XXV. 7 décembre 1940 - le commencement
Seuls l'entrechoquement des couverts se faisait entendre. Des chandelles positionnées tout le long de la table brûlaient avec ferveur, propageant leur lumière jaunâtre sur la table. Régulus but une gorgée de vin, jetant un regad dédaigneux sur son assiette. Toute cette agitation au Ministère lui coupait l'appétit. Et la tension entre sa soeur et lui ne faisait que rajouter un poids dans son estomac. Heureusement, David était là pour alléger l'atmosphère.
Ce soir-là, cependant, il n'avait pas l'air très avenant. Ses yeux étaient plongés dans le vide, sa fourchette jouant avec les morceaux de rôti.
-Comment avancent les affaires au Ministère ? finit par demander Lycoris, mal à l'aise par ce silence.
-Pas tes affaires, grommela Régulus.
Elle avait perdu le droit de savoir ce qui se passait quand la Russie leur avait déclaré la guerre par sa faute. Ce jour-là, il ne lui avait rien dit. Mais David lui avait raconté. Et elle avait compris.
Elle lâcha ses couverts qui cognèrent dans un bruit sourd contre l'assiette. Surpris, il lui lança un regard oblique. Son expression s'était gravé dans du marbre froid.
-Je sais que tu m'en veux, mais ça suffit maintenant.
-Ça ne suffira jamais, pas quand il y aura des gens qui mourront sous la main des Russes, siffla-t-il en reposant lourdement son verre sur la table.
-Tu comptes me mettre leur mort sur le dos, c'est ça ?
Il ne répondit pas. Ce n'était pas son intention, mais il la voulait consciente de son erreur.
-Tu aurais préféré que je le laisse me tuer ? Que Matvei t'envoie ma tête comme présent pour ensuite accepter la Russie comme alliée ? Si c'est ça que tu veux, alors je peux toujours m'offrir pour...
-Arrête !
Le contour de ses yeux étaient devenus rouge. Rouge comme le sang qui pulsait dans ses veines. Rouge comme sa colère.
-Alors dis-moi, Régulus, ce que tu veux que je fasse pour reprendre ma place à tes côtés.
Lycoris s'était fait son propre siège dans le Ministère. Tous les responsables des Départements la respectaient, parce qu'ils savaient qu'elle était à l'oeuvre de beaucoup de complot. Sa ruse lui avait été d'une grande aide. Mais à présent, elle revendiquait sa place comme si cela avait toujours été à elle. Non, elle était entrée dans le Ministère simplement parce qu'il l'avait voulu.
Sans lui, elle n'était rien.
-Je n'attends plus rien de toi.
Elle avala ses mots avec peine. La souffrance dansa dans ses pupilles, prête à déborder à tout moment.
-Régulus, Lycoris a raison, intervint David.
Depuis quand se dressait-il contre lui ? Et puis ce n'était pas son problème. Cela ne concernait que lui et sa soeur. Mais Lycoris le regarda comme sa bouée dans une mer en pleine mer. Face à autant de supplication, il n'allait pas laisser tomber sa position.
-Tout le monde fait des erreurs. Certaines ont plus de conséquence que d'autres, certes. Mais la seconde chance existe. Surtout quand elle n'a fait que se défendre.
Il se frotta les yeux, emprisonné par une argumentation solide. Oui, elle n'avait fait que se défendre, c'était vrai. Matvei l'agressait, il allait lui trancher la gorge alors elle avait retourné son arme contre lui. La Russie avait pris ça comme une déclaration de guerre parce que ça l'arrangeait.
-Très bien, céda-t-il.
Lycoris posa une main sur son avant-bras, un "merci" frôlant ses lèvres. Son coeur se retourna sur lui-même. Qu'aurait-il fait si Matvei l'avait tuée ? Il aurait déclaré la guerre à la Russie pour venger sa mort. Alors au fond, cela ne changeait pas grand chose.
-Tu peux revenir au Ministère, souffla-t-il.
Il dégagea son bras, se leva et s'éloigna.
Il n'avait pas faim de toute façon.
***
Cassiopeia s'ennuyait. Profondément. Cela faisait deux semaines qu'ils étaient arrivés, deux semaines qu'ils restaient au château sans rien d'autre à faire que regarder les murs. Grindelwald s'absentait souvent, parti elle ne savait où. Vinda aussi, mais c'était pour son plus grand bonheur. Le reste du groupe restait à l'intérieur, ne sachant que faire de leur main. On ne leur avait rien communiqué, pas même à Perseus qui était censé jouer un rôle d'espion. C'était comme si le monde se tenait en suspens en attendant le commencement de la vraie bataille.
Régulus lui avait écrit. Dans sa lettre, rien de choquant. Aucune attaque ennemie, ni en Angleterre, ni en France où Pollux tenait à présent le Ministère. Les Russes semblaient s'être volatilisé de la surface de la terre. Ou alors, ils préparaient discrètement leur attaque.
Les silences, dans une guerre, constituaient souvent la pire menace.
La tête posée sur les cuisses de Perseus, elle observait Hyades lire. La jeune femme irradiait d'une beauté particulière, avec ses yeux bleus éclatants et sa peau aussi pâle que la porcelaine. Elle avait l'air si fragile à première vue. De longs cheveux bouclés descendaient jusqu'en bas de son dos, les mêmes que sa soeur, mais en plus foncés. Cependant, après l'avoir sondé et adressé plusieurs fois la parole, si Cassiopeia devait la décrire en un mot, ce ne serait pas avec le mot "fragile" qu'elle le ferait.
Hyades était comme elle. Sa vie était sa famille et sa famille était sa raison de vivre. Rien n'arrivait à franchir cette limite. Elle permettait tous les coups pour parvenir à faire honneur à son emblème.
Doliona était peut-être pire. Contrairement à sa soeur, elle avait du sang sur les mains. Et même si elle le cachait parfaitement derrière son air innocent, on ne trompait pas Cassiopeia. Surtout quand son esprit était aussi clair que l'eau d'une rivière.
Quant à Carl, il l'intriguait. Elle n'avait pas réussi à creuser dans son personnage, parce qu'il avait tendance à enterrer ses pensées bien profondément. Tout ce qu'elle retenait de lui, c'était qu'il adorait le sarcasme, l'argent et son égo. Un prince arrogant tel qu'elle se l'était imaginée depuis le début. De plus, elle ne savait pas bien ce qu'il pouvait apporter à Grindelwald. Les jumelles étaient déterminées à se battre, et elles affirmaient être bonnes duellistes. Mais lui avait ouvertement assumé le fait que se battre n'était pas sa tasse de thé.
Pour ce qui était de son argent, Grindelwald était riche. Il n'avait pas besoin des subventions d'une famille royale ennemie.
Sa réflexion fut interrompue par l'entrée de Vinda. Son corps se raidit instantanément. Perseus, pressentant sa réaction, posa une main dans la courbe de sa hanche, préparé à la retenir si l'envie de l'étrangler lui venait.
-Il vous attends en bas.
Tous surent à quoi elle se référait par "Il". Il daignait enfin de leur parler. Vinda s'en alla et Cassiopeia poussa un soupir de soulagement. Sa présence était tout ce qu'il y avait de plus désagréable.
-Enfin un peu de divertissement, se réjouit Carl.
Ils descendirent au rez de chaussée et s'engouffrèrent dans le salon. Un homme se tenait aux côtés de Grindelwald, un Auror à en juger son physique. Cassiopeia fut surprise qu'un sorcier des forces protectrices se range dans leur camp. Elle mit son interrogation entre parenthèses et se plaça autour de la grande table. Les autres firent de même, formant un cercle fermé.
-Je vous présente Lev Petrova, un Auror Russe qui espionne pour moi.
-Petrova ? souligna Cassiopeia, pour qui ce nom lui disait quelque chose.
Régulus lui avait parlé d'un Petrova. Celui qui n'avait qu'un oeil, la cause de la déclaration de guerre entre la Russie et l'Angleterre. Celui ci possédait ses deux yeux, mais s'il était de la même famille, ce n'était pas forcément bon signe.
-Je ne suis pas comme mon frère, répondit l'intéressé qui avait deviné sa méfiance. Je tiens la cause de Grindelwald à coeur.
Si Grindelwald lui faisait confiance, alors elle devait en faire de même.
-Cette période de deux semaines a été calme, commença le mage noir, mais les choses commencent réellement maintenant. Les Russes ne sont pas les seuls à nous avoir déclaré la guerre, mais certainement les plus puissants. Le pays tient sous son joug la Roumanie et la Hongrie. Quant au Danemark et l'Espagne, ils agissent sous leur propre volonté mais ne seront pas très difficile à éliminer.
-Donc nous nous en prendrons en premier à la Russie ? voulut savoir Hyades.
-Naturellement.
-Mais les Russes sont dangereux, intervint Lev. Toute la noblesse n'est pas du côté de l'Empereur, mais ils sont capable de tourner leur veste au dernier moment. Les familles russes n'agissent que par intérêt économique. Ils peuvent vous promettre leur appui un jour, puis se voir attribué le lendemain des terres par Igor Dachkov. Comme ces familles lui seront redevables, elles se retourneront contre vous.
-Aucun n'est digne de confiance, résuma Perseus.
-Certains le sont parce qu'ils refusent de se laisser influencer par l'Empereur, mais encore une fois, différencier ceux qui sont honnêtes de ceux qui ne le sont pas est très difficile.
-Je pourrais le savoir, moi, proposa Cassiopeia.
-Le fait est qu'eux-même sont convaincus d'être sincères jusqu'à ce que l'Empereur leur offre quelque chose de généreux. Et à partir de ce moment là, c'est trop tard. Ils vous aurons déjà eu.
-Voilà pourquoi vous devrez être très prudents, continua Grindelwald. L'objectif est que la noblesse Russe renverse Igor. Nous n'y parviendrons que par deux moyens : anéantir tout espoir d'une armée victorieuse, et convaincre le peuple de notre bon-vouloir.
-Nous nous en prenons aux russes, fit Doliona, mais quel rôle a toute cette lutte pour l'expension de notre idéologie ?
Grindelwald sourit. Ce n'était ni de la joie, ni de la fierté. Une espèce de cruauté gardée qui parfois débordait.
-Il n'existera jamais d'ennemi plus puissant que la Russie. Si elle tombe, c'est le monde entier qui s'agenouillera à nos pieds.
C'était intelligent.
-Très bien, et que devons-nous faire alors ? demanda Perseus.
-Il y a un bal d'hiver dans quelques jours, répondit Lev, au palais des Glaces. Toute la noblesse russe y sera présente. Ce sera votre chance de faire des alliés.
-Et comment saura-t-on qui est susceptible de se ranger de notre côté ?
-Vous devrez le savoir vous-même. Je pense qu'il y a quelqu'un ici qui est capable de faire ce travail merveilleusement bien.
Cassiopeia hocha lentement la tête.
-La princesse Nina Andronikov est une cible à viser, continua Lev. Elle exerce beaucoup d'influence dans sa communauté. Accéder à sa position ne sera possible que d'une seule manière : par le biais d'un amant.
-Eh bien, nous avons trouvé ton utilité, se réjouit Cassiopeia en visant directement Carl.
Le prince faisait un bon charmeur, elle ne doutait pas de ses qualités de drague. De plus, il était le seul ici à pouvoir assumer ce rôle. Mais Lev secoua la tête.
-Nous avons besoin d'un espion. Quelqu'un de discret qui sache écouter et qui n'ait jamais été vu par ici. Le prince Carl pourrait être reconnu par n'importe qui.
Alors elle comprit. Ses muscles se tendirent et sa tête se tourna lentement vers Perseus. Celui-ci ne bougeait pas. Son expression demeurait insondable. Il n'y avait que sa mâchoire crispée qui pouvait témoigner de sa déconcertation.
Il était hors de question. Elle s'y refusait. Et elle avait le droit parce qu'elle partageait son lit, parce qu'elle était son amante. Et tout le monde savait cela. C'était indéniable.
-Non, déclara-t-elle fermement.
-Cassiopeia, ce serait une question de renseignement, tenta de la convaincre Grindelwald.
-Baiser quelqu'un, que ce soit pour du renseignement ou non, reste baiser, répliqua-t-elle avec colère.
Une main vint se poser sur la sienne. Elle fut surprise tout d'abord, puis vit que Perseus s'était rapproché d'elle. Il continuait de fixer Lev mais sa présence était là. Il était là, entièrement à elle.
-Pourquoi elle ? Qu'a-t-elle de si important ?
L'Auror parut heureux d'entendre une question pertinente.
-La famille Andronikov est la favorite de l'Empereur. Ils ont accès à tous les messagers, sont au courant de tout ce qui se passe sous le palais royal. Le frère de Nina, Rédor, est chef des armées. Elle-même gère les affaires économiques. Je ne doute pas un instant qu'elle est impliquée dans bien des choses que ni vous ni moi connaissons l'existence. Si nous parvenons à s'infiltrer par ce chemin, nous aurons tout gagné.
-Donc, grâce à son frère, nous pourrions savoir en temps réel les plans de l'armée.
-Exactement.
Mais tout cela demandait un prix, et Cassiopeia avait très bien compris lequel. Carl, face à elle, semblait en rire.
-Il doit y avoir un autre moyen, tenta-t-elle.
-Malheureusement, je ne vois pas lequel. Le Bal d'Hiver est dans quelques jours, Perseus, vous devriez vous préparer. J'espère que vous savez charmer une femme.
-Non, souffla-t-elle.
Mais avant qu'elle n'ait pu dire un mot de plus, il la tira dans le couloir. L'obscurité s'abattit sur elle tel un coup de hâche. Son dos cogna le mur. La respiration de Perseus frôla sa joue, l'éclat de ses yeux fut la seule source de luminosité qu'elle put avoir.
-As-tu confiance en moi ?
-Perseus, je...
Il prit son menton dans sa main et la força à le regarder.
-Est-ce que tu as confiance en moi ? répéta-t-il.
Elle avait confiance en lui. C'était de cette Nina qu'elle doutait. Apparemment, pour elle, obtenir un amant devait être aussi facile que commender une tasse de thé. C'était que la manière de les avoir devait être assez rapide, et surtout, efficace. Cette pensée lui donna la nausée.
-Dis-moi quand tu le feras.
-Faire quoi ?
-Quand tu l'embrasseras. Quand tu te déshabilleras devant elle, quand elle se déshabillera devant toi, quand vous occuperez les draps de son lit impérial. Je t'ai promis de ne pas lire dans ton esprit, mais je veux tout savoir. Dans les moindres détails.
Une lueur d'inquiétude traversa ses iris. Elle disparut rapidement.
-Comme tu voudras.
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