LIV. 15 juin 1943 - la reine

Les colonnes de la salle du trône étaient colossales. Elles offraient toute la grandeur à l'espace, comme si le toit du monde se trouvait au dessus de la tête, peint avec des anges musiciens et des déesses nues. Striées par des gravures rectilignes, elles représentaient tout ce que la royauté était : suprématie, ordre et beauté. Cassiopeia les contemplait depuis de longues minutes. Ses bras croisés au dessus d'une robe fluide et légère, les cheveux détachés, pâles et rêches, ses yeux croulant sous la peine se dédiaient à observer en silence. Finalement, quand elle en eu assez, elle dévia son attention sur le trône. Un siège de velours rouge, aux accoudoirs d'or avec, gravé sur le dossier, l'emblème de la maison Nielsen.

Et dire qu'il était l'objet de guerre et de drames. Un simple siège.

Elle s'approcha silencieusement. Des gardes étaient postés à l'entrée, mais personne ne pouvait vraiment la voir. Sur le pédestral, elle marqua une hésitation. Avait-elle le droit ? Carl ne lui reprocherait rien. Elle voulait juste essayer. Son intention n'était pas mauvaise.

Elle monta les escaliers de bois et se positionna face au siège. De là, les détails se faisaient plus fins : des chevaux cambrés, des lierres d'or, des baguettes magiques pointant vers l'emblème royal. Son doigt frôla l'accoudoir de velours rouge. C'était doux. Comment résister à l'envie de s'y asseoir ?

Se tournant vers l'immensité de la salle, elle demeura un long instant debout. Elle ne pensa à rien, son esprit était vide. Complètement vide. Alors elle prit place sur le trône.

Elle ne ressentit rien.

Dans tous les contes pour enfants, s'assoir sur un siège royal était le butin final. Celui qui concevait gloire et propérité. Celui fait Roi ou Reine sentait le pouvoir affluer dans ses veines, il était celui qui présidait, qui gouvernait, qui prononçait la sentence. Tout cela, c'était le trône qui le donnait. Mais en réalité, il n'y avait rien de tout ça. Seulement le soulagement d'être assis.

La vérité était souvent bien triste.

-Qu'est-ce que tu ressens ?

Carl était appuyé sur une colonne, portant sur lui un air mi-intrigué mi-malicieux. Il ne lui en voulait pas. S'il avait voulu, il l'aurait déjà traîné hors de cette salle pour lui faire la morale.

-Rien, avoua-t-elle.

-Maintenant imagine-toi dans une longue robe de diamant. Une couronne en or sur la tête et des milliers de gens qui s'agenouillent devant toi. Imagine toi avec le pouvoir de décider de leur avenir. De contrôler le monde.

Elle ferma les yeux, s'imagina tout ça. Sa robe serait longue, brillante, plus brillante que le soleil. Tout ceux qui l'avaient trompée seraient à genoux. Adonis. Régulus. Tous devant, à la supplier, à la voir radiante de pouvoir, de jeunesse et de beauté.

-Que ressens-tu, maintenant ?

Elle prit une longue inspiration. Un long frisson parcourut son échine alors qu'elle sentait presque le poids de la couronne sur sa tête.

-Satisfaction.

-Quoi d'autre ?

-Je... je ne sais pas.

-Si tu sais.

Elle entendit ses pas approcher mais se força à garder les yeux fermer. Elle ressentait beaucoup de choses mais ne parvenait pas à les trier. Certaines émotions lui faisaient peur. Elle les écartait. Mais c'était ce qu'elle était non ? Pas mieux que ceux qui l'avaient trahis. Pas pire, non plus. Tout être humain aspire à la même chose, ce sont les choix qu'on prends qui nous définissent.

-J'ai envie de les humillier.

-Parce que tu as l'opportunité de le faire. Parce que personne ne te dira rien. Quoi d'autre ?

-Je veux les écraser, continua-t-elle.

Comme Adonis l'avait écrasé, un pieds sur son dos, la brisant d'un seul coup.

-Je veux qu'ils pleurent. Qu'ils me supplient d'arrêter. Qu'ils voient leur monde mourir comme j'ai vu le mien mourir, qu'ils regrettent leurs actes.

Elle rouvrit brusquement les paupières. Elle eut peur d'elle-même. Au fond, elle savait qu'elle en était capable. La vengeance lui griffait les entrailles et attendait d'être libérée. Elle pourrait devenir un monstre et ne pas pouvoir s'arrêter.

-Ouais. C'est ça.

Carl avait posé un pied sur une marche du pédestral, mais l'autre demeurait sur le sol. Un demi sourire étirait le coin de ses lèvres.

-Un objet n'a de valeur que quand on lui en donne, reprit-il. Un trône est dangereux quand le pouvoir l'accompagne. L'un n'est rien sans l'autre. Tout comme un roi n'est rien sans une reine.

Elle fronça très légèrement les sourcils.

-Où veux-tu en venir ?

-Tu pourrais assouvir tous tes désirs. Les voir s'agenouiller devant toi, un par un. Il te suffit de dire oui.

Il posa un genoux au sol. Cassiopeia agrippa ses doigts à l'accoudoir, soudainement en manque d'air.

-Veux-tu être ma reine ?

Jamais elle n'aurait songé entendre ces mots un jour dans sa vie. La couronne était tout ce qu'il y avait de plus prestigieux. Les Rois et Reines de ce monde étaient rares mais respectés, gorgés de pouvoir. Quand elle était petite, elle s'imaginait souveraine de l'Angleterre, habillée de joyaux et adorée par ses sujets. Et quand quelqu'un lui disait que la royauté n'existait pas dans leur pays, elle leur répondait qu'elle la rétablirait.

Aujourd'hui, ces rêves semblaient bien loin. Mais Carl lui en tendait un autre. Certes, elle ne dirigerait pas le Danemark, mais le pouvoir qu'elle exercerait serait tel qu'elle pourrait plier l'Angleterre sous sa volonté. Elle détruirait l'Empire de Régulus pour en construire un autre, le sien. Et plus personne ne l'écraserait.

C'était... tentant.

-Me demandes-tu en mariage ?

-On devra passer par là si tu veux avoir la couronne sur ta tête.

Que dirait Perseus ? Il se sentirait trahi. Mais lui-même était marié, ils pourraient continuer à se voir, elle continuerait à l'aimer. Le mariage ne serait qu'un moyen pour accéder à sa vengeance. Il comprendrait cela.

-Il te faut juste dire oui, insista-t-il.

Puis elle se souvint de quelque chose. Son sang se congela dans ses veines.

-Tu n'es pas destiné à être roi.

Son expression changea. Son regard se fit autoritaire, dur, sa main tendue dans sa direction se contracta.

-Je le serai.

-Comment ?

-Arrête de poser des questions, la coupa-t-il sèchement. Ne vois-tu pas l'opportunité que je suis en train de t'offrir ? Es-tu bête à ce point ?

Si seulement elle pouvait lire dans son esprit pour lui arracher chaque petite miette de son plan, elle l'aurait fait si ce maudit bracelet en fer n'entourait pas son poignée. Elle serait bête si elle acceptait aveuglément. Et c'était ce qu'il attendait d'elle. Qu'elle se fasse avoir, comme on l'avait eu déjà plusieurs fois.

-Qu'as-tu promis pour qu'on te donne la couronne ?

Elle se leva dans de gestes lents, marqués par la méfiance.

-Ce ne sont pas tes affaires.

-Moi ?

Il retint sa respiration avant de retirer sa main. Encore. Encore un stupide piège qui consistait à l'utiliser comme monnaie d'échange, encore quelqu'un qui servets ses intérêts et ne voyait en elle qu'un moyen pour arriver à ses fins. La rage afflua dans ses veines.

-Laisse-moi deviner, continua-t-elle, tu as demandé Régulus Black la couronne du Danemark en échange de mon retour. Mais tu n'avais aucunement l'intention de me laisser partir. Tu voulais le piéger et posséder une épouse d'un sang des plus purs. Tout ce que tu cherches, c'est te glorifier.

-Tu serais devenue Reine.

-Je me fiche de ta foutue couronne ! hurla-t-elle en se jetant sur lui.

Il lui attrapa immédiatement les poignées, retenant sa gifle. Elle se débattit pour se libérer et frapper, le frapper encore et encore, mais il retint ses mains sur les côtés.

-Tu ne vaux pas mieux qu'eux ! cracha-t-elle.

-Cassiopeia, j'ai été éduqué à Dumstrang. Toute ma vie, je n'ai servi que mes intérêts. Et regarde. Ça a le mérite de fonctionner.

L'envie de rire la tirailla.

-Tu es un idiot pour croire que Régulus va te céder la couronne en échange de mon retour. Et sais-tu pourquoi ?

La satisfaction sur son expression s'évanouit.

-Parce que tout ce que mon cousin souhaite, c'est me voir morte.

-Bien joué, rit-il nerveusement. Vraiment bien joué.

Il n'avait pas prévu ça. Son plan s'était basé sur du hasard. Si c'était ce qu'on lui avait appris à Dumstrang, alors ils devaient revoir leurs méthodes.

-Tu ne connais rien à notre fonctionnement Carl. Tu ne sais rien à propos des familles anglaises. Tu t'es servi de ma soif de vengeance, mais tous ceux de ma famille recherchent la même chose. Et pour Régulus, je suis la pire menace qui puisse exister.

-Quelqu'un paiera le prix que je demande, grinça-t-il. Et s'il faut que je menace ta vie, je le ferai.

Il lui empoigna violemment le bras et la traîna en dehors de la salle. Ses cris de protestation atteignirent les gardes, mais aucun d'eux ne réagit. Elle était seule. Trahie. Utilisée. Son hurlement était inutile. Elle n'était qu'un nom, un moyen pour les ambitieux de se faire une place dans la société.

Il la jeta dans une chambre, indifférent au fait qu'il l'ai blessée ou non.

-Tu auras tout le temps du monde pour réfléchir à ma proposition, lâcha-t-il avant de claquer la porte.

Un bruit de verrou retentit et il cria des ordres pour garder l'entrée. Le regard noir de Cassiopeia aurait pu scinder la porte en deux. Sa main s'aggrippa au drap si fort que ses jointures devinrent blanches. L'envie de déchirer le tissu la prit. Tout détruire. Tout ce qui lui appartenait.

Mais au moment où elle se leva, ses jambes fléchirent et elle retomba lourdement sur le sol. Trop faible. Son contrôle sur les dragons, puis l'humiliation d'Adonis lui avait pris toute son énergie. Deux jours auparavant, elle cherchait une raison de vivre. Maintenant, elle n'en avait plus aucune. Par frustration, Carl l'achèverait sans que Régulus ne lève le petit doigt. Elle mourrait ici.

Autant se faire à l'idée dès à présent.

Elle se hissa sur le lit puis s'allongea sur les draps. Ce simple mouvement l'épuisa. En fermant les yeux, ses pensées dérivèrent vers Perseus et un mince sourire brisa son chagrin. Elle ne savait pas s'il était vivant. Et s'il était, elle n'avait aucune idée de ce qu'il pensait d'elle maintenant.

Alors elle se contenta de regarder dans le passé et de se rémorer des instants passés avec lui. Sa mâchoire ferme qu'elle caressait. Ses baisers sucrés, ses mains touchant sa peau. Ils avaient lutté pendant si longtemps contre la société. Il s'était battu pour elle. Il avait risqué sa vie pour ses beaux yeux. Et la première fois qu'ils s'étaient vus, la première fois qu'ils s'étaient embrassés, il l'avait fait Reine.

L'un n'était rien sans l'autre, avait dit Carl.

Perseus Lestrange n'était rien sans Cassiopeia Black. Et elle n'était rien sans lui. Ils auraient pu devenir des légendes. Une histoire qu'on raconterait aux enfants avant de se coucher, celle d'un amour vainquant tous les obstacles.

Mais dans la réalité, ce genre de conte n'existait pas. Elle allait mourir ici. Il allait mourir à des kilomètres de là. Chacun seuls de leur côté, avec les souvenirs comme dernier vestige de leur relation. Elle toucha la chevalière qui ornait son doigt. Sa raison de vivre venait de s'envoler dans la brise froide.

La surprise de s'être endormie ne se manifesta que quand elle se réveilla. Un cliquetis provenant du verrou. Sa main glissa sous son oreiller, là où elle gardait sa dague. Carl lui avait pris sa baguette et son bracelet l'empêchait d'exercer un quelconque pouvoir. Au moins, il lui restait quelque chose pour se défendre. Les battements de son coeurs s'accélérèrent quand la porte grinça. On était peut-être venu pour la tuer. Agir de la sorte règlerait tous les problèmes.

Ses doigts agrippèrent le manche de l'arme. Des semelles grincèrent contre le sol. Elles s'approchaient d'elle. Elle retint sa respiration, n'ayant toujours pas bougé d'un seul millimètre. Et quand la présence se trouva assez près, elle bondit sur son lit et dégaina la lame luisante.

-Eh ! C'est moi !

Perseus se retrouva avec le côté tranchant de la dague posé sur son gosier. Les yeux de Cassiopeia s'aggrandirent quand elle le reconnut.

-Qu'est-ce que... qu'est-ce que tu fais là ?

Elle jeta un coup d'oeil derrière lui où des Aurors français attendaient, la baguette en main. Au sol gisaient les gardes chargés de la surveiller. Elle se demanda combien de sorciers ils avaient tués pour atteindre cette chambre.

-Je te répondrai quand tu auras rangé cette arme.

Lentement, elle retira la dague, les yeux luisants d'espoir. Il était venu. Pour elle. Il était vivant. Par Merlin. Méritait-elle tout cela ?

-Mon amour, murmura-t-elle en encerclant ses bras autour de son cou.

Il glissa ses deux mains sous ses cuisses et l'éleva du sol. Elle avait besoin de le sentir près d'elle. Hummer son odeur, être sûre que c'était bien lui et qu'elle ne rêvait pas.

-On y va, l'entendit-elle dire.

Elle enfouit sa tête dans le creux de son cou et se laissa porter, s'accrochant à lui de toute ses forces. Rien ne les séparerait. Plus maintenant. Pas après avoir vaincu la mort, pas après être devenus des légendes.

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