XLII. 5 décembre 1942 - la fierté

-Washington est tombé, déclara sèchement Hyades en balançant le journal sur la table.

Cassiopeia croisa les bras, comme si la nouvelle ne relevait d'aucune importance. Son comportement ne fit qu'irriter la française.

-Emily Scott a été faite prisonnière. Son oncle est revenu d'Espagne pour la sortir de là mais il est mort dans la tentative. Je le connaissais. C'était un homme bien.

-Qui tient l'Espagne maintenant ?

-Est-ce vraiment important ? Il y a des milliers d'américains qui jonchent les rues de la capitale en cet instant même et tu...

-Ils jonchaient déjà les rues quand on était là-bas.

Ce n'était qu'un fait. Cassiopeia n'avait vu que des cadavres là-bas, aucune âme vivante. Ceux qui s'en étaient sortis indemnes s'étaient engagés dans l'armée. La guerre était là pour illustrer une des lois les plus cruelles de l'existence : les faibles mouraient et les plus forts se battaient. Emily Scott était le genre de femme à se montrer forte mais dont l'intérieur était aussi fragile qu'une porcelaine. Elle était peut-être douée pour réaliser un coup d'État, mais pas pour mener son pays dans une bataille.

-A-t-elle vraiment accepté notre retirement au moins ? demanda Hyades avec des yeux brûlants.

Cassiopeia souleva son menton, lui faisant face dans une attitude digne.

-Non.

-Génial ! s'exclama-t-elle sans aucune joie. Tu n'avais aucun droit de prendre cette décision seule ! Voilà où ça nous a conduit ! Les États-Unis étaient un pays membre de l'Alliance, sans eux nous sommes faibles !

-As-tu répondu quelque chose quand j'ai annoncé notre retour ? rétorqua Cassiopeia avec une grimace de colère.

-J'étais fatiguée, je n'ai pas pensé que...

-Eh bien moi aussi, j'étais fatiguée. Scott nous prenait pour ses jouets, elle se contrefichait de savoir si nous allions mourir d'épuisement.

Hyades plissa les yeux d'un air suspect.

-Je me demande quelle genre de conversation vous avez eu.

-Le genre qui ne sont pas agréables à entendre.

-Je vois. Donc si les États-Unis sont aujourd'hui la propriété des Russes, c'est uniquement parce que l'égo d'une Black a été blessé.

-Comment oses-tu...

-Les filles, les filles, s'éleva une voix masculine.

Cassiopeia tourna vivement la tête, les joues en feu. Grindelwald n'afficha aucun air contrit. Soit il n'était pas encore au courant, soit le sort de Emily Scott lui importait peu. Cygnus Black suivait son ombre.

-Monsieur, commença Hyades, la décision de se retirer a été prise par Cassio...

Il la coupa en levant sa main. Un simple geste. Le silence tomba comme une pierre. Le mâchoire de Hyades se contracta violemment.

-Je sais, Miss Duchesses. Lestrange m'a déjà tout dit.

Ses yeux bicolores se posèrent sur Cassiopeia. Elle n'en fut pas intimidée. Elle n'eut pas peur non plus, parce qu'elle était certaine d'avoir fait le bon choix. S'ils étaient restés une minutes de plus, ils seraient morts, et Grindelwald n'auraient eu plus aucune chance de gagner. Elle se demanda s'il était arrivé à la même conclusion.

-Le sort de Scott est bien regrettable. Mais d'après Perseus, les Russes semblaient s'acharner. Vous n'auriez pas pu les vaincre, au point où vous en étiez.

-Il lui suffisait de tous les tuer, murmura-t-elle.

Cassiopeia cligna plusieurs fois des yeux, déviant lentement son regard sur Hyades.

-Pardon ?

-J'ai dit, il te suffisait de tous les tuer, répéta-t-elle sur un ton tranchant.

Sa bouche devint sèche. Une boule de colère explosa dans sa poitrine.

-Je ne suis pas une maudite machine à tuer ! cria-t-elle en frappant la table avec le plat de sa main.

-Si, tu en es une ! C'est pour ça que tu es là, c'est pour ça que tout le monde parle de toi, c'est parce que tu tues aussi facilement que tu respires ! Réveille-toi, Black ! C'est ton unique raison de vivre !

Elle le savait. Mais elle détestait l'entendre. Et elle aurait étranglé Hyades avec ses propres mains si elle avait pu.

-Allez tous vous faire voir, cracha-t-elle, faute de pouvoir agir selon ses envies.

Grindelwald l'appela mais elle l'ignora et sortit de la pièce telle une tornade. Elle avait besoin de respirer. Prendre l'air, balayer d'une main tout ce qu'elle venait d'écouter, oublier, oui, tout simplement oublier.

"Vous étiez censée être une arme redoutable, Miss Black" lui avait dit Emily Scott.

Cassiopeia colla son dos contre le mur et enfouit son visage dans ses mains. Oublier, oublier, oublier, faire le vide, oublier. Elle inspira calmement, cherchant à contrôler le flux de magie qui courait dans ses veines. Des craquements du plancher lui firent faire un bond. Son père posa une main sur son bras, se tenant assez près pour que leur conversation reste privée. Sa présence l'apaisa. Enfin, sa respiration reprit un rythme normal.

Cygnus la contempla avec une préoccupation grandissante. Depuis son arrivée ici, ils n'étaient jamais arrivés à se voir plus de deux minutes, lui occupé à répondre aux lettres de Régulus et Pollux et elle engagée dans ses batailles. Sans parler des dragons et de ses vaines tentatives à s'introduire dans leur esprit, même s'ils étaient encore jeunes. Cela faisait des mois qu'elle n'était pas allée les voir par pur désespoir.

Auparavant, le savoir près d'elle l'angoissait. Elle avait toujours cherché à lui montrer sa meilleure version d'elle-même afin qu'il en soit fier. Mais en devenant adulte, elle avait trouvé cela stupide et superficiel. Il aurait pu l'aider dans bien des choses si elle avait eu l'audace de lui montrer ce qu'elle était vraiment. Un père était censé être un appui, il n'avait été qu'un miroir à reproduire jour après jour dans l'espoir d'entendre un seul "je suis fier de toi" sortir de sa bouche.

Mais ces mots n'étaient jamais venus et elle avait baissé les bras. Et aujourd'hui, pour la première fois peut-être, il la voyait faible. Noyée dans des tourments, brisée par la réalité. C'était ce qu'elle était vraiment, après tout. C'était la version d'elle qu'il avait mis au monde.

-Penses-tu que j'ai eu raison de me retirer ? finit-elle par demander, frissonnant toujours sous sa main posée.

-Qu'est-ce qui t'as conduite à prendre cette décision ? voulut-il savoir.

Analyser la situation et juger à partir du contexte, c'était ce qu'il lui avait appris à faire.

-Elle m'a manquée de respect.

-Alors tu as bien fait.

Elle soupira. Peut-être que son avis n'était pas si objectif que cela.

-Je ne sais plus quoi penser, avoua-t-elle. J'avance à l'aveuglette, je ne sais même pas ce que je fais.

Pourquoi lui racontait-elle tout cela ? Elle avait réservé ces mots à Perseus, parce qu'il aurait été le seule à la comprendre et pouvoir l'aider, mais voilà qu'elle les prononçait face à son père. Et en une seconde, elle redevint l'adolescente cherchant à briller devant lui, montrant la partie la plus solide d'elle-même quand derrière, tout s'écroulait.

-Je suis désolé de ne pas avoir été là quand tu avais besoin de moi.

Ses mots lui coupa le souffle. Elle ne s'était pas attendue à ça. Et son expression dut refléter ses pensées parce que quelque chose de douloureux s'agita dans ses pupilles.

-Je te vois dans cet état, reprit-il, dans cette situation, et je ne sais même pas comment tu en es arrivée là, alors que tu es ma fille. Parfois, j'ai l'impression d'entendre une étrangère parler.

Il lui broyait le coeur mais elle le laissa faire.

-Je ne sais pas ce qui s'est passé à partir de tes dix-sept ans. Je t'ai perdue. Je n'ai pas compris où tu te dirigeais alors je t'ai laissée divaguer, certain que tu saurais retrouver ton chemin. Mais à présent, je m'en veux de t'avoir laissée faire. Tu étais trop jeune pour avoir eu à vivre toutes ces choses.

-De quoi parlez-vous ? souffla-t-elle.

-J'ai appris que tu avais perdu un enfant. Je ne sais pas qui était le père et je n'ai pas voulu savoir. Puis je t'ai vu avec Lestrange, un homme marié, et je n'ai pas osé te faire la morale sur les risques d'être une maîtresse. Quand tu as passé toutes ces semaines dans la nature, quand personne ne savait où tu étais passée, je ne t'ai pas cherchée. J'ai été un lâche. Toutes les fois où j'aurais pu t'aider, je n'ai fait que jouer l'ignorant. Et je m'en veux, crois-moi.

-Je n'ai jamais laissé personne m'aider, rétorqua-t-elle en secouant vivement la tête. Vous n'auriez rien pu faire.

Elle ravala ses larmes, ravala ce passé qu'il venait d'évoquer, centrant son attention sur ses rides et ses quelques cheveux blancs pour ne pas craquer.

-Je suis ton père, Cassiopeia. C'est mon rôle de te protéger. J'ai failli à mon devoir, et la seule chose que je peux faire maintenant c'est m'en excuser.

Il ôta sa main de son bras pour la poser sur sa joue. Elle eut l'impression de fondre sous le contact. Jamais il ne l'avait touchée autrement que pour lui asséner des gifles.

-Je suis fier de ce que tu es devenue.

-Moi non, murmura-t-elle.

-Pourquoi ? Parce que tuer aussi facilement ne fait pas partie des valeurs humaines ? Parce qu'on te traite comme un monstre ?

Elle hocha légèrement la tête. Son visage devint grave.

-Alors tu ne vois pas ce que tu vois.

-Et que voyez-vous ?

-La représentation même des Black. À chacun de tes pas, le monde meurt sous tes pieds. On te craint. On t'admire. Tu es une héroïne pour les sang-purs, un monstre pour les impurs. Cassiopeia, tu es tout ce que notre famille a aspiré à être pendant des siècles.

Un élan de fierté traversa son corps. Elle n'avait jamais pensé à cela. Mais maintenant qu'il le disait, cela prenait sens.

-En Angleterre, les sorciers baissent le regard chaque fois que Régulus passe devant eux. L'unique raison qui les pousse à faire ça, c'est parce qu'il porte le même nom que toi. Quand tu étais petite, je t'ai appris à ne jamais penser qu'à tes propres intérêts, mais à ceux de ta famille. Puisque tu sembles avoir oublié cette leçon, je te la rappelle. Ton nom a plus d'importance que tu ne penses.

Il glissa un doigt sous son menton, le relevant avec douceur.

-Sois une Black. Sois forte. Pas seulement pour toi, mais aussi pour notre Maison.

Alors elle comprit que partout où elle se rendrait, sa propre personne ne serait rien.

***

Elle entra dans la chambre en pensant qu'il n'y avait personne mais eut la surprise d'y trouver Perseus, assis sur leur lit. Il ne l'avait pas entendu, alors elle resta immobile, silencieuse comme une tombe. Sa présence passa inaperçue. Son regard scrutait sa main, ou plutôt, ce qui restait de sa main. Son visage se fermait dans ce qu'elle perçut comme du dégoût.

Cela faisait deux ans qu'il vivait avec trois doigts à la main gauche, mais il ne semblait toujours pas l'accepter. Souvent, elle devait le forcer pour qu'il la touche, pour lui montrer que cela ne la gênait pas. Mais parfois, quand il s'emparait d'objets et qu'ils lui glissaient des mains, il se mettait à hurler de rage. Puis il passait des jours à regarder sa main comme si un asticot s'enroulait autour. Elle avait parlé à Grindelwald pour régler ce problème, mais il avait rétorqué que le moment était mal choisi et qu'ils avaient le futur entier pour lui créer de nouveaux doigts. Sa réponse lui avait fait comprendre une chose : leur bien-être était le cadet de ses soucis.

Elle entrouvrit la porte, annonçant son arrivée. Comme s'il s'agissait d'un réflexe, il retira sa main et l'appuya derrière lui, la cachant de sa vue. Le sourire qu'il lui dédia lui sembla tout à coup faux.

-Qu'est-ce que tu faisais ? demanda-t-elle en refermant la porte derrière elle.

-Je t'attendais.

-Pour quoi ?

Il haussa les épaules.

-Être avec toi.

Elle laissa échapper un petit rire et, en quelques secondes, termina assise à califourchon sur ses cuisses, ses lèvres ne faisant qu'un avec les siennes et ses mains s'aventurant sur son torse. Il était ce dont elle avait besoin maintenant. Après la discussion avec son père, elle s'était sentie vide et encore plus perdue qu'avant. Perseus était sa lumière. Son chemin. Quoi qu'elle décide de faire, il serait sa voie d'échappatoire.

Elle étendit son bras pour attraper son poignet. Au début, il se laissa faire, puis quand elle chercha à enlacer ses doigts dans les siens, il retira brusquement sa main.

-Qu'est-ce que tu fais ?

Elle eut du mal à reprendre sa respiration après leur baiser.

-Je fais ce que je faisais avant, se défendit-elle.

-Si ça s'appelle "avant", c'est pour une raison.

Sa voix était tranchante, dénuée de douceur. Sa réaction la surprit.

-C'est quoi le problème ?

-Le problème, c'est que tu insistes toujours pour prendre cette main en particulier quand tu es près de moi.

-Parce que je veux que tu me touches avec, souffla-t-elle doucement dans l'espoir qu'il reprenne son calme.

Son regard brilla d'incertitude. Comme pour illustrer ses propos, elle s'empara une nouvelle fois de son poignet et l'attira contre sa poitrine, posant sa main à plat sur son sein. Il ferma les yeux, inhalant avec difficulté.

-Touche-moi, le supplia-t-elle.

Elle n'en avait rien à faire de ses deux doigts manquants. Elle s'était habituée avec le temps, il n'y avait que lui qui y voyait encore un problème. Quand il retira son contact, elle crut que c'était pour refuser, mais elle sentit aussitôt la fermeture éclair dans son dos glisser le long de sa colonne vertébrale. Sa peau nue entra en contact avec l'air humide du château. Sa main revint sur sa proie et malaxa son sein. Il avança son visage, posa sa langue sur l'épiderme et la mordit légèrement. Cassiopeia hoqueta.

-Veux-tu vraiment que je te touche ?

-Oui, répondit-elle dans un souffle.

Elle n'eut pas la force de le dire plus fort. Mais il saisit sa réponse et dessina un rictus malicieux. Le revoir ainsi la soulagea. Quand il se fermait et qu'il répondait sèchement, il n'était pas lui-même. Perseus Lestrange était celui qui lui glissait des promesses douces à l'oreille, qui lui déposait des baisers sur son corps pendant la nuit, qui s'assurait qu'à chaque minute, à chaque seconde, elle allait bien. Il n'y avait qu'elle qui connaissait cette version de lui, et un instant, elle avait eu l'impression de le perdre.

Mais non. Il était toujours là.

Ses yeux s'aggrandirent quand son index toucha sa partie sensible. La tête relevé, il attendait sa réaction, cherchant à savoir si oui ou non il pouvait aller plus loin.

-Fais-le, lui ordonna-t-elle.

Il introduisit un doigt en elle. Elle sursauta, sentant le bas de son ventre se retourner. Quand il commença ses vas-et-viens, elle eut du mal à contenir son plaisir. Sa bouche s'ouvrit sur un gémissement silencieux. Il l'observait en souriant, fier de lui offrir autant de jouissance.

Il enfonça son doigt plus profondément, la faisant glapir. Elle colla son corps contre lui, le dos tendu comme un arc. Ses hanches commencèrent à reproduir des ondulations et elle sentit quelque chose de dur se former entre ses jambes. Un rire franchit ses lèvres.

-Je crois qu'il est temps pour nous de passer aux choses sérieuses.

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