XXIX. 22 décembre 1940 - la mort

Matvei Petrova ne faisait plus le fier ligoté à sa
chaise. Enfermé dans les sous-sols du Manoir de Régulus, Cassiopeia l'avait laissé moisir là le temps des retrouvailles avec sa famille. Grindelwald avait prononcé un sort pour l'empêcher d'utiliser sa magie, ce qui le privait de toute possibilité de s'enfuir. Elle descendit seule, une arme à la main. Il était temps de s'amuser un peu.
Elle alluma les bougies une à une sous son oeil méfiant. Il faisait humide et froid, mais elle eut chaud d'adrénaline. "Tu es faible", lui avait-il dit. Elle se faire un plaisir de lui prouver le contraire. Une fois sa tâche accomplie, elle tira une chaise face à lui et s'assit, un sourire extensible sur les lèvres. Il ne bougea pas. Il se contenta juste de la regarder. S'il avait peur, il le cachait bien.
-Pourquoi ne m'as-tu pas tué ?
Bonne question. Elle se le demandait également.
-Votre frère pense que vous avez des informations à nous donner.
Il éclata d'un rire sans joie.
-Même si j'en avais, je ne vous les donnerais pas.
-Voyez vous, une potion fait fureur en ce moment. Cela s'appelle le Veritaserum, il a été inventé récemment par un alchimiste qui s'est fait millionaire avec. J'aurais pu l'utiliser et vous m'auriez tout révélé. Sauf qu'il existe une méthode plus divertissante. Savez-vous laquelle c'est ?
-La torture ? dit-il avec un sourire carnassier.
-Exactement.
Soudain, son visage se contracta en une grimace de douleur. Sa tête bascula en avant. Un filet de salive coula le long de son menton. Elle se baissa pour mieux contempler sa souffrance, pour s'en abreuver. C'était ainsi que son pouvoir continuait de vivre en elle. Plus elle faisait souffrir, et plus elle devenait puissante.
-Comment saviez-vous que nous nous rendions en Bulgarie pour vous empêcher de prendre le Ministère ?
-Tout se sait, souffla-t-il entre deux halètements douloureux.
-Le prince de Danemark, Carl, a-t-il quelque chose à voir avec ça ?
Elle le sentit lutter. Mais elle poussa plus profondément jusqu'à ce qu'il pousse un cri. Ses bras se démenaient contre les cordes qui le retenait.
-Non, avoua-t-il sous la force.
-Alors qui ?
Mais elle avait beau fouiller dans son esprit, elle ne trouva rien. Que des ordres issus de la hiérarchie. Des indications données sur quelques heures, assez rapidement pour qu'en deux jours, le massacre soit fait.
-Je ne sais pas. Ce n'est pas moi qui engage les espions.
Des espions. Il y en avait donc un parmi eux. La rage monta à cette révélation. Il était impossible que Perseus soit la taupe. Quel intérêt aurait-il de la trahir ? Vinda demeurait fidèle à Grindelwald, Carl n'était apparemment pas concerné. Il ne restait que les jumelles.
Foutus français.
-Ce que je sais, c'est que quelqu'un agit dans l'ombre depuis le début, lâcha-t-il alors qu'il reprenait doucement contenance.
-Mais vous ne connaissez pas son identité.
-Non. Si vous kidnappez l'Empereur et que vous le ligotez à une chaise, peut-être vous le dira-t-il.
-Ce n'est pas le moment de faire de l'humour, cracha-t-elle, de mauvaise humeur.
Il l'avait énervée. Une vague de pouvoir le gifla. Cette fois ci, sa tête bascula en arrière et il échappa un râle rauque. Du sang coula de son nez.
-Ça vous plaît, hein, ricana-t-il laborieusement alors que sa bouche se remplissait de liquide pourpre. Répendre la souffrance autour de vous, c'est votre nature.
-Vous ne savez rien de moi.
-Les Mortemenciens se ressemblent à bien des égards.
-Vous ne savez rien ! hurla-t-elle et sa tête fut projetée sur le côté.
Un simple grognement jaillit de sa gorge. Il cracha le sang qui s'était amoncelé sur sa langue.
-Cette guerre, continua-t-il, Grindelwald l'a voulue parce qu'il possédait une arme. Savez-vous laquelle c'est ?
-Moi ? répondit-elle, lassée d'entendre répéter la même chose.
Oui, Grindelwald avait eu l'audace de monter les pays les uns contre les autres parce qu'il la possédait elle. Parce qu'il savait que grâce à son don, elle allait pouvoir balayer d'un simple mouvement de la main tous ceux qui se mettaient en travers de son chemin. Mais cette lutte la concernait elle aussi, sa famille. Tant que Grindelwald dominait l'Europe, les Black ne connaîtraient aucune limite.
-Oui. Mais il ne vous aurez jamais demandé s'il n'avait pas entendu parler juste avant de la prophétie.
-Quelle prophétie ? l'interrogea-t-elle, soudain piquée par la curiosité.
Comme il mettait du temps à répondre, elle lui asséna une nouvelle décharge qui le poussa à ouvrir la bouche.
-Une jeune autrichienne demeurant sous la responsabilité des Nott. Elle a fait un rêve prémonitoire sur vous. Elle vous a vu.
-Super, et en quoi une prophétie dépends des rêves d'une gamine ?
-Ce n'est pas la première fois que Blanche Rosenweiss voit le futur. Elle avait prévenu que l'ascension des Black depuis longtemps. C'est ainsi que j'ai été envoyé en Angleterre pour espionner sous le compte de l'Empereur. Quand Igor s'est rendu compte de son potentiel, il a voulu la récupérer pour lui, mais les Nott s'en sont emparés avant. Cependant, juste avant son départ, elle a fait un rêve.
-L'origine de la prophétie ?
Il hocha lentement la tête, grimaçant sous la douleur. Il rechignait à lui dévoiler autant d'information, mais la pression qu'elle exerçait sur lui ne lui laissait pas d'autre choix.
-Elle vous a décrit comme la mort elle-même, entourée d'un paysage carbonisé.
La mort. Pourquoi serait-elle la mort ? Pourquoi elle ? Tout prenait sens, à présent. Les Russes avaient pris soin d'éviter une bataille frontale avec elle. Ils étaient partis après avoir irradié la ville, les piégeant alors qu'ils s'en prenaient à Londres. Ils savaient l'utilité qu'elle avait pour Grindelwald. Et ils ne prenaient pas ça à la légère.
-Je suis une Mortemencienne, comme vous.
-Non. Quelque chose va se passer. Quelque chose qui va nous différencier. Et c'est ce qu'elle sait.
Mais Cassiopeia, elle, ne voulait pas savoir. Elle en avait assez d'être désignée comme une arme, une étincelle mettant feu au monde, comme la mort. Elle voulait juste être une Black faisant le maximum pour sa famille. Juste une femme dévouée à sa devise, une sorcière luttant pour sa liberté. Elle voulait être Cassiopeia Black. Tout simplement.
-Vous ˆêtes la mort, répéta-t-il avec un sourire rouge.
-Taisez-vous.
-Savez vous pourquoi vous craignez autant les cadavres ?
-J'ai dit, taisez-vous.
-Parce qu'on a toujours peur de ce que l'on est soi-même.
Un cri franchit ses lèvres et le propulsa de l'autre côté de la pièce. Un instant, elle eut peur de l'avoir tué. Mais son esprit arriva à lire quelques unes de ses pensées, signe qu'il était encore en vie. Elle reprit une respiration qu'elle avait retenu sans s'en rendre compte.
Elle le haïssait. Lui, cette gamine et tous ces dires sur elle qui n'étaient fondés que sur un avenir inexistant. C'était absurde. Être différente des autres n'était pas ce qui la dérangeait, mais être ce que les autres craignaient était autre chose.
L'étoile qui voulait briller s'éteignait petit à petit.
Savez vous pourquoi vous craignez autant les cadavres ?
Elle émergea de la cave, se revêtit d'une cape et sortit du Manoir sans même aller voir son cousin. L'air froid de décembre rendit sa peau plus froid qu'un glaçon.
Parce qu'on a toujours peur de ce que l'on est soi-même.
Tout ce qu'elle avait appris lui tournait dans la tête, sans cesser. Un espion, une personne agissant dans l'ombre. Ce devait forcément être quelqu'un de leur camp qui trouvait un intérêt plus grand à les détruire. Mais qui ? Qu'était devenue cette guerre ? Un réglement de compte ? C'était stupide, tout cela était si stupide.
Parce qu'on a toujours peur de ce que l'on est soi-même.
Elle était comme lui, après tout. Elle avait appris à contrôler sa souffrance pour en faire un pouvoir. Et pourtant, personne n'avait dit que Matvei Petrova était la mort incarnée. Tout cela était la faute de cette gamine. Si seulement elle s'était tue. Si seulement elle avait gardé ses foutus rêves pour elle.
La rage tournait en rond et lui griffait les entrailles. Elle avait besoin d'étancher sa soif. Besoin de s'exprimer, détruire tout ce qui pouvait la nuir. Elle n'allait pas devenir la mort, non. Elle serait l'éclat aveuglant. Celui qui changerait le monde. Une étincelle pour une révolution.
La mort existait, oui, mais ce n'était pas elle. Comment pourrait-elle l'être ?
Elle transplana. Ses pieds atterrirent immédiatement dans une bouillasse immonde qui avala ses pieds. Elle s'extirpa de ce marécage avec une grimace de dégoût. Le bas de sa cape s'était alourdi par la matière boueuse. Encore plus agacée, elle releva le tissu et s'avança entre les arbres bois. Au loin, superposé au ciel nuageux, le Manoir des Nott se dressait en superbe.
Elle s'aventura dans les jardins, en recherche de sa proie. Son souffle n'était que fumée. Ses yeux, deux marques chauffées au fer rouges. Des anges de pierre l'observèrent passer, frémissant derrière leur carapace glacée. Le peu d'oiseaux présents s'envolèrent.
Une note de violon flotta jusqu'à elle.
Un Requiem. Cassiopeia ne sut reconnaître le compositeur, mais elle était certaine de l'air. Entre ces buissons dénudés de feuilles, sous un air froid et dénué de compassion, une jeune fille jouait, absorbée dans le son que produisait son instrument. Son menton était incliné vers sa poitrine, ses mains jouant avec les cordes et l'archer à la fois. Elle avait les yeux fermés, comme si le Requiem était destiné au repos de son âme.
Mais malgré la puissance que dégageait sa mélodie, Cassiopeia n'y vit qu'une gamine avec des rêves dénués de sens. Tout était sa faute. Si le monde la voyait comme telle, si les gens la comparaient à la mort, c'était parce qu'elle avait répendu des mensonges.
Une note aigu fit trembler sa poitrine. Des pétales de roses séchées gisaient au sol. Cassiopeia écouta la mélodie et les observa.
Parce qu'on a toujours peur de ce que l'on est soi-même.
Elle ferma les yeux.
Quand le violon cogna le sol, il se fracassa en plusieurs morceaux. Les cordes sautèrent, délivrées de l'emprise du bois. Le corps de la jeune fille se brisa de la même manière.
Cassiopeia s'avança puis s'agenouilla auprès d'elle. Sa main dégagea une mèche qui lui cachait le visage. Elle était l'incarnation même de l'innocence. Un cadeau de la jeunesse. Ses paupières étaient fermées, ses lèvres entrouvertes, chantant les dernières notes d'un Requiem oublié. Cassiopeia la contempla et la trouva belle.
Plus belle que quand son coeur battait, plein de vie.
Ainsi, plus personne ne pourrait répendre des mensonges à son propos. Elle s'était libérée d'une soi disant prophétie. Après tout, les rêves n'étaient que ce que l'esprit voulait voir. C'était dommage qu'elle se soit trompée.
Cela lui avait coûté la vie.
Lentement, elle abaissa son visage pour l'approcher du sien. Ses lèvres se posèrent sur sa joue froide. Et, d'une voix dénuée de chagrin, elle murmura :
-Je ne suis pas la Mort.
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