sa réputation. C'est son boulot.
— Tu es déçue, chérie ?
— Ta gueule.
— J'ai toujours adoré t'entendre jurer en français. Sauf quand tu t'engueulais avec Tom. Tu lui manques, tu sais ? M'enfin, on s'en fout. J'essaie depuis des mois de minimiser l'impact de ta rupture avec lui.
— Pour lui, pas pour moi. Les répercussions sur moi, tu t'en fous.
— Je ne bosse pas pour toi. Mais j'avoue qu'apprendre que tu as déménagé ici alors que Tom va bientôt commencer son tournage à Charlotte, ça m'a donné envie de te revoir.
Je roule des yeux si fort qu'avec l'alcool, j'en ai mal à la tête.
J'ai toujours été mitigé sur le comportement d'Isaac. À chaque fois que l'on se croisait en soirée, il me draguait devant Tom. On a parfois gentiment flirté, mais ça n'est jamais allé plus loin que les mots. Isaac ne m'a jamais touché, même pas pour me faire la bise.
Enfin... sauf une fois. Mais c'est une autre histoire regrettable.
Et le jour où Tom en a eu marre de notre proximité, ça a cassé un truc entre nous. Entre Isaac et moi, plus de complicité. Entre Tom et moi, plus de confiance.
Nous étions un couple solide et le fait qu'il ait des soupçons et imagine un instant que j'aurais pu le tromper alors qu'il était « ma vie », ça m'a marqué. Je me sentais fautive et c'est sa méfiance qui a fait naitre la jalousie en moi.
Alors, voir Isaac devant moi, si proche, ça me perturbe.
⭐⭐⭐
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