XLV. 1 févier 1943 - le poison

Son index écarta une fine mèche de cheveux. Au dessus de Cassiopeia, Perseus avait la tête penchée en avant pour mieux la contempler. Elle avait les yeux fermés et le corps détendu, aussi, elle ne put connecter son regard avec le sien. Elle n'osait pas. Son geste dura l'éternité, prolongé dans le confort de leur proximité. Toute sa fatigue pesait sur ses paupières. Cela faisait des mois qu'elle essayait de contrôler les dragons. Le flux de son pouvoir courant dans ses veines la blessait. Elle saignait de plus en plus du nez. Et chaque fois qu'elle s'asseyait, ou s'allongeait, une envie profonde de s'endormir la tirait hors de la réalité.

Sa poitrine gagna du poids et sa respiration ralentie. Sa tête, posée sur la jambe de Perseus, ne se trouvait pas dans la meilleure position, mais elle était contre lui et ça lui suffisait. Il continua à écarter des mèches éparses jusqu'à ce qu'elle ne remarque même plus son geste. L'obscurité la traîna hors de la réalité, ignorant son refus à dormir en plein milieu de l'après-midi. Tout à coup, un bruit de porte l'arracha brusquement à sa chute. Ce retour fut déchirant. Elle papillona plusieurs fois des yeux.

-Régulus Black est dans le salon, annonça Carl. Il veut voir Perseus.

Le concerné la regarda alors, mais elle secoua la tête. Elle n'avait aucune idée de pourquoi son cousin voulait un entretien avec lui. C'était imprévu et Régulus n'aimait pas les imprévus. De plus, il y avait une longue distance à parcourir entre l'Angleterre et l'Autriche, même avec le réseau de cheminée. Elle se redressa. Sa tête tourna brusquement et sa vue s'emplit de petits points noirs. Une main s'aggripa à son bras ; elle s'y aggripa de toutes ses forces.

-Ça va ? s'inquiéta-t-il.

-Oui, c'est bon.

La fatigue, sûrement. Elle avait ça tout le temps.

Elle insista pour l'accompagner, certaine que Régulus serait content de la voir elle aussi. La dernière fois qu'ils s'étaient rencontrés, c'était pour lui rendre le poignard qui avait servi pour tuer Dorea. Depuis, elle le gardait près d'elle, s'assurant tous les matins de sa présence. La première chose qu'elle aperçut en entrant dans la salle fut bien lui, les mains appuyés sur la table et le regard plongé dans le vide face à lui. Il tourna sèchement sa tête vers Perseus.

-Toi !

En quelques secondes seulement, il le plaqua contre le mur, ses poings agrippant le col de sa chemise. Perseus devint blanc. Le choc du coup semblait lui avoir coupé le souffle.

-Qu'est-ce que...

-Espèce de sale traître !

Traître ? Perseus ? Il se trompait de personne. Il se trouvait au mauvais endroit. Quelque chose n'allait pas. Oui, elle lui avait dit qu'il y avait un traître parmi eux, mais jamais qu'il s'agissait de Perseus. Ce dernier, certainement par déconcertation, ne répondit pas. Le visage de Régulus se contracta en un sentiment de rage extrême.

-Comment ai-je pu être aussi aveugle ! Un espion dans l'âme, l'amant de ma cousine, tu as tout pour brouiller les pistes. Tu es un maudit...

-Régulus !

Son nom claqua et imposa le silence dans le salon. Il s'arrêta de parler, son regard toujours planté dans celui de Perseus.

-Tu te trompes, articula-t-elle.

-C'est si évident que même toi tu n'as pas fait attention, grinça-t-il.

C'est alors qu'elle remarqua ses pupilles dilatées. Ses articulations blanches, ses lèvres bleutées. Régulus avait toujours eu un faible pour les drogues. Elles étaient sa seule échappatoire dans ses problèmes, sans reconnaître qu'elles ne devenaient qu'un problème de plus. Cependant, il prenait à coeur son rôle de Premier Ministre, et le voir agir avec autant d'irresponsabilité l'étonnait.

-Lâche-le, ordonna-t-elle.

-Lis dans son esprit. Vois ce que je vois. Un traître, c'est tout ce qu'il est.

-Tu ne sais pas ce que tu dis.

-En se rangeant à tes côtés, continua-t-il, tremblant sous la colère, il s'assurait que tu ne puisses pas l'accuser. Il excellait dans le rôle d'espion parce qu'il en était réellement un. Vous avez été trahis par quelqu'un qui connaissait les plans, quelqu'un qui maintenait déjà des relations avec les Russes. C'était si simple, pour lui.

-Alors pourquoi Nina Andronikov l'aurait envoyé au Danemark pour ensuite lui couper deux doigts ?

-Brouiller les pistes, marmonna-t-il.

Elle aurait pu y croire. Les preuves étaient suffisantes. Mais les mots qui franchirent les lèvres de Perseus la rassura dans son jugement :

-Et pourquoi aurais-je fait ça ?

Régulus ne répondit rien. Il l'aggrippait avec une telle force qu'il pourrait se faire mal tout seul. Il n'avait pas de réponse à ça, parce qu'il n'y avait aucune réponse à fournir. Certes, Perseus pouvait être suspect en considérant tous ces aspects, mais il manquait le motif. Et il aurait bien plus à perdre en se rangeant du côté des Russes. Elle, par exemple.

-Lis dans son esprit, commanda Régulus.

Elle déglutit, ne posant pas une seule fois ses yeux sur son amant.

-Non.

-Fais-le ! s'exclama-t-il.

Sa voix tremblait. Tout tremblait en lui. Il n'allait pas bien, cela sautait aux yeux. Régulus agissait toujours avec calme et sang-froid, et il n'éclaterait pas d'une aussi grande colère pour une théorie non prouvée. Il se basait sur des preuves, et ici, il n'en avait aucune.

-J'ai confiance en lui.

-Lis dans son maudit esprit ou je lui arrache moi-même la cervelle !

-Tu le touches une seule fois et c'est ta cervelle que je vais arracher.

Ce serait bien plus simple pour elle. Perseus ouvrit la bouche pour dire quelque chose, commençant par les premières syllabes de son prénom, mais Régulus lui fit comprendre par un mouvement implicite de se taire. Elle l'interrogea du regard, mais il ne pouvait rien dire. Alors il hocha doucement la tête.

Elle ne s'était introduite qu'une fois dans l'esprit de Perseus. C'était il y a longtemps, quand ils étaient sortis pour la première fois ensemble. Ses pensées étaient ordonnées, calme, toujours dirigées envers un objectif bien particulier. Elle s'efforça de ne pas s'immisçer dans d'autres que celle qui l'intéressait. Et alors, une observation la frappa.

Du poison. Perseus, en tant qu'espion, connaissait cette partie de la magie noire, il ne pouvait pas se tromper sur cela.

-Tu viens de lire dans son esprit là, non ? demanda-t-il précipitemment.

-Oui, choisit-elle de dire.

-Et alors ?

-Il est innocent.

Il ne semblait pas convaincu. Mais il ne doutait pas non plus qu'elle lui ait menti. Alors il finit par le lâcher avant de tituber vers l'arrière. Elle le rattrapa à temps pour ne pas qu'il s'effondre au sol.

-La digitaline, l'informa immédiatement Perseus, enfin libéré de l'emprise.

-Quoi ?

Elle n'avait aucune idée de ce qu'était la digitaline mais n'aimait pas ce mot.

-C'est une plante toxique. Elle produit des nausées et des tremblements. Elle ne tue pas sur le coup, c'est sur une longue période qu'elle peut être néfaste.

Alors cela faisait longtemps qu'il ingérait la plante.

-Qu'est-ce qu'il raconte ? grommela Régulus.

-Rien, le rassura-t-elle. Tout va bien.

Mais les yeux suppliants qu'elle leva vers Perseus contredisit totalement ses mots. Régulus était le dernier à devoir mourir en cette période tumultueuse. Autant pour l'Angleterre que pour leur famille. Pour elle. Il était son point d'accroche avec les Black, le seul qui avait cru en elle quand tout le monde lui avait tourné le dos.

-Y a-t-il un traitement ?

-Je n'en ai aucune idée. Il faudrait que je...

Son corps tomba en avant et elle ne parvint pas à le retenir. Elle tomba au sol avec lui, l'aggripant pour maîtriser sa chute. Il avait les yeux fermés. Une sueur froide recouvrait sa peau pâle.

-Régulus ! l'appela-t-elle en lui assénant une gifle.

Il ne se réveilla pas. La panique la submergea. C'était impossible que tout aille aussi vite, il devait y avoir une solution. Elle tenta en vain d'en chercher une, mais avec le peu de connaissances qu'elle avait sur ce domaine, elle n'arriverait à rien. Comme c'était ironique, tout de même. Elle pouvait tuer en un claquement de doigt mais était condamnée à voir ses proches agoniser sous son nez. Quel genre de pouvoir était-ce ? Pourquoi ne pouvait-elle pas souffler la vie aussi facilement qu'elle l'arrachait ?

-Réveille-toi, s'il te plaît, supplia-t-elle d'une voix fébrile.

-Cassiopeia ?

Son père fit apparition à l'entrée, la surprise traversant son visage en un éclair. Il vit Régulus au sol et ne tarda pas à réagir.

-Du poison, l'informa-t-elle avec désespoir.

Peut-être pourrait-il l'aider. Son coeur battait toujours, mais à une vitesse lente. Beaucoup trop lente. Cygnus Black s'accroupit à côté d'elle, prenant une profonde inspiration.

-Perseus, des feuilles d'orgeat. Maintenant.

***

-Qui servait le thé du Ministre ?

Les yeux perçants d'Arcturus se posèrent sur chacuns des fonctionnaires du Ministère chargés du bien-être des responsables. Les têtes étaient baissées, les mains croisées au devant. Personne ne se manifesta. Ils avaient peur de dénoncer ou d'être dénoncés. Il ne fallait pas être un génie pour savoir que s'en prendre à un Black correspondait à signer un arrêt de mort. Et surtout si ce Black en question était Ministre de la Magie.

-Je répète ma question, articula-t-il. Qui était chargé de servir le thé du Ministre ?

-Arcturus, fit une voix dans son dos. Tu leur fais peur.

Mélania parlait d'une voix douce, comme si elle avait peur de trop les brusquer. Lui, en revanche, avait envie de les briser un par un. Qu'ils hurlent le nom de l'assassin. Qu'il le prononce avec du sang dans la bouche, s'il le fallait. Mais celui qui avait eu la merveilleuse idée d'empoisonner son petit frère allait le payer.

-Qui ! hurla-t-il pour la énième fois.

Personne ne souffla un mot. Mélania soupira, comme s'il ne s'agissait que d'un jeu qui était en train de l'ennuyer.

-Parfois, je me demande si les hommes connaissent le mot "tact".

Elle s'avança à sa hauteur, toisant à son tour la ribambelle d'employés. Son regard analysait, son esprit dessinait déjà les ébauches de sa prochaine phrase. Il la laissa faire. Ses techniques douces avaient le mérite de fonctionner, il le savait par expérience.

-Celui ou celle qui possède des informations sur cette personne, vous pouvez parler. Personne ne vous fera rien.

Des regards en biais circulèrent. Arcturus se tendit, prêt à infliger un Doloris à celui qui prétendait être l'empoisonneur. Cependant, Mélania posa sa main sur sa baguette, baissant la pointe vers le sol.

-Alors ? insista-t-elle.

Une jeune fille réalisa un pas en avant. Ses joues rouges et son regard timide rencontrèrent craintivement l'expression froide de Mélania.

-Il y avait une femme qui agissait bizarrement.

-C'est à dire bizarrement ?

-Elle buvait toujours dans une fiole chaque quatre heures.

Un frisson parcourut le corps d'Arcturus. Du Polynectar. Derrière cet empoisonnement se cachait peut-être toute la trahison que subissait Grindelwald depuis deux ans. Les intentions des Russes étaient de détruire leur famille, et donc... sa poitrine explosa sous la rage. Ils s'en étaient pris au dirigeant principal de l'Angleterre et des Black, le prenant pour première cible. Tout comme ils avaient tenté de détruire Cassiopeia en détenant Perseus, tout comme ils avaient voulu assassiner Dorea. Tout était lié. Pas un détail n'échappait à l'immense toile qu'ils étaient en train de tisser.

-Comment s'appelait cette femme ? demanda calmement Mélania.

-Vanessa, je crois.

Il s'agissait certainement d'un faux nom. Ils n'auraient aucune chance d'obtenir l'identité du traître ainsi.

-Il y avait un homme qui la rejoignait parfois, indiqua un autre employé, un homme de la trentaine avec des lunettes carrées. Ils se cachaient pour se voir. Certains disaient qu'il s'agissait d'un amant secret, parce que chaque fois qu'on lui demandait de qui il s'agissait, elle rougissait et gardait le silence.

Ce détail ne l'avançait pas beaucoup, surtout quand il ne savait pas si la personne qui se cachait derrière le Pollynectar était un homme ou une femme. Pourtant, ils avaient eu la clef juste là, sous leur nez. Il se passa une main dans les cheveux de frustration.

-C'est un coup des Russes, intima-t-il à sa femme, assez bas pour qu'aucun des employés ne puisse l'entendre.

-Vous pouvez retourner à vos postes, leur ordonna-t-elle.

Quand ils furent tous partis, elle abandonna son masque de glace pour adopter une préoccupation singulière.

-Je ne peux m'empêcher de penser que nous faisons fausse route, se confia-t-elle. Nous rejetons la faute sur les Russes chaque fois que quelque chose arrive.

-Parce que c'est eux qui veulent notre disparition. Sans nous, Grindelwald n'aurait jamais pu prendre autant d'ampleur.

-Mais si la raison de cet acharnement était autre ?

-C'est à dire ?

Elle fronça les sourcils, plongée dans ses pensées.

-Je ne sais pas. Nous avons beaucoup d'ennemis. Peut-être que nous accusons le mauvais.

-Ce sont les Russes qui ont manipulé Cassiopeia et tenté de tuer Dorea pour...

-Oui oui, je sais. Mais ils ont agis à la base d'informations volées. Des secrets qui n'étaient jamais censés arriver jusqu'à eux. Quelqu'un tire les ficelles depuis le début, autant de leur côté que du nôtre.

Elle planta son regard dans le sien.

-J'ai juste peur qu'on ne voit pas venir le coup final.

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