XV. 20 juin 1940 - l'arrivée
Lycoris et Régulus avaient voulu visiter la Roumanie, mais bien évidemment, le Ministère leur avait fait comprendre de vite s'en aller. La déclaration de guerre avait été faite quatre jours après ; rester aurait été une offense publique.
Même si sa sœur l'avait pressé pour insister afin d'avoir quelques jours de visite, Régulus n'avait eu d'autre choix que de faire leur bagage. Une lettre de Grindelwald lui avait été parvenu lui ordonnant de partir. L'hésitation n'était plus permis.
Alors Lycoris s'était mis à prononcer tout un tas de jurons et avait plongé dans la mauvaise humeur. À présent assise face à lui, elle observait le paysage défiler à travers la fenêtre du train d'un air maussade. Son frère se mordait la joue en réfléchissant à ce qu'il pouvait faire pour lui redonner le sourire. Lycoris voulait visiter la Roumanie depuis longtemps et elle n'était pas partie pour lui. Puis, quand ils y allaient ensemble, il se débrouillait pour écourter leur séjour.
Sa mauvaise humeur devait donc lui être dédié.
-Nous resterons plus longtemps chez les Duchesses, tenta-t-il. Je suis sûr que tu adoreras. Leur maison dans le sud est un have de...
-Le sud de la France n'est pas la Roumanie.
Elle ne lui daigna même pas un regard. Les bras croisés sur sa poitrine, elle refermait son âme dans son coffre fort. Tout ce qu'elle lui offrit fut sa froideur. Régulus détestait être en mauvais terme avec elle.
Surtout quand il avait une part de culpabilité.
-Je suis désolé, soupira-t-il. Je t'assure que je ne pouvais rien faire de plus. Ils sont nos ennemis à présent.
Elle fut secouée d'un petit rire tout sauf joyeux.
-Tous ceux qui ne sont pas nous sont des ennemis.
Elle n'avait pas entièrement faux.
-Pardonne-moi, répéta-t-il en espérant que, cette fois-ci, elle accepte.
Mais au contraire, elle sembla encore plus irrité. Finalement, elle rencontra son regard et lui envoya une colère froide. La température du wagon venait de baisser de plusieurs degrés.
-Mais c'est ça le problème avec toi. Je dois toujours te pardonner. Le peu de choses que je demande sont toujours refusées, et au final je ne dis rien parce que tu me supplie de ne pas t'en vouloir et comme une idiote j'accepte !
-Toujours refusées, vraiment ? rétorqua-t-il de la même manière, piqué par la manière dont elle s'était adressée à lui. Qui t'a offert un toit quand Père allait t'obliger à te marier pour pouvoir vivre ? Qui t'a offert deux coffres d'or ? Qui t'a payé des voyages en Amérique et en Asie ?
Elle suffoqua sous la déconcertation.
-Je pensais que tu avais fait ça parce que tu m'aimais, pas pour redemander quelque chose derrière.
-C'est le cas, mais ne dit pas que je te refuse tout parce que c'est faux ! Alors oui, peut-être que j'ai gâché notre voyage en Roumanie, mais au cas où tu n'aurais pas remarqué, je suis Ministre et nous sommes en période de guerre ! Je ne fais que mon travail !
-Ne crie pas, s'il te plaît, souffla-t-elle.
Toute la colère amassée dans ses yeux disparut soudainement. Elle se tenait les bras, non pas comme une attitude irritée, mais comme si elle voulait se protéger. Se protéger de lui. Régulus s'enfonça dans le siège et passa une main dans ses cheveux, s'insultant intérieurement de tous les noms.
-Excuse-moi.
-Moi aussi. J'ai été égoïste.
-Et moi injuste. Tu méritais ce voyage.
Le regard de sa soeur rencontra le sol dur et froid.
-J'espère que le Sud de la France est aussi beau que tu le vantes.
Un sourire étira ses lèvres. Elle releva la tête. Son expression s'illumina quand elle vit son amusement.
-Je dis toujours la vérité.
Le reste du trajet fut bien plus agréable. Ils empruntèrent des livres de la bibliothèque et racontèrent les souvenirs qu'ils leur évoquaient, relisaient quelques dialogues, imaginaient des fins totalement différentes et parfois très perverses. Il étonna sa soeur pour son imagination. C'était vrai qu'il ne l'exerçait pas souvent, mais quand il l'utilisait, il ne s'arrêtait plus. Leur amusement fut telle qu'après s'être levé, assit, levé de nouveau puis assit pour la énième fois, il termina la tête posé sur les jambes de Lycoris, et celle-ci lui caressant doucement ses cheveux. Son regard se perdit dans la contemplation du plafond en bois dans lequelle il trouva les fragments des souvenirs qu'il venait d'évoquer. Un petit sourire s'était réfugié sur sa bouche depuis qu'il y pensait.
-Tu n'as jamais vraiment décrit ce que tu faisais en France, fit remarquer Lycoris après plusieurs minutes de silence.
-On ne peut pas décrire ces genres d'endroit. Ni les gens qui y vivent. C'est juste... enfin, tu verras.
Plus jeune, son père l'envoyait chez les Duchesses pour perfeccioner son français. Les deux familles avaient toujours été assez proches, mais elles l'étaient devenues plus encore depuis que Régulus avait tissé des liens avec les aînés de la plus grande fratrie. Cela faisait longtemps qu'ils ne les avait pas vu. Quand il avait envoyé une lettre à David, celui-ci avait transmit avec passion sa hâte de le revoir. Retourner là bas était comme voyager à travers le temps. Quand il avait seize ans et que le monde se réduisait à sa petite personne et ces paysages idylliques.
-Combien de temps y resterons nous ?
-Jusqu'à la fin de l'été je pense.
Lycoris se réjouit de passer autant de temps dans un lieu qui paraissait sortir tout droit d'un rêve. Pour une fois, Régulus ne pensait plus à ses devoirs en tant que Ministre, ni à la disparition de Cassiopeia, ni à toutes les responsabilités qui reposaient sur ses épaules. Il ne voyait que la destination et le plaisir qui émanaient de cette vision. Il n'y avait que lui et les méandres de son esprit adolescent. Lycoris le remarqua et cela la rendit heureuse. Il ne s'était jamais rendu compte à quel point son bonheur dépendait du sien.
Le train siffla dix heures plus tard, après avoir passé la nuit à attendre impatiemment leur arrivée. Régulus n'avait pas réussi à dormir parce que fermer les yeux dans quelque chose qui bougeait aussi furtivement lui donnait la nausée. Lycoris, quant à elle, n'avait pas ouvert l'oeil de toute la nuit. Il l'avait observé dormir pendant plusieurs heures, plongé à la fois dans ses anciennes pensées.
Quand le soleil se leva derrière les collines, il n'eut pas la moindre sensation de fatigue.
Le train annonça son arrivée à la gare dans un sifflement aigu. A l'instant où Lycoris et Régulus posèrent un pied à l'extérieur, ils furent surprise par l'agréable chaleur qui régnait sous les toits de verre. Des rayons de soleil intrusifs leur léchèrent chaleureusement la peau. Le quaie était pratiquement vide, tout comme le train. Régulus leva la tête pour observer les milles éclats du toit transparent. Cette gare reflétait tout ce que la France était. Lumière. Beauté. Chaleur.
Tout comme la voix qui hurla son nom.
Avant qu'il n'ait pu revoir le visage qu'il avait tant attendu d'admirer, deux puissants bras le collèrent contre un torse et le frappèrent amicalement. Régulus aurait pu mourir d'asphyxie dans ces cinq longues secondes. Il s'efforça d'admettre que ce premier contact lui réchauffa le coeur. Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas touché. Pas senti sa peau glisser sous ses doigts. Pas savouré la fraîcheur de son odeur.
-Le petit roi est de retour !
David Duchesses s'écarta enfin pour le laisser respirer. Un peu étourdi, il posa son regard sur son ami d'enfance. Ses yeux plus turquoise qu'une eau de rivière lui sourirent. Un immense sourire dévoilait sa denture parfaite. Des mèches brunes indomptables tombaient sur son front.
Il n'avait pas changé. David ne changerait jamais.
-Cela fait longtemps, prononça-t-il avec une voix qui lui sembla émue.
-Dix-huit ans.
Les deux hommes sourirent. Derrière, Lycoris se râcla la gorge, pressée de faire savoir qu'elle existait. Régulus se détacha du contact de David à contrecoeur.
-Voici ma soeur aînée, Lycoris.
David s'empara de sa main et la porta à ses lèvres. Elle se pinça la lèvre et rougit, ne s'étant pas attendue à un geste aussi galant. En un sens, Régulus pouvait comprendre. Son ami avait l'air de se lever du lit avec sa chemise froissée, sa veste démodée et son pantalon presque trop grand pour lui, tenant seulement grâce à une ceinture. Heureusement qu'il n'y avait pas beaucoup de monde autour, où il feindrait de ne pas le connaître. Lycoris l'observa de la tête au pieds. Il aurait du la prévenir sur le genre de personnage qu'était David Duchesses.
Mais cela procura plaisir à ce dernier. Tout ce que cherchait David, c'était choquer.
Régulus n'aperçut les deux filles derrière lui qu'un temps après. Leurs visages s'avéra être une illumination.
-Hyades ! Doliona !
Elles se jetèrent entre elles un coup d'oeil malicieux et fondirent dans ses bras. Régulus les serra contre lui, gonflé par l'émotion de les revoir après plus de dix ans de séparation. Puis il les analysa de bas en haut, un léger sourire dans le coin de la lèvres.
-Vous êtes devenues de véritables femmes, remarqua-t-il avec contentement.
Doliona lui offrit son sourire à attendrir un monstre et Hyades se montra espiègle, esquissant une grimace malicieuse. Même si leur physique était semblable, il y avait deux différences principales entre les jumelles Duchesses : le regard et la couleur des cheveux. Doliona se dépliait timidement telle une douce rose blanche. Ses cheveux blonds lui tombaient jusqu'en bas des reins, attachés par quelques fleurs sauvages. Hyades, quant à elle, incarnait la rose d'un rouge foncé, presque noir. Ses ondulations brunes se joignaient dans une longue tresse et sa robe était aussi noire que celle de Doliona était blanche. Mais c'était ce qui rendait les deux soeurs uniques. Pour beaucoup qu'elles se ressemblaient, elles gardaient une part de leur âme pour leur propre personnalité.
-Et toi un homme accompli et puissant, répondit Hyades en souriant.
-Assez puissant pour conquérir vos coeurs, lâcha-t-il avec taquinerie.
-Mais oui c'est ça.
Hyades lui donna un coup dans l'épaule et il échappa un rire. Quand il se retourna, il vit Lycoris et David happés dans une conversation. Les deux soeurs se placèrent de chaque côté, observant dans la même direction.
-Tu sais, Régulus, commença Doliona, David était fâché quand il a reçu ta lettre.
-Fâché ?
Il tourna sa tête vers elle, son coeur souffrant de soubresauts douloureux. Mais Doliona continua de regarder droit devant elle.
-Oui, fâché. Tu as peut-être oublié ce que tu as fait il y a dix-huit ans, mais pas lui.
-Je n'ai rien fait.
-Si. Tu es parti.
Enfin elle daigna de le regarder. Mais Régulus aurait presque préféré qu'elle ne le fasse jamais. À travers ses yeux, il se reçut tous les reproches possibles. Et dans le fond, il n'avait aucune excuse. Il méritait ce traitement, il méritait d'être mépris. Il avait été lâche. Mais il avait été jeune, aussi.
C'était dans la jeunesse qu'on comettait ses plus grosses erreurs.
-Je suis désolé.
-Ce n'est pas à moi qu'il faut le dire.
Il reporta son regard sur David. Ses yeux brillait à mesure qu'il parlait avec Lycoris. Ses mains bougeaient pour illustrer ses mots, comme si sa voix ne suffisait pas à exprimer tout ce qu'il ressentait. Régulus avait l'impression de revoir un fantôme. Et pourtant, il était là, debout devant lui en plein discussion avec sa soeur.
Il aurait tout donné pour que ce soit à lui qu'il avait parlé.
-Est-il marié ?
Ces mots lui écorchèrent la langue, mais il devait savoir.
-Régulus.
Doliona posa un doigt sous son menton et le ramena sur elle. Ses sourcils se levèrent sous une mélancolie qui le chagrina.
-David a passé sa vie à penser à toi. Il n'y a jamais eu personne d'autre après ton départ. Alors sache une chose : tu lui as fait du mal. Beaucoup de mal. Et même s'il te pardonne, je ne suis pas sûre d'en être moi-même capable.
Il fut blessé. Tout à coup, ce fut comme si les regrets qu'il était parvenu à retenir pendant dix-huit ans se mettaient à déferler et le noyer sous leurs eaux tumultueuses.
Il avait été le seul. L'unique. Et il l'avait laissé.
Il était parti sans un dernier regard.
-Merci. Pour ta sincérité.
-J'espère que ton retour ne consiste pas à lui briser le coeur une seconde fois. Parce que si tu lui fais encore du mal, je te promets de te tuer de mes propres mains, Régulus Black.
C'était étrange d'entendre une voix aussi douce qu'un pétale exprimer des mots plus amers que le sang. Mais Régulus ne le prit pas moins au sérieux. Doliona avait beau être aimable, elle cachait habilement ses talents.
Il hocha la tête et elle ôta son index.
-Notre maison est la vôtre, à présent. Bienvenus en France.
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