XXVIII. 20 décembre 1940 - le combat

L'Angleterre était en train de mourir sous ses yeux.

La sensation la plus terrible qui puisse exister était celle de se savoir impuissant. Voir ce que l’on doit protéger se détruire. Voir le monde prendre feu. Debout devant la haute fenêtre, il voyait tout. Il entendait tout. Les supplications. Les hurlements. Les mères appelant leurs enfants, les enfants pleurant à pleins poumons. Puis les morts qui jonchaient peu à peu les rues.

Que pouvait-il faire ? Tous ses Aurors étaient partis en Bulgarie. Il avait plongé la tête la première dans leur piège. Et à présent, il se retrouvait sans défenses. Ceux qui se défendaient n'étaient pas assez puissants face aux Russes. Les sortilèges ne duraient jamais bien longtemps. Et puis, après avoir fait bombarder les rues, les habitants se trouvaient affaiblis. Une occasion trop grande pour l'ennemi.

Des pas accoururent dans sa direction. Rowle arriva à sa hauteur, essouflé. Régulus détacha son regard du massacre des Russes.

-As-tu fait ce que je t'ai dit ?

-Oui. Un... un message d'urgence a été délivré à Sofia, parvint-il à dire malgré son air haletant.

Il ne demandait que la présence de sa cousine. Elle était la seule qui pouvait limiter les dégâts. Il avait vu cet homme avancer dans la rue et tuer tout ce qu'il y avait autour. Au début, il avait pensé halluciner. Mais non. Son regard emportait les âmes. Il était comme elle.

Une seconde mort incarnée.

Il prit le chemin en direction des bureaux. David était adossé au mur, les yeux rivés sur le vide face à lui. À son arrivée, il se redressa et le suivit à l'intérieur de la salle. Arcturus fixait la cheminée avec insistance. Il attendait la réponse au message.

-Plus les secondes passent et plus les gens meurent, maugréa-t-il en remarquant que sa cousine n'était toujours pas arrivée.

Mais râler n'arrangeait pas les choses, il le savait. Ils durent attendre plusieurs minutes avant que des flammes vertes commencent à apparaître. Cassiopeia en émergea, le souffle accéléré par l'adrénaline. Elle fut soulagée de voir ses deux cousins, un peu moins après avoir perçu leur air abattu. Elle aurait voulu les serrer dans ses bras, mais l'heure des retrouvailles était dépassée.

-Ne me dites pas qu'ils font la même chose qu'à Sofia.

-Qu'en est-il de là-bas ? demanda Arcturus, les sourcils plus froncés encore.

-Il n'y a plus rien. Que des morts. Pour ce qui est de la partie magique, en tout cas.

Et s'ils attendaient encore, Londres finira dans le même état. Un accès de panique gagna Régulus. Il ne le montra pas parce que son rôle de Ministre l'en empêchait. Mais, par Merlin, jamais il n'avait ressenti une aussi grande détresse. David dut le ressentir puisqu'il mêla discrètement ses doigts aux siens.

-J'ai vu un homme, dit-il, se souvenant nettement de cette image percutante. Je l'ai reconnu. Il n'avait qu'un oeil.

Arcturus le pressa du regard, devinant de qui il s'agissait. Visiblement, il en était de même pour Cassiopeia. Régulus la fixa elle, parce qu'elle représentait son dernier espoir. Sa dernière chance de sauver sa ville.

-Il est comme toi.

Elle recula d'un pas. Comme blessée.

-C'est impossible, souffla-t-elle.

-Si c'était le cas, intervint Arcturus, pourquoi n'a-t-il pas tué Lycoris par l'esprit quand il en avait l'occasion ?

-Parce qu'il voulait m'envoyer sa tête, grimaça Régulus. Il connaissait les armes blanches, il a sorti un couteau pour la blesser. Peu de sorciers en portent.

-À part les Mortemenciens, compléta Cassiopeia.

Pour elle, c'était un cauchemar qui ne faisait que grandir. Elle s'était demandée comment autant de personnes pouvaient être tuées, mais finalement, la réponse était simple. Elle-même aurait pu le faire. Marcher, tuer tout ce qui se trouvait autour. C'était un jeu d'enfant.

Elle comprit ce qu'elle devait faire. La peur l'avait saisie dès l'instant où il avait prononcé ces mots. "Il est comme toi". Elle qui se sentait intouchable, le sentiment d'effroi commençait à la tourmenter. Elle n'était pas préparée à affronter son double en pouvoir. Il était sûrement plus expérimenté. Plus sûr de lui. Après tout, elle n'était qu'une débutante. Mais c'était son pays qui était attaqué, et elle devait se battre pour lui. Peu importe le prix.

-Si jamais je ne reviens pas, prononça-t-elle, la gorge nouée. Dis à Perseus que je ne l'aurais pas abandonné si je n'avais pas été obligé.

Régulus hocha la tête. Il la laissa partir le coeur lourd.

Dehors, c'était le chaos. Des bombes éclatant partout à la fois, des sortilèges répendant un bruit électrique ambiant. Les anglais se battaient, ils se défendaient comme ils pouvaient, partout où la mort ne les suivait pas. Parce que la mort, la vraie, n'était qu'une personne. Cette personne que Cassiopeia devait trouver.

Elle se fraya un chemin entre les corps déjà tombés et ceux qui s'acharnaient à vivre. Des enfants s'étaient réfugiés dans les magasins tandis que leurs parents assénaient les russes de sorts mortels. Il n'y avait plus aucune pitié entre les sorciers. C'était soit la vie, soit la mort. Plus de juste de milieu.

Elle esquiva les sortilèges perdus, se fit discrète entre les ennemis qui ne cherchèrent même pas à l'attaquer. Quand elle pouvait, elle laissait son esprit divaguer et les tuait. Ils tombaient, aussi doucement qu'une plume se poserait sur le sol. Puis elle continuait sa route. C'était si simple.

Simple, jusqu'à ce qu'elle l'aperçoive. Son esprit fut bloquée. Paralysé. Il l'avait senti venir et se tournait à présent vers elle, le regard incandescent. La mort l'ennivrait. On aurait dit un fou savourant son heure de gloire. Et c'était ce qu'il était. Un fou avec un oeil de moins.

-Mais qui voit-on ici ?

Une femme qu'il avait pris pour cible mais qu'il n'avait pas eu le temps d'achever se releva et partit en courant. Il n'y avait plus personne autour d'eux. Seulement des cadavres, une odeur de fumée et un sentiment profond de désespoir. C'était à ça que ressemblait la guerre. Rien de glorieux.

-Sortez de cette ville, ordonna-t-elle d'une voix claire.

-Ou quoi ?

Il s'amusait. Pour lui, tout cela n'était qu'un divertissement. Elle qui s'était considérée autrefois comme un monstre, elle se rendait à présent compte qu'il existait pire.

-Ou la prochaine fois que nous aurons l'avantage, tous les Russes y passeront.

-J'ai hâte de voir ça.

Son sourire la dégoûta. Tout dans son être la dégoûta. Plus encore que les peaux croûtées qui ressortaient de son orbite. Elle n'eut pas le temps de faire un geste qu'une force brute pressa son esprit. Elle gémit sous la douleur. Des milliers de petites pointes s'enfonçaient en elle et éjectaient un poison qu'elle n'arrivait pas à repousser. Terrible. Terrible. Terrible.

-Tu es faible, rit-il. Je pensais avoir un vrai ennemi face à moi.

Tu es faible, disait la vieille. Que faisait-elle pour lui prouver que c'était faux ?

Se redresser.

Son esprit se retourna sur lui-même et se protégea contre l'ennemi. Elle parvint à le repousser, non sans difficultés. Un hurlement franchit ses lèvres dans sa tentative. C'était comme si on lui retirait la peau du crâne. Il s'accrochait, mais elle eut plus de volonté que lui.

Voilà la différence entre un qui prenait cela comme un jeu, et l'autre qui voyait cela comme quelque chose de réel.

Elle retira un poignard de sa cachette. Il anticipa son geste et la projeta sur le côté sans ménagement. Son corps cogna des débrits tranchants. Son souffle se coupa quand sa cage thoracique cogna le sol. Il était puissant, bien plus puissant que ce qu'elle avait prévu. Elle se remémora alors les leçons de la vieille. Quand, dans cette vieille maison abandonnée, elle la poussait à bout. Quand elle la frappait sans relâche jusqu'à ce qu'elle explose.

Cassiopeia reprit son couteau et atterit de nouveau sur ses deux pieds. Contrôler son esprit, l'avoir en main et en faire ce dont elle voulait. Le rouler, puis l'envoyer. Telle une bombe s'écrasant sur le sol et dévastant tout sur sur passage. Un petit sourire étira ses lèvres. Ce fut au tour de l'homme de se voir projeté contre un mur dans un hurlement de douleur. Cogner un semblable n'avait rien d'agréable, parce que ce qui était censé être mortel ne l'était plus.

-Tu vas me le payer, sale petite ingrate !

Il tira de son menteau une plus longue lame. Son éclat, si elle avait été exposée au soleil, l'aurait aveuglée. Il fouetta l'air avec l'arme et la manqua de peu. Chacun tentait de déstabiliser l'esprit de l'autre, le retourner sur lui-même et le contrôler, mais aucun n'y arrivait. En parallèle, elle l'atteint à l'abdomen et il éclata d'un cri de rage. Sa main empoigna ses cheveux et l'attira en arrière. Une douleur vive prit naissance à sa racine. La gorge déployée, elle aperçut le ciel mais n'eut pas le temps de le contempler. Il lui asséna un coup de pieds dans les genoux, la forçant à s'agenouiller.

Il avait oublié qu'elle portait un poignard dans sa main.

Son esprit dut se distraire un moment puisqu'un mal de crâne la fit grimacer. Les murs des bâtiments se distorsionnèrent étrangement. Emplie de rage, elle leva son bras au dessus de sa tête et planta son couteau dans la première chose qu'elle rencontra. Son bras.

Il lâcha prise et son esprit fut enfin libéré.

Seul problème, elle n'avait plus d'armes.

Elle se retourna vivement, cherchant du regard quelque chose qui pouvait la sauver. L'homme n'aspirait qu'à une chose : la tuer. Il n'hésiterait pas à la déchirer en morceaux s'il en avait l'opportunité. Elle recula de quelques pas peu assurés.

-Première fois qu'on affronte un adversaire de taille, hein ?

Un adversaire tout court, fut-elle tentée de répondre. Elle aurait du s'entraîner plus. Envisager cette possibilité. Quelle idiote. À présent, elle se demandait si elle allait pouvoir retourner chez elle saine et sauve ou non. Parce que, honnêtement, l'idée de mourir sous ce ciel gris ne l'enchantait guère.

Il s'avança, une arme dans chaque main. Il avait bloqué son esprit, instauré une barrière entre eux. Aussi, elle abandonna la Mortementia et dégaina sa baguette. Mais son esprit à lui dévia le sort, qui alla se percuter contre des débris de pierre un peu plus loin. Elle ne savait même pas qu'il était possible de contrôler la magie simple.

-Avoue-toi vaincue, sourit-il avec un air carnassier.

-Jamais, grinça-t-elle.

Mais au moment où il levait sur elle sa longue lame, un sort puissa projeta l'objet loin de sa main. L'homme observa ses doigts sans réellement comprendre ce qui venait de se passer. Cassiopeia se tourna vers l'origine du sort.

Grindelwald.

Dans sa longue cape noir, il pointait l'homme comme une proie à atteindre. Sa renommée était dûe à sa magie puissante, Cassiopeia le savait. Si puissante qu'elle arrivait à vaincre la volonté d'un Mortementien. Agacé, l'Auror s'empara lui aussi de sa baguette, décidé à vaincre le mage noir.

Alors Cassiopeia comprit.

Son esprit glissa lentement vers lui. Bientôt, il fut au sol, sa tête entre ses mains, sa baguette au sol. Elle le contrôlait. C'était fini. Il était à sa merci, et si elle lui demandait de se tuer avec une de ses lames, il le ferait. Ravie du tour que Grindelwald lui avait permis de faire, elle s'approcha et posa un pied sur son dos. Il était au sol, face contre terre, à hurler toutes les horreurs du monde ; cette vue la rendit fébrile.

-Merci, dit-elle à l'intention mage.

-Ce fut un plaisir.

Elle attrapa son propre poignard gisant au sol, s'agenouilla. Que cela faisait-il de tuer ? Par la magie, elle connaissait. Mais c'était de loin. C'était presque lâche. Le faire avec ses mains, c'était assumer. Accepter le fait de prendre une vie. Elle le retourna sur lui même et contempla la lueur qui brillait dans ses pupilles. Qu'est-ce que ça faisait de voir cette lumière s'éteindre parce que notre geste a été fatale ? La Mort viendrait-elle grâce à elle ?

Quelle ironie. Elle qui avait toujours tout fait pour lui échapper, voilà qu'elle l'invoquait.

Son bras se leva, suspendu au dessus du vide. Il suffisait qu'elle abatte l'arme. Là, juste au milieu. Paralysé, il ne pouvait que la contempler. Elle s'imagina à sa place et frémit. Non. Un assassin ne pouvait pas se mettre à la place de sa victime, ou bien son geste n'aurait jamais de fin.

-Non ! Attendez !

Sa tête se détourna de la cage thoracique. Lev Petrova venait d'apparaître, Perseus à ses côtés. Ce dernier soupira bruyamment de soulagement, allant jusqu'à poser une main sur sa poitrine.

-Ne faites pas ça. Il peut nous être utile.

-Vous dites ça parce qu'il s'agit de votre frère ou parce que vous le pensez vraiment ?

Son visage se troubla.

-Je le pense vraiment.

Elle ne se montra pas convaincue. Portant son regard sur Grindelwald, elle attendit son approbation. Il réfléchit, pesa le pour et le contre. Finalement, il hocha la tête.

Elle reposa son arme et recula, gardant toujours son esprit prisionnier.

-Cassiopeia !

Elle enroula ses bras autour du cou de Perseus. Il la serra si fort contre elle qu'elle faillit étouffer. Ses mains s'agrippèrent au tissu de sa tunique, il huma son odeur comme s'il s'agissait d'une drogue dont il avait été privé pendant trop longtemps.

-Ne me fait plus jamais ça.

Elle hocha la tête mais ne lui promit rien.

Parce qu'au fond, ils savaient tous les deux que se battre était ce pour quoi elle était née.

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