XXXII. 6 janvier 1941 - le livre

Des pas sur le sol de pierre furent ce qui réveilla le château de Nurmengard. Les jumelles Duchesses portaient leurs bagages en main, revenant de leur court passage chez elle, dans le sud de la France, pour revoir leurs soeurs. Le silence qui les accuellirent ne les surprirent pas. En revanche, ce qui les déconcertèrent fut la présence de Cassiopeia dans leur chambre.

La blonde se tenait assise dans un fauteuil, une jambe passée au dessus de l'autre. Son regard hautain les croisa. Hyades put même apercevoir la haine briller dans ses iris noires. Elle aurait voulu avoir un aperçu de ses pensées, juste cette fois. Parce qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'elle avait pu faire pour mériter un tel dédain.

-Quelqu'un a passé le mot sur l'espionnage de Perseus, annonça-t-elle de but en blanc.

Doliona se raidit, devinant les prochains mots qu'elle allait employer.

-Vous n'avez pas été très actives depuis votre arrivée ici.

-Personne ne l'a été, rétorqua Hyades, indignée de s'apercevoir qu'elle les suspectait.

-Une trahison s'est produite sous ce toit et vous êtes les seules qui...

Doliona lâcha son bagage qui cogna le sol dans un bruit sourd. Hyades se tourna vers elle, aussi surprise que Cassiopeia.

-S'il y a quelqu'un dont on devrait tous se méfier, c'est de toi.

La Black releva haut les sourcils, suffoquant presque d'indignation. Doliona continua.

-Tu es la seule capable de soustraire les moindres secrets des gens. La seule capable de voir ce que personne ne peut et la seule qui ne peut pas être examinée de la sorte en retour. Diable sait ce que tu caches. Au final, personne ne le saura non ? Personne n'est capable de lire dans les pensées comme tu le fais.

-Je n'aurais aucun intérêt à trahir Perseus.

-Perseus, non, mais Grindelwald, oui. Tu n'as pas choisi de te battre à ses côtés. Tu le rends responsable des malheurs que la Mortemencia t'apporte, je me trompe ? Je ne connais même pas ton intérêt personnel dans cette guerre. Cela pourrait être ta famille, mais visiblement, tu préfères les fuir plutôt que de passer du temps avec eux.

-Je ne les fuis pas, siffla Cassiopeia.

-Dans ce cas, pourquoi ne pas être venue au mariage de ta propre soeur ?

Elle ouvrit la bouche, puis la referma. Elle n'avait pas à s'expliquer devant elles. Elle avait ses raisons et les savoir lui suffisait.

-Tu vois, conclut-t-elle, nous avons plus de raison de se méfier de toi que l'inverse.

Rongée par la haine d'avoir été devancée, Cassiopeia se releva et gagna la porte en quelques pas. La voix de Hyades l'arrêta dans son élan.

-Régulus a prévu de venir bientôt. Sache qu'il a été le seul à prendre ta défense face à ton départ si soudain. Il n'avait aucune raison de le faire.

Elle doutait qu'il continue à le faire quand il se retrouverait face à elle. Elle était partie en tuant Petrova, un homme qu'il désirait voir vivant. C'était une sorte de provocation, et il le savait très bien.

-Régulus fait confiance à David, continua-t-elle. David nous fait confiance. Et je pense que tu fais aussi confiance à Régulus. Selon moi, la meilleure chose à faire et de se faire confiance entre nous.

Cassiopeia esquissa une grimace furtive. Son regard sombre se posa sur les deux soeurs, comme si elle s'apprêtait à les tuer dans la seconde à venir.

-Le charme de la trahison est qu'elle provient toujours d'une relation de confiance.

Hyades voulut répondre mais ne trouva rien à dire. Cassiopeia disparut derrière la porte l'instant d'après.

Elle monta à l'étage, là où se situait le bureau de Grindelwald. La verrière noyait la salle de lumière. Une décoration d'aristocrate ornait les murs, allignant des tableaux de peintres renomés, des livres aux reliures dorés et des objets de valeurs. Le mage noir était debout devant l'immensité blanche, protégé par d'immense fenêtres de verre.

Il n'était pas seul. Vinda lui jeta un regard noir, comme si elle lui en voulait pour avoir interrompu leur discussion. Elle ne la voyait pas souvent dans les parages. Tant mieux. Parce qu'à chaque fois qu'elle la voyait, elle luttait pour se retenir de la tuer.

-Laisse nous, lui intima Grindelwald.

Elle hocha doucement la tête et passa à côté de Cassiopeia dans un silence glacial. Quand elle claqua la porte, un poids s'ôta de ses épaules.

-Perseus est-il revenu du Palais ?

Cela faisait des jours qu'il était parti, en quête de nouvelles informations. Le peu de fois qu'il revenait, c'était la nuit et elle dormait. Il laissait parfois une fleur près d'elle, une tige qu'il avait réussi à voler des décorations russes. Mais elle avait perdu le compte et ne savait plus de quand datait la dernière.

-Oui. Il se mêle peu à peu à l'aristrocratie Russe. Le frère de Nina Andronikov l'a pris comme ami et dévoile peu à peu ses pensées. D'après lui, il parle beaucoup.

Cela voulait dire qu'il continuait de fréquenter Nina. Cassiopeia sentit ses poumons se recroqueviller sur eux-même. Elle eut du mal à respirer. Elle les imaginait dans un lit, elle entendait leur souffle accéléré, leurs gémissements, leur plaisir. La nausée la submergea.

-Tu vas devoir agir, à présent, reprit-il. Nous savons quelles familles sont contre l'Empereur, et lesquelles, au contraire, se soumettent à ses faveurs. Tu devras leur offrir quelque chose qu'ils veulent.

-Comme quoi ?

Elle n'avait rien d'autre que de l'argent. Et encore, tout se trouvait à Londres.

-Des services.

Elle leva un sourcil. Le sens de ses mots lui échapper.

-Quel genre de service ?

-Les Russes sont rancuniers. Ils aiment la vengeance, mais ils préfèrent ne pas se salir les mains.

Oh. Voilà. On lui demandait de tuer, encore une fois. N'était-elle bonne qu'à ça ? Sa demande ne la choqua même pas. Pour elle, c'était si facile. Un simple clignement de yeux, et son ennemi était à terre. Maintenant que Petrova était mort, plus personne ne pourrait l'arrêter.

-Très bien, se résigna-t-elle.

Si là était sa seule utilité, alors elle ferait ce qu'on lui demanderait.

-Et pour ce qui est de la Bulgarie ? demanda-t-elle. Qui occupera le poste de Ministre ?

-Ton cousin veut y placer un membre de la famille Black. Son père, je crois.

-Et vous le laissez faire ?

-Tant que tu demeureras à mes côtés, oui.

Elle aurait presque pu en rire. C'était idiot de sa part d'avoir posé la question. Auparavant, c'était Hector Fawley qui offrait ses faveurs aux Black. Régulus s'était vendu pour ça. Il avait sacrifié son bonheur pour ce traitement favorable. Aujourd'hui, c'était son tour. À la seule exception qu'elle ne vendait pas son corps, mais son esprit.

-Merci de votre sincérité, dit-elle sèchement.

Cette fois-ci, ce fut elle qui claqua la porte.

***

Walburga était absorbée par son livre. "Histoires perdues des lignées oubliées", un ouvrage offert par Cassiopeia avant son départ. Elle l'adorait. Il décrivait des familles existentes de toutes les époques et dont les lignées s'étaient éteintes, parfois à cause de coups montés, des assassinats, des massacres, d'autres fois par simples tragédies familiales. La dernière était les Gaunt. Leur nom était encore d'actualité, mais il ne restait que deux sorciers le portant. Toute leur richesse s'était volatilisée, offerte aux mains des familles plus puissantes comme les Malefoy ou les Rosiers. Ceux ci s'étaient partagés leurs possessions comme on partageait un butin de guerre. Walburga avait adoré lire leur histoire, même si c'était un peu triste.

Mais la petite fille aimait les choses tristes. Elle se sentait mieux en sachant que d'autres avaient vécu de terribles drames.

Des talons claquèrent sur le sol.

-Que lis-tu ?

Walburga releva la tête. Sa mère la toisait dans toute sa hauteur, un éclair de colère traversant ses traits sévères. La petite fille serra le livre contre elle.

-Qui t'as donné ça ?

Elle ne répondit pas. Parce que si elle lui répondait, elle allait le lui prendre. Elle le savait. Ce fut pour cette raison qu'elle garda le silence, même si elle savait que ça ne la sauverait pas.

-Qui ? répéta sa mère avec un certain agacement dans la voix. C'est Cassiopeia, n'est-ce pas ?

Walburga ne répondit pas. Elle ne devait pas mentir, son père le lui avait répété assez de fois. Alors elle ne mentait pas. Elle omettait juste la vérité.

-Donne-moi ça.

-Non !

Irma voulut lui prendre le volume des mains, mais Walburga le tenait fermement. C'était un cadeau de sa marraine, elle n'avait aucun droit de le lui prendre. Cependant, une gifle la fit lâcher prise. Sa tête bascula sur le côté et ses doigts glissèrent de sa prise. Un goût de fer emplit sa bouche.

-Quand je te dis de me donner quelque chose, tu me le donnes ! tonna sa mère.

Élevée ainsi au dessus d'elle, elle faisait peur. Walburga sentit les larmes remonter. Elle n'avait pas le droit. C'était injuste.

-Je le dirai à Père, se plaignit-elle.

Elle lui empoigna les cheveux, la forçant à relever la tête pour la regarder. Walburga voulut crier sous la douleur, mais à la place, elle suffoqua.

-Tu ne diras pas à mot à ton père, tu m'entends ? Si tu le fais, je t'enfermerai dans la cave.

Non, pas la cave. Elle ne voulait pas retourner là-bas. Il faisait noir, humide, et elle avait toujours faim parce que personne ne lui portait le repas. Les jours devenaient des nuits et les nuits étaient plus noires encore. Sa mère la traînerait jusqu'en bas quand son père serait parti, puis plus rien ne l'arrêterait.  Elle lui infligerait punitions sur punitions. C'était toujours comme ça chez eux.

-Je ne le ferai pas, sanglota-t-elle.

Elle était l'aînée de sa fratrie, elle devait se montrer forte. C'était peut-être parce qu'elle était la plus âgée qu'elle souffrait le plus. C'était la seule explication qu'elle avait réussi à trouver.

Irma lâcha sa prise. Un mince filet de sang coulait le long du menton de Walburga. Le livre dans la main, sa mère ferma violemment la porte de sa chambre.

Elle se sentit meurtrie. Brisée. Ce n'était pas normal, n'est-ce pas ? Ou si ? Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, en fait, elle n'avait jamais compris. Elle se contentait de subir. Mentir, subir, une routine meurtrière qui se répétait tous les jours. Parfois, elle rêvait de s'enfuir avec sa marraine. Cassiopeia était la seule à lui transmettre autant d'amour. Quand elle la serrait contre elle, Walburga retrouvait son innocence. Elle entrevoyait une enfance qu'elle aurait pu avoir si sa mère ne la détestait pas autant.

Les larmes coulèrent en abondance sur ses joues. Elle ne fit aucun effort pour les retenir. Elle ne comprenait pas d'où venait la douleur, elle mettait cela sur le compte de sa joue meurtrie et de la blessure dans la comissure de ses lèvres.

La porte se rouvrit tout doucement. Une tête dépassa le chambranle. Les yeux d'Alphard s'arrondirent quand il la vit, puis il se précipita dans la chambre et s'agenouilla à ses côtés.

-Tu saignes, Wal.

Elle essuya d'un revers de la main le sang de son menton. Il ne fit aucune remarque sur les larmes. Il savait, lui aussi. Il n'y avait qu'une personne qui pouvait la faire pleurer dans cette maison.

-Père retourne demain en France. Il veut passer une dernière après-midi avec nous.

L'idée de le voir partir si tôt lui retourna l'estomac. Quand il était là, sa mère ne s'acharnait pas autant sur elle. Il la protégeait. Lui au moins, il l'aimait.

-Cygnus est déjà en bas, avec lui. Tu viens ?

-Oui.

Il prit sa main et l'aida à la relever. Alphard ne posait jamais de questions sur ce que leur mère lui faisait. Peut-être voulait-il rester ignorant à ce sujet. Ou peut-être qu'il ne comprenait pas, lui non plus.

Il ne lâcha pas sa main. Walburga effaça les traces de larmes avec son autre main libre et ils descendirent ensemble jusqu'au salon. Le regard de son père la scruta dès l'instant où elle entra dans la pièce. Il avait Cygnus sur ses genoux mais son attention se centrait uniquement sur sa fille.

Elle n'osa pas le regarder. Même s'il était le seul à lui vouloir du bien, il l'intimidait. Parce qu'il lui arrivait de se mettre en colère, souvent contre leur mère mais à cause d'elle, et elle n'aimait pas l'entendre hurler.

-Qu'as-tu à la joue ?

Sa peau était sans doute devenue rouge sous le coup. Et la tristesse gonflait ses yeux.

-Rien.

-Wal, je t'ai dit de ne pas me mentir.

Elle baissa la tête. Alphard ne lui lâchait pas la main. Sa présence lui permit de ne pas pleurer. Elle en avait pourtant très envie.

-Je me suis cognée.

-Qu'est-ce que je viens de dire ? s'énerva-t-il.

Elle éclata en sanglot. Se retenir était trop difficile. Sa joue lui faisait mal et sa langue possédait un goût de fer. Son père reposa Cygnus au sol avant de quitter le salon à grands pas. Il hurla le nom de leur mère. Irma. Irma. Irma.

Alphard enroula ses deux bras autour d'elle et Cygnus se joignit à leur enlacement. Walburga serra ses frères contre elle.

Des voix s'élevèrent. Les enfants demeurèrent silencieux comme des tombes.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top