LVII. 16 mai 1945 - l'entrevue

Il n'y avait personne dans le restaurant. Les tables étaient vides, les serveurs étaient partis. Aucun serveur ne s'avança vers Dumbledore pour lui proposer quelque chose. Ils étaient tous dans la cuisine à attendre en murmurant des pensées angoissantes. Le sorcier se calla sur le fauteuil, révisant l'heure. Au moment où il relevait le haut de la montre, les portes de l'édifice s'ouvrirent.

Le bruit de la canne frappant le sol signa l'entrée officielle du Ministre Anglais. Six Aurors se postèrent contre les murs, fixant droit devant eux comme des machines dont la seule fonction était de tuer. Régulus Black s'avança alors vers la table qu'occupait le professeur, une expression froide surplombant son visage.

-Professeur Dumbledore, le salua-t-il en prenant place face à lui.

-Monsieur le Ministre.

Il jeta un coup d'oeil à ses gardes du corps, mal à l'aise. Même si Régulus n'avait pas de place dans son cœur, il n'était pas assez bête pour tenter de le tuer.

-Notre entrevue sera courte. J'aimerais éviter que quelqu'un nous surprenne ensemble.

-Je nuierais à votre réputation, peut-être ?

-Non. Grindelwald saurait que je lui plante un couteau dans le dos et j'aimerais éviter ce genre de... complication.

Dumbledore laissa échapper un petit rire.

-Vous changez si rapidement de camp.

-Soyons réalistes, si votre ami parvient à briser le Pacte Magique, la guerre que nous venons de traverser ne sera rien en rapport avec celle qui nous attends. Les moldus possèdent des armes meurtrières et barbares qui pourraient nous réduire en pièces. Le monde plongerait dans le chaos. Je ne veux pas gouverner sur des cendres et des cadavres hurlants.

-Et vous voulez surtout vous attirer les sympathies de la Confédération.

Régulus pencha sa tête sur le côté, un sourire ennuyé étirant ses lèvres.

-Très pertinent.

-Pourquoi ne pas vous salir les mains vous même ? Avec tous les complots dont vous avez fait part, il serait facile pour vous de le faire chuter.

-Parce que, voyez-vous professeur, j'ai des espions partout. Et je sais qu'il y a une relation spéciale entre lui... et vous.

Il appuya ses coudes sur la table et fortifia le contact visuel.

-Grindelwald a commis bien trop d'atrocités en un an, continua-t-il. Vous avez commencé à le combattre mais vos ressources sont faibles et vous ne savez pas par où le prendre. Laissez-moi vous donner toutes les informations nécessaires et vous laisser rendre la justice comme vous brûlez de le faire depuis le début.

-D'où tirez-vous ces informations ?

Régulus appuya de nouveau son dos sur le dossier, la satisfaction emplissant lentement son regard.

-J'ai fait une proposition aux Rosiers. J'ai négocié leur retour en Angleterre contre leur collaboration.

-Et votre intérêt dans tout ça ?

-Quand un chat veut attraper une souris, que fait-il ?

Dumbledore plissa lentement les yeux et se garda de répondre à la question.

-Il l'attire dehors pour ensuite la dévorer, lâcha Régulus avec amusement.

-Je vois. Et donc vous pensez que Vinda se rangera de votre côté ?

-Vinda et Adonis. Peut-être même Marianne. Ils sont une même famille, si un des trois accepte la proposition, les deux autres suivront. Le fait que Grindelwald nie toute implication de Vinda dans une trahison nous aide fortement.

-C'est l'un de ses points faibles, en effet, dit-il d'une voix basse. Faire confiance aveuglément à ceux qui l'ont appuyé dans son ascension. Il croit que tout le monde autour de lui sert ses idéaux.

Régulus frappa le sol avec sa canne une seconde fois avant de se lever de son siège.

-Ce fut intéressant de discuter avec vous, professeur. Malheureusement, je dois vous fausser compagnie.

-Évidemment, vous avez un empire à gouverner.

Les mouvements de Régulus se figèrent dans le temps. Après cinq clignements de yeux, il lui adressa un de ses sourires les plus faux.

-Je hais quand les gens disent ça.

En général, il haïssait tout ce qui était vrai.

***

Vinda s'arrêta devant la porte de bois, les mains dans le dos, les battements du coeur résonnant lourdement dans ses tympans. Chaque jour qui passait constituait une nouvelle menace pour elle. Grindelwald avait entendu parler des rumeurs conscernant sa traîtrise. Il disait le nier face au public, mais derrière les murs de ce château, il l'interrogeait. La moindre parole était analysée. Elle avait demandé à Adonis de la faire fuir avant qu'il ne l'assassine dans son sommeil, mais ce-dernier était certain qu'il ne lui ferait rien.

Vivre sous ce toit était un enfer. Se trouver près de lui, en proie à son regard scrutateur, l'était encore plus.

Prenant son courage à deux mains, elle toqua doucement et entra. La figure noire de Grindelwald dessinait ses contours face aux grandes verrières. Le silence qui l'entourait était terrifiant.

-Monsieur.

Le planché grinça sous ses pas, et un instant, elle eut peur de faire trop de bruit.

-Vinda, répondit-il en retour. Que penses-tu de cette guerre ?

Elle ne s'était pas attendue à cette question. Une réponse immédiate aurait dû lui traverser l'esprit, pourtant, rien ne lui vint en tête. Elle se mit à réfléchir à toute vitesse avant de lâcher :

-Nous nous battons pour une noble cause.

Il ne dit rien pendant plusieurs secondes. Elle retint sa respiration. Un pas en arrière. Il se retourna. Son œil bleu la glaça.

-Mais la cause noble se définit en fonction de la personne, non ?

-Je suppose.

-Tu supposes.

Il la rendait nerveuse à répéter ses réponses. Chaque mot qu'elle prononçait semblait casser un œuf. Et plus les oeufs se cassaient, plus la mort la menaçait. Il avala la distance qui les séparait puis enroula ses doigts autour de la peau délicate de sa gorge. Elle le fixa avec des yeux ronds, incapable de prononcer un seul mot. Il y avait plus d'œufs cassés qu'elle ne le pensait.

-Quelle est ta noble cause, Vinda ?

-Vous... vous servir Monsieur.

-C'est tout ?

-Permettre aux sang-purs de gouverner sur ce monde, enchaîna-t-elle.

-Allons, tu peux trouver mieux.

Trouver mieux ? N'était-ce pas ce que lui voulait ? Il pencha la tête sur le côté, un mince sourire posé sur ses lèvres.

-Vous faire gouverneur de tous les pays, lâcha-t-elle enfin.

-C'est mieux.

Évidemment. Grindelwald n'était pas plus bête que les autres. Ce qu'il voulait, c'était la Confédération. Le reste n'était que détail, broutille. Mais même si sa réponse visait bien, il ne desserra pas sa prise. Son œil bleu continuait de la sonder, tentant d'arracher le moindre geste suspect. Elle se tint droite, le menton haut, une lueur de défi s'agitant dans ses pupilles.

-Es-tu prête à mourir pour cette cause ?

Non, aurait-elle voulu hurler. Elle n'était pas prête de mourir, et encore moins pour lui. Elle avait passé deux ans à le poignarder dans le dos, tentant de faire resurgir sa famille des cendres. C'était pour le nom Rosier qu'elle mourrait. Mais ce concept lui échappait, il n'avait jamais eu d'honneur familial à sauvegarder, jamais de frère à protéger. Il ne comprendrait pas son choix.

-Bien sûr.

Les doigts se ressérèrent autour de son cou. Vinda ouvrit la bouche de surprise, questionnant d'un regard brillant le mage noir. La prise lui ôtait peu à peu le souffle. Sa main s'agrippa à son bras, ses ongles se plantèrent dans la chair. Plus aucun air ne franchissait ses lèvres. Un couinement jaillit de sa gorge, dernier signe de vie à donner. Des points noirs apparurent devant ses yeux.

-Non, tu n'es pas prête à mourir pour moi.

Il la relâcha si brusquement qu'elle tituba. Respirer n'avait jamais été autant jouissif. Elle se massa le cou, dérangée par son geste.

-Monsieur, je... je vous promets de vous défendre jusqu'à... jusqu'à ma mort, dit-elle tout en reprenant son souffle.

-Tu as été ma plus fidèle partisante depuis le début. J'espère que tu ne me décevras pas.

-Jamais, lui assura-t-elle.

S'il savait.

Il hocha la tête puis désigna la porte du regard. Avec politesse, elle prit congé. Une fois libérée par sa présence, elle s'adossa contre le mur, réalisant qu'elle avait échappé de peu à la mort. Vivement que cette guerre se termine. Vivement que Grindelwald soit vaincu. La Confédération arriverait enfin à gérer les débordements de certains extrémistes, Adonis prendrait de force le Ministère Anglais et elle pourrait à nouveau vivre plainement et sereinement. Avec ces idées positives dans la tête, elle retourna dans ses appartements, posa son manteau sur ses épaules et sortit du château. Le vent printanier balaya quelques mèches brunes qui s'était échappées de son chignon. Ses talons claquèrent sur le pavé, puis l'instant d'après, elle transplana.

Son apparition dans une ruelle de Vienne passa inaperçue. Le quartier était assez peu fréquenté depuis le passage des extrémistes. Partout, le symbole de Grindelwald était peint sur les murs avec le sang de ceux qu'ils avaient tués. Des sang-de-bourbe. Ils prenaient plaisir à commettre ces barbaries.

Un coup d'oeil derrière son épaule lui assura que personne ne la suivait. Elle quitta alors la ruelle pour s'engager dans une allée de d'appartements gris et fades. Les nuages tombaient bas en ce jour de mai. Personne ne se trouvait dehors, pas même un chat. Elle arriva sur un palier et entra sans même frapper.

Adonis l'attendait, assis sur une des chaises de la cuisine. L'appartement était celui d'un sang impur sauvagement assassiné dont le corps moisissait dans son salon au milieu du sang séché. Son frère avait jeté le corps dans une benne à ordures avant de nettoyer et de faire de cette propriété la leur. Personne ne les soupçonnerait de vivre sous ce toit. Actuellement, c'était Adonis qui y dormait et les sortilèges qui protégeaient la maison s'assuraient de sa protection.

Aussitôt qu'elle apparut à la faible luminosité du jour, dans la petite salle à manger, il releva la tête, posant immédiatement ses yeux sur son cou.

-Il a cherché à te pendre ou quoi ?

Il avait voulu faire passer cette question pour une moquerie, mais la colère perçait sa voix.

-Il m'a étranglé, précisa-t-elle. Mais il a changé d'avis au dernier moment.

Adonis secoua doucement la tête, lâchant un soupir agacé. Vinda tira une chaise vers elle et s'y assit avec douceur. La douleur se réveillait peu à peu dans sa gorge. Il avait serré fort.

-J'ai reçu un message de Black.

Ses yeux s'arrondirent.

-De Black ? Régulus Black ?

-Lui-même, marmonna-t-il. Ses espions ont su où me trouver et je n'aime pas ça. Je m'attendais à une menace de mort, pourtant, quand j'ai lu la lettre, j'ai été surpris. Il nous a fait une proposition.

Les propositions de Régulus Black contenaient toujours un piège, Vinda préférait s'en méfier.

-Que dit-il ?

Il releva ses yeux verts sur elle.

-Dumbledore attaquera Grindelwald par surprise. Tu devras te ranger à ses côtés.

Elle accueillit cette nouvelle avec soulagement. Enfin. Enfin elle se révélerait et cesserait de jouer la fidèle servante idiote de Grindelwald. Enfin il verrait qui elle était vraiment. Une Rosier, prête à sauver son honneur et celle de sa famille. Une Rosier qu'il avait déjà réussi à avoir une fois mais qu'il n'aurait pas une seconde fois. Une Rosier avec des griffes pointues. Très pointues.

-Parfait, lâcha-t-elle avec satisfaction. En échange de quoi ?

-Notre retour en Angleterre.

Oh. Intéressant. Y avait-il un piège ? Cela n'en avait pas l'air. Régulus avait beau être un connard de première classe, il tenait sa parole. Il pouvait au moins s'attribuer ce mérite.

-C'est tout ce que nous pouvions espérer, sourit-elle pleine d'espoir.

Mais Adonis ne partageait pas sa félicité.

-Vinda, je ne sais pas si tu réalises le tournant que pourrait prendre ce duel. Tu risques ta vie.

-Je ferai attention.

-Il ne s'agit pas de faire attention ! s'exclama-t-il avec un peu trop d'irritation.

-Adonis.

Prononcer son nom l'apaisait. Marianne faisait la même chose. Elle s'empara de sa main par dessus la table et la recouvrit avec ses longs doigts. Elle l'estimait beaucoup pour lui avoir pardonné ses actes. Alors que le Pacte de sang auquel elle l'avait enchaîné et ce pour quoi il avait perdu une main aurait pu les séparer à jamais, il les avait rapproché. Peut-être que la mort d'Alander y était aussi pour quelque chose. Quoi qu'il en soit, elle se sentait plus proche de son frère aîné qu'elle ne l'avait jamais été et ce sentiment était réciproque. Il s'inquiétait pour elle. Pour le duel.

-Je suis une battante. On ne m'aura pas comme ça.

Il éclata d'un petit rire sans joie.

-C'est si facile de mourir, Vinda.

-Je me rangerai aux côtés de Dumbledore. Si je le fais, et si Grindelwald s'en prends à moi, il me protégera.

Il leva sur elle un regard dur.

-Non. Je veux que, dès l'instant où il comprendra ce que tu as fait, tu jettes un sort sur lui et tu disparaisse. Ce sera une attaque suffisante pour Régulus. Ce que tu as vraiment à faire, c'est me donner toutes les informations sur le lieu où on pourra le prendre par surprise et le conduire là-bas le jour-même.

-Mais pour le duel...

-Dès qu'il commencera, je veux que tu partes. Promets-le moi.

Cela lui aurait fait tellement plaisir de se battre contre l'homme qui l'avait sous-estimée.

-Très bien, se résigna-t-elle.

-Tu me rejoindras ici puis on retournera chez moi, avec Marianne et les enfants.

-Et après ?

-Après ?

L'amusement reprit le dessus sur sa gravité.

-On regardera les Black s'entretuer.

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