19.2⭐Papa Ours

Je suis redevenue une loque. Un sac à patates ne ressemblant plus à rien.

Le pire dans tout ça, c'est qu'à force de pleurer et de manquer d'appétit... J'ai perdu un kilo.

Peut-être que c'est ça, le régime miracle ? De la salade, du blanc de poulet et une grosse déprime.

Face à ma sale gueule pas maquillée et fatiguée, Isaac me dévisage d'une expression entre le dégoût et la pitié.

J'ai eu le courage de le laisser entrer dans mon appartement en cette fin de journée parce que j'étais convaincu que dans mon état, il ne lui viendrait jamais à l'idée de tenter quoi que ce soit.

On en est là.

A accueillir le plus gros red flag de l'existence chez moi.

— Tu vois, j'avais raison.

— La ferme.

— C'est quand la dernière fois que tu as fait le ménage ? Et ces couleurs... C'est horripilant.

— Pourquoi tu es venu ? Pour Tom ?

— Il est trop occupé avec le tournage, mais il s'inquiète pour toi. Tu ne donnes plus de nouvelles à personne. T-

— Est-ce que tu penses que retourner vers Tom serait une bonne chose ?

Isaac fronce les sourcils avant de feindre la réflexion et de sortir l'un de ses sourires malicieux tout en déclarant : « Au moins, je t'aurais de nouveau à l'œil. »

Étant la première à dire que « retourner avec son ex, c'est ravaler son vomi », je me sens tellement désespérée que je suis maintenant convaincu que je n'attirerais aucun homme meilleur que Tom.

C'est un fait et c'est loin d'être un malheur. Retrouver un beau gosse comme lui, si connu et aimé de tous...

Sortir avec une star, c'est comme un rêve, non ?

Je lève les yeux au ciel et m'étale sur le comptoir de ma cuisine, les cheveux en pétard à cause de ma sieste devant la télévision.

— Tu as bien fait de me prévenir. Ben était bien... un fan hardcore de Tom. Encore plus bizarre, car il donnait l'impression de ne pas être « si » obsédé.

— Je te l'ai dit, je ne le sentais pas. Il va falloir prendre des dispositions pour ne plus qu'il t'approche. C'est le genre à péter un câble et t'enlever rien que pour avoir l'attention de sa célébrité préférée.

— Mouais...

— Quoi ? Tu es sceptique ?

— C'est juste que... Tout était si réel avec lui. Je n'ai pas envie de croire que ce n'était que de la manipulation. Ça ne colle pas.

— Ta tristesse te retourne le cerveau. Tu n'es pas lucide. Écoute, ce que je vais faire c'est te prendre un bon avocat pour qu'on instaure une mesure d'éloignement à son encontre.

— À ce point ? C'est extrême.

— On ne sait pas ce dont un fanatique pourrait être capable.

Je fais mine d'être compréhensive, mais je ne suis pas du tout d'accord avec Isaac. Non seulement avec sa façon de m'imposer les choses, encore une fois, mais surtout de vouloir absolument éloigner Ben de moi.

Je veux dire... j'ai été harcelé en ligne et même dans la vie réelle à cause de ma relation avec Tom, mais il suffit qu'un journaliste d'Asheville se colle trop à moi pour qu'il me propose de telles mesures ?

C'est sa jalousie qui parle, pas sa rationalité.

Et il y a quelque chose qui me chiffonne, dans toute cette histoire.

« Tu saurais me dire exactement ce que tu faisais le 3 janvier d'il y a un an ? » demandé-je.

Si je m'attendais à ce qu'il soit surpris, qu'il s'en foute et balaye le sujet, sa réponse m'intrigue :

« J'étais en train de surveiller Tom alors qu'il se bourrait la gueule et, quand il s'est souvenu de votre anniversaire, il m'a supplié de te trouver des fleurs. »

Sa réaction est étrange. Ses mots sont précis, sans hésitations et froid.

Comme si... il les avait préparés et qu'il s'attendait à ce que je lui pose la question.

Mais qui peut se souvenir avec exactitude du déroulé d'une soirée datant d'il y a plus d'un an ? Sauf s'il y a eu... un événement marquant ?

Pourquoi, alors que j'allais sortir de sa vie, Ben m'a posé cette question ? La même qu'au Goombay Festival ?

Cette date n'était pas anodine et connaissant le journaliste, il l'avait volontairement évoqué lors de mon départ pour que j'en saisisse l'importance.

Je commence à me demander s'il y a quelque chose que j'ignore, quelque chose de plus profond.

Peut-être que je suis partie trop vite de chez Ben ? Peut-être qu'avoir fait mon « héroïne de romance trahie à cause d'un élément perturbateur n'étant pas ce qu'il est » n'était pas justifié ?

Je suis en train de me monter la tête à cause d'une unique question... Parce que c'est la dernière chose que Ben m'a demandée.

Il est intelligent et ne m'aurait pas laissé partir comme ça.

Je décide de creuser un peu plus et le pousser Isaac à révéler ce qu'il sait : « Qu'est-ce que tu ne me dis pas, Isaac ? »

Il soupire, comme s'il s'attendait à cette question.

« Écoute, la vérité c'est que je m'en veux parce que c'est moi qui ai proposé à Tom d'aller boire un verre. J'avais totalement oublié votre anniversaire et c'est lui qui, ivre, m'a dit que c'était votre anniversaire. J'ai déformé la vérité parce que je m'en veux. »

Je ne suis qu'à moitié convaincu. J'ai envie de lui en vouloir, mais ça n'a pas d'importance.

Plus maintenant.

« Ça ne sert à rien de ressasser le passé » déclare-t-il avant de terminer son verre d'eau. « Ce n'est pas tout ça, mais je dois y aller. C'est déjà exceptionnel que je trouve le temps de venir te voir, toi et ta gueule de détresse, alors j'espère que tu en as profité. »

Je lui fais un doigt d'honneur puis laisse tomber ma tête entre mes bras, lorsque l'on sonne à la porte de mon appartement.

J'ignore le court échange au loin entre Isaac et la voix que je reconnais être celle de Nate, lorsqu'enfin l'indésirable part pour me laisser avec un gros nounours tout gentil m'ayant apporté de la bière.

« Je suis venu te livrer le pack que tu m'avais commandé il y a plusieurs semaines » dit-il une douce voix avant de ramasser la vaisselle sale sur mon comptoir pour la nettoyer.

« Park viendra te voir demain. La femme de l'un de ses cousins est en train d'accouché et toute la famille doit être présente pour l'après. »

De toute façon, elle m'a tellement harcelé de message sur whatsapp que je n'ai pas la force de lui faire face. Ni de lui expliquer ce que j'ai découvert.

Mais il y a bien une personne à qui je peux en parler. Cet homme chaleureux qui à l'air à la fois détaché et aimant... Et qui est le mieux placé pour comprendre ce qui m'embrouille la tête.

— Tu as vu Ben, j'imagine ?

— Je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre vous, mais en cinq jours, il est devenu... Comment dire ? Il a l'air « absent » et encore plus maladroit que d'habitude.

— Est-ce que c'est possible, ça ?

— Il a failli tomber dans une bouche d'égout et heureusement que j'étais là pour l'en empêcher. Il s'est pointé un après-midi au lycée alors qu'il ne donnait pas de cours de soutien ce jour-là et il a mis deux chaussures dépareillées.

— C'était peut-être une tentative de styl-

— Une verte radioactive avec une bleu nuit ?

Je fais la grimace lorsqu'il approuve d'un lent mouvement de tête. Je savais que Ben ne pourrait pas rester insensible après notre séparation, mais là... il pourrait se mettre en danger.

— Nate, je vais tout t'avouer, mais tu dois me promettre que tu ne diras rien à Parker... Parce que je veux lui dire de vive voix également. Mais avant, j'ai besoin d'en savoir plus et tu as peut-être les réponses à mes questions.

— Tu peux me faire confiance et je vais essayer de t'aider du mieux que je peux.

Nathan est le plus vieux de la bande, le grand frère qui connait Bennett et son historique depuis très longtemps, donc celui qui saura interpréter tout ça avec justesse.

Je lui raconte notre retour après la visite de la brasserie, tout le nœud de sentiments entre nous, notre arrivée chez lui, etc. Il semble très étonné lorsqu'il apprend que son ami m'a laissé rentrer dans son antre, ce qui me confirme que je devais bien être la première depuis longtemps.

J'esquive les détails salaces de ce qu'il s'est passé dans sa chambre et, si Parker avait insisté pour TOUT SAVOIR, Nate hoche tranquillement la tête...

Jusqu'à ce qu'on arrive à la partie difficile à digérer. Le « mur d'enquête ». Les notes, les photos, Tom et moi, sa confirmation et son énigmatique phrase.

Pendant la dernière partie de mon récit, Nate a changé d'expression. Je pensais qu'il serait choqué, mais... il est très songeur. Presque perdu dans ses pensées.

Entre-temps, nous avons bu chacun une bière et, alors que je termine la mienne cul sec, il ouvre enfin la bouche :

— Je ne pensais pas que c'était à ce point...

— Flippant ?

— Une obsession. Ben est obsédé.

— Tu comprends ma réaction...

— Je ne pense pas que l'on parle de la même obsession. Tu as parlé d'un mur d'enquête, Alix. S'il était fan à ce point de Tom, il n'aurait affiché que des posters de ses films. Là, on parle de quelque chose de plus gros.

— Alors quoi ? Tu as une idée ?

— Plus qu'une idée. Mais je suis incertain.

Je fais ma plus belle bouille avec mes yeux brillants pour le pousser à l'aveu, mais rien à faire, je ne suis pas Parker.

Lorsqu'après une longue minute de silence, je sens le mystère s'échapper de mes mains, il revient à la charge.

— Il y a plus d'un an, la veille du 3 janvier, je sais ce que j'ai fait. Et je crois bien que ça a un lien avec toute cette histoire.

— Comment pourrais-tu te souvenir de ça ?

— Parce que c'est la dernière fois que j'ai vu Savannah sourire.

Je reste interloquée par ses paroles, ne sachant pas vraiment quoi dire.

Il boit très lentement sa gorgée avant de pousser un soupir triste et de se masser les tempes. Il prend un moment pour remettre ses souvenirs en place et poursuit :

« Je n'étais pas très proche d'elle. Même Parker qui pourtant, avait fait sa scolarité avec elle, n'était pas une « amie ». Savannah, c'était « la sœur de Benny », une « vieille connaissance du lycée ». C'était compliqué d'être proche d'elle.

Ben t'en as peut-être parlé, mais elle a toujours eu des soucis. Avec l'alcool, la drogue, les hommes... Mais ce n'était pas une méchante fille. Elle était juste « paumée ». Sauf que son frère l'a aidé comme jamais à remonter la pente. Il a abandonné beaucoup pour elle, mais il n'a jamais dit qu'il le regrettait.

Nana était sa seule famille, la seule à le faire rire.

Ses efforts ont payé et elle allait de mieux en mieux. Je l'avais remarqué lorsque l'on s'était croisé à un marché de Noël. Elle rayonnait, tout comme son frère. C'était une résurrection.

Mais quelque chose a dérapé et si je t'en parle, c'est parce que j'ai l'impression d'y avoir une responsabilité...

On avait passé le Nouvel An tous ensemble dans un bar et je me souviens de la fierté de Ben de voir sa sœur rester sobre, s'amuser et être tout simplement heureuse. Le lendemain, alors que la moitié de la ville décuvait, j'avais une course à faire à Charlotte pour le boulot.

Je me souviens de ses mots, c'était... « Dis donc papa ours ? Tu pourrais me rendre un service ? Tu passes vers l'aéroport ? ». C'est ça, « papa ours », ça m'avait fait sourire. J'ai encore l'image d'elle toute souriante avec sa doudoune et sa petite valise.

Je n'ai pas réfléchi et je l'ai embarqué. Sur la route, elle a passé son temps à chantonner des tubes des années 2000 jusqu'à ce qu'elle me demande de ne pas parler de son petit voyage à Ben. Qu'il pourrait s'inquiéter alors qu'il lui laissait enfin un peu de liberté.

Elle m'a montré un carnet rempli de notes, de dessin, en oubliant que je devais me concentrer sur la route. Puis un détail dans ce qu'elle m'a dit m'a surpris : elle allait à New York.

Je lui ai demandé si c'était pour le travail, pour voir une amie... Mais c'était « une surprise pour son frère chéri ». Puis elle a zippé sa bouche pour ne pas en dire plus.

La dernière fois que je l'ai vu, c'était quelques jours après son retour. Avant l'anniversaire de Ben. Elle marchait d'un pas las dans la rue, le regard vide et j'ai eu l'impression que toute vie l'avait quitté. Elle avait sombré, de nouveau.

Et lors de l'anniversaire... Je n'ai pas... Lorsque Parker et moi sommes arrivés devant sa maison, la police était déjà présente. J'ai serré Park si fort dans mes bras pour ne pas qu'elle voit partir le corps caché sous un drap...

Mais Bennett... Son expression m'a dévasté. C'était plus qu'être anéanti... »

Je réprime un hoquet en l'entendant, les larmes menaçant de perler sous mes yeux alors que je n'ai jamais connu cette femme. Rien que d'imaginer ce qu'a pu ressentir Ben, toutes les pertes dans sa vie et son état après s'être fait encore arracher un bout de cœur...

— Pourtant, par je ne sais quel miracle, il s'est relevé. Il... a repris vie, petit à petit.

— Il est incroyable...

— Mais maintenant que tu m'as raconté votre dispute, je commence à comprendre comment il a fait. C'est un « objectif » qui lui permet de se lever tous les matins et de ne pas s'effondrer à chaque fois que l'on évoque sa petite sœur.

Les pièces du puzzle se mettent lentement en place dans ma tête.

Le départ de Savannah pour New York, la veille du 3 janvier. Cette date fatidique. Si importante.

— C'est lorsque j'ai avoué à Ben que j'avais accompagné sa sœur à New York qu'il a eu... je ne sais pas. Il a changé. Si avant je ne voyais que de la tristesse et de la lassitude dans son regard, j'y ai vu de la détermination. Peut-être même une rage.

— Il a flairé quelque chose. Quelle était l'excuse de Savannah pour son départ ?

— Elle lui a dit qu'elle passait le week-end chez une amie de l'université, à Charlotte. Tout était secret.

Et si Savannah avait vécu quelque chose qu'elle n'aurait pas dû connaitre ? Si Ben mène réellement une enquête obsessionnelle... Alors tout nous ramène au 3 janvier à New York.

Ces photos, les mails, tout renvoi à...

Tom Lacroix.

Je regarde Nate avec des yeux écarquillés et il hoche la tête en guise de réponse, ne sachant surement pas où va mon raisonnement, mais ayant compris comme moi que nous étions sur une piste dangereuse.

Et toutes les preuves, tout ce dont j'ai besoin pour comprendre cette histoire, sont avec Bennett.



⭐⭐⭐



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