XXXIX. 31 mai 1941 - le palais
Une secousse la réveilla. Elle ouvrit les yeux avec précipitation, ou du moins essaya. Ses paupières étaient collées entre elles par le maquillage mêlé aux larmes sèches. Elle se les frotta, déjà agacée. Ses nerfs ne lui laissaient jamais de repos.
Quand elle eut terminé sa mise au point, elle aperçut Carl face au lit, un air observateur à son égard.
-Je vois que tu as trouvé le maquillage.
Elle ne savait pas si sa gêne venait du fait qu'il la voie dans cet état ou qu'elle ait emprunté des affaires qui n'étaient pas à elle.
-Le miroir a souffert un petit dommage collatéral aussi, précisa-t-elle.
-J'ai remarqué.
Ce qu'elle aimait chez lui, c'était sa discrétion. Il devinait ce qui s'était passé mais ne disait rien, ne posait aucune question. Au lieu de cela, il faisait juste remarquer les choses par de petites phrases implicites. Ces petites phrases étaient parfois agaçantes, mais au moins, elle ne subissait pas d'interrogatoire.
-Ne dis pas à Perseus tout ce qui s'est passé, lui fit-elle promettre, sachant pertinnemment que lui, au contraire, irait jusqu'à apprendre la Légilimencie pour savoir ce qui traversait son esprit.
-Il n'y aura aucune nécessité à ce que je lui dise moi-même. Ça se voit sur toi.
Elle soupira, consciente de devoir se faire une toilette.
-Ces deux mois ont été angoissants, c'est tout.
Cette excuse suffisait. Et c'était vrai. Il ne chercha pas plus loin et sortit de la chambre, lui ordonnant de se préparer rapidement. Cassiopeia ne perdit pas de temps. Par un sort, elle arrangea son visage, ôta le maquillage pour appliquer seulement le fond de teint qu'elle avait jeté au sol la veille. Ses cheveux demeuraient lâchés pour mieux se camoufler si nécessaire.
Carl l'attendait au rez de chaussée. Son sac pendait à son épaule.
-As-tu les oeufs ?
Il hocha simplement la tête avant d'ouvrir la porte d'entrée.
Le transplanage fut le moyen le plus facile pour arriver dans le domaine Royal. Les sortilèges de protecton n'agissaient pas sur lui, expliqua-t-il, parce qu'ils fonctionnaient au sang. Ils n'acceptaient que les sang-purs. Puisque Carl était de la famille royale et Cassiopeia une Black, aucune alerte ne fut émise.
-Et si un sang-pur décide d'assassiner le Roi ? demanda-t-elle. Il peut passer sans problème, non ?
-Un sang-pur n'assassinera jamais le Roi, puisqu'il n'y a pas de Roi.
Ses réponses étaient très ambigüe, mais tout comme il n'avait pas insisté à son sujet, elle fit de même, tout en se gardant de lire dans son esprit. Ils s'infiltrèrent grâce à une porte latérale destinée aux sorties furtives. Rapidement, ils gagnèrent les couloirs.
Le Palais Danois ressemblait à ce que Cassiopeia se faisait à l'idée d'un Palais. Des tapis rouges couvrant le sol de pierre, des lustres étincelants, des portraits sur chaque murs. Ceux-là étaient bels et bien vivants. La couleur rouge dominait la décoration, et sur certains rideaux, elle aperçut l'emblème de Dumstrang.
-Ma famille a toujours financé l'école, expliqua-t-il dans le couloir désert, comme pour répondre à sa question informulée. Certains des objets du Palais sont un cadeau de celle-ci en guise de remerciement.
Dumstrang devait être bien riche, dans ce cas, pour payer des décorations aussi luxueuses. Des pas dans leur dos l'interrompit dans le cours de ses pensées. Aussitôt, elle poussa Carl contre le mur et écrasa ses lèvres sur les siennes.
Ce fut soudain. Inespéré. Froid, un peu. Il se laissa faire, plus surpris qu'autre chose. Les pas passèrent près d'eux sans s'arrêter. Cassiopeia respira bruyamment, pour chercher à les éloigner le plus possible. La langue de Carl caressa ses lèvres, il reprit peu à peu contenance. Elle le repoussa. La menace était déjà passée.
-Ce baiser est faux, lui rappela-t-elle. Ne te fais pas de fausses idées.
-C'est juste que tu embrasses sacrément bien, sourit-il.
Elle grimaça puis continua seule le chemin. Il dut courir pour la rejoindre.
Plusieurs fois, ils reproduisirent le même schéma. Les gardes détournaient aussitôt la tête, comme prévu, et ne se détenaient pas pour demander leur identité. Les vêtements qu'ils portaient les suffisaient pour savoir à quelle classe ils appartenaient.
Au fur et à mesure qu'ils avançaient vers les cachots, la luminosité se réduisait. Ils descendirent des escaliers humides qui provoquèrent un frisson sur la peau nue de Cassiopeia. Carl sortit sa baguette pour illuminer les marches. Ses talons menaçaient de glisser à chaque instant. Elle se tint sur les bords et regarda devant elle. Un garde, en les voyant arriver, leva son arme.
-Vous n'avez pas le droit d'être ici, menaça-t-il d'une grosse voix.
-Je suis le Prince, prononça Carl dans son dos. Laissez-nous passer.
Mais le sorcier n'était pas dupe. Il fronça les sourcils, essayant de reconnaître les traits de son souverain dans la pénombre menaçante.
-Fais-le, chuchota-t-il.
Cassiopeia ferma les yeux et le sorcier s'effondra. Sa baguette roula au sol jusqu'à atteindre ses pieds. Carl s'avança vers le corps et sortit une clef de sous son manteau. Le trousseau émit un cliquetis reconnaissable. Il put ainsi ouvrir les premières grilles jusqu'aux premières cellules. Aucune voix désespérée ne s'élevait derrière les lourdes portes. C'était à croire qu'il n'y avait pas âme qui vive. Pourtant, toutes étaient fermées à clefs et calfeutrées par des planches en bois. Quelles personnes méritaient d'être ainsi enfermées dans le noir pendant des années ?
Cependant, Carl ne se dirigea vers aucune d'entre elles. Il continua son chemin dans l'obscurité grandissante, éclairant le passage avec sa baguette. Il semblait sûr de lui. Bientôt, les murs se refermèrent sur eux et des grilles en fer brillèrent au bout d'un long couloir.
-Les invités d'exception, murmura-t-il.
Quand les cliquetis de chaînes résonnèrent, elle comprit. Arrachant le trousseau des mains de Carl, elle se mit à courir vers les barreaux, introduisant précipitemment la clef dans le verrou. La lumière du jour s'introduisait naturellement à travers un trou dans le plafond. Perseus était là, assis contre le mur du fond, la tête relevé vers elle.
L'espoir anima ses yeux fatigués.
Il était là, il était vivant et en entier. Enfin elle le retrouvait. Avec soulagement, elle réussit à ouvrir la porte tandis qu'il se relevait avec peine.
-Cassiope...
Il n'eut pas le temps de prononcer en entier son nom qu'elle se jetait sur lui pour l'embrasser. Il accueillit son baiser avec plus de tendresse que jamais. Sa main se réfugia dans le creux de sa nuque, cherchant à la maintenir près de lui, ne plus jamais la laisser partir. Les chaînes froides cognèrent sa clavicule mais elle n'en fit pas cas. Seul lui comptait.
Quand elle s'arracha à ses lèvres, elle se colla contre lui pour l'enlacer. Jamais elle n'avait ressenti autant de soulagment. Elle retrouvait une partie d'elle-même, récupérait enfin son bonheur. Il était là, contre elle, et le monde pouvait bien mourir sous ses pieds qu'elle ne s'en préoccuperait même pas. Ressentir autant de choses à son égard lui fit peur.
Dépendre autant de quelqu'un l'effrayait. Mais si l'amour pouvait briser, alors il pouvait aussi réparer.
-Est-ce que tu vas bien ? s'enquit-elle en collant son nez contre le sien, leurs lèvres à quelques centimètres de distance.
Son bras s'enroula autour de sa taille fine.
-Oui, je vais bien.
C'était faux, mais peu importait. Il était vivant.
-Désolé de gâcher vos retrouvailles, mais il faut vraiment qu'on s'en aille, intervint Carl.
Il avait raison. Plus ils attendaient, et plus ils avaient de chance de se faire prendre. Perseus, qui n'avait alors pas remarqué sa présence jusque là, lui jeta un regard reconnaissant. Cassiopeia, quant à elle, brandit son trousseau de clef et s'empara d'un poignet de Perseus pour détacher ses fers. Quand elle saisit l'autre, une sueur froide la traversa. Des croûtes noires avaient remplacé ses falanges. C'était moche à voir. Elle eut peur que ce soit infecté, mais songea que si ça l'avait été, sa main aurait été d'une toute autre couleur.
-C'est rien, la rassura-t-il.
Elle déverouilla son bracelet de fer qui atterit sur le sol dans un bruit sourd. Il prit sa main, touchant avec son index sa chevalière qu'elle s'était appropriée.
-Tu peux la garder, dit-il. Elle est à toi.
À vrai dire, elle s'était tellement habituée à l'avoir sur elle que l'ôter aurait créé une sensation de vide. Et lui avait perdu le doigt qui était censée la porter. Elle comprenait son choix et l'en remercia avec un baiser.
-Il faut vraiment qu'on s'en aille, insista Carl.
-Comment va-t-on faire pour reprendre le chemin sans qu'on nous remarque ?
Perseus était facilement reconnaissable avec sa chemise crasseuse et son pantalon en piteux état. Même son visage était recouvert d'une poussière noire.
-Il faut qu'on soit rapide.
-Ça ne suffira pas, objecta-t-elle.
Il y avait des gardes dans chaque détour de couloir. Son expression devint grave.
-Tu élimines tous ceux que tu voies. On a plus rien à perdre.
-Elle n'est pas une machine à tuer, grinça Perseus.
-Malheureusement, si.
Cassiopeia posa une main sur son torse pour le calmer. Carl avait raison. Tuer les gardes était leur unique chance de s'en sortir. Puisqu'elle était si bonne à cela, autant faire usage de son talent. C'était ce à quoi elle dédiait ses journées depuis des mois, après tout.
Elle lui prit la main et l'entraîna dans le couloir. Leur pas résonnèrent entre les murs déserts, puis contre les portes condamnées. Perseus balaya les alentours du regard comme si c'était la première fois qu'il se trouvait là. Cassiopeia était soulagée de le voir en assez bon état. Elle l'avait imaginé couvert de son propre sang, agonisant dans sa cellule. Peut-être que la seule fois qu'ils l'avaient touché avait été pour le mutiler. Les Russes pouvaient bien être cruels, mais ils tenaient leur parole.
Mais sa joie fut de courte durée. Parce qu'en haut de l'escalier les attendaient deux Auror avec une silhouette imposante au milieu, recouvertes de médailles dorées et de velours rouge.
-Heureux de te revoir, grand frère.
L'instant d'après, leurs genoux cognaient le sol de la salle du trône. Des baguettes s'enfoncèrent dans leur dos, menaçant leur vie au moindre geste mal placé. Il n'y eut que Carl qui fut poussé un peu plus en avant, debout et le menton relevé. Cassiopeia jeta un coup d'oeil vers Perseus. Il assassinait du regard le Prince siégant aux côtés du trône.
La couronne sur la tête, la mère fixait son fils avec mépris. Sa robe était à moitié faite de fourrure même si la température de la salle demeurait confortable. Tout dans sa posture reflétait un sentiment antipathique. La froideur surplombait ses traits. C'était l'image même d'une souveraine sans pitié, dirigeant son pays avec une main de fer. Son fils cadet était sa copie exacte, les mains jointes dans son dos et un sourire cruel adressé à son frère aîné.
-Tu oses mettre les pieds ici.
L'échos reprit les paroles de la reine avec entrain.
-Ce Palais est aussi le mien, répondit-il.
Cassiopeia trouva sa réponse peu judicieuse. La priorité était de sortir d'ici, pas de provoquer la reine. Et si son souhait à lui était qu'elle tue tous ceux présent dans cette salle, elle risquerait de le décevoir. Assassiner une famille royale ne faisait pas partie de ses objectifs.
-Tu n'es pas mon fils, cracha-t-elle. Ce Palais n'est pas le tien, ce pays ne te connaît pas. Tu n'es rien, tu n'es plus personne. Tu devrais t'agenouiller et m'adresser une révérence comme le font ces sang-de-bourbes.
Ce qu'il avait fait pour recevoir un tel traitement devait être grave. Un instant, elle songea qu'elle ne le connaissait en rien. Le crime dont il avait été coupable était peut-être monstrueux.
Puis elle se souvint de tout ce qu'elle-même avait fait et fit taire ses pensées.
-Je suis le Prince Carl de la Maison Nielsen, légitime héritier du Royaume de Danemark, clama-t-il en haussant la voix.
-Tu n'es rien ! hurla sa mère.
Le silence remplaça son cri dans une digne transition.
-Nous perdons notre temps, Mère, soupira son fils cadet. Gardes, ramenez le prisonnier dans sa cellule et trouvez une place pour la jeune femme.
Le rire de Cassiopeia ébranla sa sûreté.
-Votre Altesse, dit-elle avec un sourire moqueur, je crois que vous vous méprenez.
Il ne l'avait pas reconnu, et c'était tant mieux. Il ne s'attendait pas à voir le spectacle qu'elle s'apprêtait à lui donner. Si assassiner la famille Royale était interdit, les gardes, en revanche, n'étaient qu'un détail. Un des sorciers s'approcha trop près de Perseus, décidé à le relever de force pour le traîner jusqu'aux cachots. Mais à peine le toucha-t-il qu'il s'effondra silencieusement au sol.
Le Prince en fut abasourdi. La Reine la dévisagea avec une certaine crainte. Ses yeux s'illuminèrent.
-Cassiopeia Black, murmura-t-elle.
-Touché.
Tout fut très rapide. Le Prince dégaina sa baguette, Carl profita de l'inattention des gardes pour se retourner et leur asséner un coup de coude dans le visage à chacun.
-Les ordres des Andronikov ont été précis, fit le frère cadet en pointant sa baguette en direction de Perseus.
Cassiopeia n'entendit le sort que trop tard. Elle contempla avec horreur la lumière verte jaillir et percer l'air, se diriger tel un prédateur sur sa proie. Ce fut son instinct qui la poussa à agir. Sa peur s'envola, elle fut noyée par le désir de protéger Perseus. Il ne pouvait pas mourir, pas aujourd'hui.
Elle, en revanche, elle le méritait.
Un pas lui suffit pour s'interposer entre lui et le sort. De dos au Prince, elle plongea son regard dans celui de Perseus, apprécia une dernière fois sa beauté, lui dédia une tendresse infinie transmise par ce fil invisible qu'avait crée leurs pupilles. Le sortilège percuta son dos.
Elle fit un pas en avant, atterrit dans ses bras.
Ses droits se cramponnèrent à sa chemise. Il la fixait avec horreur, la bouche grande ouverte sur un cri à venir.
Mais Cassiopeia n'avait rien. Elle sentait encore son corps, pouvait bouger, penser, parler. Ses sourcils se froncèrent. Perseus referma sa bouche, la tenant tout contre lui, comme par peur de la voir more d'un instant à l'autre.
Mais ça n'arriva pas. La Mort refusait de l'emporter.
Elle avait pourtant bien entendu "Avada Kadavra".
Autant Carl que son frère ou sa mère la dévisageaient. Elle se releva, pantelante. Perseus, choqué, ne voulait pas la lâcher. Ce ne fut pas nécessaire. La rage afflua dans ses veines, vidant son esprit de toute raison. Sa proie : le Prince. Interdit ou pas, il devait payer pour ce qu'il avait tenté de faire. Perseus aurait été un homme mort sans elle. Il devait souffrir, hurler, mourir.
C'est ce qu'il fit.
Son corps se cambra en arrière et un hurlement emplit la salle du trône. Il lâcha sa baguette qui alla cogner le sol. Elle ne voyait que lui. Tout le reste était invisible, rien n'existait à part son désir de lui faire payer son geste. C'était comme un besoin intense, une nécessité absolue. Son âme ne serait pas en paix si elle ne le voyait pas mort. Son hurlement alimenta son esprit avide de sang, et elle s'en réjouit. C'était si bon d'entendre la mélodie de l'agonie, si satisfaisant de le voir se tordre au sol, en même temps qu'elle broyait son esprit. Ce Prince qui relevait quelques minutes le menton n'était plus rien. Un torchon qu'on essorait. Une rivière de tourments attendant d'être apaisée.
Elle lui ferait une faveur si elle le tuait.
-Cassiopeia, lui murmura une voix à l'oreille. Arrête.
Quelqu'un lui touchait les cheveux, le visage. Une caresse bienveillante. Elle ne comprit pas d'où cela venait. Dans le monde qu'elle avait crée, il n'existait que la douleur et la souffrance. Un monstre ne méritait pas autre chose.
-Arrête, répéta la voix. Je suis là. Je vais bien.
Il était là. Il allait bien.
Dans un hoquet, elle reprit conscience du monde extérieur. Carl maintenait un regard craintif sur elle. Son frère était allongé au sol, les yeux grands ouverts, le visage pâle. Il ne bougeait pas.
-Non non non, s'affola-t-elle.
Elle n'aurait pas dû. Elle n'aurait pas dû le toucher, elle savait comment cela finirait. Chaque chose qu'elle effleurait finissait par mourir. C'était pour cela que le Avada Kedavra n'avait pas eu d'effet sur elle.
Elle était la Mort. C'était elle qui décidait du sort des humains.
-Non ! cria-t-elle, plaquant une main sur sa bouche.
Des bras s'enroulèrent autour de sa taille, la tirant vers l'extérieur. Elle répéta le mot "non" comme s'il s'agissait d'une incantation permettant de redonner vie à sa victime. Un sanglot brisa sa voix. Elle était la Mort. Elle était la Mort. Elle était la Mort.
Non.
Non.
Non.
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