XLVIII. 21 mai 1943 - la famille
Si la manière des Russes pour signer un crime était la pendaison, celle des Anglais était le sommeil. Le calme, la blancheur du visage et les yeux fermés. Trois corps étendus face au trône de l'Empereur. Chacun d'eux recouvert d'un linceul. Les sang-purs s'articulèrent autour comme des rapaces. Aucun d'eux n'osait relever le tissu. Ils avaient trop peur d'y découvrir leur fils partis combattre en France des mois auparavant, ou leurs nièces impliquées dans les renseignements. Igor Dashkov aussi observait les cadavres avec crainte.
-Laissez passer !
Valtoz Andronikov, le père de famille de l'ancestre maison Russe se fraya un chemin entre les nobles. Sa femme le suivait derrière, les lèvres pincées par l'inquiétude. Le patriarche n'avait trouvé aucun de ses enfants dans son Palais ce matin. Nina aurait bien pu passer la nuit chez un amant et Anthonin dans des festivités quelconques, mais Ivan, le cadet, sortait rarement. Alors quand son regard se posa sur les trois linceuls, sa gorge se noua.
Il interrogea silencieusement l'Empereur, mais celui-ci secoua doucement la tête. Elina Andronikov dépassa son mari et s'agenouilla près du corps. Un silence funeste se déposa sur la salle. De sa main tremblante, elle toucha le tissu puis le releva lentement.
Elle poussa un hurlement.
Un par un, les visages furent découverts. Anthonin, Nina et Ivan Andronikov. Tous trois étendus, les mains jointes sur leur abdomen, une sérénité froide recouvrant leurs traits. Si leur peau n'avait pas été aussi pâle, on aurait presque pu croire qu'ils dormaient. Elina éclata en sanglot, touchant les joues de son fils aîné pour le réveiller. Ce fut vain. Quand la mort prenait, elle ne redonnait pas.
Valtoz venait de perdre toute sa descendance. Immobile, il contempla la chute de sa maison. Anthonin n'avait pas eu peur de massacrer les McMillan. Il n'avait pas pensé que la vengeance des Anglais serait sa propre mort. Ils avaient attaqué dur, et ils s'étaient reçus une lame dans la poitrine. L'auteur de ce crime était plus qu'évident. Personne ne pouvait infliger une mort aussi silencieuse que Cassiopeia Black.
Ils avaient sous-estimé les Black. Ils avaient sous-estimé cette guerre.
Et maintenant, ils avaient tout perdu.
-Vengeance ! cria Elina, les joues trempées de larmes. Je demande vengeance !
Elle supplia l'empereur du regard. Pourtant, ce ne fut pas lui qui répondit.
-Assez de la vengeance, lâcha Vladic en se détachant de la foule. Ce n'est pas ainsi que l'on arrêtera ces massacres.
Valtoz éclata d'un petit rire. C'était un homme qui n'avait rien perdu qui disait ça. C'était celui qui avait peur pour sa propre famille et chercher à les sauvegarder des années de guerre à suivre. Des lâches. C'étaient tout ce qu'ils étaient.
-Nous nous sommes engagés dans un cercle vicieux où un crime réponds par un autre, continua-t-il. Cela ne peut nous mener qu'au chaos. Et c'est ce que veut Grindelwald !
Des murmures d'approbation traversèrent l'assemblée.
-Et que proposes-tu ? fit Lina Petrova.
Cette femme avait perdu un fils dans la bataille de Londres et un autre par la traîtrise. Valtoz pouvait se fier de son jugement. Tout en écoutant les sang-purs prendre la parole, il tentait de faire abstraction du poids qui menaçait d'éclater son coeur en mille morceaux. Il ignora les linceuls, il ignora les pleurs de sa femme. Il ignora sa douleur.
-Un face à face définitif.
Une bataille. La Russie et le Danemark contre l'Angleterre et la France. Un affrontement final pour poser le point final à cette période bélique.
-Si nous perdons, Grindelwald prendra la Russie et n'aura plus aucune limite pour étendre son idéologie. À l'inverse, si nous gagnons, les terres anglaises et françaises seront à nous.
S'ils perdaient, ils mourraient. S'ils gagnaient, les Black et les Duchesses mourraient. Les massacres étaient loin d'être terminés, mais au moins, ils s'y attendraient. La Mort ne les prendrait plus par surprise.
-Votre Altesse ?
Igor Dashkov fixa avec gravité les enfants Andronikov. Anthonin avait combattu pour lui, Nina l'avait conseillé et représenté. Jamais une famille n'avait été si loyale au pouvoir russe. S'ils gagnaient cette bataille, il s'assurerait que les Black connaissent le goût du sang. Cassiopeia deviendrait sa prisonnière, et il ébauchait déjà tout ce qu'il pourrait faire d'elle.
-Envoyez un messager à Londres, ordonna-t-il. Faites parvenir la proposition à Régulus Black. Nous verrons s'il est un lâche ou non.
***
-Un affrontement final, annonça Régulus en jetant sur la table le parchemin officiel que lui avait remis un messager Danois. Ils veulent une maudite bataille !
Cassiopeia, assise face au bureau, scruta l'expression de son cousin pour y déceler son opinion. Elle n'eut même pas besoin de lire dans son esprit pour la connaître. Il n'était pas pour, mais s'il refusait, il passerait pour un couard. Arcturus garda le silence et Lycoris pinça l'arrête de son nez.
-On en finira jamais, souffla-t-elle. Combien de sorciers devront mourir pour... pour quoi ? L'objectif de Grindelwald a totalement disparu des esprits !
-C'est devenu une guerre de vengeance, murmura Arcturus. Rien de plus.
-Comment va Mélania ? s'enquit la blonde.
Régulus éclata de fureur.
-Ils nous proposent un face à face et toi tu penses à l'état d'âme d'une seule personne ?
-Je te rappelle qu'elle vient de perdre sa famille entière et qu'elle m'a demandé de la tuer juste après !
-Eh bien si cette bataille prends vraiment place, ce seront des milliers de personnes qui te supplieront de les tuer !
Arcturus voulut répliquer quelque chose, mais la fatigue innonda ses traits et il se tut. Elle eut pitié pour lui. Le chagrin de sa femme devait certainement répercuter sur lui et Régulus s'en fichait complètement. Ce qui lui importait, c'était la diplomatie et sa soif de massacrer les Russes.
-Je me permets de vous rafraîchir les mémoires et de vous rappelez que nous avons des dragons, intervint Lycoris.
Les yeux de Régulus étincelèrent. Il n'y pensait plus. Cassiopeia, si. Elle avait juste peur du résultat. Quand elle contrôlait ces dragons, elle se sentait partir à la dérive. Ils luttaient sans cesse contre son pouvoir, se démenant parfois physiquement. Carl avait fait parvenir de bons retours à Grindelwald, mais il ne voyait que l'extérieur. Elle, elle se rendait clairement compte que son emprise ne tenait qu'à un fil fragile.
-Cassiopeia, l'appela-t-il.
Elle releva la tête et leurs regards se croisèrent.
-Tu es celle qui nous permettra de gagner. Si tu contrôles les dragons, que tu les ordonnes de brûler toute l'armée Russe, ils t'obéiront. Et pendant ce temps, les Aurors massacreront ceux qui tentent de s'enfuir.
Elle n'avait aucune excuse pour chambouler son plan. Elle était leur seule chance de gagner, c'était vrai. Mais quelque chose lui disait que les bêtes allaient se rebeller. Quelque chose lui soufflait que le massacre n'allait pas se faire que d'un côté. Et s'ils perdaient, ils pourraient dire adieu à leur vie.
-Il faut que j'en parle à Grindelwald, dit-elle finalement.
-Non, s'opposa Lycoris.
Cassiopeia adopta un air étonné.
-C'est à lui que je suis censée obéir.
-Tu es censée obéir à tes aînés. Si je te dis de ne rien lui dire, tu ne lui dis rien.
-Pourquoi ?
Il y eut un regard complice entre Régulus et elle. Ils avaient déjà préparé quelque chose. Lire dans leurs pensées aurait été facile, mais elle voulait les entendre s'expliquer.
-On pense que le traître provient de l'entourage de Grindelwald. Les Duchesses, Petrova ou même le Danois. Quelqu'un à qui il confierait ses plans.
Petrova était un russe, cela pouvait prendre sens. De plus, elle avait elle-même assassiné son frère. Toute cette traîtrise pourrait être sa vengeance.
-Mais les dragons lui appartiennent, répliqua-t-elle.
-Les dragons sont à toi, riposta Régulus. C'est toi qui les maîtrises.
Enfin, maîtriser était un grand mot.
-Il sera mis au courant tôt ou tard.
-Tard serait le mieux.
À ce moment là, la porte du bureau s'ouvrit. Rowle passa sa tête à l'intérieur et dirigea son attention sur Régulus.
-Monsieur Pollux Black est ici.
Cassiopeia écarquilla les yeux et dévisagea son cousin en quête de réponse. Personne ne l'avait prévenu du retour de son frère. Si elle avait su, elle se serait... cachée ? Oui, certainement. L'affronter même du regard lui faisait peur. Il incarnait ses erreurs. Il représentait la partie d'elle qu'elle haïssait.
-Je lui ai dit de revenir, dit-il simplement.
-Pourquoi ?
-David devait retourner en France pour revoir ses sœurs, alors autant qu'il montre au Ministère révolté de son pays qu'il est le Président et qu'ils devraient tous se taire.
Cela lui ressemblait bien de faire ce genre de plan.
-Tu devrais aller le voir en premier, lui conseilla Lycoris.
-Hors de question.
Arcturus, qui s'était contenté d'écouter jusqu'alors, pencha sa tête de son côté et adopta un air grave.
-Il est ton frère. Cela fait trois ans que vous ne vous êtes pas vus. Peu importe ce qui s'est passé entre vous, il reste de ton sang.
Si seulement il n'y avait que ça. Si seulement elle pouvait faire abstraction de tous les sentiments qu'elle avait exploré avec lui, si seulement le poids de ses erreurs ne lui retombait pas dessus chaque fois qu'elle pensait à lui. Mais en un sens, Arcturus avait raison. Et c'était peut-être idiot, mais avec cette bataille à venir, il pouvait s'agir d'une des dernières fois où elle le verrait.
Chaque minute comptait quand la Mort s'approchait.
Prenant son courage à deux mains, elle sortit du Bureau pour divaguer dans les couloirs. Elle n'avait aucune idée d'où est-ce qu'il pouvait être. Rowle était parti avant qu'elle n'ait pu lui demander. Elle croisa sur le chemin le père de Perseus et l'interpella.
-Savez-vous où se trouve Pollux ?
Elle se rendit compte que trop tard de l'étrangeté de la situation, mais soit il l'ignora, soit il n'en avait plus rien à faire.
-À la salle du Conseil je crois.
Elle le remercia d'un hochement de tête et se dirigea pressamment vers sa destination. La porte était déjà entrouverte. Une voix masculine flotta jusqu'à atteindre ses oreilles.
-Tu es sûre qu'elle ne t'a rien fait de mal ?
Le sol tangua. Elle se retint au chambranle de la porte, chancelante. Trois ans. Trois ans qu'elle ne l'avait pas entendu parler. Lui qui avait été son univers entier. Lui à qui elle avait offert son coeur, avant d'écraser le sien sans aucune pitié. Peut-être que la raison pour laquelle elle ne voulait pas le voir était simplement parce qu'elle s'en voulait.
-Non, Père. Je ne vous mens pas.
Walburga. Un faible sourire étira ses lèvres.
Leur fille.
-Bien.
-Je suis contente que vous soyez revenu.
Elle s'engouffra discrètement dans la salle pour voir Pollux serrer Walburga contre lui. Son coeur se réchauffa. Si elle devait définir le mot bonheur, ce serait celui-ci. Les deux personnes qui comptaient le plus pour elles, unies, enlacées, aimées. Elle ne demandait rien d'autre. Mais quand elle s'aperçut qu'elle ne pourrait pas faire partie de ce bonheur, elle eut mal.
Elle ne devait pas se plaindre. C'était elle qui l'avait voulu.
-Cassiopeia ?
Pollux se redressa, visiblement étonné de la voir là. Il s'était sûrement attendu à ce qu'elle le fuie.
-Hey.
C'était une réponse pathétique. Même Walburga eut un sourire amusé. Cette petite était trop intelligente pour laisser passer de tels détails.
Son frère n'avait pas vraiment changé. Il s'acharnait à se raser le menton, lui donnait un aspect épuré et noble. Ses cheveux bruns plaqués en arrière, ses yeux gris brillants, tout cela était resté tel quel. C'était comme voir un fantôme. Ou visiter une ville que l'on pensait avoir oublié alors que l'on connaissait encore tous les détails.
-Wal, peux-tu nous laisser s'il te plaît ?
Wal. Il utilisait le même surnom qu'elle. La petite fille hocha sagement la tête et ferma la porte derrière elle. Seuls. Après trois ans de séparation.
-Tu as changé.
Avait-elle changé ? Elle savait qu'elle avait perdu du poids pendant l'otage de Perseus, mais elle pensait avoir récupéré son apparence d'antan. Apparemment pas.
-La fatigue, sûrement.
Il comprit. Inutile de mentionner sa liste de victimes.
-Je...
Il s'arrêta. Son hésitation provoqua une vague de douleur. Tout était sa faute. S'il n'arrivait pas à lui parler sans que cela ne paraisse étrange, c'était parce qu'elle avait instauré un immense mur de glace entre eux. Elle l'avait repoussé, traité comme un déchet alors qu'il l'aimait. Et il aurait pu ravaler ses sentiments pour qu'elle se sente bien, il l'aurait fait mˆeme. Mais elle ne lui avait pas donné de choix.
Voilà où cela les avait conduit, à se voir comme des étrangers alors qu'ils avaient grandis ensemble.
-Je suis désolée, déclara-t-elle, la gorge nouée.
-Pourquoi ?
Il savait pourquoi.
-Pour tout.
Il parut... soulagé. Comme libéré d'un poids.
-Je suis désolé aussi. J'aurais dû te laisser partir au bon moment, pas insister comme j'ai fait. J'étais juste...
Il ne trouvait pas le mot, alors elle l'aida.
-Jaloux ?
-Ouais, fit-il avant d'éclater d'un rire sans joie. Je crois que c'était ça.
Elle avança de quelques pas avant de l'affronter en face, avalant la distance qui les séparait. C'était le moment où ils devaient tous deux assumer leur responsabilité. Agir comme des adultes, enfin. Comme des frères et soeurs, aussi.
-Est-ce qu'il te traite bien ?
Elle reconnut son instinct protecteur dans sa question. Aussi, elle songea à son ancienne manie de tout le temps l'avoir avec elle. Peut-être qu'il avait juste eu peur qu'un garçon ne lui brise le coeur. Peut-être qu'en couchant avec elle, qu'en l'embrassant comme un amant, il s'assurait qu'aucun homme ne puisse profiter d'elle.
-Plus que bien.
Ses yeux s'emplirent de larmes contre sa volonté. Quelle idiote elle faisait. Elle voulut réprimer son chagrin, se montrer forte face à lui, mais dans le fond, l'était-elle ? Ou maintenait-elle seulement les apparences ?
-Eh, non, ne pleure pas !
Il essuya l'humidité de sa joue avec son pouce. Elle hoqueta sous son contact. Combien de fois l'avait-il touché ? Pourquoi cela lui faisait autant d'effet maintenant ?
-C'est juste que... tu m'as manqué, laissa-t-elle échapper.
Alors il la serra contre lui et elle s'accrocha à sa veste, si fort que ses articulations devinrent blanches. Il était là. Il était de retour. Elle ne le laisserait pas repartir, pas cette fois.
-Je n'ai pas passé un seul jour sans penser à toi, avoua-t-il.
C'est alors qu'elle fronça les sourcils.
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