XLVI. 2 février 1943 - le réveil

Ouvrir les yeux fut comme apprendre à respirer pour la première fois. La lumière lui brûa la rétine et transperça sa vue jusqu'à atteindre son esprit. La chaleur s'étendit sous son crâne en forme de mal de tête. C'était peut-être cela que ressentait un bébé quand il venait au monde. Il avait mal. Il pleurait parce qu'il souffrait. La vie commençait sur cette note de malheur qui allait parfumer le reste de l'existence.

-Ah, enfin.

David lui offrit son plus beau sourire. Ses souvenirs se rassemblèrent petit à petit, tel un puzzle dont les pièces manquaient. La dernière fois qu'il se souvenait être allé était... oh. Oh non. Sa mémoire se manifesta en éclairs de lumière. Nurmengard. Perseus. Une vision trouble et singulièrement jaune. Oui, il voyait tout en jaune, puis il était tombé et... et voilà. Pourquoi ? Que s'était-il passé ? Décidé à obtenir ces réponses le plus vite possible, il se redressa sur ses coudes, cachant sa vue de la luminosité aveuglante. N'y avait-il pas des rideaux dans cette maison ?

-Depuis combien de temps suis-je ici ?

-Ton oncle t'a rammené hier. L'antidote a fonctionné rapidement, tu n'as pas dormi longtemps.

Il fut soulagé. Le Ministère ne tiendrait pas longtemps si son absence s'allongeait. On se poserait des questions, et on finirait par élire un autre Ministre comme ils avaient fait après Hector. Ses conseillers mourraient d'envie de le voir abandonner le poste. Rien que pour les décevoir, il gouvernerait jusqu'à sa mort.

-Sais-t-on qui est l'idiot qui a voulu m'empoisonner ? grommela-t-il.

-Les pistes sont floues. Arcturus pense qu'il s'agit des Russes mais Mélania est certaine qu'il n'y a qu'une seule personne derrière tout ça.

Autrement dit, ils n'avaient rien découvert de plus. Il repoussa les draps mais David bloqua son geste en lui attrapant son poignet.

-Tu devrais te reposer. Tu as l'air encore fatigué.

-Je vais très bien, fit-il claquer avec sa langue.

L'expression de David se troubla. Régulus s'en voulu d'être aussi dur, surtout après qu'il se soit inquiété pour lui.

-Désolé. Mais vraiment, je vais bien.

Il restait un peu sonné, sa vue avait du mal à s'accomoder mais il était en bien meilleur état que la veille. Les battements si tôt rapides si tôt lents résonnaient encore dans ses tympans. Tout avait été une amalgame de chaos accompagné de sueurs froides et de visions jaunes.

-Tu es sûr ?

-Oui, soupira-t-il.

Il caressa son menton avec son index, fier de l'avoir à ses côtés. Leurs lèvres se scellèrent et leur baiser eut le goût du soulagement. Régulus n'avait jamais eu autant envie de vivre que maintenant. Avoir failli mourir donnait beaucoup de sens à l'existence. Il devrait le faire plus de fois.

-Ta famille t'attends en bas, annonça-t-il.

-Tous ?

-Ton frère, Mélania, ta soeur et Cassiopeia doit arriver aujourd'hui également.

Il se demanda pourquoi sa cousine se donnait autant de peine pour venir le voir, surtout quand son état ne pouvait pas être meilleur. Tout cela était trop. Après tout, il était le Ministre, il devait se montrer incassable. Ce n'était pas un poison qui allait faire faiblir son image. Il se leva, enfila un pantalon, une chemise, essayant de coiffer ses cheveux du mieux qu'il put. David le regarda faire avec un sourire en coin. Il ne lui fit pas cas, il avait l'habitude à force. Son amant aimait observer les gens, surtout ses proches. Il analysait leurs gestes, leurs mots, sans aucun jugement. Juste de l'intérêt.

Au rez-de-chaussée, ce ne fut ni sa soeur ni son frère qui l'accueillit, mais son filleul. Alphard se jeta dans ses bras et enfouit son visage dans le creux de son cou. Régulus géra sa surprise avec maîtrise et le serra fort contre lui. Il était peut-être trop jeune pour savoir qu'on l'avait abandonné, mais assez vieux pour comprendre qu'il était passé près de la mort. Il le reposa au sol et regarda autour pour apercevoir son frère et sa soeur. David ne lui avait pas parlé de Pollux ni de Irma.

-Nous l'avons pris avec nous, l'informa Mélania face à sa question silencieuse. Il devenait insistant et voulait absolument te voir.

Régulus eut un léger sourire et ébourriffa les cheveux de son filleul.

-On fait le rebelle ?

-J'ai juste eu peur, avoua le garçon en rougissant.

Lui aussi, mais il ne l'avoua pas.

-Comment tu vas ? s'enquit Arcturus.

-Bien, je suppose.

Il y avait une tasse de café sur la table. Il n'attendit l'autorisation de personne et but le contenu d'un trait. Tout ce qui était sous ce toit était à lui, c'était la règle ici. À lui ou à sa soeur. Il tourna la tête dans sa direction mais ne croisa pas son regard. Au lieu de ça, elle fixait le vide, son expression prise dans de la glace.

-Lycoris ?

Elle ne réagit pas. Comme pour se contenter du minimum, elle papillona plusieurs fois des yeux dans sa direction, sans bouger d'un moindre millimètre sa tête. Elle avait la sale habitude de garder tout pour elle et s'enfermer dans sa cage argentée avec ses tourments. Ce n'était pas la peur qui l'empêcher de se confier, juste... sa fierté, peut-être. Leur père avait toujours insisté sur le fait qu'un Black ne montrait jamais ses faiblesses. Chose stupide puis que les faiblesses pouvaient aussi se révéler être une force. Régulus était bien placé pour le savoir.

-Viens, lâcha-t-il en lui touchant le bras.

Elle sursauta mais ne bougea pas.

-Lycoris, s'il te plaît.

-Que veux-tu ?

-Parler.

Arcturus les regardait faire, une reconnaissance imprimée sur ses traits. Il parut libéré d'un poids quand Régulus mena sa soeur dans le petit salon. Là-bas, il ferma la porte puis se tourna vers elle. Son regard, encore une fois, s'accrocha à tous sauf à lui.

-Sais-tu la première chose à laquelle j'ai pensé quand je t'ai vu inconscient et pâle ?

Tout ce qu'il put faire fut secouer la tête.

-J'ai revu l'image de ta chemise aux tâches rouges, ta tête trempée dans la fièvre, crachant du sang. J'ai songé aux deux mois que j'avais passé à te voir vomir tes propres organes, deux mois à te voir agoniser et chaque jour, me dire que c'était peut-être la dernière fois que je t'entendais respirer.

Elle reprit une inspiration.

-J'ai eu peur, Régulus. En fait non, j'ai constamment peur. Parce qu'hier c'était du poison, demain ça pourrait être un sortilège mortel. Je n'aurais même pas le temps de te dire au revoir. Les gens meurent trop facilement en ce moment et c'est... terrifiant.

Il ressentit sa peur. Elle se glissa sous sa peau avec plus de facilité qu'il n'aurait pu imaginer. Lui aussi avait peur. Il la comprenait, plus encore après tout le sang qu'elle avait essuyé quand il était tombé malade, des années auparavant. C'était toujours lui qui tombait dans des drames, mais comment réagirait-il si c'était elle qui frôlait la mort ? Il deviendrait fou.

-Je veux juste que ce conflit s'arrête. Je veux qu'on nous laisse en paix.

-Nous aurons toujours des ennemis.

-Alors fait quelque chose qui incite les gens à nous aduler !

-On ne fait pas l'histoire en étant aimé.

-L'histoire, toujours l'histoire ! s'exclama-t-elle en balayant l'air de sa main. Tu ne vis que pour ça, n'est-ce pas ? Devenir une légende, avoir ta magnifique statue dans le mausolée des Black et ton nom dans les livres de Poudlard. Mais tu sais ce pour quoi je vis, moi ? Je vis pour voir mes frères respirer. Je vis pour voir ma famille prospérer, pas la voir attaquée de tous les côtés.

-Je sais.

Il n'y avait rien d'autre à ajouter. Tout ce qu'elle venait de dire était juste, autant pour lui que pour elle. Il savait, il comprenait, mais il n'y avait pas de solutions possibles à cela. Il ne la changerait pas et elle ne le changerait pas. Néanmoins, sa réponse ne lui plut pas.

-Alors c'est tout ?

-Que veux-tu que je te dise ?

-Je ne sais pas, peut-être essayer de mettre fin à toute cette guerre basée seulement sur la haine que les sorciers se vouent entre eux ? Juste pour éviter qu'on t'enfonce une dague dans l'estomac, ou qu'on te pende du haut d'un pont.

-Tu sais que je ne peux pas faire ça.

-Tu ne peux pas ou tu ne veux pas ?

Ses talons firent trembler le sol. Elle l'affronta du regard, presque aussi froide et sévère qu'un mur de glace. La voir ainsi l'inquiéta. Elle se retranchait derrière ses protections par peur d'être blessée, mais elle s'autodétruisait. Tout ce qu'elle souhait était la fin. Mais rien n'avait de fin. Même si cette guerre s'arrêtait, l'ennemi changerait seulement de nom. Obtenir le pouvait n'était pas difficile ; la vraie difficulté venait à l'heure de le maintenir.

-Tu tiens le monde dans la paume de ta main, Régulus. Tu peux en faire tout ce que tu veux. Alors, pour une fois, fais ce que moi j'en veux. S'il te plaît.

-C'est justement pour ce que je peux faire de ce monde qu'on a des ennemis.

Elle déglutit, réalisant soudainement que ce qu'elle demandait n'avait aucun sens. Ses murs se brisèrent et ses yeux se mirent à briller.

-Je veux juste que tout s'arrête.

Il l'autorisa à pleurer dans ses bras. Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas tenue ainsi près de lui, portant le poids de ses chagrins pour elle. Cette sensation d'utilité lui avait manqué. Elle avait toujours été là pour lui, à chaque instant, et il se demandait parfois pourquoi les rôles ne s'inversaient jamais.

-Tout s'arrêtera bientôt, je te le promets.

Il ne spécifia pas à quand le "bientôt" se référait. C'était une promesse vide mais qu'elle avait besoin d'entendre. Comme quand on racontait aux enfants que le Père Noel leur apporterait des cadeaux. Des mensonges censés rendre la vie plus belle, voilà ce qu'ils étaient.

La porte s'ouvrit sur Arcturus. Il s'attarda longtemps sur Lycoris puis déclara simplement :

-Cassiopeia t'attends au Ministère.

Régulus se détacha de sa soeur, envellopant son visage de ses mains.

-Tout va bien aller, ok ? Je ne suis pas quelqu'un qu'on peut faire disparaître si facilement. Tu m'auras toujours à tes côtés.

Encore des promesses vides mais qui eurent le mérite de la faire sourire. Arcturus prit sa place, enroulant ses bras autour de sa taille. Dans son hochement de tête, il put lire "je m'occupe d'elle". Il ne manquait jamais une occasion de jouer le "grand-frère-protecteur-envers-sa-petite-soeur" et cela l'amusa. Il retourna à sa chambre pour se préparer, prit une dernière fois Alphard dans ses bras et transplana pour le Ministère.

-Heureuse de te voir vivant.

Ce furent les premiers mots que lui adressa Cassiopeia. Il vit dans son regard qu'elle était réellement soulagée de le voir debout, surtout si c'était elle qui l'avait vu tomber. Perseus se tenait droit derrière elle, la méfiance tirant ses traits. Il sut que c'était le moment pour lui de s'excuser. Certes, il avait été sous l'effet du poison, mais cela n'excusait pas ses actes.

-Je suis désolé de t'avoir accusé de la sorte. Ton père est un homme honorable, tu l'es aussi.

Il hocha simplement la tête. Il avait obtenu ce qu'il attendait. Ils pouvaient à présent revenir sur de bons accords. Cassiopeia, heureuse que tout se soit arrangé si rapidement, entreprit gaiment sa marche en directoin du bureau avec lui.

-Les Russes rassemblent des hommes. Ils prévoient d'attaquer durement.

-C'est le moment de sortir notre bombe atomique, se réjouit-il.

-Je ne suis pas sûre d'ˆetre prête.

Il s'arrêta, plantant son regard dans le sien.

-Arrives-tu à maîtriser un dragon ?

-Oui, mais...

-Deux dragons ?

-Certes, mais je...

-Alors le reste suivra. Crois-moi. Quand ils comprendront ce qu'il faut brûler, ils s'y mettront tous.

Cependant, elle ne semblait pas rassurée.

-Des bêtes de cette envergure ne font pas la différence entre un sorcier de nationalité Russe ou un autre Français ou Anglais. Ils tuent tout ce qu'ils bougent.

-Tu les dirigeras vers les Russes. N'essaie pas de te trouver des excuses pour douter de toi.

-Mais je ne...

Il ne la laissa pas riposter, sachant déjà quelle serait sa réponse.

-Je vais envoyer plusieurs Aurors espionner pour mon compte. Jusque là, ils agissaient tous pour Grindelwald, et aucun n'est revenu avec des résultats satisfaisants. Je veux mettre la main sur ce traître, et si nous voulons avoir toutes nos chances de notre côté, il va falloir traiter toutes les personnes étrangers à notre famille comme des ennemis.

-David est donc un ennemi ?

-David ne me trahirait jamais. En revanche, ses sœurs demeurent dans le doute.

Elle lui barra le passage, ses sourcils froncés mis en évidence. Derrière, Perseus s'arrêta en même temps. Cet homme était une véritable ombre.

-Et Grindelwald ? Qu'est-il pour toi ?

-Ce n'est pas Grindelwald qui m'inquiète, ce sont les personnes qu'il y a autour de lui.

-Penses-tu à quelqu'un en particulier ?

Il soupesa sa réponse.

-Je pense à tout le monde. Et tu devrais faire de même.

Il s'approcha d'un pas, gardant ses mots secrets de Perseus.

-N'oublie pas que le traître est quelqu'un de proche, murmura-t-il.

Elle sembla comprendre pourquoi il n'avait destiné ces propos que pour elle et quelque chose s'illumina dans son regard. Il ne sut si c'était de la colère ou du reproche, mais l'important était qu'elle ait retenu sa phrase.

Le traître est quelqu'un de proche.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top