XXXI. 24 décembre 1940 - le réveillon
Régulus s'empara de son pantalon et le revêtit, bouclant sa ceinture dans un bruit métallique. Les rideaux filtraient la lumière du soleil, ne laissant passer qu'un faible rayon à travers la fenêtre. Néanmoins, cela suffit pour inciter David à ouvrir les yeux. Sa main tatonna la place vide à côté de lui. Régulus sourit. Il ne fit aucun bruit, parce qu'il aimait voir la détresse sur son visage quand il remarquait qu'il était parti. Ces semaines passées les avaient considérablement rapproché. Régulus, en sa présence, avait l'impression de redevenir le jeune homme plein de vitalité qu'il avait été autrefois. La guerre, le Ministère, tout cela devenait un peu moins important chaque jour. Parce qu'il était là. Et qu'il savait qu'il resterait là jusqu'à ce que lui-même le renvoie en France.
David se redressa brusquement avant de tourner enfin la tête devant lui. Un soupir de soulagement détendit ses muscles.
-Tu m'énerves quand tu fais ça. Ne peux-tu pas juste rester au lit jusqu'à ce que je me réveille ?
-Il faut que j'aille régler quelques affaires avant de me préparer.
La confusion le fit froncer les sourcils.
-Te préparer ?
-Même si ça ne paraît pas, c'est Noël.
Noël, oui. Le lendemain d'un enterrement d'une centaine de sorciers. Les festivités ne promettaient pas d'être très joyeuses cette année. Néanmoins, la famille Black tenait à ses traditions et le repas de famille était déjà organisé chez son père.
David laissa échapper un râle agonisant avant de se laisser tomber piteusement sur le matelas. Sirius Black avait insisté pour que seuls les membres de la famille Black ne se rendent au dîner. Régulus avait essayé de le convaincre pour inviter David, le présentant comme l'ambassadeur de France, mais face à ça, son père avait dit "il s'agit d'une réunion familiale, pas diplomatique". Hyades et Doliona étaient donc restées pour tenir compagnie à leur frère aîné pour ce soir. Mais le résultat était le même : ils allaient passer la soirée séparés.
Régulus enfila une chemise sans se donner la peine de la boutonner, laissant apercevoir son torse nu. Il s'assit sur le bord du lit, une tendresse infinie adressé à son amant. David le regarda, puis mêla ses doigts aux siens.
-Désolé. J'aurais aimé fêter Noël avec toi.
-Tu n'as pas besoin de t'excuser. Je connais les devoirs familiaux aussi bien que toi.
David se redressa, posa une main sur sa joue. Leur regard se confondirent l'espace d'un instant dans lequelle rien de ce qui se trouvait autour d'eux n'existait. Seulement eux. Toujours eux. lls s'embrassèrent.
S'arracher de ses lèvres fut la chose la plus douloureuse. Il délaissa son paradis humain derrière lui et entreprit le chemin du bureau. Il fut surpris d'y trouver Lycoris, seulement recouverte d'une chemise de nuit et d'une robe de chambre en satin noir. Une jambe passée par dessus l'accoudoir du siège, elle fixait d'un air pensif l'encrier face à elle.
-Bonjour grande soeur, fit-il en déposant un baiser sur le sommet de son crâne. Que fais-tu ici de si bonne heure ?
Elle parut reprendre contact avec la réalité. Ses pieds se reposèrent au sol et elle se leva pour lui laisser la place. Son frère s'assit, s'empara d'un parchemin et d'une plume pour rédiger la lettre de Gringotts qu'il devait envoyer pour ce matin. Cependant, Lycoris avait un tout autre plan pour lui.
-Cassiopeia est partie, lâcha-t-elle sans introduction.
-Pardon ?
Sa plume se suspendit en l'air, n'ayant même pas touché le papier. Il la fixa en espérant que ce soit une blague. Mais non. La déception et la colère submergeait la jeune femme.
-Mais c'est impossible, réussit-il à articuler. Elle était là hier.
-Elle s'en est allée ce matin. Apparemment, Perseus l'a suivie.
Perseus la suivait partout, c'était une vérité générale. Les deux ressemblaient à deux atomes liés pour l'éternité.
-Qui était chargé de lui passer le mot pour le dîner de ce soir ? commença-t-il à s'énerver.
-Arcturus. Et il l'a fait. Il lui a même dit que Dorea attendait sa présence.
Dorea. Oh non. Sa cousine avait retardé son mariage juste pour elle. La cérémonie était prévue dans quelques jours alors qu'elle avait voulu la faire un mois auparavant. Cela ne ressemblait pas à Cassiopeia de fuir de cette manière.
Mais, tout compte fait, Cassiopeia n'était plus vraiment elle-même ces derniers temps.
-Et elle est partie en sachant qu'elle blesserait sa soeur, réalisa-t-il amèrement.
-Oui.
Lycoris posa ses deux mains sur le bureau, s'appuyant dessus comme si elle était physiquement épuisée.
-Je crois savoir ce qui l'a poussée à partir.
Il se cala sur son fauteuil, attendant patiemment qu'elle s'exprime. Elle reprit :
-Elle n'a pas assisté à toute la cérémonie, hier. Je l'ai vu se retirer et rejoindre Walburga qui avait fui les griffes de sa mère. Puis Cygnus et Alphard se sont joints, et évidemment, Irma a remarqué leur absence. Je les ai vu parler. Enfin, j'ai vu Irma rouge de colère et Cassiopeia... comme si elle voyait le monde se retourner contre elle.
Régulus se massa le front. Irma était emplie de haine depuis son mariage. Son existence n'avait été qu'une suite de tragédies. Elle partageait son lit avec un homme qu'elle méprisait, elle élevait une fille qui n'était même pas la sienne. Mais involontairement, il ressentait plus de peine pour Cassiopeia. Irma n'était qu'une pièce rapportée. Une femme portant le nom Black à cause de simples voeux d'union prononcés par la force. Elle n'était pas vraiment des leurs, elle ne comprenait pas l'importance de l'union dans leur famille. Tout ce qu'elle cherchait à faire, c'était briser Cassiopeia.
Mais celle-ci était un des noyaux des Black. Si Grindelwald permettait à Régulus de répendre son pouvoir sur le monde, c'était parce qu'il possédait Cassiopeia. La conséquence directe à ça était la prise de pouvoir de leur famille. Si Cassiopeia disparaissait, tout s'effondrait.
Son aversion pour Irma gonfla. Elle ne semait que le trouble. Sans elle, sa cousine aurait peut-être été présente pour le dîner et Dorea aurait été heureuse. Au lieu de cela, Cassiopeia fuyait sa propre famille.
-Ce n'est pas tout.
Il grogna, s'attendant au pire.
-Je suis descendue à la cave ce matin. Petrova est mort.
Un bond le fit se relever de sa chaise. Son regard contenait un feu ardent.
-Comment s'est-elle introduite ici ?
-Je n'en ai aucune idée. Il n'y a aucune trace de violence sur son corps, je suppose qu'elle a usé de sa magie.
Il aurait pu leur donner plus d'informations, leur être utile. Son frère avait supplié pour sa vie et il travaillait pour le compte de Grindelwald. S'il voyait que sa volonté n'était en rien respectée, il pourrait facilement se retourner contre eux. Comment diable pouvait-elle être aussi stupide ?
-J'attendais de t'en parler pour nous débarrasser du corps.
Il se rassit, abattu.
-De plus, continua Lycoris, des rumeurs circulent sur la mort de Blanche Rosenweiss.
-Quelles rumeurs ? s'enquit-il, enchaînant les mauvaises surprises.
-On dit que c'est elle qui l'a assassinée. Personne n'a rien entendu, ça s'est passé dans un silence des plus complets. Et encore une fois, il n'y avait aucune trace de sort ou de blessures sur elle. Comme si son coeur s'était soudainement arrêté de battre.
Il serra son poing.
-Autre chose ? demanda-t-il, agacé.
-Non. Pas pour l'instant, du moins.
"Pas pour l'instant". L'avenir ne leur réservait rien de bon.
***
-Comment ça elle ne viendra pas ?
Dorea était au bord de l'évanouissement. Sa main s'aggripait désespéremment au siège de la salle à manger, alors que le reste de la famille s'installait pour le repas. Cygnus exerça une petite pression sur l'épaule de sa fille, lui transmettant ses excuses silencieuses. Mais Dorea ne lui fit pas cas. Son entière attention était dédiée à son cousin.
-Pollux a prévu de quitter la France demain, j'avais tout prévu. Même la mère de Charles qui était en voyage revient aujourd'hui !
-Je l'aurais retenue si j'avais pu, lui assura-t-il, peinée pour elle.
-Va la chercher, ordonna-t-elle sèchement.
Mais oui, il n'avait que ça à faire. L'Autriche était suffisamment loin comme ça, de plus, la localisation du château de Nurmengard était protégée. Il ne pouvait pas s'y rendre sans l'autorisation de Grindelwald, et le mage noir lui-même se trouvait là-bas. Il ne restait plus que Hyades ou Doliona, mais les jumelles voulaient repasser par la France avant de retourner au château. Il n'entreprendrait pas un tel voyage alors que le Ministère tenait à peine sur ses jambes.
-Je ne peux pas. Je suis Ministre, Dorea, pas...
-Alors que Arcturus y aille. Ou Lycoris. N'importe qui.
Son frère et sa soeur échangèrent des regards gênés. Cependant, ce fut Callidora qui prit la parole.
-Cela ne changera rien, annonça-t-elle d'un ton catégorique. Si Cassiopeia a décidé de partir, elle ne reviendra pas. Peu importe les supplications qu'on lui fera.
-Mais j'ai repoussé le mariage pour elle ! s'énerva Dorea dont les yeux se remplissaient peu à peu de larmes. Elle m'avait promis d'y être !
Callidora haussa les épaules d'un air las avant de se retourner sur elle-même pour donner l'attention que Asler lui demandait. Tout le monde s'assit, même Dorea qui, avec ses genoux tremblants, peinait pour rester debout. Elle fixa le rôti d'un air dégoûté.
-Je la hais, cracha-t-elle.
Régulus se demanda un instant ce que cherchait Cassiopeia en agissant ainsi. Elle était assez intelligente pour prévoir ce genre de réaction. Et ce dont elle redoutait le plus, c'était que sa famille se retourne contre elle. À quoi jouait-elle ?
-Nous sommes en période de guerre, tenta-t-il sans grande conviction. Peut-être que quelque chose l'a forcée à retourner là-bas.
Mais tout le monde reconnut l'excuse qu'il lui fournissait. Et Dorea n'en fut que plus blessée encore.
-Je suis désolé d'être sincère, dit alors Harfang, mais je ne peux qu'applaudire son absence. Il n'est pas de mes intentions de supporter la présence d'une meurtrière à mes côtés.
Callidora leva les yeux au ciel, comme si les propos de son mari n'étaient que des dires infantiles. Pourtant, un silence de pierre tomba sur la table. Walburga le fixa avec méchanceté.
-Ma marraine n'est pas une meurtrière.
Comment une enfant pourrait comprendre de telles choses ? Harfang choisit de l'ignorer, et quelque part, ce fut peut-être la meilleure chose à faire.
Ce qui les surprit, cependant, ce fut le rire sans joie de Charis. À l'autre bout de la table, elle faisait tourner un couteau entre ses doigts comme s'il s'agissait d'un jouet.
-Vous vous attendiez à quoi au juste ? On lui répète depuis des mois qu'elle n'est rien de plus qu'une arme, puis on s'étonne quand elle passe à l'action. Placez un poignard dans la main de quelqu'un, dites-lui qu'il peut s'en servir comme bon lui semble et la première chose qu'il fera sera de l'enfoncer dans la poitrine de celui qu'il considère comme une menace. Et comme tout prends forme de menace pour Cassiopeia, alors cela ne me surprends pas.
-Personne ne lui a dit de se servir de son pouvoir comme bon lui semble, rétorqua Harfang.
-Ah non ?
Puis elle planta son regard directement dans celui de Régulus. Bien. Il avait compris le message.
-Tout est ma faute, c'est ça ?
-Tu as plus de sang sur les mains que tu ne le crois, cousin.
-Il y a des enfants ici, répliqua Callidora qui voyait la mine de Walburga blanchir.
-Je n'ai fait que gagner la confiance du seul sorcier capable de nous conférer un pouvoir éternel, s'énerva-t-il et ignorant la remarque de sa cousine.
-Au prix de quoi, dis-moi ? Tu as vendu Cassiopeia dès que tu en as eu l'occasion. Toi et Arcturus, vous l'avez manipulée comme une poupée et elle a tellement cru en vous qu'elle a accepté. Et à présent, elle vous échappe des mains et elle se perds elle-même parce qu'elle n'a pas choisi ce qui arrive. Je suis peut-être discrète dans cette famille, mais j'observe. Et ce que j'ai vu, c'est une femme utilisée qui ne sait même plus qui elle est.
-Pourquoi tu la défends alors qu'elle a été la cause de la mort de Cedrella ? s'étonna Lycoris.
-Ton frère l'a été également. Je l'ai été aussi. Nous avons tous une part de culpabilité dans ce drame.
Régulus se leva sous la colère, jetant un regard incandescant sur Charis.
-Pense ce que tu voudras. Tout ce que j'ai toujours voulu pour Cassiopeia, c'était son bonheur.
Elle dessina un sourire moqueur.
-Foutaises. Même ton propre bonheur t'importe peu.
Il ne voulut pas rester plus de cinq minutes dans cette salle. Sentant sa colère déborder, il sortit, aspirant l'air frais du salon vide. Le canapé fut le seul à l'accueillir avec bienveillance. Il prit sa tête entre ses mains, respira profondément. Les Black, au lieu de se soutenir entre eux, étaient en train de s'entre déchirer. Il eut peur du résultat. Il eut peur de l'avenir.
Oui, le futur l'effrayait.
-Parrain ?
Il releva la tête, surpris. Alphard le fixait avec ses grands yeux curieux, se balançant sur ses pieds, à moitié appuyé sur l'accourdoir du fauteuil.
-Quoi ? répondit-il plus sèchement qu'il n'avait voulu.
Mais son filleul ne sembla pas s'en vexer.
-C'est faux n'est-ce pas ? Dans les contes que Mère nous lit, il y a les méchants et les gentils. Les méchants tuent les gens et les gentils les sauvent. Mais dans la vraie vie, ça n'existe pas.
Ce n'était pas une question. Sa colère s'adoucit. Si un enfant pouvait se rendre compte d'une telle chose, alors que deviendrait le monde dans quelques années ?
-Les contes n'existent que pour refléter une réalité utopique.
-C'est quoi utopique ?
-C'est quelque chose auquel on aspire tous mais qui ne se produira jamais.
Alphard parut réfléchir.
-Comme le fait que Mère arrêtera de punir Wal pour rien ?
Il eut mal. Pour lui. Pour Walburga. Pour l'enfance triste qu'ils avaient.
-Oui. Un peu comme ça.
Alphard s'approcha et Régulus le fit asseoir sur ses jambes. Ses bras entourèrent son corps menu, encore en pleine croissance.
Il n'avait jamais eu d'enfants, mais en cet instant même, se sentir comme un père lui fit du bien.
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