XLIV. 27 janvier 1943 - la tête

"Nous avons un traître parmi nous", c'était ce que Régulus retenait de la lettre de Cassiopeia. Deux dragons assassinés. Deux flèches similaires. Ils avaient dû les conduire derrière les monts pour les cacher des ennemis, après qu'elle soit enfin arrivée à en contrôler un. Et tandis qu'il se remémorait ces mots, Nina Andronikov sirotait tranquillement son thé, d'un air le plus tranquilisé possible. À sa droite, David la regardait d'un air méprisant. Il avait perdu son style français pour adopter un air plus anglais, mais son menton relevé et ses yeux plissés témoignaient de son orgueil inné. À sa gauche, Lycoris serrait autour de ses bras une épaisse écharpe en fourrure, analysant ses alentours. Des peintures qui ne laissaient aucun vide, des statues blanches que la lumière du soleil rendait aveuglantes. Des hautes fenêtres, deux canapés avec une table et des tasses de thé, puis rien autour. Comme s'ils avaient emménagés cette pièce rien que pour eux.

-Alors, dites-moi, déclara enfin Nina en reposant son thé. Qu'êtes-vous venus chercher ?

Elle porta un sourire innocent en passant de l'un à l'autre. Régulus sentait déjà sa rage brûler. Les personnes sarcastiques l'insupportaient. Il affermit sa prise sur sa canne en argent et se força à adopter une expression agréable.

-Vous détenez Emily Scott.

-Très juste, confirma-t-elle.

-Demandez-nous une rançon et rendez-la nous.

Son dos s'enfonça dans le dossier du canapé. Il ne savait pas ce qu'il avait dit de drôle, mais elle avait l'air de s'esclaffer intérieurement. Lycoris jeta un coup d'oeil inquisiteur à son frère, puis, certaine qu'il ne se laisserait pas porter par sa colère, reporta son attention sur la Russe.

-J'avais eu Cassiopeia par la force de l'amour, autrefois. Maintenant que je vous ai face à moi, je me rends compte que tous les Black sont pareils. Votre dévotion m'étonnera toujours.

-Il n'y a aucune dévotion, et ma situation n'a rien à voir avec celle de ma cousine, répondit-il sèchement. Les États-Unis font partis de l'Alliance. Nous nous sommes promis de nous protéger entre nous. Je suis un homme de parole.

-Très certainement.

Tout cela ne semblait qu'un jeu pour elle, et son attitude lui sembla immature. Pourquoi était-ce elle qui leur faisait face et pas l'Empereur lui-même ? Ils n'étaient pas personne, ils étaient les deux représentants des deux principaux ennemis. David, de par son dédain, semblait penser la même chose, et ce depuis le début. Il le laissa parler à sa place.

-Nous voulons voir Igor.

-Notre Empereur est occupé, se contenta-t-elle de dire.

-Avec quelque chose de plus important qu'une décision diplomatique dans une guerre mondiale ?

-Je ne suis personne pour questionner les activités de son Altesse.

Son Altesse. Cela le fit presque rire. Elle ne le remarqua pas, elle-même occupée à revêtir son air drôle.

-Soyons clairs, reprit-elle en enfonçant son regard bleu dans le sien. Nous avons plus de raisons de vous détenir ici que vous n'en avez. Techniquement, votre pays devrait être déjà en feu pour ce que vous...

-Si vous parlez du Prince du Danemark, je nie toute responsabilité dans ce meurtre, la coupa Régulus.

Lycoris s'agita nerveusement tandis que Nina pencha sur le côté, comme vivement intéressée.

-Vous savez qui l'a tué.

-Ce n'est pas moi.

-Mais c'est une Black.

-À ce moment là, elle était considérée comme une traître. Par votre faute. Elle s'est rendue au Danemark pour sortir Lestrange des prises du Prince parce que vous même l'avez placé là-bas. Ce meurtre n'est que la conséquence de vos erreurs.

-Monsieur Black, articula-t-elle en appuyant sur chaque syllabe.

Elle abandonna sa tenue nonchalante pour poser ses coudes sur ses genoux.

-Pour être honnête, je me fiche de savoir ce qui a conduit votre cousine à comettre cet acte. Le fait est que notre plus proche allié est mort. Un Prince, un membre de la royauté.

-Vous avez tenté de tuer ma cousine, Dorea. Nous ne sommes pas une famille royale, mais nous prenons cela comme une attaque également.

Un immense sourire étira ses lèvres. Ses pupilles se mirent à briller, comme un enfant face à un sapin de Noël entouré de cadeaux.

-J'attendais que vous le disiez.

Il releva un sourcil, et un silence gênant s'installa. Il ne comprenait pas ce qu'elle voulait. Ni pourquoi Igor avait refusé de les voir. Tout ce que demandait Régulus, c'était une rançon. Même si le Ministère était en mauvaise situation économique, il se débrouillerait pour obtenir le dû avec des pays alliés. David l'aiderait. Il le devait.

Sauf que Nina Andronikov n'avait pas la moindre intention de leur faire part d'une rançon. Elle glissait sur la discussion sans chercher à y donner un sens. Régulus avait juste l'impression de perdre son temps.

-Que voulez-vous ? demanda David.

-Beaucoup de choses. Je veux que mon pays gagne. Je veux vous écraser comme des fourmis, voir vos organes éclater, vos cervelles gicler entre les fissures de votre crâne. Je veux voir l'Angleterre et la France en feu. Je veux vous voir agoniser puis nous supplier d'arrêter.

Elle prenait un immense plaisir à prononcer ces mots. Elle avait du les répéter milles fois dans sa tête pour exprimer l'exact sentiment qui lui occupait l'esprit. Régulus n'allait pas se le cacher : il souhaitait faire la même chose, mais sur les Russes. Cette haine mutuelle maintint un bref silence qui ne présageait rien de bon.

-Nous sommes en guerre, fit-il remarquer. Je suppose qu'humilier son ennemi fait parti du butin de la victoire.

-Vous êtes un homme sage.

Les mots flottèrent alors qu'elle reprenait une tasse de thé. La théière versa seule le liquide brûlant dans la porcelaine. Une fumée transparante s'éleva doucement.

-Ou bien nous pourrions arrêter ce conflit maintenant.

Il s'étonna lui-même d'avoir pu dire une telle chose, mais il le pensait depuis longtemps. Lycoris garda sa surprise pour elle et fit un effort pour demeurer neutre. David, quant à lui, lui jeta un regard assassin, comme pour lui dire "si tu oses, tu es un homme mort".

Nina s'était arrêtée de boire. Pour la première fois, aucune trace d'amusement n'était présente sur sa face.

-Vous vous moquez de moi.

Elle reposa la tasse avec une telle violence qu'elle faillit se briser.

-Cette guerre n'est pas seulement diplomatique, reprit-elle, c'est une guerre d'idéologie. Grindelwald gagne en influence. Notre noblesse commence à se rebeller, parce qu'elle voit le pouvoir qu'a pris celle d'Angleterre, de France, d'Allemagne et de tous les autres. Le peuple se retourne contre le pouvoir Suprême. Notre seule chance de sauvegarder notre Empire est de supprimer depuis la racine l'origine de ces idées extremistes.

-À vous écouter, on croirait que c'est vous qui dirigez ce pays, souligna Lycoris.

Il se demandait lui aussi quel rôle Nina Andronikov avait réellement dans la Cour. Pour occuper la place de l'Empereur, elle devait déjà être haut placée.

-Très chère, j'ai grandi entre les complots et les secrets d'Etat. L'unique raison pour laquelle je n'occupe pas le trône, c'est parce que je suis née dans la mauvaise famille.

-Comme c'est dommage, sourit Régulus.

-Vous, en revanche, vous savez à la perfection comment diriger un Empire, n'est-ce pas ?

-L'Angleterre est une république.

-Oui, et moi je suis une fée.

Calmée, elle s'empara à nouveau de sa tasse de thé. Régulus eut envie de l'étrangler avec.

-Je suis Ministre, pas Roi ni Empereur.

-La modestie des Black devient exagérée.

-Vous ne savez rien de ce qui...

-Oh, mais voyons. Premièrement un coup d'Etat, puis la répartition de tous les membres de votre famille partout en Europe : la Bulgarie, l'Espagne, la Norvège. Sans parler de votre réputation que votre cousine alimente tous les jours puis de votre extraordinaire façon de vous conférer des alliés loyaux par la cohabitation. Il vous suffit d'une couronne et vous êtes fait Roi d'Europe. Vous êtes la vraie menace, Black. Personne n'a osé s'en prendre à vous parce que les sorciers sont des lâches, mais vous êtes allés trop loin. Le monde ne vous appartient pas. Tôt ou tard, vous l'apprendrez.

Il resta un moment silencieux, avalant tout ce qu'elle venait de lui cracher. Un Empire. Était-ce réellement ce qu'il était en train de construire ? En répartissant les membres de sa famille sur ses conquêtes, il garantissait le contrôle de celles-ci. Pollux en France, Cassiopeia en Bulgarie, son père en Espagne. Leur politique, unique chez les Black, se répendant dans ces pays et au-delà. Une politique similaire à celle de Grindelwald.

Quand elle parlait de couper le mal à sa racine, elle parlait de lui.

-Nous voulons simplement Emily Scott.

Sa réponse la fit sourire.

-On pourrait presque croire que vous tenez à elle.

Elle leva sa main et deux Aurors sortirent de la salle, la baguette à la main. Ils revinrent avec un morceau de tissu recouvrant une forme ronde. Régulus s'apprêta à réclamer de nouveau la Présidente Américaine, mais quand l'objet atterit lourdement sur la table et que des morceaux de sang séché tombèrent sur le bois, il comprit. David avança sa main pour doucement retirer le drap blanc.

Emily. Son cou coupé net, ses yeux encore ouverts, emplis d'horreur. Elle était jeune. Trop jeune.

-Vous la vouliez, la voici.

Il sauta sur ses pieds sous une brusque impulsion. Lycoris le retint en enroulant son bras autour de son épaule, le maintenant fermement pour l'empêcher de la découper en morceaux. Nina se fit violence pour ne pas éclater de rire. Un boule de feu lui dévastait la poitrine. Les États-Unis leur avaient conféré une puissance immense. Ils avaient été leur bouclier. Et à présent, la tête de leur Présidente gisait sur une table tandis que le pays était recouvert de cadavres et de survivants agonisants. Les Russes pensaient gagner. Mais ils ne savaient rien de ce qui les attendait. Rien du tout. Et Régulus se promettait de n'avoir aucune pitié pour eux le jour où le ciel leur tomberait sur la tête.

Parce que ce jour arriverait plus tôt qu'ils n'avaient prévus.

-Dans ses dernières heures, elle ne faisait que pleurer, se remémora avec plaisir Nina. Ses pauvres yeux n'arrêtaient pas de cracher des larmes. "Laissez moi au moins parler à mon oncle une dernière fois", disait-elle. Qui est son oncle, au fait ?

Cette question avait été posée comme si elle demandait de quelle couleur était le ciel.

-Andrew Scott, répondit Lycoris froidement. Un membre du Département des Affaires Internes qui sait comment retirer les poumons de la cage thoracique tout un maintenant sa victime réveillée.

Un sourire carnassier creusa un sourire. Régulus fut fier d'elle. Il n'aurait pas pu mieux répondre. Le pire était qu'il s'agissait de la vérité.

Mais soit Nina ne la croyait pas, soit elle n'en avait rien à faire.

-Fantastique. Un hobby que nous partageons.

David grommela quelque chose que personne ne comprit. Lui aussi semblait se retenir de l'écorcher vive.

-Oh, avant que j'oublie, s'exclama-t-elle, vous vous demandez certainement comment nous sommes au courant de choses qui sont censées nous échapper.

"Nous avons un traître parmi nous".

-Je vous dis la même chose que j'ai dit à votre cousine, reprit-elle. Cette trahison est le fruit de vos propres erreurs.

Il regretta alors de ne pas posséder le même talent que Cassiopeia pour pouvoir creuser dans son esprit et lui soutirer l'information. Quelqu'un les menait en bateau depuis le début. Quelqu'un au courant de tous les faits et gestes de Grindelwald et capable de mener une double vie avec les Russes. Mais quel intérêt aurait cette personne ? C'était ce qu'il ne comprenait pas. C'était ce qui lui échappait, et Régulus Black détestait que les choses lui échappent.

-Réfléchissez bien, insista-t-elle alors qu'elle se relevait.

-Vous allez payer pour ce que vous venez de faire, grinça-t-il.

Il ne pouvait pas regarder la tête d'Emily. Cela lui rappelait que la défaite se rapprochait de plus en plus, et cette idée l'empêchait de réfléchir correctement.

-Nous sommes tous coupables de quelque chose, et nous allons tous payer pour cela. C'est ce qui rends cette guerre amusante.

Avant qu'il n'ait pu comettre l'irréparable, elle fit claquer ses talons sur le planchet et délaissa la grande salle dans un silence royal. Mieux valait qu'elle ne réapparaisse pas. Parce qu'il se promit que, la prochaine fois qu'il la croiserait, un des deux ne sortirait pas vivant de la rencontre.

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