XXXV. 17 février 1941 (2/2) - les chaînes
Le fer autour de ses poignées brûlait sa peau. Les picotements émis par les enclaves dégageaient une sorte de magie néfaste. Une barrière entre elle et la Mortemencie. Tenue par les deux Auror Russes par le bas, on la traînait entre les murs richement ornementés du Palais des Andronikov. Un noeud s'était formé dans la gorge de Cassiopeia.
Avec ces chaînes aux poignées, elle n'avait aucune défense.
Des portes dorées s'ouvrirent face à eux. Une salle au haut plafond l'accueillit, ses peintures murales et ses colonnes de lierres éternels cherchant à l'impressioner. Il n'en fut rien. Elle était plus préoccupée à trouver un moyen de s'en sortir et de prévenir Perseus du piège. Même si, pour l'instant, aucune issue ne se présentait.
On l'avança jusqu'au milieu de la pièce. Un canapé était placé juste devant avec, assis dessus, un jeune homme aux traits arrogant, une malice perfide flottant au dessus de sa tête. Sa façon de s'avachir témoignait de son caractère pourri gâté. Elle le détesta au premier regard.
-Donc c'est toi, la fameuse Cassiopeia Black.
Les Aurors ne la lâchaient pas et ça commençait à l'agacer. Autour, il n'y avait rien. Des mètres d'espace vide, sans aucun objet pouvant servir d'arme. Les portes venaient de claquer et des sorciers gardaient l'entrée. Elle ne savait pas pourquoi on la tenait toujours aussi fermement. Elle n'était pas assez idiote pour se jeter sur ce noble idiot et l'étrangler avec ses chaînes.
Quoique. C'était tentant.
-On dit beaucoup de chose à ton propos.
Il leva son bras, un verre de cristal à la main. La carafe flotta dans l'air pour y verser le liquide pourpre.
-Les gens racontent que tu as coupé la main à un sang-pur français. C'est vrai ?
L'admiration qu'elle suscitait la dégoûta. Elle n'avait pas brandi la hâche au dessus d'Adonis pour ensuite entendre des compliments. Elle l'avait fait pour récupérer la liste. Rien de plus, rien de moins.
-Il le méritait, se contenta-t-elle de grogner.
Et en partie pour ça, aussi. Il éclata de rire avant de prendre une gorgée généreuse de vin.
-Tu es une légende dans le monde entier, commenta-t-il en souriant. Tous les pays auraient aimé t'avoir à leur côté. Tu as réussi à vaincre Petrova, après tout. D'ailleurs, qu'as-tu fais de lui ?
-Je l'ai tué, dit-elle d'une voix sèche.
-Tant mieux. Je ne l'aimais pas vraiment.
Cette conversation n'avait aucun sens. Elle ne savait pas à quoi il jouait, mais autant finir la partie maintenant. Ses questions l'empêchaient d'établir un plan d'attaque. Même si, pour le moment, elle ne voyait pas bien comment elle pouvait s'échapper d'ici.
Dans son dos, les battants de la porte s'ouvrirent. Elle voulut se retourner pour voir qui venait d'entrer, mais les Aurors qui la tenaient l'en empêchèrent.
-Tu t'amuses à tourmenter nos prisonniers, petit frère ?
Prisonnier. Ce mot lui donna des frissons. Comment était-ce arrivé si vite ? Comment sa liberté avait-elle pu lui échapper si facilement ? Elle fixa les fers qu'elle avait aux poignées. Ils pesaient lourds. Sa dignité venait de tomber bas alors qu'on la manipulait aussi facilement qu'un pantin désarticulé. Elle détestait ça, elle détestait tout. Quand elle mettrait la main sur le traître, elle le découperait en pièces.
Nina Andronikov fit son apparition dans une magnifique robe noire fluide. Elle possédait le même sourire que son frère. Beaucoup d'arrogance, une étincelle de cruauté.
-Qu'est-ce que ça fait de se sentir inutile ?
Elle fixa ses mains avec une fierté évidente.
-Je devrais vous poser la même question.
Le frère se redressa brusquement, manquant de renverser le vin sur le sofa. Son expression avait changé. À présent, la rage animait ses pupilles bleues.
-La prochaine fois que tu parles, ce sera avec respect.
-Je ne vois pas pourquoi je devrais du respect à un ennemi.
-Peut-être parce que nous sommes en position de force et que tu as plus à perdre que nous.
-Je n'ai rien à perdre.
Autant leur faire croire qu'elle était intouchable. Pourtant, sa remarque fit renaître le sourire sur les lèvres de Nina.
-Ah non ?
Cette fois-ci, ce furent les portes du fond qui s'ouvrirent. Cassiopeia put contempler avec horreur Perseus être traîné jusque face à elle, la tête penchée en avant, à moitié couverte de sang. En un coup de pied dans l'abdomen, il s'effondra au sol, manquant de peu de vomir ses intestins. Elle voulut hurler de frustration. S'énerver sur le monde entier, casser des choses, briser tout ce qui lui passait par la main. Mais tout ce qu'elle fut autorisée à faire fut de s'arrêter de respirer et voir son univers s'effriter.
-Vous m'avez pris pour des idiots, déclara Nina en les regardant tour à tour. Je pensais qu'il s'appelait Marius Giovatti, puis j'apprends qu'il est en fait Perseus Lestrange et que son amante n'est autre que Cassiopeia Black.
Elle émit un petit rire nerveux. A
À l'évidence, cette tromperie l'avait blessée.
-Tu réussis tout de même très bien l'accent italien, ajouta-t-elle à l'intention de Perseus.
Celui-ci releva la tête et la gifla avec sa haine. Cassiopeia eut le souffle court. Jamais elle n'avait vu autant de colère accumulée dans ses iris. Quand il disait qu'il n'aimait pas ses nuits avec elle, ce n'était peut-être qu'un euphémisme.
Nina l'ignora et se tourna vers elle.
-Il sait procurer du plaisir, fit-elle avec un sourire carnassier.
Cassiopeia ne put s'empêcher de s'en amuser. Elle croyait vraiment qu'elle allait pouvoir la rendre jalouse ? Elle connaissait les moindres détails de leurs nuits torrides. Mais au moins, elle, elle avait la certitude de ne pas être baisée juste par intérêt.
-Je sais.
Son ton neutre, presque réjouie, la surprit. Le frère leva les yeux vers Nina, attendant sa réaction. Elle demeura parfaitement immobile.
-Je savais que les sang-purs anglais étaient malsains, mais pas à ce point.
L'ironie la fit presque rire. Malsain, oui, voilà le mot parfait pour la décrire.
-Vous n'êtes pas au bout de vos surprises alors.
-Nina, l'appela alors le sorcier qui venait de battre Perseus. On est déjà à court de temps.
Ce fut à cet instant là que la ressemblance la frappa. La froideur des yeux bleus, le menton haut et fier, ce même regard supérieur, mais sans le sourire. Elle avait entendu que les Andronikov étaient au nombre de cinq. Elle avait les trois aînés devant elle.
-Dans ce cas, faisons rapide et concis, déclara-t-elle. Prenez-lui son poignard.
Le temps qu'elle comprenne à quoi elle faisait référence, on glissait déjà une main sous sa cape pour en extraire la dague que Régulus lui avait offert des semaines auparavant. Sa poche devint plus légère ; elle se débattit, en vain.
-Rendez-la moi ! cria-t-elle, prise à la gorge par la panique.
Le sorcier remit l'arme à Nina. Celle-ci l'admira, la soupesa, réalisa les mêmes gestes que s'il s'agissait d'un cadeau généreusement offert. Cassiopeia voulut s'extraire de la poigne de ses geôliers mais ce fut inutile. La même personne qui les avait trahi savait qu'elle possédait un poignard sur elle. Elle ne connaissait pas les intentions de la Russe, mais rien de bon ne s'annonçait.
-Il est beau, complimenta-t-elle. Mais du coup, quelle est la différence entre l'emblème des Lestrange et celui des Black ?
Cassiopeia aurait préféré lui cracher au visage plutôt que de lui répondre. Qu'elle cherche dans un grimoire. Il n'y avait pas marqué "encyclopédie" sur son front.
-Alors ?
Son silence l'offensa. Elle réalisa un léger mouvement de la tête vers l'arrière. Son frère aîné porta un coup à Perseus, puis un autre, le forçant à se recroqueviller sur lui-même. Ses grognements et sa toux mortelle lui furent insupportable.
-Arrêtez !
Sa voix se brisa, comme les os de Perseus. Elle le vit étendu au sol, s'accrochant pour rester conscient. Ses yeux rencontrèrent les siens. Elle ne le lâcha pas du regard. Hors de question. Son attention descendit sur ses poignées. Il venait de comprendre pourquoi elle ne les avait pas tous tués par la volonté.
-Tu m'expliques la différence ou ton amant paie encore le prix de ton insolence.
Les rouages s'emboîtaient. La capturer elle seule n'avait aucun sens. Perseus était le moyen de pression. Perseus était leur arme pour pouvoir l'utiliser elle.
-Les Black avaient à l'origine trois corbeaux, les Lestrange un seul, dit-elle à contrecoeur. Celui des Lestrange a les ailes repliées, il ne bouge pas. Celui-ci prends son envol.
-Oh, je vois. Parfait, donc. J'avais peur qu'on puisse confondre les deux familles.
La seule question qui traversa son esprit fut "pourquoi" ?
-Ainsi, quand on essaiera d'assassiner Dorea Black, on saura que l'ordre viendra de toi.
Les mains des gardes l'empêchèrent de se jeter sur elle. L'égorger, lui retirer ses yeux de ses orbites, lui trancher la main et la faire manger à son frère, comme elle l'avait fait pour les Rosiers. Ils ne valaient pas mieux. Ils n'étaient que des manipulateurs servant leur propre intérêt, peu importe qui ils éliminaient sur le chemin vers le pouvoir. Dorea était une cible facile. Quels lâches.
Nina rit devant sa tentative d'assassinat.
-Tu te demande sûrement qui m'a prévenu que tu détenais une telle arme ? Eh bien, la même personne qui m'a glissé à l'oreille l'identité de Perseus et vos plans pour tuer les Vladic.
-Qui ?
-Ce ne serait pas drôle si je le disais.
Si seulement elle n'avait aucune chaîne aux poignées, elle aurait pu fouiller dans sa petite cervelle en la brisant en passant. Si seulement.
-Le seul indice que je peux donner, reprit-elle en levant son index, c'est que cette trahison est le fruit de tes propres erreurs.
Un indice qui ne l'aidait pas tellement mais qui écartait Doliona et Hyades. Ou pas. Peut-être que cette erreur était de faire confiance à une famille étrangère. Régulus faisait confiance à David, mais il ne connaissait pas ses soeurs. Pas autant qu'il connaissait son ambassadeur et amant. Et Cassiopeia était bien placée pour savoir qu'une même famille était formée d'individus très différents entre eux.
-Si vous touchez à ma soeur, je...
-Tu feras quoi ?
-Ces chaînes vous protège peut-être, mais un jour, on me les ôteras, cracha-t-elle. Vous allez regretter ce jour-là.
-En parlant de ça.
Elle n'aimait pas le sourire qu'elle portait. Nina se plaça derrière Perseus, faisant claquer ses talons d'un air fataliste. Elle empoigna le menton de ce dernier et le releva dans sa direction, lui arrachant un énième grognement de douleur. Un rictus mauvais étirait ses lèvres. Cassiopeia bouillonait.
-Tu vas faire tout ce qu'on te demande de faire. Si on t'ordonne de tuer un anglais, tu tueras un anglais. Si on t'ordonne de te jeter par la fenêtre, tu te jetteras par la fenêtre.
Ses doigts s'enfoncèrent tellement dans les joues de Perseus qu'il se débattit pour échapper à sa prise. Elle le maintint plus fermement encore.
-C'est soit ça, soit on découpe ton cher petit amant en morceaux. D'abord ce sera un doigt. Puis la main. Puis le bras. Nous passerons ensuite aux pieds. Chaque fois que tu nous désobéiras, il perdra une partie de lui. Il sera enfermé au Danemark, de sorte que tu ne puisses pas le libérer. Tout ce que tu pourras faire, c'est te plier à nos ordres et tuer bien sagement.
Elle n'arrivait plus à respirer. L'air manquait, ou c'était peut-être ses poumons qui n'arrivaient pas à se gonfler, mais le résultat était le même. Elle mourait de l'intérieur.
-On pense que l'amour nous rends fort jusqu'au moment où il devient une faiblesse.
Elle relâcha l'emprise qu'elle avait sur Perseus. Il s'effondra, secoué par une toux semblant lui arracher la moitié de son œsophage.
-La première chose que tu vas faire, c'est te rendre en Bulgarie, tuer tous les Aurors qui se trouvent là-bas ainsi que ceux qui sont à la tête du Ministère.
Harfang et Callidora.
Elle qui avait pensé que le pire était passé, elle ne s'était jamais autant fourvoyée.
-Vous n'avez pas le droit de me demander ça.
Mais Nina l'ignora. La terreur implanté sur son visage la faisait jouir.
-Ainsi, tu deviendras meurtrière de ta propre famille, ajouta-t-elle avec un sourire éclatant.
-Vous n'avez pas le droit de faire ça ! hurla-t-elle en se débattant.
On releva Perseus par la force. Son regard se planta dans le sien. Il secoua la tête.
"Renonce", semblait-il lui souffler. "Renonce à moi".
"Jamais" aurait-elle voulu lui répondre.
Aucun échange verbal ne fut nécessaire pour qu'ils se comprennent. Il insista tandis qu'on le traînait hors de la salle. Elle crut voir une larme dévaler sa joue. Non. Elle ne l'abandonnerait pas, jamais. Il avait tout fait pour elle, il avait risqué sa propre sécurité chez les Rosiers pour libérer Callidora. La mort qui l'attendait si elle n'obéissait pas aux Andronikov serait atroce.
Elle refusait de retrouver son corps découpé en pièces.
Nina se plaça derrière le canapé et posa une main sur l'épaule de son frère cadet.
-Tu vois, Ivan, c'est pour cette raison qu'il ne faut jamais aimer. Cela mène toujours à notre perte.
Ce fut peut-être la seule chose avec laquelle Cassiopeia fut d'accord.
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