XVI. 22 juin 1940 - le portrait
Les descriptions de Régulus avaient été faibles comparées à ce que le palace des Duchesses voulait offrir. Dès l'instant où Lycoris posa ses yeux sur le bâtiment, sa poitrine se resserra sous une forte admiration. Les murs brillaient de milles éclats sous un soleil ardent. La brise tiède caressait les grains pourpres de lavandes, celles ci disposées tout le long de l'allée telle une armée de serviteurs parfumés. Il n'y avait pas la trace d'obscurité, aucun sentiment de menace. Tout resplandissait.
Quand elle entra à l'intérieur, ce fut comme pénétrer à l'intérieur même du soleil. Les miroirs reflétèrent son expression affublée avec un air rieur. Des statues baroques la dévisageaient alors qu'elle passait devant elles, toutes tordues dans des positions passionnées. Lycoris eut l'impression de se perdre, comme si son âme lui échappait afin de rejoindre un quelconque désir partagé. Celui de la lumière. De la liberté.
David leur fit visiter les pièces une par une. Lycoris s'efforça de prêter attention, mais son regard était irrémédiablement attiré par les anges au plafond, les végétaux dorés le long des colonnes, les lustres de cristal, les tapis brodés, les miroirs, puis des miroirs, toujours des miroirs. Hyades leur expliqua que certains d'entre eux menait à des chambres ou des pièces privées. Leur emplacement mouvant permettait à deux amants de se cacher, ou bien à un poignard de s'abreuver de sang. Plusieurs membres de l'aristocratie française avaient disparus derrière ces murs et n'étaient jamais réapparus. Lycoris trouva cela fascinant.
Il était inutile de préciser que la jeune femme était tombée sous le charme. Régulus l'observait avec un sourire malicieux, heureux de pouvoir lui montrer l'endroit où il passait autrefois ses étés. Les portraits défilaient devant leurs yeux, certains saluant, d'autres grimaçant face à l'arrivée d'étrangers. Un en particulier attira l'attention de Lycoris. Il représentait une jeune femme au regard doux mais à l'air mélancolique, un voile recouvrant la moitié de son visage. Ses yeux étaient perdu dans la contemplation du vide, les épaules affaissés par un quelconque chagrin. Lycoris fut si étonnée de la tristesse de la peinture qu'elle ne put s'empêcher de troubler la visite.
-Et elle ? Est-elle une Duchesses ?
David se retourna, suivant la direction que prenait son attention. Il contempla quelques instants le portrait, comme s'il attendait que celui-ci prenne directement la parole. Finalement, il s'approcha d'elle et joignit les mains dans son dos. Les jumelles se tenaient un peu à l'écart, toute trace de joie disparue.
-Elle se nommait Catherine. En un sens, on peut dire qu'elle a changé l'histoire.
-En bien ou mal ?
Il pencha la tête sur le côté.
-Cela dépends de comment on le voit.
Lycoris s'aperçut alors que le portrait ne bougeait pas. Cela ne signifiait qu'une chose : l'âme qu'était censée emprisonner la peinture s'était enfuie. Où ? Nul ne le savait. Peut-être s'était-elle perdue entre ces miroirs. Peut-être avait-elle tant souffert qu'un instant de plus dans ce monde l'aurait brisée en mille morceaux. Elle avait l'air aussi fragile qu'une poupée de porcelaine avec sa peau de porcelaine et ses yeux aussi bleus que le cristal.
-Le système magique français ne ressemble en rien à celui de l'Angleterre, expliqua David. Ce n'est pas un Ministre qui dirige mais une famille. Tandis que les moldus ont évolués vers la démocratie, les sorciers sont restés sur une aristocratie ancienne. C'est à dire la loi du plus fort. La France a toujours compté sur trois familles principaux de sorciers : les Duchesses, les Devigne et les Rosiers.
À la mention du dernier nom, Lycoris jeta un regard en direction de son frère. Régulus ne bougeait pas, il écoutait attentivement. Rien ne semblait le surprendre.
-Notre famille n'a pas toujours été la plus privilégiée. Les Rosiers ont toujours su manier la société française. Ils possédaient le contrôle sur la banque, les administrations les plus importantes. Les Devigne, eux, sont restés dans le domaine de l'architecture. Beauxbâtons est d'ailleurs un de leur grand chef d'oeuvre.
-Et vous ?
-Nous ? Nous avons été les maîtres de l'illusion.
Il lui offrit un petit sourire avant de reporter son regard sur la peinture.
-Les liaisons amoureuses entre les Duchesses et d'autres membres de l'aristocratie n'ont pas seulement servis de passe temps. Ils étaient notre moyen de contrôle. Avec ça, nous avons obtenu la confiance des familles et nous sommes devenus un garde-secret. On nous a surnommé les illusionistes avec le temps, parce que nous donnions une parfaite image de faux espoirs. Dans toutes ces histoires d'amour qui ont pu faire scandale dans l'histoire, peu de sentiments étaient réellement sincères.
-L'amour vous est donc étranger ?
-Non. Plus maintenant.
Elle pressentit une arrière pensée mais ne chercha pas plus loin. La présence de Régulus dans son dos se faisait de plus en plus pesante.
-Parce que cette femme a tout changé. Elle était la soeur de mon père. Une femme douce, même si j'étais trop jeune pour me souvenir exactement d'elle. Elle s'est mariée très jeune à Edgard Rosier. Un mariage arrangé comme tu peux t'en douter.
Edgard Rosier. Rien n'aurait pu lui faire oublier ce nom. Il avait subitement disparu après la mort de ses deux fils, mais Lycoris ne doutait pas un seul instant qu'il revienne pour se venger.
-Edgard était un homme sans coeur. La seule chose qu'il voulait était des héritiers. Après avoir obtenu ses deux fils tant désirés et une fille, il a expédié Catherine le plus loin possible. Son objectif était d'éduquer sévèrement ses enfants et il n'aurait pas réussi avec une mère aussi tendre qu'elle.
Lycoris se révolta d'un tel manque de sentiments. Ce n'était pas surprenant que l'on compare Edgard Rosier à un monstre. La tragédie était qu'il avait réussi son dessein. Adonis, Vinda et Alander avaient été de véritables ennemis.
-Bien évidemment, ma famille a pris cela comme un affront. Mon père a demandé justice et grâce à l'aide des Devigne, les Rosiers ont été punis d'exil. Edgard a trouvé refuge en Angleterre ; vous connaissez certainement la suite de l'histoire. Quand à Catherine, mon père a voulu la récupérer, mais quand il est arrivé au lieu où on la tenait prisonnière, il n'a trouvé que son cadavre. Elle s'était suicidée.
-Je suis désolée, murmura-t-elle, horrifiée.
L'arrivée des Rosiers en Angleterre n'avait donc rien de politique. Ils s'étaient imiscés entre eux parce qu'ils n'avaient pas trouvé d'autre pays plus noble pour les accueillir, après avoir commis un crime impardonnable. Et ses enfants n'avaient jamais cherché à connaître l'histoire de leur mère. Ils avaient obéis aveuglément à leur père jusqu'à y perdre la vie. Des lâches. Ils n'étaient que des lâches.
-Quelques Rosiers demeurent encore en France, mais ils ont perdus tout pouvoir. Marianne et Emma ont quitté le territoire dès qu'elles ont eu l'âge de se marier et je doute qu'elles retournent ici. Le pouvoir nous a été rendu et depuis, les Duchesses sont devenus les gouverneurs officiels. Fin de l'histoire.
Il lui fit un clin d'oeil et s'éloigna du portrait.
-Maintenant, si vous voulez bien nous suivre. Le reste de ma famille se trouve dans la salle de réception.
Lycoris prit le bras de Régulus, se plaçant à l'arrière du groupe.
-Étais-tu au courant de tout ça ? demanda-t-elle, encore émerveillée par l'histoire que contenaient ces murs.
-Pourquoi crois-tu que notre famille s'est battu avec acharnement contre les Rosiers ? Nous savions qu'ils n'avaient rien à faire en Angleterre. Des exilés auraient du être bannis de notre communauté. Mais Hector a été trop généreux, comme toujours.
Lycoris exerça une petite pression sur son bras, ayant ressenti l'amertume avec laquelle il avait prononcé le nom de l'ancien Premier Ministre. Le passé ne s'effaçait pas. Jamais.
-Nous les avons battus. Ils sont partis.
-Ils reviendront, sois-en certaine.
Les grandes portes dorées s'ouvrirent dans un claquement lourd. David s'engouffra dans la salle les mains dans les poches, une nonchalance présente dans tout son être. Ses deux soeurs le suivirent, mais Lycoris arrêta Régulus au moment où ils passaient les portes.
-J'ai remarqué tes tentatives pour lui parler. Qu'est-ce qu'il y a entre vous deux ?
Son frère se mordit la lèvre avant de jeter un regard oblique vers l'origine des voix.
-Il m'en veut. La dernière fois qu'il m'a vu, nous avions dix-sept ans. Je suis parti sans un mot et je ne lui ai jamais écrit.
-Régulus...
-Je n'aimais pas dire adieu.
Malgré le ton sec qu'il avait employé, Lycoris y lisit clairement le regret. Il était en colère contre lui même. En colère pour l'avoir oublié. En colère pour ne pas savoir comment réparer son erreur.
-Vous étiez juste des amis ? Ou quelque chose de plus ?
Si elle voulait l'aider, elle avait besoin de savoir. Son regard meurtrier ne la perturba pas. Face à son silence, un sourire traça son propre chemin sur ses lèvres. Son frère ne lui avait jamais parlé de David, il l'aurait fait s'il l'avait considéré comme un simple ami. Régulus avait toujours traîné trop de secrets derrière lui. Tout ce qu'elle voulait faire, c'était alléger un peu leur poids.
-Alors ? insista-t-elle avec un énorme sourire.
Il laissa échapper un petit rire avant de dévier son regard. Ce fut assez pour satisfaire Lycoris. Lassée de le voir l'éviter, elle posa une main sur sa joue et ramena son visage vers le sien. S'il savait combien elle était heureuse pour lui. Oublier Hector était la seule chose qu'elle désirait. Elle savait que la décision de leur venue était basé sur cet espoir, alors elle comptait bien l'aider.
-Je ne suis pas spécialiste en matière d'amour, mais si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver.
Attirés par une tendresse réciproque, leur deux fronts se collèrent au dessus d'un souffle partagé. Régulus méritait un moment de paix. Il allait peut-être se perdre dans ces dédales de couloirs et de miroirs, mais qu'importait ? Qu'il s'égare. Il retrouvera peut-être sa jeunesse.
-Vous venez ?
Lycoris se sépara de son frère et sourit chaleureusement à Doliona. Celle ci les mena vers le groupe qui s'était formé près de la cheminée. Dès l'instant où ils se présentèrent, une dizaine de paires d'yeux se tournèrent vers eux. Une exclamation fut étouffée. Régulus ouvrit la bouche de surprise avant d'afficher un sourire ému.
-Tu as grandi.
Une jeune fille s'approcha avec des yeux brillants. Elle paraissait être une ballerine à son bustier moulant et sa jupe en mousseline. Ses cheveux blonds étaient rassemblés en un chignon bas serrés, dévoilant un visage fin. La pureté émanait de son être. Se trouver près d'elle était comme rejoindre une déesse.
-Et toi tu as vieilli, rit-elle doucement.
Elle se jeta à son cou. Régulus la serra contre elle comme s'il s'agissait de sa propre fille, ne la relâchant que quand elle eut décidée. Dans ses bras, son corps semblait être aussi fragile qu'une allumette.
-Je te présente ma soeur, Lycoris, dit-il sans cacher son émotion.
La jeune fille posa enfin son regard sur elle. Elle papillona plusieurs fois des paupières ; Lycoris aurait juré voir de la poudre s'en échapper. Pour elle, ce ne fut qu'un simple sourire forcé. Sa froideur eut l'effet d'une gifle. Cependant, Régulus ne s'en aperçut pas.
-Lycoris, voici Clémentine. Une des nombreuses soeurs de David.
-Enchantée, prononça-t-elle pour briser la glace.
Mais Clémentine lui tourna les talons et rejoignit son frère. Autant d'impolitesse la déconcerta. Elle n'avait rien fait, pas à sa connaissance en tout cas, pour l'offenser ou justifier un tel comportement. David continua lui-même les présentations, nommant ses deux petites soeurs, Olivia et Marie que Lycoris salua avec politesse et que Régulus retrouva avec joie. Mais les actes de Clémentine lui resta en travers durant toute l'après-midi.
Leur mère, Dymphée Duchesses, les conduisit vers leur chambre, exprimant toute sa bienveillance et répétant qu'ils étaient ici chez eux autant de temps qu'ils voudraient. Lycoris se confondit en remerciements avant de déposer ses bagages sur son énorme lit à baldaquin. Un balcon accompagnait ses appartements. Des rideaux fins gonflaient par moment sous la brise estivale. Elle passa un doigt sur les peintures murales, traçant les contours des figures dénudées et des chérubins angéliques. Des bouquets de lavandes parfumaient la pièce, la plongeant dans une atmosphère singulière, presque grisante.
Le chant des cigales au dehors sonna telle une mélodie incessante. Lycoris ferma les yeux.
Elle arrivait enfin à sentir l'été.
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