LVI. 7 mai 1945 - la visite

Un an plus tard

Callidora toqua pour la troisième fois à la porte d'entrée. Elle était persuadée que Cassiopeia se trouvait ici. Premièrement parce que l'adresse que lui avait donné David Duchesses ne pouvait pas être faussée, et deuxièmement parce qu'un rideau avait bougé derrière l'une des fenêtres. Si elle pensait qu'en la faisant attendre des heures derrière la porte allait la faire partir, elle se trompait fortement.

Après cinq bonnes minutes d'attente, la poignée se tourna et fit voir Perseus Lestrange, les yeux plissés sous la méfiance. Habillé d'une simple chemise blanche et d'un pantalon classique, il n'avait pas eu l'air d'attendre une visite. Elle y lut de l'agacement dans son regard.

-Comment es-tu arrivée jusqu'ici ?

-J'ai l'autorisation de David Duchesses, l'informa-t-elle en brandissant le papier officiel.

Les Aurors avaient tenté de l'arrêter à l'entrée de la demeure, mais ce parchemin avait été son arme.

-Je veux juste parler à Cassiopeia, plaida-t-elle.

-Sur quoi ?

-Je n'ai pas de comptes à te rendre.

Le ton qu'elle employa fut plus doux que ses mots. Elle ne voulait pas se montrer sévère envers lui, pas après tout ce qu'il avait fait pour elle. Elle qualifiait leur relation de "amicale" si on omettait le fait qu'il lui avait sauvé la vie deux fois.

-Je ne suis pas sûr que tu veuilles la voir dans cet état.

-Elle est ma cousine, je l'ai vu dans ses pires jours. S'il te plaît.

Il grommela quelque chose avant d'ouvrir la porte en plein. Elle lui adressa un bref signe de remerciement et s'engouffra à l'intérieur.

Une poussière grise recouvrait les meubles. La tapisserie vieille de centaines d'année se décollait par endroit. Elle analysa les lieux avec appréhension, se demandant ce qui s'était passé pour que Cassiopeia accepte de vivre dans une telle maison sans même faire l'effort d'en prendre soin. Et Perseus ? Pourquoi est-ce que ces deux là s'étaient résignés à un sort aussi funeste que l'oubli ?

-Par ici, la guida Perseus.

-Vous n'avez pas d'elfes de maison pour nettoyer tout ça ? s'enquit-elle en le suivant à travers le long couloir sombre.

-Cassiopeia n'en veut pas. Elle a peur qu'ils l'assassinent dans son sommeil.

Oh, super. Sa consine s'était donc convertie entre temps en une paranoïaque. Au lieu de l'emmener dans le salon, Perseus prit un tournant à droite. Callidora le suivit en silence, remarquant l'absence d'ornement et de meuble. Elle se souvint alors que ni Cassiopeia ni Perseus n'avaient pu en un an accéder à Gringotts et que le seul argent qu'ils recevaient étaient ceux du père Lestrange mais qui restait moindre. Son coeur se serra à cette idée. Régulus avait passé une année entière à s'enrichir tandis que sa cousine vivait misérablement.

Perseus s'arrêta devant une porte qu'elle devina comme étant celle de la bibliothèque, vu sa position dans la résidence. Toutes les grandes maisons avaient un peu la même structure.

-Ne te surprends pas face à son comportement, l'avertit-il. Elle risque de t'envoyer balader dès les premières minutes mais si tu restes, elle ne te fera rien. De toute façon, je serai là, si tu as besoin d'aide appelle-moi.

Son coeur s'emballa à l'écoute de telles mesures.

-Elle a autant changé ?

Il soupira puis posa sa main sur la poignet.

-Elle est morte, Callidora. Morte de l'intérieur.

Une peine immense déferla pour lui. Vivre dans ces conditions avec une femme détruite pour amante devait être terrible. La souffrance irradiait de ses yeux même s'il tentait de la cacher face à elle. Avant qu'elle n'ait pu prononcer un mot, il activa la poignée et la fit entrer.

La lumière filtrait à travers d'épais rideaux en feutrine. Des particules de poussière virevoltaient doucement dans les airs, mêlés à une fumée blanche. L'odeur du tabac manqua de l'étouffer.

-Je t'ai vue arriver.

C'était une voix brisée qui lui parlait. Ce genre de voix qui était passée sous les rails d'un train et continuait de fonctionner par miracle. Cassiopeia porta la cigarette à ses lèvres et inspira la fumée toxique avec avidité.

Callidora n'eut pas les mots pour la décrire. Ses longs cheveux blonds tombaient de chaque côté de son visage, mal peignés et pourtant éclatants. Ses joues étaient creusées, le contour de ses yeux rougis mais une beauté artificielle recouvrait son visage à la manière d'un filtre de jeunesse. Elle était incroyablement belle pour un être aussi désespéré. Ces deux contradictions se cognaient violemment en une seule personne et c'était perturbant. Une robe de chambre en soie noire la recouvrait ; la ceinture semblait trop grande pour sa taille aussi fine d'une brindille.

-Je t'apporte une bonne nouvelle, annonça-t-elle.

Le rire que Cassiopeia poussa faillit la rompre en deux.

-Ma condamnation à mort ?

Callidora décida d'ignorer sa réponse même si ses mots continuèrent de tourner en boucle dans sa tête.

-Tu peux retourner en Angleterre.

-Wow. Tu m'en voie toute excitée.

Cassiopeia s'avança vers un petit meuble, déposa sa cigarette dans un cendrier et ouvrit un tiroir. Elle attrapa une fiole dont elle but d'un trait le contenu. Callidora eut l'impression de mourir d'horreur. Voilà pourquoi elle radiait de beauté. Plus jeune, en Potion, elle avait mis au point un liquide capable de conférer une jeunesse éternelle. La découverte des effets secondaires ne l'avait en rien arrêté. Régulus s'était drogué en premier avec ça, cette potion lui avait fait beaucoup de mal. Si Cassiopeia en prenait depuis un an, elle n'imaginait pas les dégâts. Quand Perseus la disait morte de l'intérieur, peut-être que c'était littéral. Quand on buvait ce liquide, on ne ressentait plus rien. Le coeur se protégeait derrière des ramparts de pierre et rien ne pouvait nous atteindre.

Le poison parfait pour elle.

-Tu devrais arrêter de boire ça.

-Si tu es venue ici pour me faire la morale, tu peux repartir, siffla-t-elle.

-Je m'inquiète juste pour toi.

-Après un an, il était temps.

-Je n'ai pas pu te rendre visite parce que la sortie du pays était interdite. Mais crois-moi, je l'aurais fait même si...

-Non. Parce que tu me croyais coupable, comme tout le monde. Avoue-le.

Elle baissa les yeux. Elle avait honte d'avoir pensé une telle chose d'elle. Mais elle avait préféré croire les paroles de Régulus. Ceux qui les avaient remis en doute avaient disparu dans d'étranges circonstances.

-Tu as lu dans mon esprit.

-Non, ça s'appelle de la déduction. Qu'est-ce qui t'as fait changé d'avis, dis-moi ?

-David a promis à Régulus de revenir s'il arrêtait de répandre des fausses rumeurs sur toi. Alors j'ai compris qu'il avait fait ça par pur intérêt, sans chercher à rendre justice.

-Heureuse que la vraie nature de notre cousin se soit enfin révélée.

Elle fronça les sourcils mais se garda de commentaire. Son regard se posa sur la main tremblante de Cassiopeia. Ce n'était pas un tremblement de peur, plutôt... nerveux. Son corps entier était sous les nerfs. Puis elle remarqua le bracelet en fer autour de son poignée maigre.

-Tu ne l'a pas enlevé ?

Elle fixa son bras puis poussa un soupir agacé.

-Non.

-Pourquoi ?

-C'est mieux ainsi.

Elle s'empara d'une boîte de cigarette, en tira une et l'alluma avec la faible flamme d'une bougie. Aspirer cette fumée semblait être son seul moyen de survivre.

-La Mortemencie me tue petit à petit, confessa-t-elle après un long silence. J'ai commencé à boire ces potions pour ôter toute trace de vieillesse prématurée. Faut croire que les effets secondaires ont été bénéfiques eux aussi. Ce bracelet me permets d'endormir ma magie et peut-être vivre un peu plus longtemps.

-Et ta Légilimencie ? Tous tes pouvoirs, tu abandonnes ?

-Callie, ce sont ces pouvoirs qui m'ont condamnés. N'as-tu pas encore compris ?

Elle porta la cigarette à ses lèvres puis expira la longue fumée blanche.

-On m'a répété des centaines de fois que j'étais devenue plus faible après m'être mise avec Perseus. Mais c'est faux. Je suis devenue faible à cause de la Mortemencie. Auparavant, j'avais du pouvoir avec mes mots, mes actions, ce que j'avais en ma possession et que je retournais contre mes ennemis. La donne a changé quand j'ai eu la possibilité de faire tout ce que je voulais avec quelque chose qui m'étais étranger et en rien commun. J'ai pensé qu'avec ça, je serais intouchable et j'ai totalement laissé tombé ma tactique et mon habileté à tourner les évènements à mon avantage. Je suis passée d'un prédateur à une proie.

À mesure qu'elle parlait, ses épaules se relâchait et les tremblements de sa main cessaient. Se confier paraissait lui faire du bien.

-Mais tu pourrais à nouveau te servir de ta Mortemencie tout en reprenant ta tactique d'avant, pourquoi tu...

-Je suis fatiguée, Callie.

Et avec ça, elle lui jeta un regard si effondré que Callidora la crut sur parole.

-Je ne veux plus me battre, reprit-elle. Je veux que cette guerre entre nos familles cesse. Je veux vivre normalement, porter ma fille dans mes bras et...

Sa voix se brisa. Elle recouvrit sa bouche avec sa main et ferma les yeux. Callidora se fit violence pour ne pas la serrer contre elle et lui souffler que tout irait bien. Que tout s'arrêterait. Parce qu'en réalité, cette guerre ne se terminerait jamais. Les Rosier avaient de nouveau disparu après que leur recherche ait été lancée. Grindelwald niait toujours la traîtrise de Vinda, aveuglé par sa victoire et les partisans qui semaient le chaos dans les villes à son nom. Ils attaqueraient une seconde fois, elle en était certaine. Et ils continueraient jusqu'à ce que la Maison Black tombe et se fracasse en mille morceaux.

-Comment va Walburga ? demanda-t-elle tout à coup, reprenant contenance.

-Elle est en deuxième année à Poudlard, avec ses deux frères et Lucretia.

-Déjà, souffla-t-elle.

Le temps passait vite. Asler et Lara n'arrêtaient pas de parler de l'école eux aussi, alors qu'ils étaient si jeunes.

-Tu devrais rentrer chez nous.

-Et me faire insulter de tous les noms ?

-Les sang-purs connaissent la vérité. Notre communauté est ouverte à toi, tout ce que tu as à faire c'est quitter cette maison malsaine et reprendre ta place dans notre famille. Tu es une Black, Cassiopeia, une des membres les plus importants de notre maison. Reprends les droits qui te reviennent.

Cassiopeia resta un moment dans le silence, n'ayant pas touché à sa cigarette depuis la mention de Walburga. Celle ci se consumait lentement, faisant tomber de sa pointe des petites particules de cendres.

-S'il te plaît, insista-t-elle. Tu t'es creusée un tombeau à toi toute seule ici, et tu es en train d'entraîner Perseus avec toi. Vous ne méritez pas ça.

-Je veux parler à Régulus avant de m'y installer définitivement, répliqua-t-elle. Dis-lui de me rejoindre ce soir au mausolée.

-Je le ferai.

Elle se sentit un peu mieux après l'avoir persuadée de revenir. Même si elle n'était pas entièrement décidée, il y avait un changement.

-J'attends ton retour avec impatience, lâcha-t-elle avant de sortir.

Cassiopeia n'émit aucune réponse.

***

CYGNUS BLACK
1889 - 1943

Deux ans après sa mort, elle pouvait enfin lui rendre visite. Elle ne ressentit rien face à ce nom gravé froidement sur de la pierre. Elle ne ressentait rien depuis longtemps. Auparavant, elle s'en serait sentie coupable, mais plus maintenant. Elle se gardait le droit de ne plus souffrir.

Des pas résonnèrent dans son dos. Une hombre s'étendit sur les murs de pierres portant les noms des décédés. De chaque côté, des torches crépitaient, se nourissant de l'humidité ambiante. Régulus réduisait sa présence au silence. Cassiopeia n'avait pas peur de lui, pas plus qu'elle aurait peur d'un monstre lui faisant face, la gueule ouverte. C'était pour cette raison qu'elle avait ordonné aux deux Aurors qui protégeaient d'attendre à l'entrée.

-Je viens de te donner une opportunité en or pour m'assassiner, dit-elle.

Ses mots frappèrent les stèles et se répercutèrent quelques mètres plus loin.

-Si je voulais t'assassiner, je l'aurais fait depuis longtemps.

-Voilà qui est rassurant.

Ses pas s'approchèrent et rapidement, il arriva à sa hauteur. Elle se fit violence pour ne pas s'éloigner. Tout en lui la dégoûtait.

-Callidora t'a transmis le message, à ce que je vois.

-C'est toi qui l'a envoyée. Pourquoi ?

-Je veux que tu reviennes.

Quel hypocrite. Il se faisait un plaisir de la bannir du sol anglais, puis il suffisait que David lui fasse un chantage pour qu'il souhaite pleinement son retour.

-Ton petit chien est revenu à tes pieds et la condition qu'il te donne pour qu'il y reste est de me faire revenir, quelle manifique attention.

-N'insulte pas David, grinça-t-il.

-Non, tu as raison. Au fond, c'est toi qui a des choses à te reprocher, pas lui.

-Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour notre famille.

-Menteur, cracha-t-elle.

Elle se tourna vers lui et planta son regard dans le sien.

-Tu te protèges derrière notre famille pour commettre l'irréparable, nuance. Et crois-moi, je m'assurerai qu'un jour, on sache ce que tu as fait. Je veux que le monde entier voit quel genre de monstre tu es. La manière dont tu as condamné des milliers d'innocents, comment tu m'as bannie par pure jalousie, comment tu t'es servie de moi et de tous ceux qui ont confiance en toi. Et ne me ressort pas ta menace sur Walburga, je sais que tu ne le feras pas. Si tu dis la vérité, notre maison se brisera à l'instant même. Les Black se réduiront en poussière, et toi avec.

Elle avança d'un pas, réduisant la distance qui les séparait à quelques centimètres. Une étincelle électrique brûlait le fil qui reliait leur regard.

-Tu as fait une erreur en souhaitant mon retour, reprit-elle. Parce que crois-moi, je compte détruire tous ceux qui m'ont trahis. Je commencerai par Adonis, je lui arracherai la langue et les yeux, lui et toute sa famille. Puis toi, cher cousin, à toi je te réserve une chute qui t'éclatera en millions de petits morceaux.

Son expression se grava dans du marbre froid. Il joignit ses mains dans son dos, l'affrontant silencieusement du regard. Pourtant, face à toutes ces menaces, il ne prononça qu'une seule phrase :

-Bon retour parmi nous.

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