LXIX. 28 mai 1943 - l'ambition
Regarder un feu de cheminée brûler pouvait être reposant. Regarder une cheminée sans feu était définitivement ennuyant. Cassiopeia croqua dans sa pomme, laissant les pétillements du fruit frais rafraîchir sa bouche. Elle se trouvait adossée contre le mur, attendant l'arrivée d'un de ses cousins pour pouvoir converser. Ne possédant pas un Manoir officiel à elle tout seule, elle avait décidé de résider chez Régulus et Lycoris. Lui s'était enfermé dans son bureau, et elle était partie faire quelques emplettes. Perseus lui avait promis de lui rendre visite, mais visiblement, quelque chose l'avait retenu. Elle soupira avant de reprendre une bouchée de pomme.
Les serpents de l'entrée crachèrent. L'apparition d'un elfe de maison dans le vestibule se manifesta par un craquement. Une porte s'ouvrit, puis quelqu'un entra. Il y eut des pas légers. Comme si l'homme ne voulait pas se faire entendre. Cassiopeia s'arrêta de mâcher pour pouvoir entendre le moindre bruit. Perseus marchait de la même manière. Discrètement. C'était presque devenu une nature chez lui. Et si...
"Je vais envoyer plusieurs Aurors espionner pour mon compte", lui avait confié Régulus. Le voilà, l'espion. Elle reposa la pomme et se fit tout aussi silencieuse jusqu'au bureau de son cousin. La porte était fermée mais elle arriva à entendre les voix derrière. Personne ne se trouvait dans le couloir pour l'empêcher d'écouter. Les alentours étaient déserts.
-Comment est la situation en Espagne ?
C'était Régulus qui venait de poser la question.
-Le Ministre est toujours pris en otage. Les Russes ont envoyé des Aurors le libérer mais nous avons réussi à les éliminer avant.
Le Ministre espagnol pris en otage ? Hyades et Doliona étaient parties se battre là-bas, mais elle avait pensé que les combats étaient terminés.
-Éliminez-le lui aussi. Il ne nous est plus d'aucune utilité.
Elle cligna plusieurs fois des yeux, avalant durement ce qu'il venait d'ordonner. Tuer un représentant aussi facilement était risqué. Des guerres se déclenchaient pour moins que cela.
-Et pour la Hongrie ?
La Hongrie ?
-J'y placerai un de mes ministres de département. Je suppose que le Ministère a déjà été vidé, nous avons champ libre.
-Oui Monsieur. Mais le peuple...
-Le peuple doit apprendre à se taire, trancha-t-il sévèrement. Tuez tous ceux qui osent se rebeller. Hissez les drapeaux Black sur chaque institution. Montrez-leur qui les gouverne.
Sa gorge devint sèche. Qu'était-il en train de faire ?
-Et pour ceux qui est des Andronikov, continua-t-il, est-ce que l'identité de leur assassin a été découvert ?
Des assassins pour les Andronikov ? Qui était mort ? Sous quel ordre ? Puis, tout à coup, les pièces du puzzle s'assemblèrent. Voilà pourquoi Igor Dashkov avait demandé un face à face final. Si on avait touché aux Andronikov, alors il cherchait vengeance, et le dernier moyen pour lequel il pourrait l'obtenir honoreusement était par une bataille. Retourner le coup par d'autres meurtres devait le lasser.
-On pense toujours qu'il s'agit de Cassiopeia Black, Monsieur.
Que... quoi ?
-Bien.
Bien ? Elle aurait aimé tuer un Andronikov, mais depuis son arrivée ici pour les funérailles des McMillan, elle n'était pas reparti une seule fois. Jamais elle n'avait touché à un des membres de cette famille. À quoi jouait-il ?
-Assurez-vous que Grindelwald pense la même chose. Si on découvre que l'ordre vient de moi, tout ce que j'ai construit s'effondrera.
-Bien sûr. Autre chose, Monsieur ?
-Non. Vous pouvez repartir.
La porte s'ouvrit plus vite qu'elle ne l'avait prévu. Un homme de haute taille, le visage creux, la dévisagea. Ses pupilles bleues glacées se plantèrent dans les siens. Il fronça légèrement les sourcils avant de hocher la tête, la saluant comme si de rien n'était. Cassiopeia s'était congelée sur place. Raide comme un poteau, elle n'était pas en posture d'écouter aux portes puisqu'elle s'était redressée, mais elle pouvait mettre sa main à couper qu'il avait deviné.
Cependant, il ne dit rien. Il partit aussi silencieusement qu'il n'était venu.
-Je peux savoir ce que tu fais ? lâcha-t-elle d'une voix glacée en entrouvrant la porte.
Les yeux de Régulus se plissèrent de soupçon. Il resta un long instant immobile, tentant de deviner le pourquoi de sa question. Les rideaux refermés sur la fenêtre offraient une atmosphère fermée et pesante. Cassiopeia eut l'impression de se retrouver piégée dans une boîte en carton.
-Qu'as-tu entendu ?
-Tout.
Elle en avait marre de cacher ce qu'elle savait. Sa rage était fraîche, elle attendait d'être rassasiée. Régulus prétendait agir pour leur famille, mais s'il gardait des choses secrets, ses petits manèges devenaient personnels. Et tout le monde savait que le corbeau prenant son envol n'était pas le corbeau des Black.
-Ferme la porte derrière toi.
Elle obéit et n'attendit pas qu'il s'explique. Elle avait déjà rassemblé les morceaux, ou du moins une partie. Quelque chose lui disait que les révélations n'étaient pas encore terminées.
-Tu te caches derrière Grindelwald pour contruire ton propre empire.
Elle avait déjà remarqué sa manière de placer les membres de la famille sur la carte à la manière de petits pions. Ainsi, il arrivait à hisser son drapeau dans des pays étrangers et proclamer cela "conquête". Grindelwald ne disait rien. Il laissait faire. S'il savait que cela était allé aussi loin, il l'aurait arrêté.
-En effet.
Il ne le niait même pas.
-J'ai perdu l'habitude de lire dans ta tête, le menaça-t-elle en avançant d'un pas. Mais à l'évidence, j'ai eu tord de te faire confiance.
-Tout ce que je fais, je le fais pour notre famille.
-Tu es un saint.
Son ton sarcastique ne lui échappa pas.
-Ces personnes que tu as ordonné de tuer, reprit-elle, ce ne sont pas les premières, n'est-ce pas ?
-Nous sommes en guerre, Cassiopeia. Les morts ne comptent pas.
-Ah non ? As-tu déjà été sur le champ de bataille ? As-tu déjà entendu les morts hurler ? J'étais là-bas. J'étais à Washington quand les russes les ont taillés en pièce. On me suppliait de les achever.
Des frissons traversa sa colonne vertébrale quand elle prononça ces derniers mots.
-J'ai vu des enfants secouer leurs parents dans l'espoir qu'ils se réveillent. La magie ne rends pas la bataille plus propre. Elle la rends lâche. On se tuait à distance. On massacrait des innocents en masse. Et toi, tu ordonnes de les arracher de leur maison et de leur ôter la vie. Tu as critiqué les Russes quand ils ont rasé Sofia, mais tu n'es pas mieux.
Il éclata d'un rire moqueur. Quelque chose sonnait faux. Son attitude était fausse, son demi sourire était faux, tout en lui semblait... savoir. Tout savoir. Trop savoir.
-C'est moi qui ai rasé Sofia, cousine.
L'air s'échappa de ses poumons et ne revint pas.
-Ça n'a aucun sens, souffla-t-elle.
-Bien sûr que ça en a. J'ai ordonné à mes hommes de raser la capitale et de tuer leur Ministre. Les Russes avaient bel et bien l'intention de prendre la ville, mais quand ils sont arrivés, tout était déjà détruit. Ils sont partis directement à Londres pour me chercher.
Voilà pourquoi ils avaient attaqués directement l'Angleterre. Régulus avait fait croire au monde entier que le responsable de ce massacre était Igor. La Russie était devenue la méchante de l'histoire dans les toutes premières secondes du conflit. Et leur colère de se venger n'avait fait qu'empirer leur situation.
Elle se souvint de la petite fille de Sofia. Celle qui avait pointé du doigt le Ministère. C'était Régulus qui avait ordonné l'assassinat de sa famille. La sienne et celle de milliers d'autres. Cette pensée lui donna la nausée.
-Mais comment as-tu fait pour tuer autant de personnes en si peu de temps ?
-Il n'y a pas que les Mortemenciens qui sont capables d'une telle prouesse. Une centaines d'hommes avec une baguette et un sortilège Impardonnable sur les lèvres suffit.
-Tu es un monstre ! cracha-t-elle en se jetant sur lui.
Il saisit son poignet et tint sa gifle éloignée de lui. Quand elle chercha à se dégager de son emprise, il ne la laissa pas faire. Il la contrôlait. Et maintenant qu'elle avait connaissance de tout son complot... Merlin seul savait ce qu'il lui réservait.
-On ne fait pas l'histoire avec des jolis contes. Quand on se souviendra des Black, ce sera pour l'Empire que nous aurons construit. Pour notre pouvoir sur le monde. Le monde entier.
-Tu as bien caché ton jeu, bravo. Laisse-moi deviner, tu as fait croire que j'avais tué les Andronikov pour rejeter la faute sur Grindelwald ?
-Bonne inteprétation.
Elle le haïssait. Profondément. Il avait fait son gentil auprès d'elle, devenant son seul contact entre les Black et elle. Il avait fait en sorte d'être indispensable à ses yeux pour gagner sa confiance et éviter qu'elle ne lise dans son esprit.
Elle se débattit pour se libérer de son emprise, mais il exerça une pression encore plus grande. La peau de ses poignets devint rouge.
-Tu m'as vendue, cracha-t-elle. Tu m'as utilisée. Depuis mon plus jeune âge, depuis que toi et Arcturus êtes allés à Paris pour me promettre à Grindelwald, je n'ai été qu'un moyen de te conférer du pouvoir. C'était tout ce que tu cherchais, n'est-ce pas ?
-L'objectif de Grindelwald était une absurdité. Je savais que jamais nous ne réussirions à gouverner le monde moldu. Ce que je voulais, c'était uniquement les sorciers. Faire ressortir nos valeurs et marquer notre nom dans l'histoire. Il est devenu tellement obsédé par toi qu'il m'a oublié. Alors j'ai saisi ma chance.
Cette guerre n'avait plus aucun sens. Alors que certains se battaient pour une idéologie, d'autres le faisait pas pure ambition. Chacun servait ses propres intérêts. Il n'y avait pas de cause commune. Pas d'idées partagées. Seulement les grandes maisons qui tentaient de prendre le dessus sur les autres.
-Tout n'a été qu'une affaire de vengeance depuis le début, réalisa-t-elle alors. Et tu as commencé.
-Si ça n'avait été pas moi, cela aurait été eux.
-Mais Londres n'aurait pas été attaqué. Je n'aurais pas tué Matvei. Ils ne m'auraient pas enlevé pour cela. Ils n'auraient pas pris en otage Perseus. Le Prince Danois n'aurait jamais été tué.
Elle aurait pu continuer longtemps ainsi. Elle serait arrivée à la situation d'aujourd'hui. Les McMillan massacrés, les Andronikov assassinés et une bataille prête à prendre place.
-Tout est ta faute.
-Oh, je t'en prie. Personne n'est totalement innocent dans cette histoire. Tu as toi même tué grand nombre de mes hommes pour...
-Pour sauver Perseus ! se défendit-elle. Il avait été pris en otage, je n'avais pas le choix ! Crois-tu que j'ai pris du plaisir à ôter le dernier souffle à des sorciers anglais ? Des personnes de mon propre pays ?
-À t'écouter, tu es toujours la victime.
-C'est toi qui m'a forcée à m'engager dans tout ça, lui rappela-t-elle, la mâchoire contractée.
-Je t'ai utilisée comme distraction pour me faire oublier de Grindelwald. Et regarde, ça a marché.
Une distraction. Elle n'avait été que cela. Une distraction pour un sorcier dont la lutte n'importait guère. Tout cela avait été la surface, le jeu. La vraie guerre s'était trouvée en dessous avec toutes les manigances de Régulus.
-Que penserait Lycoris de tout ça ? Et David ?
Son regard perdit de sa confiance. Une grimace traversa son expression en un éclair. Elle avait touché le point faible.
-Tu ne diras rien. Et tu sais pourquoi ?
-Vas-y, surprends-moi.
-Si tu ouvres la bouche une seule fois, les gens sauront toute la vérité à propos de Walburga. Tu imagines ton père quand il apprendra que ses deux enfants ont baisé ensemble pour donner naissance à sa petite-fille ?
Son sang ne fit qu'un tour. Elle voulut le frapper. Lui hurler dessus, lui arracher la langue pour émettre de telles menaces. Mais il la tenait fermement. Dans sa position, elle ne pouvait rien faire.
-Tu n'oserais pas.
-Tu ne sais pas de quoi je suis capable.
Non, elle ne savait pas. Elle venait de découvrir une nouvelle partie de lui, celle que la guerre avait révélé. Il approcha ses lèvres à son oreille. Elle fut parcourue d'un violent frisson.
-Toi et moi, nous sommes pareils. Dans le fond, tu me comprends.
-Je ne tuerais pas des innocents pour du pouvoir.
Il s'éloigna et lui offrit son plus beau sourire.
-Et que crois-tu que tu as fait pendant tout ce temps ?
Il avait raison. Par Merlin, il s'était vraiment servie d'elle. Il savait qu'elle n'obéissait pas à Grindelwald pour son idéologie. Elle obéissait pour l'aider, lui, à se hisser dans la société. Elle avait été sa complice sans le savoir. Elle avait tué pour étencher sa soif de pouvoir. Alors qu'elle pensait agir pour les Black, elle avait agi pour lui.
-Ce sera notre secret, n'est-ce pas ?
-Tu me dégoûtes.
-Je m'en fiche totalement.
Il la lâcha enfin.
-Tu es faible. Tu as tout pour faire de ce monde quelque chose à toi, et pourtant, tu t'obstines à rester dans ton coin. Je regrette presque le temps où tu restais avec Pollux. À cette époque là, tu étais féroce. Perseus t'a ramollie. Réveille-toi, Cassiopeia. Soit une Black, une vraie.
-Tu es tout ce que notre famille aurait honte d'être.
-Dit celle qui a donné naissance à une fille par l'inceste.
C'était son arme, et il lui rappelait clairement sa menace. S'il dévoilait son secret, son père la déshériterait. Elle perdrait sa forture, sa réputation. Sa vie entière s'effondrerait, et Walburga en paierait plus que tout les conséquences. Elle ne voulait pas de ça pour elle.
-Et le traître ? voulut-elle savoir.
Il ne montra aucun signe connaissance à ce propos.
-Sur ce point-là, j'en suis au même niveau que Grindelwald.
Une partie d'elle fut soulagée qu'il ne soit pas derrière tout cela aussi. Cela aurait rendu l'histoire bien plus compliquée.
-Quand j'ordonnerai à mes dragons de brûler, je t'imaginerai toi au milieu des flammes.
Sa remarque le fit sourire. Elle ravala sa haine et lui tourna le dos pour repartir.
Tout prenait un autre sens, à présent.
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