XLIII. 18 janvier 1943 - Black

La créature déploya ses ailes dans un mouvement brusque et agacé. Elle laissa échapper un souffle qui aurait pu faire trembler la terre. Les dragons avaient grandis. Leur corps était aussi gros que la tour de Nurmengard, ce qui impressionnait. Surtout quand Cassiopeia ne les avait pas vu depuis des mois.

-Tout doux, murmura-t-elle en avançant d'un pas.

L'animal écrasa une patte contre la terre ferme, ses yeux orange reflétant une méfiance dangereuse. Elle n'arrivait pas à traverser la barrière de son regard. Elle se cognait contre un mur de pierre chaque fois qu'elle tentait de se glisser dans son esprit. Peut-être que la raison à son échec était simple : contrôler des animaux était impossible.

-Tu aurais du t'en occuper quand ils étaient jeunes, lui reprocha Carl. Ils me laissent les approcher, moi.

-Eh bien je t'en prie, apprends la Mortemencie et brûle le monde à ma place.

Son agacement fit reculer le dragon. Cassiopeia eut l'étrange pensée de n'être qu'un appéritif pour lui. Si tôt elle le mettait en colère, il ne ferait qu'une bouchée d'elle. Ses écailles de jais brillaient sous la lumière diffuse du soleil. Les autres devaient certaineemnt survoler les forêts. Un sortilège d'invisibilité les empêchaient d'être vus. La dernière chose qu'ils souhaitaient était de voir les Russes se préparer à l'attaque de bêtes cracheur de feu. Toute l'importance de cette attaque était la surprise.

Seulement, pour que ça marche, il fallait déjà qu'elle se saisisse de leur esprit et le tournent à son avantage. Et ce n'était pas gagné.

-Viens là, chuchota-t-elle en fléchissant légèrement ses genoux, tendant sa main droite pour le mettre en confiance.

Mais l'animal resta sur ses positions, toujours aussi mauvais. Cassiopeia soupira bruyamment et se redressa, plaquant des mèches de cheveux sur son crâne.

-J'en ai marre. J'abandonne.

-Il faut de la patience pour éduquer des animaux.

-C'est la raison pour laquelle je n'en ai jamais eu.

Il pencha la tête sur le côté et sourit d'un air idiot. Elle aurait voulu lui arracher son expression moqueuse et la donner à manger à la bête.

-Je n'ai jamais vu Cassiopeia Black abandonner avant ça.

-Je n'arrive pas à transpercer leur regard. La pellicule froide qui protège leurs yeux les protège aussi de moi. Et le touché reste exclu, puisque je ne peux même pas l'approcher de deux mètres.

-Tu ne peux pas l'ignorer pendant des mois puis te présenter la première fois et prétendre qu'il viendra en toute confiance vers toi.

Elle nota le reproche dans sa voix. Les mains sur les hanches, elle attendit le reste de son discours. Il ne se fit pas prier.

-C'est moi qui les ai élevé, Grindelwald m'en a chargé. Je les ai nourri, je les ai vu grandir, apprendre à voler. Les bêtes ne sont pas si différentes des humains. Un enfant nomme "papa" ou "maman" à celui qui a été à ses côtés depuis ses débuts. Le reste ne sont que des étrangers.

-Et maintenant que j'ai manqué ma chance ?

Il haussa les épaules.

-Tu pourrais me supplier à genoux de t'aider.

Sa mâchoire tomba. Il n'était pas sérieux. Si il l'était. Par Merlin, comment cet homme pouvait être aussi culotté ?

-Je n'ai besoin de l'aide de personne, trancha-t-elle.

-Comme tu voudras.

Il avait décidé de rester là, à la regarder, l'épaule appuyée contre le tronc d'arbre à attendre qu'elle appelle à sa miséricorde. Il ne bougerait pas de sa place, elle le savait. Pourtant, seule, ce dragon n'avancerait jamais jusqu'à elle. Et c'était frustrant de s'en rendre compte.

Elle avait besoin de toucher l'animal, sentir ses écailles entre ses doigts pour se glisser sous sa peau et pouvoir faire de lui ce qu'elle voulait. Elle retenta à plusieurs reprises l'approche, mais le dragon reculait toujours loin, évitant soigneusement les hauts pins. Ses ailes se déployaient sur les deux côtés, grandes de plusieures mètres. Carl semblait si confiant en leur présence, tout le contraire d'elle.

Elle fut forcée d'admettre que ses techniques ne l'emmèneraient à rien. L'agacement circula dans ses veines et elle frappa une pierre avec son pied. Le dragon se redressa brusquement, frappant sa patte contre la terre. Le sol trembla sous ses pieds.

-Que fait-il ? paniqua-t-elle.

-Il s'envole, répondit-il d'un air las.

Elle qui pensait que ses ailes étaient déjà déployées, quand il les étendit dans toute leur largeur, elle en eut le souffle coupée. Ce dragon était immense. Son cou se souleva dans l'air, détournant son attention d'elle. Soudain, l'air tournoya autour de lui et ses écailles battirent contre le vent. Les claquements produits par l'animal envahit ses tympans. Le corps de la bête s'éleva, puis sa patte frappa une dernière fois le sol et les battements l'éloignèrent. Bientôt, il ne devint qu'une tâche noir dans un ciel gris.

-Super, marmonna-t-elle.

Elle se retourna vers Carl, les poings serrés.

-Si tu m'avais aidée, cette maudite bête serait restée sous ma volonté.

-Si tu m'avais supplié, je t'aurais aidée.

Quelle réponse stupide.

-Maintenant je sais pourquoi tu n'as pas d'amis. Tu es ingrat.

Ses pupilles brillèrent soudainement. Il se replaça sur ses pieds, comme si ses mots l'avaient physiquement blessés. Elle se mordit la lèvre. Cela n'avait pas été son intention de le blesser. C'était juste une constatation : Carl était désespérement en recherche d'amitié mais n'en trouvait nul part. Cela se voyait dans son comportement. Dans ses mots. Cassiopeia voyait beaucoup de choses chez les personnes même si ils ne formulaient pas leur mal-être à voix haute.

-Je n'ai jamais eu d'amis parce qu'on ne m'a jamais permis d'en avoir.

Elle leva les yeux au ciel.

-Le discours traditionnel des enfants royaux.

-Cassiopeia.

Son nom avait été prononcé avec dureté. Il lui rappela la confiance qu'il avait en elle. Sa révélation sur les actes atroces de son père, sa justification sur son exil. Il s'était ouvert à elle. Bien sûr qu'elle s'en souvenait. Mais il lui avait parlé du traitement que son père lui réservait, pas de sa solitude en tant que prince.

Parce que, soyons honnêtes, dans chaque conte pour enfant, le prince était toujours ce personnage seul, triste et riche en soif d'aventure. Carl était la représentation même de ce stéréotype.

-J'ai passé ma scolarité à Dumstrang. Sais-tu comment c'est là-bas ?

Elle garda le silence, signe qu'elle n'en avait aucune idée.

-Dans cette école, nous n'avons pas d'amis. Seulement des rivaux. Quand quelqu'un te dédie une attention particulière, c'est parce qu'il a une idée derrière la tête. Tout le monde sert ses propres intérêts.

Il décrivait la réalité de la société, pas Dumstrang.

-Quand tu oublies que tu ne peux pas avoir d'amis, ils te le rappellent rapidement. Ainsi, tu ne peux pas prononcer le mot "trahison". Seulement "prudence". Certes, ils font de toi un guerrier. Ils modèlent ton esprit pour le transformer en bouclier. Mais ils oublient que les amis sont la plus grande source de réconfort qui puisse exister au monde.

-Ils peuvent être aussi une grande source de peine.

Carl fronça les sourcils.

-Quand ça ?

-Les amis sont loyaux. Et quand ils ne le sont plus, ils trahissent. La trahison fait mal.

Il assimila les concepts avec grand intérêt. Cassiopeia trouva cela presque triste qu'il ne sache pas de quoi elle parlait. À qui contait-il alors ses chagrins ? Sur qui comptait-il en cas problème ?

-J'ai une question, finit-il par dire.

-Je t'en prie.

-Dévoiles-tu tes faiblesses à un ami ?

Elle le dévisagea pendant de longues minutes, soupesant ses mots alors que ses pensées se mélangeaient. Il n'avait donc jamais eu d'ami. Même pas un. Il ne savait pas ce que c'était, il cherchait certainement à savoir quels sentiments s'accordaient à cette figure étrangère pour lui.

-C'est justement la raison pour laquelle il est ton ami.

Il avança alors de quelques pas, se retrouvant face à elle. Ses sourcils étaient froncés, sa bouche droite par la concentration.

-Je t'ai raconté mon histoire. Je t'ai laissé voir celui que je tente de cacher. Je me demande alors ce que l'on est.

Cette proximité l'étouffa. Il la fixait comme si elle était son rocher dans une mer agitée, comme si elle était la seule à pouvoir l'aider dans ses sentiments. Mais Cassiopeia n'avait pas l'habitude de se montrer aussi compréhensive. Normalement, c'était les autres qui tentaient de la comprendre, pas l'inverse. Elle, elle observait de loin, analysait, et se satisfaisait de cela sans chercher à régler les problèmes existenciels de chacun.

Jouer les altruistes l'ennuyait. Mais face à Carl, elle n'eut pas le coeur à lui tourner le dos. Il voulait vraiment savoir. Mettre un nom sur la relation qu'ils entretenaient. Juste ça.

-Nous sommes amis, déclara-t-elle d'une voix posée et peut-être même douce. Tu peux compter sur moi.

-Merci, souffla-t-il.

Elle lui adressa un bref sourire. Ce moment était bien mignon, mais il la mettait mal à l'aise. Elle recula, détournant son attention pour fixer le ciel. Peut-être qu'un autre dragon se déciderait à descendre pour qu'elle puisse retenter sa chance.

-Combien d'amis as-tu eu ?

-À Poudlard, beaucoup. Enfin, je ne sais pas vraiment s'ils étaient des amis, plus des camarades de classe je suppose.

-Je croyais que tu savais ce qu'était l'amitié.

-J'ai une meilleure amie, mais je ne sais pas si ça compte vraiment.

-De qui s'agit-il ?

Un petit sourire égaya son visage à sa pensée.

-Callidora, ma cousine. Je suppose que c'est plus facile d'avoir comme meilleure amie un membre de la famille, surtout quand on sait qu'elle fait partie de son chez-soi.

-Mais n'est-ce pas cela, un ami ? Un chez-soi ?

Sa gorge devint sèche. Sa tête tourna bruptement dans sa direction, considérant ses mots avec un grand sérieux. C'était la première fois qu'elle entendait une telle affirmation et elle trouvait cela... pure. Beau.

-Si. C'est ça.

Un grand cri aigu coupa leur échange. Une silhouette noire se débattait dans le ciel. Ses ailes battaient désespérement l'air mais son corps chutait. Cassiopeia sentit la panique remonter quand elle reconnut un de ses dragons se tordre sur lui-même, poussant une plainte d'agonie. Son corps se rapprochait dangeureusement du sol et elle se demanda s'il allait créer un cratère en aterrisant.

Heureusement, la bête réussi à ralentir sa chute et brisa deux arbres à son passage. Les dégâts produisirent un bruit sourd qui résonna dans la pleine. Ses ailes s'étalèrent sur la terre, il ouvrit la gueule de douleur, mais celle fois-ci, aucun son n'en sortit. Carl la dépassa et alla analyser son flan. Une pâleur extrême s'étendit sur son visage.

-C'est impossible, souffla-t-il.

-Quoi ?

-Quelqu'un lui a tiré une flèche.

Une flèche. Une arme. Quelqu'un savait. Connaître l'existence des créatures brisait le sort d'invisibilité. Qui s'amusait à foirer le moindre de leur plan ? Qui les trahissait chaque fois qu'ils en avaient l'occasion ? Des larmes de rages piqua ses yeux. Ce cauchemar ne s'arrêterait jamais.

-Non, arrêta-t-elle Carl quand il s'avança pour retirer la flèche. Je vais le faire.

Cette fois-ci, le dragon la laissa s'approcher. Ses lourdes paupières s'abaissaient petit à petit et son souffle se faisait plus rauque. Il était couché sur le côté, souffrant. Ses ailes servaient de couverture à son corps endolori. À proximité, elle enroula sa main autour du manche en bois de l'arme. Cette flèche était immense, lourde et pesante. Tirée depuis un scorpion, certainement. Le coup était donc planifié et voulu. Depuis combien de temps le traître avait-il répandu l'information ?

Elle tira sur la flèche dans un geste sec. L'animal se contracta et laissa échapper une énième plainte, mais il ne se retourna pas pour se défendre. Parce qu'au fond, il savait.

Elle était là pour l'aider.

-Tout doux, murmura-t-elle en s'avançant vers son énorme tête.

Sa plaie saignait mais elle ne pouvait rien faire pour l'arrêter. Elle connaissait des sorts pour soigner des humains, pas des animaux. Et ni Carl ni elle n'étaient magicozoologistes. Ses doigts caressèrent doucement les écailles du museaux. Ceux-ci frissonèrent à son passage.

Des pupilles oranges et glacés la dévisagèrent. Ils paraissaient fatigués. Sa gorge se noua et elle s'agenouilla près de la bête. Celle ci eut le temps de déplacer de quelque centimètre sa gueule. Un souffle chaud écarta ses narines. De son flan, un flux abaondant de sang abreuvait la terre.

-Ça va aller, dit-elle tout bas.

Elle caressait doucement les écailles, apaisant l'animal. Elle ne sut si cela fonctionnait. Peut-être que ses forces étaient trop manquantes pour s'éloigner, peut-être que la plaie l'empêchait de l'engloutir crue. Ce qui était sûr, c'était que ses yeux se fermaient petit à petit. Et si... non. Un dragon de cette envergure ne pouvait pas mourir aussi subitement. Il n'allait pas mourir, non ? Impossible.

-Carl, je...

Elle leva la tête vers le prince. Il l'observa avec une résignation désespérée. Il ne pouvait rien faire. C'était fini.

Comme ça. Si rapidement.

Le dragon ferma ses épaisses paupières et un dernier souffle fit voler quelques feuilles mortes.

-Non ! Réveille-toi ! Allez !

Elle frappa du plat de sa main ses écailles, tenta de secouer son énorme tête. Aucune réaction. Immobilité complète. Elle n'avait jamais été proche d'elle, mais c'était une belle créature, une bête qui aurait pu être sienne, une bête qui aurait pu apprendre à la connaître et l'accepter et la voir tout à coup... mourir sous ces yeux c'était...

-Par pitié.

Il n'y avait pas de pitié dans ce monde. On volait librement, profitant de l'air qui frappait notre peau, criant dans le ciel sans que personne ne puisse nous entendre, puis tout à coup, une flèche tranchait l'air et nous ôtait la vie.

Il n'y avait pas de raison à cela. Pas de justification valide. Juste le destin et son caprice. Juste la Mort. Toujours la Mort.

-Je l'avais appelé Black.

Elle tourna la tête vers Carl, son coeur se fragmentant à chaque respiration.

-Pour sa couleur ou pour moi ?

-Pour toi.

Était-ce un signe ?

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