XIII. 15 juin 1940 - le cri
Aujourd'hui, l'Ancienne n'était pas venue. Et c'était tant mieux.
Assise dans la bibliothèque, elle observait le feu. Les flammes grandissaient et mouraient comme si elles représentaient la vie à vitesse grand V. Cassiopeia se trouvait plutôt dans la phase de "mourir". Celle où les flammes descendaient, descendaient jusqu'à disparaître. Son corps portait les marques des coups, des blessures répétées. Mais le pire restait intérieur.
Son âme était une bouteille en verre qu'on venait d'éclater au sol.
-Tu te sens bien ?
Elle releva la tête. Emma l'observait derrière son livre, attentive à sa réaction. Cassiopeia la trouvait gentille. Elle l'acceptait sous son toit même si elle savait qu'elle lui volait son mari. Perseus ne se rendait jamais dans sa chambre le soir, par pur respect, mais il le faisait parfois la journée, quand il ne travaillait pas. Et elle le savait parfaitement.
-Ça va, mentit-elle.
Emma hocha la tête, en rien convaincue. Elle reporta son regard sur son livre, mais au bout de deux minutes, elle n'avait pas tourné la page et ses yeux restaient fixés sur le même point. Cassiopeia en fut amusée. Une mèche de cheveux blonde tomba devant son nez. Ses sourcils se froncèrent. Puis ce fut à son tour de relever la tête.
-Je n'arrive pas à me concentrer quand quelqu'un me regarde comme ça.
-Pardon, gloussa la blonde.
-Pourquoi fais-tu ça ?
Cassiopeia prit une courte pause. Elle tenta de comprendre à quoi elle faisait référence, mais ce fut vain.
-Faire quoi ?
-Déstabiliser les gens.
Ah bon. Elle déstabilisait les gens maintenant. C'était nouveau, parce que personne ne lui avait dit ça auparavant. Ou peut-être que personne n'avait osé.
-C'est à dire ?
-Je ne sais pas. Ton regard est déstabilisant.
Puis elle préféra garder son attention sur son livre. Cassiopeia ne sut que répondre. Peut-être qu'elle trouvait son regard déstabilisant parce qu'elle y trouvait une gêne. Peut-être que le simple fait de la regarder la déstabilisait. Peut-être que derrière son sentiment se cachaient des milliers de pensées.
Elle sourit à ça.
-Te souviens-tu de la discussion qu'on a eu chez Monsieur Guipure ?
Emma marmonna quelque chose en même temps que ses joues rosissaient. Bien sûr qu'elle s'en souvenait.
-Pourquoi ?
-Je t'avais promis quelque chose.
Cassiopeia se leva, sentant soudain une vague d'énergie passer par son corps. Comme quoi, avec un peu de motivation, la douleur s'en allait rapidement. La solution était donc de ne pas s'ennuyer. Emma élargit ses yeux tout en évitant son regard.
-Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
Bien sûr que s'en était une. Elle lui ôta les livres des mains en ignorant sa protestation. Lire ces romans niais n'étaient pas une bonne idée. Ils jouaient sur l'imagination de façon inutile et lançaient des espoirs vains. C'était la pratique qui était importante.
-On sera mieux dans une chambre, viens.
Elle la pressa de se lever et lui prit la main. Ce contact leur envoya une décharge électrique à toutes les deux. Emma ouvrit la bouche pour parler, mais Cassiopeia l'entraîna hors de la bibliothèque avant d'entendre ce qu'elle avait à dire. Parler était inutile.
Elles s'engouffrèrent dans sa chambre. Les rideaux étaient fermés, filtrant la lumière du soleil avec dureté. Une chaleur ambiante réchauffait la pièce sans pour autant les étouffer. Le Manoir gardait assez bien la fraîcheur en ces journées d'été. C'était parfait. Cassiopeia ferma la porte, un sourire logé dans le coin de ses lèvres. Emma regarda partout autour d'elle, analysant les meubles, la baguette posée dessus, les joyaux gardés dans un coffre entrouvert. Elle fut surprise d'y trouver un poignard.
-Je garde toujours une arme blanche sur moi, expliqua-t-elle. Je ne peux pas utiliser ma magie quand je me sers de la Mortemencie.
-Je ne savais pas.
-Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas.
Emma essaya de cacher son sourire mais elle échoua lamantablement. La référence était plus que claire.
-Que dois-je faire, alors ?
-Écouter et retenir ce que je te dis.
Elle s'approcha doucement, laissant Emma réaliser ce qu'elle était en train de faire. La panique se joua un peu d'elle, laissant son regard s'affoler. Mais elle parvint à reprendre le contrôle et l'observa faire avec intérêt, mélangé avec de la crainte. Cassiopeia prit soin de planter ses yeux dans les siens et de ne pas lâcher prise. Si elle lâchait, Emma lâcherait aussi. Et tout ça n'aurait plus aucun sens.
En fait, rien n'avait de sens, mais cela importait peu.
Elle posa ses deux mains sur ses épaules et la poussa à s'asseoir sur le lit.
-La première chose que tu dois apprendre est que le plaisir de ces moments n'est pas réservé qu'aux hommes. Nous avons nos propres désirs et nous les satisfaisons avec eux. Ce n'est qu'en gardant cet équilibre que les deux parties peuvent bien en profiter.
Cassiopeia n'était couverte que d'un peignoir en soie chinoise et d'une petite robe. Ses mains se posèrent sur sa ceinture en tissu qu'elle défit soigneusement. Le regard de Emma se riva sur ses gestes. Son souffle s'accélérait. Cassiopeia se mordit la joue, prise d'une soudaine excitation. Elle n'avait jamais fait ça auparavant, mais c'était merveilleux. Plus que merveilleux.
Nouveau. Chargé d'émotions singulières.
Le tissu tomba de ses épaules et glissa le long de son corps. Quand il atterrit au sol, les joues de Emma prirent une teinte cramoisie.
-Tu es sûre de...
Elle posa son index sur ses lèvres. La blonde leva les yeux vers elle, pleine d'incompréhension. Elle était si douce. Si innocente. Une petite créature en proie à un monstre.
-Leçon numéro deux. Ne jamais douter.
Elle retira son index et chercha sa bouche. Elle la trouva. Quand elle écrasa ses lèvres sur les siennes, Emma sursauta. Le peu de résistance qu'elle chercha à imposer s'évanouit en quelques secondes. Elle ouvrit le passage.
Et Cassiopeia entra avec force et passion.
Emma portait le goût de l'enfance fânée. Elle ne savait pas comment faire, alors elle se laissait faire tel un pantin désarticulé. Elle choisissait la sûreté à l'aventure. Cassiopeia comptait bien lui changer ça. Elle glissa sa main sous sa nuque et pressa sa bouche contre la sienne. Attirée irrémédiablement, elle grimpa sur le lit et s'assit à califourchon sur ses cuisses. Quand Emma recula son visage, son regard brûla.
Pas de colère. Pas d'irritation.
De passion.
Le désir, c'était ce qu'elle cherchait à réveiller en elle. Trop de femmes mariées restaient accrochées à la rationalité quand l'être humain, dans sa nature, cherchait à se libérer. Peu importe le sexe, peu importe la condition. L'âme avec quelque chose de commun dans tous les êtres.
-Laisse ton corps s'exprimer, murmura-t-elle.
Leur poitrine s'écrasèrent l'une contre l'autre. Emma ferma les yeux, la respiration entrecoupée. Le désir s'emparait d'elle. Elle le voyait. Et observer le processus la satisfaisait plus que voir un homme la dévorer des yeux. Sa main s'aventura sous sa jupe. Cette fois-ci, Emma ne réagit pas. Elle se laissait faire. Juste ça.
Cassiopeia poussa son buste en arrière et l'allongea sur le lit. Happée par les réactions de la jeune femme, elle glissa ses doigts le long de ses cuisses. Le corps de Emma se raidit. Ses lèvres s'entrouvrirent mais ses paupières restaient closes.
Elle aimait ça.
Cassiopeia brûlait, mais Emma incendiait. La jeune Black pressa un doigt sur sa partie intime. Un gémissement se libéra. Ses mains s'aggripèrent aux draps, cherchant à les déchirer. Déchire-les, fut-elle tentée de dire. S'exprimer était l'objectif principal. Et pour la pousser à franchir ses limites, elle glissa un doigt sous le tissu et l'enfonça en elle.
-Merlin, laissa-t-elle échapper.
Cassiopeia sourit. Le dos de Emma se cambra, sa poitrine accéléra le rythme. Elle se trouvait déjà dans un autre monde. Menée par l'emprise du désir, son esprit s'était évadé. Et Cassiopeia la regardait, plus que satisfaite. Observer son corps réagir à ses caresses la gonflait d'une joie singulière. Elle réalisa avec son doigt de doux va et viens et les hanches d'Emma suivirent le rythme. Elle était si humide, si transportée par le feu qui la consumait. Lui procurer tous ces sentiments rendait Cassiopeia fébrile.
-Qu'est-ce que vous foutez ?
Son coeur sauta dans sa poitrine. Elle retira son doigt et se releva, en alerte. Son regard cogna contre celui de Perseus.
Oh non.
-Perseus, ce n'est pas ce que tu...
Mais la porte venait de claquer. Voilà. Tout devait s'écrouler maintenant. Les instants de plaisir ne duraient jamais. Surtout, elle imagina ce que devait penser Perseus. Non, mieux valait ne pas imaginer. Surtout pas quand il venait de les voir dans cette position.
Emma s'était relevée sur ses coudes, tout à fait paniquée. Ses joues étaient encore rouges mais dans ses yeux, tout plaisir s'était évanoui.
Cassiopeia passa une main dans ses cheveux avant de remettre son peignoir.
-Et merde.
Elle sortit de la chambre avec un poids dans la poitrine. L'appréhension la rongeait. Elle devait le trouver. Lui expliquer. Même s'il n'y avait pas grand chose à expliquer. Cassiopeia s'était juste transformée en une idiote finie.
Elle le trouva dans le salon, fixant furieusement la fenêtre, les deux mains posés sur la table. Lui aussi était en feu. Mais pas pour la même raison.
-Je suis désolée, ok ? Je ne sa...
-Tu pars.
Ces deux simples mots lui tranchèrent les poumons. L'air s'échappa, elle n'arriva plus à respirer.
-Quoi ?
Il se redressa, ses mains devenues deux poings serrés jusqu'à rendre ses jointures blanches.
-Tu pars, répéta-t-il avec une voix froide.
-Non. Non, tu ne peux pas faire ça, je ne...
-PARS !
Son poing s'écrasa sur la table. Il avait perdu tout contrôle. Perseus Lestrange venait d'exploser. Et c'était sa faute. Tout était sa faute. Elle venait de tout gâcher, encore une fois, alors qu'il n'avait jamais cessé de l'aimer. Il lui avait fait confiance. Et elle avait brisé ça.
Elle les avait brisé.
Les larmes floutèrent sa joue avant de déborder. Elle avait mal.
-S'il te plaît, le supplia-t-elle.
-S'il te plaît ? Vraiment ? hurla-t-il. J'en ai assez d'essuyer tes conneries ! Je ne fais que ça, Cassiopeia ! Tu commets l'irréparable et tu t'excuses comme si trois mots allaient tout arranger ! Le monde est peut-être à tes pieds, mais pas moi, merde ! Pas moi !
Sa main tremblante se posa sur ses lèvres. Qu'avait-elle fait ?
-Je n'ai nul part où aller, souffla-t-elle. Je n'ai que toi.
Le contour des yeux de Perseus devinrent rouge. Son torse se souleva avec difficulté. Elle avait peut-être mal, mais elle n'imaginait pas sa souffrance à lui. Elle n'avait pas assez d'empathie pour ça. Elle était une cause perdue, vraiment.
-Alors tu verras ce que ça fait de se retrouver sans rien.
Ce n'était pas lui qui parlait, c'était impossible. Pas ce même Perseus qui l'embrassait chaque soir, pas lui qui l'attirait contre lui et calmait sa souffrance en caressant sa chevelure. Pas lui qui lui répétait jour après jour combien il l'aimait. Pas lui qui la protégeait du monde avec ses bras puissants. Non. Ce n'était pas lui.
Mais la réalité était souvent la plus dure à accepter.
Cassiopeia remonta à l'étage, ignorant le sanglot qui lui meurtrissait la poitrine. Il venait de faire ce qu'il lui avait promis de ne jamais lui infliger. La rejeter. Et en même temps, elle sut qu'elle était allée trop loin. Cassiopeia aimait briser les règles.
Sauf que parfois, elle brisait des personnes en même temps.
Elle prit une robe et l'enfila rapidement. Sa cape sur ses épaules, elle prit sa baguette et fourra quelques affaires dans un sac. Dans le vestibule, personne ne l'attendit. Cassiopeia était seule. S'en rendre compte faisait mal. Surtout quand, toute sa vie, elle avait toujours eu quelqu'un à ses côtés.
Délaissée, blessée, elle transplana en plein centre de Londres. Se rendre chez Pollux l'aurait jeté dans la gueule du loup. Son frère l'aurait faite prisonnière une nouvelle fois, il aurait fait disparaître Perseus de sa mémoire pour toujours. Mais elle l'avait déjà trahi une fois. Sa promesse tenait toujours. Elle ne le remplacerait pas.
Retourner chez ses parents aurait été un déshonneur à sonâge. Régulus et Lycoris étaient partis, Callidora avait déjà assez à faire avec sa famille, elle deviendrait un poids pour elle. Même chose pour Arcturus. Quant à Charis, elle avait assez de peines sur les épaules.
Le Square Grimmaud devint le dernier refuge. Personne n'y vivait. Il était devenu le garde trésor des Black, protégeant leur arbre généalogique avec jalousie. Pourtant, quand elle tenta d'ouvrir la porte, celle-ci demeura verrouillée. Et même avec sa baguette, elle parvint pas à l'ouvrir.
Alors elle frappa le bois et hurla.
C'était tout ce qu'elle pouvait faire.
Son sac tomba au sol et son coeur avec. Elle recula, noyée par les larmes. Elle venait de tout perdre. Un toit, un amant, un honneur. C'était fou comme, en quelques secondes, les choses que l'on possédait pouvaient s'évanouir si facilement. Glisser des mains, s'écraser au sol.
Un peu comme elle.
Alors, son esprit se vida. Il lui échappa, lui aussi. Elle le perdit. Elle se perdit elle-même. Cassiopeia n'était plus rien. Et autour d'elle, le monde s'échoua. Un sorcier qui passa devant le portail de la veille demeure s'écroula. Il s'endormit. Il mourut.
Aussi simplement.
Cassiopeia cria. La douleur creusait un trou béant en elle. Elle cria et plaqua ses mains contre ses oreilles. Ne plus rien entendre. Ne plus rien sentir. Aucune émotion, aucune pensée. Devenir... un rien. Une particule infime qui s'envole dans les airs, virevolte et se pose doucement au sol.
Sauf qu'elle n'était pas une particule. Cassiopeia Black était une étincelle.
Et chaque âme qui passa près d'elle devint la naissance de l'incendie. Ame après âme, ils s'effondrèrent. Des corps cognaient le sol. Des yeux se fermaient.
Et Cassiopeia criait.
Quand elle se retourna enfin, ce fut un hurlement qui l'emplit. Une longue lamantation qui s'envola vers les nuages, tout là haut dans le ciel.
Puis elle se mit à courir, à fuir.
Ce jour-là, Cassiopeia Black disparut.
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