XIV. 16 juin 1940 - la roumanie
Douze sorciers.
Tous morts sur le coup.
Arcturus se tenait debout devant la rue du Square Grimmaud, les mains dans son dos. Son regard parcourait les victimes les unes après les autres. Endormies. C'était ce qu'elles avaient l'air d'être.
Les Aurors attendaient son signal pour nettoyer le lieu. Les passants s'étaient arrêtés au fur et à mesure pour contempler les dégâts. Des cris d'horreur commençaient à s'entendre. Personne ne savait d'où cela venait. On accusait Grindelwald, mais les soupçons ne duraient pas. Sept des sorciers touchés étaient des sang-mêlés provenant de familles respectables. Il y avait deux enfants. Trois adolescents. Grindelwald ne se risquerait jamais de toucher à des personnes si jeunes. Il était téméraire mais pas idiot.
-On a retrouvé ça, annonça Elsa Prickley en arrivant à la hauteur du Ministre.
Arcturus prit l'objet des mains. Un sac. Il l'ouvrit et sortit un tissu. C'était une longue robe noire aux manches faites de dentelles. Alors il comprit. Il sut à qui cela appartenait. Et en détournant son attention sur les victimes, tout s'emboîta.
-Où l'avez-vous trouvé ?
-Juste devant la porte de la demeure Black.
Il fourra de nouveau la robe dans le sac et le referma, tout en le gardant près de lui. Ses yeux se perdirent dans la forêt qui esquissait son début des kilomètres plus loin.
-Cassiopeia, où es-tu passée ? murmura-t-il pour lui-même.
***
Régulus attendait patiemment devant les grandes portes de la Salle du Conseil Roumain. Son costume était chargé par ses emblèmes en métal et les chaînes qui les reliaient. D'un geste nerveux, il trituraient les bagues qu'il portait aux mains. Son pouce caressa les joyaux avec délicatesse. Il tourna la tête sur le côté d'un air impatient.
Lycoris venait de réapparaître. Son visage portait une expression qu'il ne sut reconnaître mais qui n'annonçait rien de bon. Le messager était vraiment tombé au mauvais moment. Régulus devait rester concentré sur sa tâche. S'il ratait son entretien, la Roumanie deviendrait leur ennemi. Une armée de plus à combattre.
Sa soeur se plaça derrière lui et avança ses lèvres près de son oreille.
-Cassiopeia a disparu, murmura-t-elle. Elle a laissé douze sorciers morts derrière elle.
Sa gorge se noua. Il savait qu'un jour, cela allait arriver. Sa cousine avait été sur le bord du précipice pendant trop longtemps. Elle avait lutté pour retenir sa chute, mais aujourd'hui, elle était tombée.
-Tu crois qu'on devrait rentrer après ? demanda-t-elle.
-Non. Je fais confiance à Arcturus pour gérer la situation. Cassiopeia finira par revenir.
Il lui présenta son bras, imposant le point final à la conversation. Retourner en Angleterre ne servirait à rien. Cassiopeia avait besoin d'espace. Ce n'est qu'ainsi qu'elle apprendrait à apprivoiser sa magie. La laisser apprendre seule était la meilleure chose à faire pour l'instant. Lycoris ne protesta pas et passa son bras sous le sien.
-Je m'inquiète pour elle.
-Elle sait ce qu'elle fait.
Ou du moins, elle était capable de s'en sortir toute seule. Lycoris hocha la tête, même si la conviction restait absente. Régulus réalisa un mouvement de tête en direction du garde de l'entrée. Les grandes portes produisirent un lourd bruit quand elles s'ouvrirent. Ce fut comme si le monde rechignait à le laisser entrer.
À l'intérieur, le Ministre Roumain l'attendait. Aussi raide qu'un morceau de bois, il était entouré de trois de ses conseillers. Sa moustache trémoussa quand il posa ses yeux sur sa soeur. Il ne parut pas très heureux de voir une femme s'imiscer dans leurs affaires.
-Je vous souhaite la bienvenu, les accueilla-t-il avec un sourire forcé et un anglais couvert par un accent étranger.
Il ne lui tendit pas la main. Il n'osa mˆeme pas le regarder trop longtemps. Comme si ses yeux le brûlaient. Les conseillers, cependant, le détaillèrent attentivement. Une lueur d'appréhension s'agitait dans leurs pupilles. Régulus cacha sa fierté. Sa figure représentait l'Angleterre, et l'Angleterre les éblouissait.
-Votre venue m'a surpris, commença le Ministre Roumain.
Non, elle ne le suprenait pas. Il le voyait. Il le sentait. Constantin Flondor empestait la peur.
-Je ne cherche rien de plus qu'un allié, le rassura-t-il.
-Pour quoi faire ?
-Ce que nous aurions du faire depuis le début.
Flondor savait de quoi il parlait. Ce fut sûrement cette raison qui l'empêcha de poser la question. Grindelwald ne sévissait pas seulement en Europe mais dans le monde entier. Les Américains ne tarderaient pas à s'allier à leur cause. La présidente du Congrès magique, Picquery, était tombée après le coup d'état des Scott, ce qui avait glacé le monde entier.
-Une guerre n'est pas nécessaire, tenta Flondor.
-La guerre est le seul moyen grâce auxquel nous, sorciers, pourrons reprendre nos droits.
Les conseillers, sur le côté, s'agitèrent. Des regards mauvais circulaient. Flondor, quant à lui, paraissait gêné.
-Monsieur Black, prononça-t-il en joignant les mains dans son dos.
Régulus haussa un sourcil, attendant la suite.
-Êtes-vous au courant que Grindelwald vous utilise ? demanda-t-il.
Sa soeur réagit avant lui. Son rire plongea Flondor dans une colère froide. Un énorme sourire étira les lèvres de Lycoris. Elle retira son bras de celui de son frère et fit deux pas en direction du Ministre, se tenant assez près pour pouvoir lui parler sans être entendue. Mais là n'était pas son intention. De sa main gantée, elle caressa son épaule et le dévisagea de côté, avec un air déterminé et amusé à la fois. Régulus n'intervint pas ; il avait confiance en elle.
-Vous avez prononcé mal notre nom.
Le Ministre se raidit. Il ne la regardait pas. En fait, plus il évitait leurs yeux, et mieux il se sentait.
-On ne dit pas "Blak". On dit "Back". On allonge le "a" et on donne une petite note de douceur au dernier son.
Flondor serra la mâchoire. Son petit jeu l'agaçait, mais il ne trouva pas le courage de la repousser. Pas alors que son frère jetait un regard noir sur lui. Il se sentait pris au piège, asphyxié.
-Black, répéta-t-il à contrecoeur.
-C'est mieux. Maintenant que vous savez bien le dire, sachez une chose. Ce nom est le plus craint d'Europe. Notre famille a fait d'un Ministre comme vous un pauvre pantin désarticulé.
Ses mouvements se suspendaient dans l'air, et le temps semblait s'arrêter chaque fois qu'elle clignait des yeux. Son index se déposa en dessus de l'oeil de Flondor et traça un trait le long de sa joue. Le chemin que prendrait une larme.
-Qui nous empêcherait de faire la même chose avec vous ?
-Je ne veux pas me faire d'ennemi, riposta Flondor avec des difficultés pour maôtriser sa voix.
-Nous non plus, sourit Régulus. Mais la guerre est imminente. Chacun va devoir choisir son camp.
Lycoris, même si elle ne parlait plus, resta à côté de lui. Elle le tenait entre ses griffes et s'assurait qu'il ne s'échappe pas.
-Les Duchesses de France, reprit-il, les Muller d'Allemagne et les Scott des États-Unis sont avec nous. Les italiens suivent le mouvement et l'aristocratie espagnole et portugaise ne tardera pas non plus. Rejoignez-nous, et votre armée demeurera sauve.
-Mon armée, oui, mais mon peuple ?
-Le peuple magique sera protégé.
-Pas tous, non.
Pas tous, il avait raison. Mais là était l'objectif principal de leur lutte. Purifier les lignées, ramener la race des sorciers à leur place afin qu'ils puissent briller. Être libres. Cette guerre revendiquait en premier lieu la liberté.
-Réfléchissez bien à notre proposition. Si vous acceptez, nous vous accepterons parmi les notres. Si vous refusez...
Il mouilla ses lèvres. Une lueur dansa dans ses pupilles et ses mains se croisèrent devant lui. Un sourire satisfait venait de se loger dans la commissure de ses lèvres.
-Nous vous déclarerons la guerre.
***
Manoir des Rosiers
La porte du salon s'entrouvrit, laissant apparaître une femme de grande taille, les cheveux joints en un chignon bas et les traits gravés dans une expression austère. Le feu était éteint ; une fraîcheur hostile flottait au dessus du sol. Cependant, devant l'énorme cheminée aux pierres scultés, une figure s'imposait. Il ne se tourna pas vers l'intruse. Il savait déjà de qui il s'agissait.
-Ma chère Vinda.
Sa voix flotta jusqu'aux oreilles de la femme. Elle s'avança au milieu de la salle dans un silence inhospitalier. Sous le poids de ses pas, le plancher craqua. Cela faisait des années que la demeure était restée à l'abandon. Les végétaux commençaient à grimper sur la façade, les tapisseries avaient moisies par le temps, dévoilées au froid et aux caprices de la météo. Vinda balaya la pièce du regard, presque déçue de la voir dans un si piteux état.
-J'espère que ces années d'exil ont pu contribuer à ton deuil.
Elle retourna son attention sur la sihouette. Sa voix traînait dans l'air, menaçante et mystérieuse à la fois. Cela faisait si longtemps qu'elle ne l'avait pas écouté.
-En quelques sortes.
Se lamanter sur ses frères avait été la dernière de ses préoccupations. La mort les avait emportés, et pleurer sur leur sort n'allait rien arranger. En revanche, éduquer leurs enfants selon les traditions familiales était bien plus important.
-Je suis heureux de te revoir à mes côtés.
La lumière de la pleine lune illumina la moitié de son visage. Son oeil blanc s'enfonça si profondément en elle qu'elle eut l'impression d'être poignardée en plein coeur. Il ne pouvait pas lui en vouloir. C'était lui qui lui avait ordonné de partir, alors elle avait obéit, parce que c'était ce qu'elle savait faire de mieux. Obéir à plus haut que soi et se taire. Tel que son père lui avait enseigné.
-Plaisir partagé, monsieur, répondit-elle doucement avec son accent français.
Elle ne transmit aucune émotion à travers le regard. Vinda Rosier était un bloc de glace. Tout restait prisonnier à l'intérieur.
-Es-tu prête à te battre pour moi, Vinda ? demanda-t-il en s'approchant d'elle, un air inquisiteur enflammant ses pupilles.
-J'ai toujours été prête.
Quand il posa une main sur son épaule, elle tressauta. Le bloc de glace se mettait à trembler.
-Il y a certaines choses auxquelles tu devras t'adapter, cependant.
Elle pencha la tête sur le côté.
-Vois-tu, reprit-il, j'ai décidé d'agrandir mon cercle de fidèle. Certaines personnes, ici en Angleterre, sont douées. Et je les veux. Ils sont nécessaires pour gagner cette guerre.
Elle se raidit. Ses mots empestaient la mauvaise nouvelle.
-Qui ? demanda-t-elle d'une voix froide.
-Perseus Lestrange.
Aucune réaction ne surgit après la prononciation de ce nom, mais Grindelwald aperçut nettement la colère froide qui malmenait les pupilles de Vinda. Néanmoins, elle se garda de remarques. Elle acceptait ce qu'il lui disait. Et elle se plierait devant tout ce qu'il lui demanderait. Non pas par obligation, mais parce qu'elle était celle qui servait sa cause avec autant de ferveur que lui.
Elle vit qu'il n'avait pas fini, alors elle laissa passer un silence.
-Et Cassiopeia Black.
Cette fois-ci, ce fut trop. Elle fit un pas en arrière, blessée par le seul son de ce nom. Rien ne pouvait la rapprocher de ce personnage. Cassiopeia était le démon incarné, elle avait réduit la Maison Rosier en miettes. Pas qu'elle ait peur d'elle, au contraire. Si ses yeux se posaient une seule fois sur elle, elle la détruirait. Elle se le promit.
-Cassiopeia possède le don de la Mortemencie, continua-t-il, tentant de la convaincre. Elle est la clef qui nous ouvrira la porte du chemin de la victoire. Aie confiance en moi.
Mais Vinda n'était pas assez dupe pour se laisser faire par quatre mots prononcés avec bienveillance.
-Je refuse de m'associer avec elle, trancha-t-elle.
-Vinda, ma belle Vinda.
Son pouce vint trouver sa mâchoire qu'il caressa doucement. Encore une fois, elle tressauta. Son regard se plongea dans le sien. Il n'y eut plus aucune séparation de glace. Elle le suppliait silencieusement.
-La guerre commence, et nous devons tous faire des sacrifices. J'ai besoin de toi comme j'ai besoin d'elle.
Elle déglutit bruyamment quand il arrêta les gestes répétitifs de son pouce contre sa peau. Il demeura ainsi, le bras levé vers elle, la touchant délicatement, telle la cueillette légère d'une rose pleine d'épines.
-Me fais-tu confiance ?
Cette fois-ci, il ne le lui ordonnait pas. Il lui demandait. La confiance était une chose que Vinda accordait avec difficulté, et Grindelwald la possédait depuis plus longtemps qu'il ne le croyait. Elle hocha la tête. Bien sûr qu'elle lui faisait confiance.
Il baissa son bras et présenta sa main.
Alors, aveuglée par le désir de briller à ses côtés, elle lui donna la sienne.
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