LIII. 10 juin 1943 (3/3) - le survivant
Un homme boiteux marchait entre les ruines de ce qui fut autrefois un village. Son visage était noir. Recouvert de suie. Des morceaux d'être humains carbonisés, ceux qu'il avait connu, ceux avec qui il s'était battu collaient à sa peau. Il avait à peine la force de tenir sa baguette. À peine la force de marcher. Et pourtant, il continuait. Le regard vide, comme s'il ne savait pas où il allait.
Il avait vu le feu, il avait senti le feu, il avait été le feu. En une seconde seulement, il avait vu sa vie défiler devant ses yeux. Il avait appris qu'un être humain était capable de tout pour rester en vie. Tuer. Courir. Courir longtemps, très longtemps, courir jusqu'à ce que les muscles se déchirent et le coeur lâche. Les limites de la vie se trouvaient loin, même si personne n'en avait vraiment conscience.
Des petites flammes léchaient encore les toits effondrés. Les bêtes étaient parties depuis longtemps maintenant. Mais il avait eu l'impression de les entendre des heures durant. Leur rugissement. Les battements de leurs ailes, ils étaient partout, à l'intérieur des maisons, dans le ciel. Une larme traça une marque blanche sur sa joue. Il boitait. Il avançait.
Perseus Lestrange cherchait une excuse pour vivre après s'être fait une raison de mourir.
C'était plus difficile que ça en avait l'air, vivre. Il fallait se battre. Dur. Il fallait sentit sa poitrine se déchirer sous la peine, voir les personnes proches trépasser devant ses yeux, parce que sans ça, on ne pouvait pas comprendre le prix qu'avait respirer. C'était précieux. Une chance immense. Peu de personne arrivaient à comprendre cela, il se demanda même s'il était le seul à penser ça. Peut-être. Aurait-il la chance de partager ses idées ou s'effondrerait-il là, entre les ruines, entre tous les corps figés ? Il ne tenait sa baguette qu'avec deux doigts. Elle se balançait au dessus du vide, prête à cogner le sol à tout moment.
Ses semelles écrasant les gravillons furent le seul bruit retentissant dans la ruelle. Il était seul.
Il se retrouva face à la tour de pierre. Cassiopeia s'était tenue là, souriante face à son exploit alors que les Anglais terrassaient les Russes. Il avait été fier d'elle à ce moment là. Il s'était dit "cette femme est une héroïne et cette femme est mienne" puis tout à coup, le malheur était tombé.
Les dragons s'étaient dirigés droit sur eux, la gueule béante, et Cassiopeia avait disparu.
Il se trouvait là où il s'était tenu quatre heures auparavant. Des pierres jonchaient le sol. Des lambeaux carbonisés d'être humains étaient éparpillés partout autour de lui. Il leva la tête. Et il hurla son nom.
Cassiopeia.
Cassiopeia.
Cassiopeia.
Sa gorge le brûla. Ses yeux piquaient ; l'envie de les fermer fut immense. Elle ne répondit pas. Elle était partie.
-Perseus !
S'il rêvait, alors il avait besoin de se réveiller. Il devait marcher. Avancer. Peu importe vers où, il y aurait bien une destination, un genre de Paradis qui accueillait tous les guerriers. Un endroit où les hurlements n'emplissaient pas encore son crâne. Un lieu où le feu ne s'élevait pas partout où il posait son regard.
-Perseus, par Merlin, tu es vivant !
Une femme courut dans sa direction. Ses cheveux n'étaient pas blonds, ce n'était pas Cassiopeia. Il fut presque déçu. Et soulagé à la fois. Dans ses rêves de survivant, elle crachait elle-même du feu. Mais il continuerait de l'aimer, Perseus était né pour l'aimer. Respirer, vivre, parler avec elle, lui tenir la main, la faire sourire, être la cause de son bonheur et le protecteur de son malheur. Il lui avait promis de lui revenir.
Et il était là.
Mais pas elle.
-Est-ce que ça va ?
Deux mains se posèrent sur ses épaules.
-On a un survivant ! hurla la femme.
Non. Ne pas hurler. Pas comme ces sorciers qu'il avait vu en flammes, ceux qui se débattaient contre ce monstre orange. Ils revinrent le hanter, encore, encore. Ses mains s'applatirent sur ses oreilles. Qu'ils se taisent. Qu'ils se taisent. Qu'ils le laissent en paix. Tout ce feu, toute cette horreur, elle était là, s'engouffrant dans ses poumons, serrant sa prise autour de son cou, lui ôtant peu à peu la vie.
Quelque chose le força à éloigner ses mains.
-Mon fils, Perseus, regarde-moi.
Son regard se perdit dans la contemplation de la personne qui lui faisait face. Il mit du temps avant de le reconnaître. Mais il y arriva. Son père s'empara de son visage, le saisissant bien fort comme pour s'assurer qu'il était bel et bien vivant. D'autres larmes tracèrent leur chemin dans la noirceur de sa peau.
-C'est fini. Tout va bien.
Non, ce n'était pas fini. Cela ne finirait jamais.
Mais il hocha quand même la tête, parce que dire la vérité dans ces moments là n'était jamais la chose à faire.
-Oui, souffla-t-il.
-Oui, répéta son père.
Oui. C'était fini.
Non. Si.
Enfin, il put reconnaître la femme qui l'avait appelé. Lycoris Black. Cela voulait dire que son frère était là, lui aussi. Il pourrait leur dire que Cassiopeia n'aurait jamais fait cela volontairement. Il les croirait. Ils la protègeraient, comme lui. Il s'accrocha à cette idée tandis que son père relâchait son emprise. Il garda une main sur son épaule, le guidant vers un chemin bien précis.
Au milieu des décombres, quelque chose brilla. Perseus s'éloigna légèrement de son père pour attraper la broche à moitié ensevellie sous le sable. Avant qu'il ne lui demande ce qu'il faisait, il revint auprès de lui, serrant dans le creux de sa main l'objet.
Un corbeau en argent. Celui que Cygnus Black avait l'habitude de porter.
Une armée d'Auror gardait les tentes. Leur regard scrutait chaque mouvement suspect. Une principale s'élevait sur des restes des hommes. Un corbeau prenant son envol était brodé sur les pans de tissus. Même sur un cimetière, Régulus Black faisait de sa présence un spectacle royal. Cela lui donna la nausée.
-Est-ce que ça va ? s'enquit son père avec des yeux inquiets.
Il hocha la tête. Mentir lui prendrait trop d'énergie.
Lycoris ordonna aux Aurors de leur autoriser l'entrée et s'engouffra à l'intérieur avec lui. La chaleur qui régnait le surprit. Il ne s'était pas rendu compte combien les cendres étaient froides.
Régulus Black se tenait debout dans toute sa dignitié, couvert de soie noire et de bijoux en diamant. Pour une fois, il ne possédait pas sa canne, mais sa baguette était mise en évidence dans la poche avant de sa cape. Ses cheveux plaqués en arrière lui donnaient un air froid et antipathique. A côté de lui, assis contre un coffre de bois, David le dévisageait avec des yeux injectés de sang. Lui au moins avait eu le courage de participer à la bataille.
Il avait vu ce que Perseus avait vu. Il le comprendrait.
-Décris nous exactement ce qui s'est passé, ordonna le Ministre Anglais.
Si seulement il savait. Du moins, il avait le début. Le reste se mélangeait dans les cris d'agonie, les flammes surgissant de tous les côtés et le puissant instinct de courir.
-Les dragons étaient contrôlés, commença-t-il avec une voix cassée, au début. Puis tout à coup, c'était comme s'ils s'étaient libérés de leurs chaînes. Ils n'ont pas seulement brûlé les rues occupées par les Russes, ils n'ont plus fait aucune différence entre les ennemis et nous. Grindelwald a ordonné de nous retirer, mais quand nous sommes arrivés ici, il était déjà parti.
-Avec qui étais-tu ? demanda David.
Son visage était aussi couvert de suie que lui. Il eut de la peine à le voir si faible, lui qui avait l'habitude de briller aux côtés de Régulus.
-Les jumelles, déglutit-il.
Il n'eut pas besoin de développer. David enfouit son visage entre ses mains, se muant dans un silence désespéré. Il répondait par automatisme, il ne fallait pas lui en vouloir. Tout ce dont à quoi il pensait était prendre un bain, dormir dix bonnes années et plaider la cause de Cassiopeia. La retrouver. Et si cela ne fonctionnait pas, fuir avec elle.
-Ce n'était pas elle, lâcha-t-il.
Régulus ferma les yeux, comme s'il redoutait qu'il prononce ces mots.
-Tout le monde dehors.
Lycoris elle-même s'en montra surprise. Elle resta un long moment à le dévisager, hésitant entre lui demander des explications ou lui obéir. David lui jeta un regard mauvais avant de se relever et partir en marmonnant des jurons. Sa soeur finit par bouger et sortit à son tour, suivie des Aurors qui se dédièrent à garder l'entrée. Il n'y eu plus personne dans la tente. Régulus s'approcha, son visage gris cherchant à le scinder en deux.
-Cassiopeia est la traîtresse.
-Mais je...
-Chhhhut.
Son coeur s'emballa. Ça ne tournait pas rond. Régulus était son cousin, il aurait dû la protéger, à moins que...
En Angleterre, les sorciers baissent le regard chaque fois que Régulus passe devant eux. L'unique raison qui les pousse à faire ça, c'est parce qu'il porte le même nom que toi.
C'était les mots que lui avait rapporté Cassiopeia après la discussion avec son père. Régulus le savait. Il était au courant que ce n'était pas lui qui inspirait le respect, mais elle.
Il recula d'un pas. Et lui qui avait pensé avoir assisté à toutes les atrocités, il s'était grandement trompé. Les Black s'entre déchiraient pour du pouvoir. Au fond, cela avait toujours été.
-Le peuple ne connaîtra pas les détails de vos affronts avec les Russes, reprit-il calmement. Ils croiront ce que je leur dirai.
-Je pensais que vous vouliez le bien-être de votre famille.
-Oui, et depuis le début, elle mets ce bien-être en danger.
-Ou peut-être que c'est vous, le problème.
Parler lui donnait mal à la tête, mais ce qui lui retournait réellement l'estomac, c'était la conduite de Régulus. Il ne l'avait jamais connu aussi... avide de pouvoir. Il avait changé en seulement quelques mois. Toute cette ambition et cet empire qu'il construisait lui montait à la tête.
-Que ce soit bien clair, fit-il d'une voix menaçante. Cassiopeia est la traîtresse. Si tu dis un mot à l'encontre de cette affirmation, j'anéantirai ta vie et celle de ta famille.
-Quand des personnes en viennent à prononcer de telle menace, c'est que la situation leur échappe des mains.
-Mais tu sais que je n'hésiterais à l'exécuter.
-Je sais.
-Bien.
L'entrée se releva à cet instant précis. David n'attendit pas l'autorisation de Régulus, s'imposant sans préalable. Ce-dernier s'en montra agacé mais ne fit aucune remarque.
-Perseus, j'aimerais te parler.
Encore. Que voulaient-ils, tous ? Ses yeux le suppliaient de se fermer et son corps croulait sous la fatigue et la douleur. Mais pourrait-il vraiment dormir sans entendre de nouveau les cris des infortunés ? Il regoûta à l'air frais. Son père croisa son regard. Il brûlait de lui demander son état, de le ramener chez eux, faire en sorte qu'il se remette. Perseus avait toujours était chéri en tant que seul et unique héritier. Il ne fallait pas prendre l'attention de son père comme un geste paternel, mais plutôt une manière de faire perdurer le nom Lestrange. C'est pourquoi il ne lui parla pas.
En revanche, il croisa Lycoris et l'arrêta d'un geste de la main. Furtivement, il lui donna la broche. Les yeux de la jeune fille contemplèrent un long instant l'objet avant de se remplir de l'arme.
-Ou l'as-tu trouvé ?
-Près d'un éboulement.
Elle détourna le regard, posa une main sur sa bouche pour étouffer un sanglot et se réfugia sous la tente. Au stade où il en était, de simples larmes n'atteignirent pas Perseus. Il avait vu tellement pire.
David posa une main amicale entre ses omoplates et le guida jusqu'à une étendue verte, le commencement de la plaine qui n'avait pas été touchée par le feu. Il passa ses doigts sur la matière fraîche comme si c'était de l'or. La vie. Il touchait la vie. C'était merveilleux. Sentir autre chose que de la poussière et des cendres provoqua un sentiment profond d'apaisement. Il s'assit dessus. Même si la terre restait dure, le simple fait de prendre place sur une plante le soulagea.
David préféra le rocher et appuya ses coudes sur ses genoux. Il ne savait pas combien de temps il était resté dans la bataille, ni s'il avait vu la même chose que lui, mais ce qui était sûr, c'était qu'il y avait participé.
-Je veux que tu me parles de mes soeurs.
Sa voix se brisa sur ces derniers mots. Perseus joua avec une brindille, se remémorant les derniers souvenirs qu'il avait d'elles. Tout ce mélangeait entre l'horreur de la bataille, mais il sélectionna les moins pires. Ceux que David voulait entendre.
-Elles sont restées avec moi tout le long, commença-t-il. On a fui ensemble.
Couru ensemble, caché ensemble. Perseus pensait vraiment les ramener vivante. Il se disait qu'il vivrait, ou qu'il mourrait avec elle. Mais non. La vie était sélective.
-Doliona a été touchée à l'abdomen dans une explosion. Elle saignait abondamment.
Si seulement il avait su un sortilège pour la soigner. La culpabilité le gifla de nouveau, la même qui lui avait rendu visite sur le moment même. Face à leur frère, se fut pire encore. Mais David ne semblait rien vouloir lui reprocher. Il écoutait juste.
-Elle s'est effondrée au milieu d'une rue. Hyades a refusé de la laisser tomber. Elle m'a dit de m'en aller. Sauver ma peau, c'était tout ce qui comptait.
-Je ne t'en voudrais pas si tu me disais que tu as fui sans les attendre, soupira David.
-Je ne l'ai pas fait. Je me suis réfugié sur le côté pour les attendre. Hyades a voulu porter Doliona, mais on a entendu un rugissement tout près. Et je...
Il reprit une inspiration. Les images frappaient son esprit mais il les éloigna tous, racontant par automatisme, ravalant ses émotions négatives.
-Je leur ai dit d'aller plus vite. Mais Hyades était épuisée et elle est tombée à genoux.
Il se souvenait de son regard. "Pars" semblait-elle vouloir dire. Et alors qu'elle lui avait ordonné de s'en aller, elle s'était mise à pleurer, au milieu de la rue, avec sa soeur blessée dans ses bras et les flammes de chaque côté. Elle savait qu'en rejoignant Doliona, elle allait mourir avec elle.
C'était peut-être son objectif.
-Puis le dragon est passé et le feu les a avalé.
Il n'avait pas besoin de plus de détails. Les hurlements stridents de Hyades, sa silhouette noire qui fondait dans le sol, tout ça ne ferait que le blesser encore plus. David fixait à présent un arbre face à lui, luttant contre les larmes. Perseus aurait voulu lui dire de lâcher prise. Il avait le droit. C'était ses sœurs, après tout. Mais il ne dit rien, parce que parler lui aurait coûté encore plus d'efforts.
-Merci, dit-il simplement.
Il s'attendait à ce qu'il se lève pour s'en aller, mais à la place, il plongea sa main dans sa veste à moitié déchirée et en ressortit un parchemin qu'il lui tendit. Perseus le déplia.
-Carl Nielsen détient Cassiopeia au Danemark, l'informa David alors que Perseus lisait les lignes cursives comme preuve. Il demande la couronne royale en échange.
Tout à coup, sa fatigue s'envola. Son regard s'accrocha sur les mots "Cassopeia Black" et son envie de la tirer de là-bas fut plus forte que sa volonté à se reposer.
-Régulus ne la lui cédera pas, devina-t-il.
-Non.
David était sûrement arrivé à la même conclusion que lui. Il était l'amant de Régulus, il avait bien du voir la différence dans son attitude et ses aspirations.
-C'est pour ça que je transmets le message à toi. Je sais que tu iras la chercher.
-Tu ne la considères pas comme traîtresse ?
-Penser cela est facile, et c'est ce qui arrangerait tout le monde. Voilà pourquoi je le mets en doute.
Il ne trouva pas les mots pour exprimer sa gratitude. S'il avait le Président Français de son côté, alors Cassiopeia avait peut-être une chance de s'en sortir. David se releva et lui offrit sa main pour l'aider à faire de même.
-Elles ont été courageuses, lui confia-t-il.
Un sourire triste étira ses lèvres.
-Je n'en doute pas. Merci d'avoir été avec elles jusqu'à la fin.
Il tourna la tête avant que ses yeux ne s'humidifient. Alors que David Duchesses repartait en direction du campement, la main de Perseus se resserra autour du parchemin.
Il allait devoir sauver sa princesse.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top