IX. 11 mai 1940 (1/2) - le dîner
Quand Cassiopeia entra dans le vestibule du Manoir de Cygnus Black, elle ne s'attendait pas à le voir vide. L'horloge tiquait sur un rythme incessant, des portraits émergeaient d'un sommeil profond. Elle regarda l'heure. Elle était peut-être en avance d'une petite demi-heure. Étonnée de ne pas voir sa mère se précipiter sur elle, elle défit tranquillement sa cape et la déposa sur le porte-menteau.
Son père avait décidé de réunir ses enfants pour un dîner familial. Cassiopeia n'avait pas été contre, même si elle voyait bien que cet évènement cachait quelque chose. L'hypothèse que ce soit Dorea qui ait émis l'idée pour annoncer son mariage avec Potter lui tournait dans la tête depuis des heures. Après tout, elle ne pouvait que féliciter son courage. Annoncer ce genre de chose face à son père et un grand frère parfois un peu trop protecteur était risqué. Mais bon, elle avait son appui. Cassiopeia lui avait promis d'être de son côté, et elle tiendrait parole.
Une petite tête passa l'encadrement de la porte du fond. Elle eut le temps de reconnaître de grands yeux noirs et une chevelure tout aussi sombre. Un sourire brisa l'expression de fatigue qu'elle portait.
-Hey !
Walburga apparut dans le couloir et se jeta dans ses bras. Cassiopeia la serra fort contre elle. Si fort. La retrouver la remplissait d'une joie nouvelle. Son coeur gonflait et alors, plus rien n'importait. Ni le vide qui la remplissait de terreur, ni le mal de tête qui cognait son crâne dès le matin, ni les lettres incessantes de son frère, les plaintes de sa cousine ou la gentillesse trop grande de Emma Lestrange. Sa vie était un désastre, mais Walburga était là. Sa nièce serait toujours là.
-Comment tu vas ? s'enquit-elle en ramenant ses mèches rebelles derrière ses oreilles.
Elle était magnifique. Son regard brillait d'une intelligence unique et son visage rond exprimait toute la tendresse de l'enfance. Mais ce qu'elle aimait le plus chez elle, c'était sa manière de parler, de réfléchir. Elle s'y retrouvait. Elle s'y retrouvait entièrement.
-Tu m'as manqué, dit-elle avec un air triste.
Cassiopeia l'avait autorisé à la tutoyer, parce qu'elle considérait sa relation plus intime que celle avec ses parents. Walburga lui faisait entièrement confiance, jusqu'à aller lui raconter ses moindres secrets. Les conventions glissaient un froid entre les personnes que la jeune femme n'aimait pas particulièrement, surtout avec une enfant.
-Toi aussi tu m'as manqué, répondit-elle en touchant le bout de son nez.
-Tu t'es fait quoi à la main ?
Son regard dériva vers le bandage qui entourait ses doigts. Perseus avait essayé de la soigner du mieux possible, mais il n'était pas très doué dans ce domaine. Même s'il avait insisté pour faire emmener un médicomage, Cassiopeia demeurait avec cette bande de lin autour de la main. Le soignant ne ferait que poser des questions et elle n'avait aucun envie d'y répondre.
-Rien, ne t'en fait pas.
-Tu as l'air triste.
-Wal, s'il te plaît, ce n'est pas le moment.
La dernière chose dont elle avait besoin c'était un interrogatoire d'une enfant de neuf ans. Elle adorait sa nièce, mais elle se montrait parfois trop curieuse.
-Pardon. Je veux juste que tu sois heureuse.
-Je le suis trésor.
Elle déposa un baiser sur son front. Parfois, les choses qu'elle disait ne correspondaient pas à son âge. C'était adorable, mais elle s'en inquiétait. Grandir trop vite n'était jamais bon.
-J'aime bien quand tu viens parce que Mère n'est pas là et qu'elle ne peut pas me crier.
Cassiopeia fronça les sourcils. C'était la première fois qu'elle l'entendait dire une telle chose.
-Elle te crie souvent ?
-Et elle me punit alors que je ne fais rien.
Une colère froide embruma ses pensées. Elle allait tuer Irma. Cette femme était hideuse de l'intérieur, elle traitait ses fils comme s'ils étaient des rois et ignorait sa fille. Enfin, elle pensait qu'elle l'ignorait. Les choses allaient encore plus loin. Pollux ne lui avait jamais parlé de ça. Et quelque part, elle lui en voulut aussi pour ne rien faire contre le caractère excécrable de sa femme.
-Elle m'enferme dans la cave, reprit Walburga avec des larmes naissantes.
Quand elle cligna des yeux, une goutte dévala doucement sa joue rose. Cassiopeia l'essuya tendrement avec son pouce. Elle avait horreur de la voir pleurer. Tout ce qu'elle voulait, c'était la prendre dans ses bras et la protéger de toutes les mauvaises choses de ce monde. Et Merlin savait combien il y en avait, des mauvaises choses.
-J'en parlerai à ton père, d'accord ?
-Tu veux me parler de quoi ?
Elle se redressa, faisant face à la silhouette masculine qui venait d'apparaître derrière la petite fille. Walburga fixa son père avec crainte. Elle resta derrière les jambes de sa marraine comme si elle craignait que quelque chose ne l'attaque.
-Des punitions inutiles que Irma lui inflige, prononça Cassiopeia avec amertume.
Revoir son frère ne lui faisait aucun bien. Il lui avait envoyé des dizaines de lettres auxquelles elle n'avait pas répondu et son aura entière lui jetait des reproches plein le visage. Elle était juste fatiguée. Son premier entraînement lui avait arraché le coeur de sa poitrine et ceux qui suivaient étaient en train de l'achever. Rester chez Perseus était la meilleure chose à faire. Lui seul pouvait comprendre. Lui seul pour la réconforter. Même Emma tentait de lui redonner le sourire.
Elle aimait beaucoup Emma.
Pollux laissa échapper un soupir d'exaspération en rien adressé à elle.
-Je lui ai déjà dit d'arrêter mais elle doit continuer quand je suis au Ministère. Walburga, viens-là.
La petite fille quitta son refuge à contrecoeur et se dirigea vers son père en jetant des coups d'oeil incessants en direction de Cassiopeia. Ce comportement ne l'étonnait pas. Elle-même faisait la même chose petite alors que son père n'avait jamais levé la main sur elle. La figure masculine était seulement impressionnante dans leur famille et les plus jeunes cragnaient cela. Régulus était certainement celui qui les terrorisait tous, sauf peut-être les jumeaux Londubat. À eux, rien ne leur faisait peur. Callidora avait raison quand elle disait qu'ils étaient de vrais monstres.
Pollux prit ses petites mains et s'agenouilla.
-Je veux que tu me dises tout ce qui se passe en mon absence, d'accord ? Qu'il s'agisse de Alphard, Cygnus ou toi.
-Mère est tout le temps gentille avec Alphard et Cygnus. Jamais avec moi.
Il mordit sa lèvre intérieur, ne sachant que répondre face à cette déclaration.
-Je suis désolé, finit-il par dire. Je te promets que ça s'arrêtera.
Elle hocha la tête activement. Ses doigts se ressérèrent autour des mains de son père. Ce fut la seule marque d'affection qu'ils eurent, mais Cassiopeia vit que dans leur regard, il y avait bien plus. Pollux tenait à Walburga comme à un petit bijou. Il ferait tout pour la protéger, elle le savait. Et même si savoir que Irma la blessait ne semblait pas le mettre très en colère, elle le connaissait assez bien pour savoir que la rage l'emplissait.
Pollux détestait Irma. Chaque occassion était bonne pour amplifier sa haine. Walburga était une de ces occasions.
-Et si tu rejoignais tes frères ? Dis-leur de se préparer, le dîner est bientôt près.
La petite fille s'évanouit dans le couloir plus paisible que quand elle était venue. Cassiopeia la vit disparaître derrière une porte. Un lourd silence tomba dans le vestibule. Voilà. Ils y étaient.
C'était triste à dire, mais elle n'avait même pas envie de lui parler.
-Père et Mère sont là ?
-Oui. Je leur ai dit de t'attendre dans la Salle à manger.
Pour qu'il puisse lui parler seul à seul, évidemment.
-Et Dorea ?
Elle savait que sa soeur se trouvait ici, c'était juste une excuse pour ne pas entamer le sujet sensible.
-La même chose. Tu peux me dire à quoi tu joues ?
-Je ne joue à rien, répondit-elle avec un certain agacement dans la voix.
Si elle réussissait à passer à côté de lui et s'enfuir vers la salle à manger, peut-être parviendrait-elle à échapper à cette conversation. Rien ne coûtait d'essayer. À grands pas, elle chercha à le contourner mais la main de son frère s'enroula autour de son bras. Il exerça une force suffisante pour l'empêcher de faire un seul pas de plus. Elle serra sa mâchoire.
- Qu'as-tu à la main ?
Tous les mêmes dans cette famille, maugréa-t-elle intérieurement.
-Rien qui te concerne.
-Tu devrais aller voir Lycoris. Elle connaît l'art de la guérison.
Mais bien sûr, elle refusait de voir un médicomage pour éviter les questions et elle allait se rendre chez à cousine à la place. Excellente logique, surtout connaissant la curiosité maladive de Lycoris. À moins qu'elle ne sache déjà ce que lui réservait tous les jours l'Ancienne par Régulus. Cette pensée la rassura. Ce n'était finalement peut-être pas une si mauvaise idée.
-Merci du conseil, répliqua-t-elle sèchement.
-Où vis-tu ?
-Londres, marmonna-t-elle tout en cherchant à se dégager de son emprise.
Mais il ne lâchait pas. Pollux ne lâchait jamais.
-Je suis allé à ton appartement et il n'y avait personne.
-Qui t'as autorisé à t'y rendre ? claqua-t-elle en le fusillant du regard.
-Et qu'est-ce qui m'en défendrait ? Je suis ton frère, j'ai le droit de savoir si tu es vivante ou non.
-Toi et moi savons exactement qu'il y a plus que ça.
Un courant électrique éclata entre leurs pupilles. Cassiopeia pouvait sentir son contact la brûler.
-Je repose ma question. Où vis-tu ?
-Lâche-moi.
-Réponds.
L'envie de hurler la saisit. Ce fut soudain. Inéspéré. Et violent. Très violent.
Son âme hurla et une vague déferla dans son corps. Avant qu'elle n'ait pu comprendre ce qui était en train d'arriver, son esprit lui glissa des mains, heurta un autre et une explosion jaillit.
Boum.
Quand elle rouvrit les yeux, Pollux se tenait contre le mur, le nez en sang. Il se tenait difficilement contre la paroi. Bouger semblait lui faire mal. Pour Cassiopeia, ce fut respirer qui lui fit mal. Qu'avait-elle fait ? Par Merlin, que lui était-il arrivé ? Elle se précipita vers lui, l'inquiétude rongeant son coeur, mais la repoussa froidemement.
Comme s'il avait peur d'elle.
-Je suis désolée, prononça-t-elle avec une voix tremblante. Je ne voulais pas faire ça, ce n'était pas volontaire.
Voilà pourquoi elle préférait se tenir loin de sa vie. Voilà pourquoi elle s'isolait et ne voyait que deux personnes qui comprendraient s'il arrivait quelque chose. Cassiopeia était à bout et venir ici avait été une très mauvaise idée. Pollux porta sa main à son nez et fixa le sang qui coulait sur ses doigt avec horreur. Elle aurait voulu l'aider, lui apporter un mouchoir, quelque chose, mais elle demeurait paralysée.
Elle faisait du mal avec tant de facilité.
-Comment as-tu fait ça ?
Il n'y avait plus d'air dans ses poumons. Cassiopeia secoua la tête. Elle ne répondrait pas à cette question. Parce que décrire à voix haute le processus de destruction de la Mortemencia rendrait les choses beaucoup plus réelles.
-Je ne sais pas, se contenta-t-elle de dire.
Il se redressa, essuyant avec véhémence le liquide pourpre qui s'était déjà arrêté de couler. C'était une hémorrage artificielle. Rien de grave.
Néanmoins, elle aurait pu le tuer.
Mais tu ne sais pas encore tuer. Attends encore un peu. Ça viendra.
-Si tu sais. Tu ne veux pas le dire, c'est tout.
-Pollux, je...
-C'est bon. J'espère que tu profites bien d'être avec lui.
En quelques pas, il avait fui. Cassiopeia se retrouva seule dans le long couloir sombre. Et alors, son vide s'élargit. Ses bords craquelèrent, ils s'effondrèrent. Elle agrippa ses mains à son ventre et laissa échapper un sanglot. Voilà ce qu'elle savait faire de mieux. Propager la souffrance. Bientôt, ce serait la mort qu'elle lancerait aussi facilement qu'une balle. Celui qui l'attraperait tomberait.
Tout cette situation pouvait être comique si on la voyait de loin. Elle qui craignait la mort, voilà qu'elle sentait sa présence dans son ombre.
Cassiopeia respira profondément, balayant ses pensées d'un revers de la main imaginaire. C'était fini. Ça allait bien se passer. Elle devait rester forte, maîtresse d'elle-même.
Elle essuya ses larmes et réarrangea sa coiffure.
Elle était fin prête pour ce maudit dîner familial.
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