XXXIV. 17 février 1941 (1/2) - la trahison

Quand Perseus rentra ce soir là, il trouva Cassiopeia assise sur le lit, un regard fixe planté sur lui. Il était trois heures du matin et aucune fatigue ne semblait peser sur ses épaules.

-Tu ne dors pas ?

-Je ne peux plus.

Il se demanda si le "plus" se référait à des nuits blanches qu'elle avait déjà passé. Il referma doucement la porte derrière lui. Tout ce dont il avait besoin maintenant, c'était un bon bain et un long repos. L'idée d'affronter Cassiopeia dans la semi obscurité, alors qu'elle paraissait rejeter sur lui les pires reproches ne l'enchantait guère.

-Couche-toi, je te rejoins dans un quart d'heure.

-Non.

-Cassiopeia, soupira-t-il, s'il te plaît, je...

-Non.

Elle déplia lentement ses jambes et déposa ses pieds sur le sol. Puis elle l'affronta. En tête à tête, comme si, d'une seconde à l'autre, elle allait tordre sa cervelle pour lui prendre la vie. S'il ne la connaissait pas assez, il aurait cru qu'elle le sondait pour lire tout ce qu'il avait fait pendant deux mois, mais heureusement, elle n'en fit rien. Elle respectait sa promesse malgré sa frustration.

-Combien de fois as-tu couché avec elle ?

Il resta sans mot. C'était donc ça qui l'empêchait de dormir.

-Pourquoi poses-tu cette question ?

-Tu sais pourquoi. Réponds.

Il ne répondit pas. Elle savait que s'il fréquentait Nina Andronikov, c'était uniquement pour des renseignements. Certes, au début, il lui avait juré de lui raconter les moindres détails, mais parfois, il revenait fatigué et la dernière chose qu'il avait envie de faire était décrire la façon dont l'aristocrate courbait son dos quand il s'enfonçait en elle.

-Réponds ! hurla-t-elle face à son silence.

Elle frappa son torse avec ses poings. Plusieurs fois. Elle ne lui fit pas mal, mais après plusieurs coups, il en eut assez. Il lui agrippa les poignées et les tint à une distance raisonnable. Ses pupilles noires lui lancèrent des éclairs.

-Je la hais, cracha-t-elle. Je te hais.

-Ah oui ? Tu me hais ?

-Oui.

Ses mots lui firent plus de mal qu'il n'avait prévu. Elle chercha à se dégager de son emprise, mais maintenant qu'il la tenait, il ne la lâcherait pas. Même s'il était fatigué, il restait plus fort qu'elle.

-Combien ? insista-t-elle.

Elle déglutit bruyamment pour ravaler ses larmes. Malgré ses efforts pour maintenir sa stoïcité, il perçut un éclat dans ses yeux.

Il comprenait sa colère, mais la dernière chose qu'il souhaitait était la blesser. Ses relations avec Nina n'avaient rien à voir avec elle. Il voulait qu'elle comprenne cette différence cruciale, qu'elle ne pense plus à ça. Mais c'était comme demander à un oiseau de ne plus voler.

-Je ne compte pas.

-Menteur !

Sa voix se brisa sur ce mot. Il tenta de cacher sa surprise. Cassiopeia agissait rarement sous l'impulsion. Plus le temps passait, et plus les émotions prenaient le dessus. Sa magie s'agitait et la consumait.

-Combien de fois vais-je me lever le matin dans un lit froid ? reprit-elle avec une respiration agitée. Combien de fois vais-je passer mes journées seule, à me demander si les mots que tu lui adresses sont plus attentionnés que ceux que...

-Arrête.

Sa voix fut ferme, autoritaire ; elle sursauta.

-Tu connais la nature de mes relations avec elle. Je joue un rôle. Mes mots sont creux, vides de sens.

-Que lui dis-tu ?

Sa lèvre inférieure tremblait. Elle attendait ses mots tel un rapace attendrait sa proie. Cette fois ci, il décida d'être sincère. Elle ne pouvait pas lire dans ses pensées et il ne pouvait pas mentir. Si elle respectait sa part, il ferait de même.

-Je lui dis qu'elle est la plus belle femme que j'ai pu rencontrer. Je lui dis que mon coeur bats la chamade chaque fois que je la voie, que son intelligence et sa beauté m'aveuglent, qu'elle est la création du ciel.

Il ne sut si, ce qu'il avait en face de lui s'approchait plus d'une boule de rage ou de désespoir.

-Mais elle ne connait même pas mon vrai nom, conclut-il.

Nina ne connaissait rien de lui. Il n'était qu'un acteur placé sur la scène, avec un rôle défini à jouer. Son objectif était de duper le public. Et ce public, c'était l'aristrocratie Russe qui l'incarnait.

Il tenait toujours ses poignées même si son intention de le frapper s'était évanouie. Bizarrement, ce contact fut tout ce à quoi il se raccrocha après des semaines de séparation. La toucher lui avait manqué. Admirer les courbes de son corps, l'entendre parler, la voir sourire, tout cela lui avait échappé aussitôt qu'il s'était enfoncé dans les couloirs sombres des nobles Russes. Réunir les sang-purs ennemis à l'Empereur n'avait pas été tâche facile, et son temps libre lui avait été arraché. Il n'y avait pas de pause quand on planifiait de retourner un pays.

Malgré tout, il regrettait de n'avoir pas plus été présent pour elle.

-Me veux-tu encore ?

Un long silence suivit sa question. Il cligna plusieurs fois des yeux, pantelant devant une question si simplement prononcé. Ce qui le choqua, c'était qu'elle ose penser cela. Et il ne trouva pas la manière de lui prouver qu'il serait capable de brûler le monde entier pour elle. Qu'il était à elle, qu'elle était à lui et que rien ni personne ne pouvait changer cette logique.

Il lâcha ses poignées et encadra son visage de ses mains. Elle semblait si innofensive. Aussi fragile qu'une poupée de porcelaine. Pourtant, à l'intérieur, elle était faite de pierre. Une pierre qui était en train de chauffer et dont les fissures se laissaient déjà entrevoir.

Il l'embrassa, avec force. Ça aussi, ça lui avait manqué. Nina ne l'embrassait pas souvent, elle préférait le lit, directement. Et quand elle le faisait, il détestait la sensation. Regoûter aux lèvres de Cassiopeia le revigora. Un air nouveau balaya ses pensées négatives. Ses mains désireuses descendirent sur son cou puis sa poitrine où il palpa ses seins avec désir.

Il la voulait. Entièrement. Tout de suite.

Sa bouche était en feu, et pourtant, il continua. Sa peau, brûlante. La fièvre le saisit. Elle souleva sa chemise de nuit au dessus de sa tête et laissa le tissu tomber sur le sol. Le clair de lune caressa sa peau nue avant que ses doigts ne l'effleurent.

-J'avais oublié combien tu étais magnifique, souffla-t-il.

Il oublait beaucoup de choses, ces temps ci.

Couché sur le lit, il se colla contre elle, inhala son odeur, devint ivre. Il se perdit dans ses bras, dans ses baisers, se perdit lui-même, appela son nom dans la nuit noire tandis qu'elle lui répondait avec la même ferveur. Il lui souffla milles mots, tous s'échappant sous le lâché prise. Il ne regretta aucun d'eux. Parce que Cassiopeia était plus que des mots, elle était un sentiment, une révélation, une lumière. Une étoile.

Quand l'aube se leva, ils étaient encore éveillés. Blottie contre son torse, il sentit sa respiration cogner sa peau. Ses doigts passaient dans sa chevelure blonde et ses lèvres gonflés déposaient de temps à autre des baisers sur son épaules. Jamais il ne s'était senti aussi proche d'elle. Cassiopeia avait toujours été la distance incarnée, imposant des barrières même pour elle, de sorte à ne laisser personne la blesser. Le fait qu'elle s'ouvre autant à lui, qu'elle soit capable de ressentir autant d'émotions pour lui signifiait beaucoup.

Elle l'avait enfin accepté. Pas comme une personne importante de son entourage, mais comme une partie d'elle. La pièce manquante de son âme.

Et il se surprit à penser que, si par un malheur ils devaient se séparer, ou s'il devait la trahir, elle se briserait en milles morceaux. Et elle n'essaierait pas de retenir sa chute.

-Comptes-tu repartir ? l'entendit-elle demander.

-Pas sans toi.

Elle s'écarta à contrecoeur et fronça les sourcils. Il caressa doucement sa joue, ramenant une mèche derrière son oreille.

-Comment ça ?

-J'ai besoin de toi, maintenant. Certaines familles demandent d'assouvir leur vengance en échange de leur fidélité à Grindelwald.

Son regard s'assombrit. Elle parut comprendre à quoi il faisait référence.

-Je vois.

L'idée ne l'enchanta guère. Tout sourire disparut, elle se leva du lit tout en s'enroulant autour d'un drap.

-C'est à ça que je sers, non ? Échanger les monnaies.

Il prit sa main et la serra suffisamment pour ne pas qu'elle la retire.

-Nous œuvrons pour une bonne cause.

Son regard vacilla.

-Et si, au final, la seule cause que l'on sert est le pouvoir de Grindelwald ?

Prononcer ces mots sous le propre toit du mage noir était dangereux. Cassiopeia était assez intelligente pour le savoir. Pourtant, elle ne regretta pas ses mots. Elle semblait les avoir pensé depuis longtemps.

-Le pouvoir de Grindelwald apportera le pouvoir aux sang-purs. Il nous délivrera des chaînes du Pacte Magique qui nous condamnent à nous cacher.

-Cette guerre entre sorciers est déjà monstrueuse, je n'imagine pas quand ce sera des tanks de guerre qui nous feront face.

Les affrontements entre les pays Européens faisaient écho jusque dans le monde magique. On racontait des horreurs sur un certain Hitler. Des guerres d'idéologie qui avaient leur reflet dans leur monde. Un instant, il songea que Grindelwald avait peut-être un lien avec tout ça.

Peut-être que c'était lui qui soufflait des mots de haine à l'oreille du dictateur allemand.

Finalement, les deux se levèrent pour se préparer à sortir, dans un silence qui représentait leurs doutes. Milles questions bousculaient l'esprit de Perseus. Ce que venait de dire Cassiopeia pouvait paraître absurde, mais ils reflétaient une réalité affreuse. Et si le mage noir ne les utilisait que pour son intérêt personnel ? On disait que Grindelwald savait manipuler. Il connaissait le pouvoir des mots en s'en servait pour charmer ses sujets.

Jusqu'à faire d'eux des pions bons à déplacer où cela lui plaisait.

Décidant de ne pas plus y penser, il ressortit de Nurmengard en compagnie de Cassiopeia. Emmitouflée dans sa cape rembourrée, elle tremblait un peu. Des flocons de neige turbulents s'emprisonnèrent dans ses cheveux alors qu'un vent du nord soufflait avec ferveur.

Perseus la mena au Palais des Rodrinev, là où on les attendait. Le Père de famille formula ses ordres, les personnes exactes à atteindre. Cassiopeia écoutait, attentive. Elle ne cilla pas quand on mentionna le meurtre des enfants. Pas un mot franchit ses lèvres. Elle hocha juste la tête d'un air rigide.

Rodrivev en fut satisfait.

Puis il dut l'attendre dans l'Hôtel de Glace, non loin de la propriété des Vladic. Cassiopeia emprunta seule le chemin vers ses proies, la tête haute. Il n'y avait aucun honneur à assassiner une famille entière. Encore moins des enfants. Mais si elle ne le faisait pas, Grindelwald chercherait à savoir pourquoi. Dès qu'il verrait la faille, il le ferait payer à Régulus.

Elle serra le poignard contre elle. Les Black comptaient sur elle. Elle les avait déjà déçu une fois, hors de question de commettre l'erreur une seconde fois.

À sa grande surprise, aucun sortilège de protégeait l'entrée. Le portail était entrouvert, comme s'ils attendaient déjà une visite. Elle redoubla de vigilance. Ses sens s'étaient démultipliés, cherchant une quelconque menace dans les alentours.

Silence complet.

L'épaisse porte en bois céda toute seule sous sa main. Un vestibule désert l'acceillit. Des miroirs reflétèrent son expression absorbée par la concentration.

Des chaussures jonchaient le sol. Le porte-manteau était renversé. Pourtant, l'odeur de la vie remuait encore l'atmosphère. Une fois dans le salon, le doute retint son souffle. Les cendres de l'âtre étaient encore chaudes. Un journal datant du matin même était posé sur la table basse. Tout était frais.

Pourtant, le Palais avait une allure de maison abandonnée. Sa famille l'avait soudainement désertée.

Puis les pièces du puzzle s'emboîtèrent. Et elle comprit.

Mais trop tard.

Quand elle pivota sur elle-même, une dizaine de baguettes se pointèrent sur sa poitrine. Des hommes à la carrure solide l'encerclaient. Elle aurait pu les tuer en une seconde. Elle aurait du. Mais des bruits de talons claquant le sol la retint.

Nina Andronikov émergea du couloir. Un immense sourire retroussait ses pomettes.

-Nous nous rencontrons enfin, Black.

Ils avaient encore été trahis.

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