XVIII. 18 juillet 1940 - le ciel
La musique sonnait faux à ses oreilles. Les notes aigües lui transperçaient les tympans, les conversations autour ne faisaient que l'étouffer. La chaleur ambiante n'arrangeait rien. Perseus tira sur le noeud de sa cravate pour profiter un peu plus de l'oxygène. Mais tout ce qu'il avala fut le bruit et les violon mal accordés.
Cette soirée était un vrai enfer.
Chaque fois qu'une femme blonde apparaissait, il pensait que c'était elle. Elle se serait retournée et aurait plissé ses yeux sans réellement esquisser de sourire. Elle lui aurait exprimé sa joie discrètement. Tel qu'elle savait le faire. Mais aucune des femmes blondes ne le regarda. Aucune des femmes blondes ne lui sourit.
Aucune des femmes blondes n'étaient elle.
Parce que Cassiopeia Black ne faisait plus partie de ce monde.
Il tira une nouvelle fois sur sa cravate. Sa gorge se resserrait, comme si une emprise invisible s'était enroulé autour de son cou. Ses yeux regardaient partout et nul part à la fois, réalisant tant d'allés retours qu'il en eut mal à la tête. Les rires s'intensifièrent, les éclats de voix, le volume monta jusqu'à le submerger.
Perseus se noya.
Sous une impulsion soudaine, il se leva. Si quelques personnes jetèrent un coup d'oeil déconcerté, il ne le remarqua pas. Son seul souhait était d'échapper à cet étouffement. Prendre une grande goulée d'air. Respirer. Il se fraya un chemin dans la foule et gagna la porte d'entrée.
Puis ce fut la liberté.
Un air frais s'engouffra dans sa bouche et descendit le long de sa gorge. Sa peau bouillonante rentra en contact avec la température tempérée de la nuit, la rencontre entre un huile bouillonante et un souffle doux. Il inspira. Expira. Inspira. Expira.
Les voix ne devinrent qu'un bruit de fond. Et avec du recul, il se rendit compte que les violons ne jouaient pas si mal que cela. C'était juste... les nerfs. Les nerfs déréglaient tout. Il enfonça ses mains dans les poches de son pantalon et s'avança dans l'allée, contemplant le ciel dégagé. Des milliers de petites lueurs le dévisageaient. Elle s'implantaient autour de la lune avec férocité, ne laissant rien ni personne prendre leur place. Elles étaient là depuis l'éternité. Elles y resteraient jusqu'à ce que leur lumière se meure.
-Elles sont belles n'est-ce pas ?
Surpris, il se retourna et se retrouva nez à nez avec Arcturus Black. Le Ministre avait du le suivre. Même s'il fut gêné de son interruption, il ne le montra pas.
-Qui les trouverait laides ?
-C'est vrai, rit-il en se rangeant à ses côté.
Arcturus était bien différent de son frère, Perseus trouvait qu'il était plus simple de communiquer avec lui. La conversation glissait plus facilement, tandis que Régulus était plus pragmatique. Il en venait au fait, et une fois qu'il obtenait ce qu'il voulait, il repartait.
-Je voulais savoir comment vous alliez. Après, vous savez, la fuite de ma cousine.
Il se doutait qu'il allait en parler. L'ombre de Cassiopeia semblait le suivre dans chacun de ses pas. Dans l'obscurité de la nuit, Perseus serra sa mâchoire et plongea son regard dans la profondeur noire. La même couleur que ses yeux. Exactement la même.
-Elle est peut-être morte.
Les jours avaient suivis depuis son départ, et la seule conclusion qu'il parvenait à sortir était celle ci. Cassiopeia était morte. Et peut-être que son corps pourissait sur l'herbe grasse de la forêt. Peut-être que les derniers mots qu'il lui auraient adressés auraient été les plus terribles.
Peut-être qu'il avait tout gâché. Sûrement, même. Rien de tout cela ne serait arrivé s'il avait su contrôler sa colère.
-Non. Je ne pense pas.
Perseus releva un sourcil, curieux de connaître ses preuves du contraire.
-Croyez-moi, reprit Arcturus, le jour où Cassiopeia mourra, le monde entier le saura.
-Alors c'est cela votre preuve ? L'instinct ?
-Je le sais, c'est tout. Elle a du prendre peur après l'accident près du Square Grimmaud et elle a fui. Parce que l'absence de contrôle la terrifie.
-Et si elle ne revient pas ?
Arcturus le scruta silencieusement, des mots pleins les lèvres. Aucun ne fut prononcé. À la place, il demanda simplement :
-Tu tiens à elle, n'est-ce pas ?
Quelle question.
-Je l'aime, si c'est ce que vous cherchez à savoir. Et je refuse de la voir partir. Je refuse de la savoir seule je ne sais où, tout ce que je veux c'est...
Les mots s'étranglèrent. Il regarda au loin, désirant plus que tout au monde sentir le picotement dans ses yeux disparaître. Mais cela ne fit que s'intensifier. Et une larme coula. Une seule.
-Je veux juste qu'elle revienne, murmura-t-il. Qu'elle enroule ses bras autour de ma nuque et qu'elle m'attire contre elle. Je veux son odeur, je veux sa voix, je la veux elle.
La deuxième larme fut comme un choc électrique. Il se maudit pour se montrer si pathétique et essuya sèchement sa joue. C'était ridicule. Arcturus devait certainement le trouver faible, ou indigne d'être un sang pur. Mais tout ce qu'il trouva quand il reporta son attention sur lui fut la pitié.
Arcturus Black le prenait en pitié.
-Je sais ce que ça fait, dit-il finalement. Tu as le droit de ressentir ça.
Voir un Black prononcer ces mots lui fut étrange. Mais réconfortant. Il était compris, et non jugé.
-Vous l'aimiez beaucoup ?
Perseus savait que son mariage avec McMillan était arrangé, mais il savait aussi qu'il avait eu une première femme. Il n'avait jamais réussi à savoir de qui il s'agissait, ni les raisons de cette union.
-J'étais rongé par la passion. Elle représentait tout ce que j'avais toujours recherché. La beauté, la noblesse, l'intelligence. Mais elle était froide. Et sa glace a fini par congeler notre couple.
-Je suis désolé, souffla Perseus. Je suppose que j'ai de la chance d'être aimé en retour.
Arcturus esquissa un faible sourire.
-Je suis heureux que tu t'en rendes compte. Cassiopeia ne donne que très rarement. Mais quand elle le fait, c'est un monde entier qu'elle offre.
-Je sais.
Elle lui avait donné plus que le monde. Elle lui avait donné sa confiance, son âme. Elle s'était offerte à lui sans protection, les yeux fermés. Et lui, en retour, que lui avait-il apporté ?
-Tu es un homme bon, Perseus. Ne doute jamais de ta valeur. Peu importe ce qui s'est passé ce jour-là, songe que cela devait arriver. Cassiopeia était au bord de la faillite depuis longtemps. L'explosion était inévitable.
-J'aurais pu l'aider. J'aurais pu empêcher ça.
-Cela ne concernait qu'elle. Tu n'aurais rien pu faire.
Arcturus posa une main sur son épaule.
-Elle reviendra, crois-moi.
-J'espère que vous avez raison.
Mais dans le fond, il préférait imaginer le pire pour ne pas se faire de fausses illusions.
***
Les pieds s'élevèrent sur le sol jusqu'à atterrir sur la pointe. Son corps devint plume, ses mouvements se confondirent à l'air. Elle enchaînait les pirouettes et les figures si rapidement que même une tornade n'aurait pas pu la suivre. Pas avec autant de grâce. Pas avec autant de beauté. Sa tête bascula en arrière, son regard toucha les cieux. Ses doigts se tendirent, ses bras fendirent l'air. Elle retint sa respiration, demeura suspendue, en halaine. Le violon monta dans les aigus, ses pointes tapaient le sol à un rythme insoutenable. Son dos s'étira.
Elle voulait toucher le ciel.
Mais sa cheville flancha au dernier moment. Ses genoux cognèrent le sol. Un cri de rage retentit dans la salle de danse.
Le ciel ne voulait pas d'elle.
-Tu te fais du mal à toi-même.
Hyades l'observait depuis le début, cachée derrière la porte de sortie. Sa soeur cadette regarda dans sa direction et esquissa une grimace agacée. Que quelqu'un soit spectateur de sa chute était la dernière chose qu'elle désirait. Mais bien sûr, il fallait toujours que quelqu'un la surveille telle une enfant, comme si elle n'avait pas déjà ving-cinq ans. Elle défit les lacets de ses chaussons avec haine. Mais pourtant, ce n'étaient pas eux les coupables.
Hyades s'aventura dans la salle en dépit du regard meurtrier de Clémentine. Le toit s'ouvrait au dessus d'une étendue bleue immaculée. La liberté en image, une liberté que sa soeur ne pouvait plus s'offrir. On lui avait volé ce privilège depuis longtemps.
-Je dois muscler cette maudite cheville, c'est tout, souffla Clémentine en se massant le membre nommé.
-Et après ?
-Après quoi ?
-Tu ne peux plus rentrer au Ballet National, c'est fini.
Elle posa deux doigts sur ses temps, se contrôlant pour ne pas faire éclater sa colère.
-Vous pouvez ne pas me le rappelez au moins pendant un jour ?
-Tu t'acharnes. Alors nous continuerons de te le rappeler jusqu'à ce que tu t'arrêtes.
-M'arrêter de danser ? riposta Clémentine avec un rire en rien joyeux. Tu veux m'achever, c'est ça ?
Hyades avait ouvert la bouche pour rétorquer quelque chose, mais sa soeur s'était déjà relevée, ses chaussons en main. Des mèches de cheveux s'étaient collés à son front avec la transpiration. C'était dans sa nature : forcer jusqu'à ne plus pouvoir. Dépasser ses limites.
Mais les limites existaient pour quelque chose.
Elle lui agrippa le bras au moment où elle s'en allait. Clémentine se retourna vivement comme si elle l'avait insulté personnellement.
-Je ne suis pas venue ici pour te sermonner, mais pour te parler de Lycoris. Ton comportement avec elle doit cesser. Tu es odieuse en sa présence alors qu'elle ne t'a rien fait.
-Je n'aime pas les étrangers.
-Lycoris n'est pas une étrangère, elle est une invité. Et elle est ton aînée, alors respecte-la.
Clémentine se dégagea avec véhémence, lui renvoyant une haine profonde seulement par le regard.
-Si tel est votre souhait, chère soeur, céda-t-elle amèrement.
Elle partit en claquant la porte. Hyades soupira d'exaspération. Clémentine avait changé depuis l'accident. Elle était devenue une boule de rage. Le désir de s'échapper la consumait. La danse avait été son moyen d'expression depuis son plus jeune âge, et la priver de cela l'avait emplie de colère.
Des pas claquèrent le sol dans son dos.
-Ah, enfin je te trouve !
Hyades fit face à sa soeur jumelle, un léger sourire aux lèvres. Doliona balaya la salle du regard en essayant d'apercevoir Clémentine, mais elle ne trouva que du vide.
-Que lui as-tu dit encore ?
Elle avait certainement pressenti la discussion, tout comme Hyades pressentait ses actes. Leurs émotions étaient liées, ce qui s'avérait être une bénéniction... ou parfois une malédiction.
-Je lui ai parlé de Lycoris. J'espère qu'elle n'agira plus comme elle le fait.
-Ah. Oui.
Elle ne semblait pas très convaincue. Hyades la pressa d'exprimer son opinon avec un regard insistant.
-Je pense juste que Clémentine a l'habitude de voir toutes les femmes comme des ennemis. À la Compagnie, toutes les danseuses se lançaient des pierres. La concurrence et la jalousie faisait partie de son quotidien, je peux comprendre pourquoi el...
-Mais elle devrait apprendre à discerner la Compagnie et la réalité. Lycoris n'est pas une danseuse, juste une invitée. Elle n'a aucune raison d'agir ainsi.
-Tu as raison. Mais comprendre le pourquoi des agissements aide parfois à régler le problème plus facilement.
Hyades ne voyait pas vraiment comment trouver la solution en tentant de comprendre sa soeur, mais elle délaissa cette tâche à Doliona. Sa soeur avait bien plus d'habileté dans le rôle de médiatrice.
-Pourquoi voulais-tu me voir ?
-Je me demandais quand est-ce que tu comptais annoncer la nouvelle à David.
Encore cette histoire. Elles étaient adultes à présent, demander l'autorisation à leur frère aîné lui semblait absurde.
-Je partirai à la guerre avec ou sans sa bénédiction, trancha-t-elle.
-Mais peut-être que David...
-David est dans sa bulle, Doliona. Lui et Régulus sont en train de vivre dans un doux rêve sans se rendre compte qu'autour, le monde est en train d'exploser. Quand ils se réveilleront, peut-être que j'envisagerai la possibilité de lui en parler. Mais pour l'instant, il est trop tôt.
-Trop tôt ? Grindelwald vient de mettre la Pologne à genoux ! Ses demandes envers notre famille de prendre le Ministère se font de plus en plus pressantes, il n'attendra pas éternellement !
-Nous possédons déjà le Ministère.
-Non, pas entièrement. Deux fils Devigne contrôlent encore plusieurs départements.
-Et s'ils disparaissent, tout sera à nous n'est-ce pas ?
Doliona fronça les sourcils.
-Oui...
-Alors fait en sorte qu'ils ne nous dérangent plus.
Sur ces mots, Hyades lui tourna le dos et se dirigea vers la sortie. Mais la voix de sa soeur la coupa dans son élan.
-Veux-tu employer quelqu'un ?
-Tout ce que je veux, c'est ne pas laisser de traces. Le reste m'importe peu.
Et elle sortit de la pièce dans un silence glaciale.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top