XL. 2 juin 1941 - le retour

Les yeux du Prince continuaient de la fixer d'un air vide, même dans son imagination. Elle secoua la tête et se concentra sur les marches de pierres à moitié démolies qui enroulaient la colline du Château de Nurmengard. C'était fait. Se lamenter sur son geste ne changerait à rien à la dure réalité : le Prince du Danemark était mort, sa mère avait déclaré l'affront direct avec l'Angleterre et la guerre grondait. Et comme ils devaient récupérer la confiance de Grindelwald, Cassiopeia allait devoir s'expliquer face au mage noir pour le convaincre qu'elle n'était pas une traîtresse.

Rentrer dans la forteresse vivante relèverait d'un miracle.

Pour une raison inconnue, elle n'avait pas soufflé mot de tout ça à Perseus. Il était fatigué et irritable, elle préférait ne pas empirer son état. Si elle revenait auprès de Grindelwald, c'était cependant pour prendre soin de lui, qu'il récupère de ses deux mois de captivité.

Même si, en réalité, tout le monde le croyait mort.

Carl se fit reconnaître du portail, son sac pendant à son épaule. Les battants épais s'ouvrirent dans un grincement. Il ne lui avait pas parlé depuis leur départ du Danemark. Elle ne savait pas s'il lui en voulait ou non. Lui et son frère n'avaient pas l'air de s'entendre bien, de toute manière. Ce fut la constatation qui la rassura.

Ils n'avaient pas non plus parlé du sortilège de la mort qu'elle s'était reçue en plein dos. Ce silence ne l'apaisa pas. Parfois, elle se disait qu'elle l'avait peut-être rêvé.

L'entrée du Château s'ouvrit sur Hyades. La jeune femme apparut avec un sourire satisfait plaqué sur le visage, l'attention posé directement sur Carl.

-As-tu les oeufs ?

Il hocha la tête. Ce fut à cet instant qu'elle remarqua les deux autres présences. Son sourire s'évanouit et sa baguette fut pointée sur eux. Perseus réalisa un pas en arrière, surpris.

-Sale traîtresse, cracha la française. Comment oses-tu revenir ici ?

-Traîtresse ? répéta Perseus.

Doliona apparut derrière sa soeur, d'un naturel plus furtif et discret.

-Je te croyais mort, Lestrange, dit-elle simplement.

Il tourna sa tête dans la direction de Cassiopeia, en recherche d'explication. L'expression de la Black demeura aussi fermé que les rochers de cette colline. Ce n'était pas à elles qu'elle devait des expliquations.

-Bon, moi je passe, grogna Carl en se frayant un passage entre les deux soeurs.

Il ne jeta même pas un regard en arrière. Il se fichait bien de savoir si on allait la laisser passer ou pas. Son attitude la révolta, puis elle se souvint qu'elle venait d'assassiner son frère.

-Je ne vous ai jamais trahi, essaya-t-elle en rien certaine que ces paroles allaient les convaincre.

-Oh si. Nous et ta famille. Je pensais que les Black prônaient la loyauté familiale.

-C'est ce que j'ai fait.

-En cherchant à assassiner ta soeur et ta cousine ?

Le regard de Perseus la brûla. Il savait que les Russes l'utilisaient comme moyen de pression pour la forcer à faire certaines choses, seulement, il ne savait pas quelles choses. Il ne se doutait pas que ses deux doigts lui avait été ôté en échange de la vie de Callidora et Harfang. Il n'était pas au courant pour la dague. Mais avec les propos de Hyades, il penserait certainement qu'elle l'avait vraiment fait.

Ne pas pouvoir s'expliquer en moins de cinq minutes l'enragea.

-Laissez-moi passer, je veux voir Grindelwald.

-Au grand jamais tu ne poseras les pieds dans ce château, riposta-t-elle.

-Je pourrais te tordre ta cerv...

-Cassiopeia.

Cette voix. Cet homme. Cygnus Black fut la surprise de la journée. Face à son père, ses mots s'étranglèrent dans sa gorge. Elle ne s'était pas préparée à un affront avec un des siens, encore moins avec les accusations qui pesaient sur ses épaules. Il avait été prévu qu'il la rejoigne, mais pas aussi tôt. Pas maintenant.

-Père, je...

-Je te connais, la coupa-t-il. Je sais que pour toi, rien n'a de plus grande valeur que notre famille.

Ses yeux s'attardèrent sur Perseus.

-Je suis du même avis que Callidora. Tu dois certainement avoir tes raisons, et j'ai hâte de les entendre.

Le soulagement traversa son corps. Hyades baissa sa baguette, n'osant s'opposer au jugement d'un homme aussi important que Cygnus Black.

-Merci, Père.

Elle passa à côté de lui sans effusion, sans larmes de joie. Les rapports froids étaient la spécialité des Black. Mais tout se transmettait par le regard. Et par le regard, il sut qu'il entendrait bel et bien des raisons. Et des bonnes.

Grindelwald voulut immédiatement la recevoir dans son bureau. Il contenait sa rage avec peine, s'efforçant de l'écouter plutôt que de lui rappeler son pouvoir sur elle. Toute l'histoire se déversa sur ses lèvres, de la trahison chez les Vladic au meutre du Prince. Pourquoi c'était sa dague qui avait été utilisé pour tuer Dorea, pourquoi elle avait tué des Aurors au Ministère Bulgare. Son père se cachait dans l'ombre, attentif à la moindre parole. Quand elle eut terminé son récit, la seule chose qu'il prononça fut :

-Tu es trop intelligente pour utiliser ta propre arme dans une tentative de meurtre.

C'était certainement le détail qui l'avait retenu dans son accusation.

Grindelwald, quant à lui, demeura songeur.

-Je ne vois pas qui pourrait vous avoir trahi, déclara-t-il.

C'était évidemment ce qui le préoccupait le plus. Cassiopeia avait écarté toutes les possibilités, jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'une. Elle hésita avant de partager sa théorie. Il pourrait mal le prendre.

-J'ai pensé que Vinda ser...

-Non.

Son père plissa les yeux, trouvant son observation pertinente. Mais le jugement de son père n'était pas objectif. Comme tous les Black, il accuserait les Rosiers dès la première opportunité. Cependant, elle aussi était une Black, et Grindelwald prenait son accusation comme une rancune appliquée à la vengeance.

-J'ai assez entendu de bêtises pour aujourd'hui, grimaça-t-il.

-On ne changera pas la nature des Rosiers, insista-t-elle. Vinda a appris à placer les intérêts de sa famille en premier, comme tous les sang-purs de...

-Vinda n'a plus de famille, dit-il d'un ton sans appel. Elle n'a que moi.

Un rictus mauvais accompagna ses paroles. Déconcertée, elle se garda d'exprimer son argument. Il avait raison. Vinda n'avait plus rien, plus de raison de se battre à part la sienne. Le trahir était alors impensable, bien qu'il soit facile de pointer son doigt sur elle en tant qu'ennemie des Black.

-Si vous le dites.

Elle lui adressa un bref hochement de tête avant de sortir de la salle. Son père resta à l'intérieur. S'il avait des choses à lui dire, il saurait où la trouver. Perseus occupant la salle de bain depuis une bonne heure, elle ne trouva comme refuge que la salle commune. Carl se tenait droit près de la fenêtre, faisant tourner entre ses doigts un anneau d'argent. Ils ne s'étaient pas adressés la paroles depuis deux jours, mais elle songea qu'il s'agissait peut-être d'un moment pour se lancer.

-Je suis désolée.

Elle eut l'impression de parler face à un mur. Il n'eut aucune réaction, aucune parole à lui fournir. Elle se fit violence pour ne pas lire dans ses pensées.

-Sais-tu pourquoi il me haïssait autant ? dit-il après plusieurs minutes de silence.

-Non, répondit-elle doucement.

Elle s'approcha pour qu'il se sente écouté et qu'il s'ouvre à elle. Ce qu'il fit.

-J'avais seize ans quand mon père était encore roi. Il était un tyran, un corps sans âme, vide comme une coquille de noix. Il rendait la justice comme il le pensait, en favorisant les riches et condamnant à mort les pauvres. À moi, quand il considérait que mes résultats à Dumstrang n'étaient pas assez haut, il me battait. J'étais jeune. Je pensais que c'était ce qu'un père devait faire afin d'éduquer correctement ses fils.

Il prit une longue inspiration.

-À mon frère cadet, Anthonin, il ne s'en préoccupait guère. Il n'était pas l'héritier du trône, il ne valait rien. Les années ont passé et j'ai fait plusieurs connaissance à Dumstrang. Des sang-purs issus de familles respectables, des fils épanouis, sans problème. Quand ils ont vu les cicatrices sur mon dos, ils m'ont demandé d'où cela venait.

Il laissa échapper un rire sans joie.

-Et moi qui pensais que tous les garçons avaient ça sur leur peau.

Ce fut douloureux de l'entendre dire ça avec autant de haine. Comme s'il se détestait lui-même d'avoir été si naïf.

-La figure autoritaire et royale de mon père s'est alors effritée. Il est devenu le monarque absolu hideux et mauvais que le reste de la noblesse voyait. Mon frère lui, était encore en âge de le voir comme un héros. Et après tout, qui lui aurait prouvé le contraire ? Ce n'était pas lui que notre père frappait. Il ne connaissait pas la douleur.

Son poing se ferma autour de l'anneau.

-Un jour, il m'a convoqué dans la salle du trône, a montré la couronne du doigt et a dit "tu dois mériter ton titre de roi". Il m'a ordonné de tuer. La prostitution était interdite à cette époque au Danemark, et la jeune fille face à moi avait eu la malchance de se faire prendre. Mais quand j'ai vu l'état de ses vêtements, quand je l'ai entendue me supplier, j'ai compris. Pour manger, elle avait dû se vendre. Et j'ai trouvé cela injuste. Quand il m'a ordonné de lever ma baguette vers elle, je l'ai fait, j'ai enduré ses supplications, durant des minutes entières. Mais je n'ai pas été capable de prononcer le sort de la mort. "Trop faible", a-t-il dit.

Ses paupières se fermèrent.

-Sa remarque m'a énervé. Je me suis retourné et je l'ai tué.

Cassiopeia garda le silence, bien trop horrifiée pour prononcer un seul mot. Pas parce qu'elle le considérait comme un assassin, mais plutôt pour la soudaineté de son geste.

-Je voulais juste lui montrer que j'étais assez fort pour être roi.

Mais pour cela, il avait tué la mauvaise personne.

-Tu connais la suite, continua-t-il. Ma mère a hurlé de fureur et a demandé ma mise à mort. Mais elle n'était même pas Reine à l'époque, et le Conseil a préféré l'exil. J'ai passé des années en pays étranger, à tenter de rallier des gouvernements à ma cause. J'ai aidé les Scott à occuper le Congrès américains, les Givenni à se venger du massacre de leur famille. J'ai servi beaucoup d'intérêts. Et en échange, qu'ai-je obtenu ? Rien. On m'a promis la couronne. Aujourd'hui, j'ai trente ans et je l'attends toujours.

Elle posa une main sur son bras.

-Dis toi que tout ce que tu voulais, c'était la justice.

-Mais est-ce que servir une bonne cause a servi à quelque chose ?

-À assurer une tranquilité à ton âme.

-C'est anodin.

-Non. Crois-moi, ressasser les mêmes regrets jour après jour n'a rien d'anodin. Pense à ce qui se serait produit si tu avais tué cette fille. La couronne aurait été posée sur ta tête, certes, mais le sang l'aurait tâchée. Elle ne méritait pas ce sort et tu le savais.

-Il était mon père, souffla-t-il.

À cela, elle n'eut rien à répondre.

-Mon frère m'a haï après ça, et ma mère a fait en sorte d'entretenir sa rancune. J'avais pour intention lui expliquer ma version des faits. Peut-être que, adulte, il aurait fait l'effort de comprendre.

-Non, Carl. Il ne t'aurait pas écouté. Certaines personnes redoutent la réalité. Je ne le connaissais pas, mais le peu de temps que je l'ai vu m'a suffit pour me faire une idée de qui il était vraiment.

-Je sais. Il a voulu tué Perseus, il aurait pu te tuer toi. Si ça n'est pas arrivé, c'est uniquement parce que la Mortemencie te maintient en vie.

-Ou alors c'est parce que je suis déjà morte de l'intérieur.

Il la dévisagea. Pour elle, il s'agissait de la seule raison pour laquelle le sort ne l'avait pas atteinte. Mais il secoua la tête, les sourcils froncés.

-Si tu étais morte de l'intérieur, je ne me sentirais pas aussi bien avec toi.

Elle sourit. C'était la première fois qu'il s'exprimait positivement à son égard.

-Merci pour m'avoir aidé, déclara-t-elle après un bref instant silencieux. Tu n'avais rien à gagner en me conduisant jusque là-bas, et pourtant, tu l'as fait.

-Mets ça sur le compte de la sympathie que j'ai pour toi.

Elle ne put retenir un rire.

-Tu m'en voie flattée.

Soudain, il effleura sa main et osa la glisser dans la sienne. Elle ne la retira pas, parce que le fond de son geste était plus qu'évident : il cherchait seulement un contact. Une présence. Quelque chose qui lui permette de garder la raison et ne pas s'abandonner à son chaos intérieur. Elle ne lisait pas dans son esprit, mais certaines choses se comprenaient sans effort.

-Merci à toi pour m'avoir écouté. Tu es la première à qui je raconte cette histoire, et la première à ne pas me juger.

"Parce que j’ai fait pire", fut-elle tentée de répondre.

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