XXVII. 20 décembre 1940 - le piège

Un vent balaya la fine poussière de la ruelle. Le silence s'était imposé en tant que monarque suprême et refusait de repartir. Imposant. Puissant. Rien ne pouvait le briser. Il s'était emparé de la ville entière et étranglait les survivants.
Cassiopeia sentit un poids s'abattre sur ses épaules dès l'instant où elle posa un pied sur la route. Des éclats de verre craquelèrent sous son pied.

Devant elle, c'était la destruction personnifiée. Des vitrines brisées. Des cadavres tuméfiés, des insectes qui creusaient déjà leur peau. Ils étaient arrivés trop tard. Bien trop tard.

-C'est quoi ce bordel, murmura Hyades, sa main crispée à sa baguette.

Ce bordel, c'était le passage des Russes sur la capitale Bulgare. C'était leur coeur de pierre écrasant des innocents, ôtant injustement des vies. Ils leur avaient montré ce qu'ils étaient capable de faire. Ceci n'était pas un acte de guerre. C'était une menace pour l'Angleterre et tous ceux qui osaient les défier.

Ce que Cassiopeia ne comprenait pas, c'était comment ils avaient pu réaliser une telle chose en seulement quelques jours. Elle avait pensé qu'ils arriveraient avant eux. Qu'ils pourraient protéger le Ministère Bulgare et tous les sorciers de la capitale. Mais non. Aussitôt dit, aussitôt fait.

Elle s'avança, promenant son regard sur le paysage désolé. Des cages à hiboux étaient renversés au sol. Les animaux à l'intérieur étaient morts, tous comme leurs propriétaires. Elle n'osa pas voir les yeux vides de vie, les centaines de corps allongés et silencieux. La Mort était présente partout et elle détestait ça.

Soudain, une silhouette apparut. Entre les débris de ce qui fut auparavant un magasin, une petite fille surgit de nul part. La cendre maculait ses joues de noir. Des traces plus claires traçaient leur chemin par dessus. Des larmes. Cassiopeia fit signe aux autres de rester en arrière et marcha doucement dans sa direction. La petite fille ne bougea pas. Elle la regarda faire comme on observerait une fleur se fâner. Quand Cassiopeia s'agenouilla devant elle, une lueur de crainte traversa ses iris.

Mais elle ne réalisa aucun pas en arrière. Si elle avait cherché à lui faire du mal, devait-elle certainement songer, elle l'aurait déjà fait.

-Comment t'appelles-tu ? demanda Cassiopeia.

La petite fille ne comprit pas. Ses grands yeux bleus s'ouvraient sur l'incompréhension la plus totale. Évidemment. L'anglais lui devait être inconnu.

Quand elle fut au point d'échapper un soupir, la main de la fille se leva et son doigt pointa un bâtiment dans son dos. Des pierres noires hautes, une tour cherchant à toucher le ciel.

Le Ministère.

Cassiopeia encadra son petit visage de ses mains et déposa un baiser sur son front. Elle sentait la peur. Le malheur à l'état brute. Cette petite fille venait de tout perdre sans réellement comprendre ce qui venait de s'effondrer.

-Je vengerai ta famille, susurra-t-elle. Je vengerai ton innocence.

Elle ne comprendrait pas, mais ça n'avait pas d'importance. Elle le lui promettait. Elle le ferait.

Cassiopeia se releva, s'apprêtant à prendre sa main pour la conduire vers les Aurors établis à la frontière de la ville. Mais la petite fille partit en courant. Ses pas résonnèrent plusieurs fois entre les murs effondrés.

-Non, attends !

Elle avait disparu. Volatilisée dans le brouillard de la mort. Parviendrait-elle à survivre ? Elle ne le sut. Peut-être n'avait-elle jamais existé. Peut-être était-ce son esprit qui lui indiquait le chemin par le voie d'une âme perdue.

Peut-être que cette fille était déjà morte.

Troublée, elle revint sur ses pas pour rejoindre Hyades et Perseus. Ce dernier fronça les sourcils d'inquiétude en la voyant arriver. Elle n'osa pas lui raconter ce qu'elle venait de voir. Il y avait de quoi la prendre pour une folle.

-Ils occupent le Ministère, déclara-t-elle. Je veux y aller. Je veux les tuer de mes propres mains.

-Hors de question que tu t'y rendes seule, objecta-t-il.

-Perseus, tuer est une seconde nature chez moi. Je ne risque rien.

C'était une occasion pour tester ses pouvoirs meurtriers. Les voir tomber les uns après les autres tels des mouches, comme ils avaient fait avec les habitants de cette ville. Elle leur retournerait le cerveau et les contempleraient hurler. Ce serait réjouissant.

Il lui attrapa la main mais elle la retira immédiatement.

-À tout à l'heure, souffla-t-elle avant de disparaître dans la ruelle.

Elle savait qu'il ramènerait les Aurors avec lui, et d'ailleurs, c'était son objectif. Régulus et David leur avaient envoyé des hommes pour combattre les russes. Français et Anglais s'étaient rejoints dans une guerre commune. Les Américains prenaient du retard en vue de la distance, mais ils ne tarderaient pas. Après la Bulgarie, il y avait la Norvège. Cassiopeia pria pour que, cette fois-ci, ils puissent arriver avant eux.

Sa présence dans la rue se fit entendre par ses pas. Toute sorte d'objets jonchaient le sol. Des morceaux de verre brisés. Des papiers, des journeaux imbibés d'eau. Des corps. Encore et toujours. Le Ministère apparut rapidement face à elle. Imposant dans son armure de pierres grises, un peu dans le style allemand, de grands vitraux ajoutaient néanmoins une touche d'architecture ancienne. Il n'y avait personne autour. Aucun garde, aucun sorcier supervisant les lieux.

Peut-être étaient-ils déjà en route pour la Norvège.

Une statue servait d'entrée. Cassiopeia n'hésita pas avant de s'enfoncer dans la matière dure. Celle-ci se modela autour de son corps et bientôt, un intérieur vaste et décoré s'offrit à elle. Décoré, ou anciennement décoré. Les vitraux étaient brisés, laissant passer la lumière grise du jour. Des pièces translucides colorées recouvraient le sol. L'eau de la fontaine innondait l'énorme allée. L'ange qui surplombait autrefois le point d'eau était brisé au sol. Ses ailes, coupées en deux.

Tout en retenant sa respiration, elle s'avança dans cette personnification d'un monde détruit. Le silence était fait d'hurlements stridents. Des corps. Des corps. Encore des corps. Une odeur de putréfaction qui s'élevait. La Mort qui venait chercher les âmes. Unes par unes. Comment était-il possible de tuer autant de sorciers si soudainement ?

Elle n'eut pas besoin d'aller bien loin pour trouver ce qu'elle était venue chercher. Un cadavre pendait au dessus d'un balcon intérieur. Une corde serrait affreusement son cou. Les bras ballants, les pieds dans le vide, son visage n'était qu'une boule violette putréfiée.

Le Ministre de la magie.

Cassiopeia murmura quelques injures. Les pays de l'alliance s'étaient promis de se protéger entre eux. Grindelwald lui-même leur avait fait cette promesse. Et voilà que le premier visé était pendu tel un simple moldu. Quelle humiliation. Et les autres ? Tués sur le coup, beaucoup trop soudainement pour que ce ne soit que des sorts qui les aient atteints. Il y aurait eu des combats. Des survivants. Hors, ici, la vie n'avait laissé aucune trace de son passage.

Des voix résonnèrent dans son dos. Ceux des sorciers français. Une cinquantaine qui tenaient leur baguette dans la main, vérifiant s'il n'y avait pas des survivants. Une cinquantaine. Plus la centaine d'anglais qui se trouvaient dans les rues de la capitale. Tous les Aurors officiels du pays. Les protecteurs, les plus à même de retenir une attaque. Une horreur immense l'emplit.

Elle se retourna et les observa. Ils étaient tous là. Plus personne ne se trouvait à Londres. Ou à Paris.

C'était un piège.

***

-Mère, j'ai faim, se plaignit Asler en se traînant à moitié.

Callidora le tint par le poignée, l'empêchant de tomber dramatiquement au sol. Elle adressa un regard d'excuse à tous les passants qui l'observaient curieusement. Personne n'avait du croiser un enfant sang-pur aussi mal élevé. Elle aurait voulu leur dire qu'elle faisait son possible pour leur inculquer les conventions, mais c'était peine perdue. Ils retenaient seulement ce qui les intéressaient. Agacée, elle se retourna pour vérifier que Lara la suivait. S'étant aperçu qu'elle s'était arrêté devant une vitrine de bonbons, elle jura et fit demi-tour pour la rejoindre. Asler se traînait toujours derrière, répétant combien il avait faim.

Puis tout fut soudain. La force qui la projeta. Sa main qui lâchait celle de son fils. Son crâne qui cognait une pierre. Le sifflement dans les oreilles. Les hurlements n'étaient qu'un bruit de fond. Chaque mouvement devint un martèlement. Le noir. Puis, une fois les paupières ouvertes avec difficulté, le monde qui tournait. Le sol se déformait sous ses mains, les battements de son coeur faisaient trembler ses membres.

Lara. Asler. Où étaient-ils ?

Se relever fut accompagné d'une douleur immense. Plusieurs fois, elle faillit retomber au sol. Mais le mur fut là pour la soutenir. Quand ses yeux lui permirent enfin de voir les choses claires, elle se rendit compte que les pierres qu'elle touchait se recouvraient de sang.

Aucune importance. La seule chose qu'elle désirait, c'était revoir ses enfants. Les serrer dans ses bras et les mener loin de cet enfer ambulant. Très loin.

Il y avait tellement de cris qu'il était impossible de différencier les voix. Le sol continuait de tanguer. Un liquide chaud coulait le long de son visage.

-Mère !

Elle se retourna mais ne vit qu'une petite fille qui n'était pas la sienne. Un cri de frustration faillit s'échapper de ses lèvres.

-Asler ! hurla-t-elle au désespoir. Lara !

Qu'ils lui répondent, par pitié. Elle ne leur demandait que ça. Un signe. Quelque chose. Juste quelque chose. Elle répéta leur prénom et sentit ses cordes vocales se déchirer. Sa respiration s'accélérait et elle avait du mal à respirer. Sa tête tournait.

-Mère !

Deux bras se jetèrent autour de ses jambes. Asler. C'était bel et bien Asler. Elle le serra si fort contre lui, remerciant toutes les forces du destin pour lui avoir rendu son fils. Son corps était secoué de sanglots mais il était vivant. Rapidement, Lara les retrouva, toute aussi secouée par les événements. Callidora les serra contre elle et ne les lâcha pas.

Jusqu'à ce qu'elle aperçoive des silhouettes tomber sans aucun bruit devant elle.

Un par un. Sans hurlement, sans cri désespéré. Un homme marchait lentement dans la rue, et chaque personne qu'il regardait devenait un cadavre. Sa bouche s'ouvrit sur une suffocation d'horreur. Il ne se trouvait qu'à quelques mètres d'elle. Ses forces la quittaient peu à peu et sa vue se troublait, mais elle lutta contre la fatigue. Sa main accrocha celles de ses enfants avec force.

-On va transplaner, les avertit-elle dans un murmure.

L'homme approchait, toujours plus près, toujours plus de cadavres à ses pieds.

-Vous êtes prêts ?

Asler et Lara hochèrent la tête simultanément. Callidora ferma les yeux. Un marteau lui assénait des coups sur son crâne, mais elle ignora la douleur. Elle ignora sa peur. Et, après quelques secondes d'efforts, elle disparut avec ses enfants dans un craquement.

Quand elle arriva dans son Manoir, la douleur dans son crâne devint insoutenable. Un liquide épais l'aveuglait d'un oeil. Ses mains sur le tapis laissèrent des traces rouge que le tissu but avec avidité. Un pleur d'enfant atteignit ses oreilles. Elle tenta de se retourner pour voir si son fils ou sa fille n'étaient pas blessés mais échoua dans la tentative.

-Père ! s'exclama une voix.

D'autres voix s'unirent à celle-ci. Callidora s'effondra sur le tapis, ne cherchant pas à savoir de qui il s'agissait. Elle souhaitait juste fermer les yeux. Oublier l'explosion. Les hurlements, les cris, les corps qui tombaient tels des pantins désarticulés. Ses paupières s'abaissèrent sous la fatigue.

-Eh. Regarde-moi. Reste éveillée, s'il te plaît.

Avec difficulté, elle obéit. Et tout à coup, elle voulut le mettre au courant. Lui ordonner de ne pas mettre un pieds dehors, parce que l'ennemi se tapissait. Sa main accrocha sa chemise et ses lèvres se mouvèrent lentement.

-Les russes... souffla-t-elle.

-Je sais. Ça va aller. Reste avec moi.

"Toujours", fut-elle tenté de dire.

Mais elle n'en eut pas la force.

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