Il fait encore gris dehors et l'odeur dans l'air présage une bonne averse, mais Parker s'en fiche et m'entraine jusqu'au bord de la French Broad River. Nous nous asseyons sur le rebord de restes de vieux bâtiments dont les murs sont devenus les toiles des grapheurs du coin.

Dont un qu'elle me pointe du doigt : « Stay Weird »

« C'que j'aime avec toi, Lix, c'est que j'ai beau faire n'importe quoi et parler fort, même si ça te gêne, tu ne me juges pas comme si j'étais une plaie ! » dit-elle après avoir retrouvé son souffle.

Ses mots me rappellent à chaque fois ceux de Ben à son sujet : « Personne ne reste ami avec elle. Les gens la trouvent sympa, amusante, mais trop difficile à supporter comme véritable amie... Alors qu'elle est en or. »

Après ce grand acte d'amitié de sa part, je me livre enfin à elle, plus sereinement. Et je n'omets rien parce que j'ai besoin d'un avis objectif.

Je lui parle de Tom, de comment je me sentais dans notre relation au fil des années, de pourquoi on s'est quitté parce qu'elle connait déjà le comment.

Ensuite, je lui parle de ma relation avec Isaac. Comment il coche toutes les cases du connard sincère qui pourrait être le fantasme ultime d'une romance avec un badboy. De comment il m'a traité et de sa soi-disant attirance-dégoût pour moi.

Et puis... On arrive à Bennett. Là aussi, je n'omets aucun détail.

Je n'ai jamais autant parlé d'homme à quelqu'un et ça me donne l'impression d'être une femme désirée de partout, alors que tout ce que je recherche, c'est de la stabilité. Retrouver une totale confiance en moi, un équilibre, et démarrer une nouvelle vie.

Pour cela, je dois enlever les deux intrus que sont Tom et Isaac.

Quant à Ben...

Parker semble songeuse et pour la première fois depuis que l'on se connait, elle est restée silencieuse, à m'écouter, pendant plus de quinze minutes.

« Je vais essayer de me mettre à ta place pour comprendre » murmure-t-elle avant de faire les cent pas, puis de me pointer du doigt et de dire :

« pov : deux hommes font chavirer ton cœur.

D'un côté, tu as un brun aux yeux bleus qui éclate tous les standards et fait défaillir des fans par millier. Tu l'as totalement charmé et il tuerait pour se retrouver dans tes bras.

De l'autre, tu as un blond qui n'a physiquement rien de spécial sauf son beau cul, mais également un cœur en or. Impossible de savoir ce qu'il pense, mais il est indubitablement captivé par ta présence.

L'un des deux te coince contre un mur et te demande de l'embrasser jusqu'à en perdre le souffle sinon il va mourir. Il te dit "rejette mon cœur et la vie sans toi n'a plus de saveur".

Lequel est-ce ? »

— Tu aurais dû commencer plutôt par « pov : mon crush est fan de mon ex », rectifié-je.

— Si j'étais à ta place, je retournerais avec Tom.

— Hein ? Vraiment ?

— C'est un super acteur, il est sympa, charismatique, visiblement mordu de toi et « l'homme le plus sexy » de l'année dernière. Avec lui, tu es sûre de ne jamais manquer de rien.

— Mais ça, c'est une façade, Park. La réalité, je l'ai connue, et elle est loin d'être si simple.

— Admettons que le monde devienne meilleur. Que Tom change comme tu le désires et que Twitter disparaisse et avec lui, le nombre de gens n'ayant rien de mieux à faire que de t'insulter. De ton point de vue, je n'hésiterais pas. Si tu as encore des sentiments, pourquoi tu ne lui laisserais pas une nouvelle chance ?

— Sauf que je ne veux pas !

— Imagine vivre ici avec ta nouvelle vie, mais toujours en couple avec lui. Il freine sur les tournages et personne ne vient vous faire chier. Encore une fois, pourquoi dirais-tu non à cette option ?

— Parce que j'ai des sentiments pour Bennett !

Et là, je comprends que je suis tombée dans le piège de Parker.

Elle me fait un regard presque diabolique et un sourire fier avant d'applaudir l'expression de mes sentiments. Eux qui étaient bloqués depuis des jours, peut-être même plus longtemps, dans ma gorge.

— Tu m'as provoqué rien que pour avoir la réponse que tu attendais... murmuré-je la tête dans les mains.

— C'est Benny qui m'a appris à faire ça. Ironique, non ?

— Bravo, Park...

— Je ne suis pas très futée, mais ça se voyait comme le nez au milieu de la figure qu'il y avait un truc allant au-delà de l'amitié entre vous.

— À ce point ?

— ...Non. En vrai, c'est Nate qui l'a deviné rapidement et m'en a parlé ! Mais après tout ce que tu m'as raconté et les trucs cochons que vous avez faits... bande de petits pervers... la suite était évidente. Pour vous aussi, non ? Vous en avez parlé dès le début, donc ça facilite les choses.

— Sauf que je dois lui parler de ce que je ressens et ça m'angoisse. C'est compliqué de lire dans son cœur et de savoir la place qu'on y occupe. Et si ce n'est pas réciproque, comment est-ce que je vais gérer ça ?

— Je serais là si tu as besoin de moi. Autant pour se défoncer et s'enivrer, que pour péter la gueule de Benny.

— Oui euh... on va éviter d'en arriver là...

— En tout cas, vous avez dit que la communication était LE point capital de votre relation sans étiquette, donc... Il faut lui en parler. Parce que plus tu coucheras avec lui, plus-

— On n'a pas couché ensemble. Pas dans le sens « classique ». Ça dépend si les étapes qu'on a passées sont considérées comme « baiser ».

— Hein ?

— On a fait des préliminaires et fellations, mais il n'est jamais... Enfin... Il n'est jamais entré, quoi.

Malgré tout le récit que j'ai fait, c'est ce point qui semble choquer le plus Parker. J'ai l'impression que ses yeux pourraient sortir de ses orbites et lorsqu'elle agite ses mains devant moi, elle me fait comprendre sans même parler qu'il y a un truc qui cloche entre Ben et moi.

— Comment ça vous n'êtes pas aller à ce stade ?! Vous donnez l'impression de l'avoir passé depuis loooongtemps ! Surtout Benny ! Tu n'as pas vu comment il te regardait avec envie au bowling ?! Je me disais qu'il aurait été capable de t'entrainer à l'arrière pour te b-

— De toute façon, l'interromps-je, on n'a pas été à ce stade.

— Il n'est pas assez désirable ?

— Ahah ! Tu parles ! Ben est un autre homme dans ces moments-là. Ses mots, ses mains, ses baisers... C'est... Il y a une alchimie entre nos corps qui se développe de plus en plus. Au début, c'était maladroit, mais maintenant, j'adore l'embrasser. Ça me donne une impression de vertige agréable.

— Alix Anjaratiana, vous êtes définitivement accro à votre crush !

J'ai beau rouler des yeux, Parker sait qu'elle a raison. Tout le monde a raison et à force d'en parler à voix haute, je ne vois pas comment Ben ne l'aurait pas capté. Il est très loin d'être aveugle et ça ne m'étonnerait pas qu'il n'attende que ça, que je lui avoue.

Peut-être que ce n'est pas une question de réciprocité, mais bien de communication.

Nous continuons d'en parler quelques minutes avant que Parker ne passe l'heure suivante à me raconter la genèse de sa relation avec le pion de son lycée, devenu son fiancé.

J'apprends par la même occasion que s'ils sont tous les trois amis, c'est grâce à Nathan. Ce dernier, de quatre ans de plus que Ben, s'est mis à lui donner des cours de soutien en mathématique. Sa bête noire, mais suffisamment domptée pour qu'il obtienne une bourse d'études.

Avant même que Parker n'entre dans leur vie, Nathan a toujours apporté du soutien et de l'aide à ce jeune garçon ayant du mal à trouver sa place au lycée.

Je comprends aussi que sa plaisanterie sur son élection du « plus beau cul de la ville » a bien été embellie et surtout, très déformée, pour ne pas que je le prenne en pitié.

En réalité, c'est un groupe d'ancien camarade à lui, dont il était le souffre-douleur, qui ont réussi à saboter la dernière édition du journal du lycée d'Asheville de leur vie de lycéen. D'après Parker, on y retrouvait un cours article mais en plein milieu du journal, avec une liste des défauts et de « la seule qualité » du rédacteur en chef... qui était Bennett.

La blague se finit sur des blagues amusantes pour les autres, amères pour le futur journaliste... Et une photo de lui datant du début du collège où il était, comme il me l'avait décrit, très enrobé. Avant son inscription au club d'athlétisme et son glow up.

Il sait ce que c'est que le harcèlement et je suis la mieux placée pour dire qu'on en garde des séquelles à vie. Que ça nous poursuit, nous ronge et que nous avons des problèmes avec la confiance accordée aux autres.

Lorsque nous terminons notre discussion, le soleil entame sa descente et Parker est attendue par Nathan pour un diner romantique.

— On reparlera de Ben, dit-elle avant que l'on se sépare, parce qu'il ne faut pas faire trainer votre situation ! Ton ex a l'air très déterminé à te reconquérir.

— Et donner des faux espoirs à Tom, c'est une très mauvaise idée... Je vais essayer de retrouver Ben. Ce soir, si possible.

— Je t'envoie son adresse par whatsapp. Par contre il vit dans une maison excentrée donc tu vas payer cher le Uber.

— Je me débrouillerais. Merci beaucoup Park... Pour tout.

— Merci à toi.

Elle me fait un clin d'œil avant de faire claquer ses doigts, puis retourne en courant vers le parking où sa moto l'attend.

Quant à moi, je me dépêche de retourner à mon appartement parce que même s'il n'a pas plu aujourd'hui, les nuages sont toujours bien présents. Et j'ai le ventre qui grogne.

Mais lorsqu'après un long trajet à pied je prends l'intersection et que je ne suis qu'à quelques mètres, je ressens un frisson désagréable me parcourir.

Pourquoi est-ce qu'il y a un petit groupe devant ma boutique ?

Mon cœur rate un battement en reconnaissant le pickup cuivré garé sauvagement sur la route et le trottoir... Et je commence à comprendre ce qu'il se passe.

Il y a quatre personnes faisant face à Bennett, se tenant entre eux et la porte de la boutique.

Ces gens, ce sont des paparazzis.

« LA VOILÀ ! » s'exclame l'un d'eux en dégainant son énorme appareil photo. « ALIX ! Est-ce que vous vous êtes remise avec Tom Lacroix ?! Qu'est-ce que ça vous fait de le retrouver ? »

Les flashs m'agressent si vite que la première pensée qui me vient, au lieu de la fuite, c'est mon reflet quelques heures plus tôt dans le miroir.

Je suis en tenue « du dimanche » et ma gueule de déterrée va donner de quoi manger aux trolls de Twitter.

Putain...

Mon portable est tel un galet clitoridien vibrant contre ma cuisse, les questions fusent dans tous les sens et je dois me concentrer pour ne pas m'énerver et leur donner ce qu'ils réclament.

« Lix ! Suis-moi ! »

Focalisé sur sa main tendue vers moi, je l'attrape et suis rapidement entrainée dans sa voiture alors que le bruit l'agitation hors de l'habitacle est étouffée.

Ben me rejoint quelques secondes après, attache sa ceinture et démarre en vitesse pour éviter qu'il nous prenne en chasse.

Dieu merci, il connait les rues par cœur et les sème aisément avant de nous emmener loin du centre-ville.

Nous roulons en silence sur la route entourée d'arbres et la première chose que je réalise, après m'être remis de ces événements, c'est que Ben est bien là.

Il fixe la route d'un air trop sérieux et son parfum iodé envahit tout l'espace nous entourant. S'il s'est interposé avant même que j'arrive... C'est parce qu'il devait m'attendre.

J'étais résolue à aller le chercher, mais il a fini par me retrouver.

Ben détourne un infime instant ses yeux de la route pour me regarder avant de se reconcentrer et me demander :

— Tu vas bien ?

— Vu la situation...

— Je parle de la voiture. La route. Est-ce que tu te sens en sécurité, avec moi au volant ?

Je ne me rends compte qu'après avoir répondu machinalement d'un hochement de tête, qu'il fait allusion à mon traumatisme et l'accident de mon père.

Il s'inquiète toujours de ce que je peux ressentir...

Comment est-ce que j'ai pu douter d'un homme pareil ?

— Je passais en ville et je me suis dit que tu avais faim. C'est pour ça que j'étais devant ta boutique quand ils sont arrivés.

— Il est presque 21h... Depuis combien de temps m'as-tu attendu ?

— Oh, c'est... pas important. Vraiment. Tant que tu es ici, en sécurité avec moi, le reste ne compte plus.

Il a un visage doux-amer, mais ses mots sont sucrés, parfois acidulés pour la surprise, mais toujours un plaisir à entendre.

Au point de craquer un peu plus pour lui.

⭐⭐⭐