III. 27 février 1940 - la mortemencie
Cassiopeia tambourina à la porte du Manoir Black avec plus de force qu'elle n'en aurait cru capable. Ses cheveux dégoulinaient sous une pluie affreuse, ses vêtements étaient détrempés et pesaient lourds sur ses épaules. Les gouttes l'aveuglaient, pris au piège dans ses cils et s'insérant sous ses paupières. La porte s'ouvrit et elle se rua à l'intérieur.
-Cassiopeia ? s'étonna Lycoris. Mon dieu, tu es trempée !
Elle n'en avait rien à faire. Oui la tempête faisait rage, oui elle avait transplané au mauvais endroit et marché des kilomètres parce que son esprit n'était plus capable de penser correctement, oui elle avait envie de tuer cette vieille folle qui lui avait pourri la vie et non elle n'allait pas se sécher avec la serviette que lui tendait sa cousine. C'était Régulus qu'elle cherchait. Ce traître.
-Où est-il ?
-Dans son bureau, mais...
Elle n'attendit pas la fin de sa réponse. Elle s'élança dans le couloir et marcha d'un pas rapide vers la pièce indiquée, bouillonante de rage. Son transplanage lui était resté de travers. La veille avait tout détraqué. Elle n'arrivait même plus à lire les pensées correctement, ni même penser avec fluidité. Cassiopeia avait l'impression d'avoir été amputée, et elle comptait régler ça rapidement.
La porte du bureau céda sous sa volonté et elle débarqua dans la pièce dégoulinante, les yeux emplis d'une rage luisante. Il releva la tête, quelque peu surpris. Mais pas autant qu'elle l'espérait.
Il savait.
-Tu es odieux, cracha-t-elle. Qu'est-ce que tu veux, dis-moi ? M'offrir en cadeau à Grindelwald comme si je n'étais qu'un objet à faire passer ? Me convertir en une arme létale pour ses beaux yeux ?
-Calme-toi.
-Non, je ne me calmerai pas ! Pas avant que tu m'expliques et que tu me promettes d'arrêter tout ça !
Il claqua la porte sous un mouvement las de baguette, puis s'enfonça dans son siège. Elle détestait quand il prenait sa position d'observateur. Elle avait l'impression d'être une étude scientifique.
-Je pense que l'ancienne a du tout t'expliquer déjà.
Il était au courant de tout. Absolument tout.
-Qui me dit que c'est la vérité ? Je n'ai jamais entendu parler de ces gens. Rien ne me dit qu'ils ont vraiment existés.
-Ce que tu peux être têtue des fois, soupira-t-il. Sa démonstration ne t'a-t-elle pas suffit ?
Elle s'avança et posa ses deux mains sur la surface du bureau, se penchant pour lui lancer plus facilement sa grimace de dégoût.
-Sa démonstration, comme tu dis, m'a tout déréglé. Je n'ai même pas réussi à transplaner correctement. Alors je te conseille d'arrêter immédiatement ton petit jeu, ou ta vieille mourra plus tôt que prévu.
Il se pencha lui aussi, et leur visage ne furent plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre.
-Ce n'est pas un jeu, Cassiopeia. C'est la vérité.
-Quelle vérité ! s'exclama-t-elle en frappant du plat de sa main le bureau. Qui te dit que je suis capable d'une telle chose ? Tout ce que j'ai fait dans ma vie a été lire dans les pensées, ça n'a rien d'extraordinaire !
-Ce que l'ancienne t'a fait prouve ton don. Un esprit normal n'aurait pas survécu à cette épreuve. Toi, tu as même lutté. Et tu y es arrivée.
-Elle t'a écrit son rapport, c'est ça ?
-Elle me l'a dit. Elle a vu de quoi tu étais capable. Et crois-moi, tes capacités vont bien au delà de lire simplement dans les pensées.
Elle s'écarta avec un petit rire ironique. Et qui disait qu'elle avait envie de faire plus que ça ? Connaître les secrets de chacun la divertissait suffisamment, elle n'avait pas besoin de tordre le cou de pauvres gens par une simple volonté. Elle deviendrait alors un monstre, et elle n'en avait nullement envie.
-Tes projets pour moi doivent être grandioses, mais tu t'es donné du mal pour rien. Je refuse.
Elle tourna sur ses talon et s'avança vers la porte quand des pas firent craquer le plancher et une main lui saisit le poignée. Régulus enfonça son regard dans le sien.
-Ne gâche pas ton talent, s'il te plaît. Je sais ce qui te fais peur. Je le sais parfaitement, je te connais assez bien pour savoir que la seule mention de la mort te donne froid dans le dos. Mais tu trouveras une solution. Que ce soit tes potions de jeunesse ou une quelconque forme de magie qui arrête tes capacité pendant un temps déterminé, pour retenir l'énergie à l'intérieur de toi, il y a des choses dans la magie noire qui peuvent être utiles. Je ne te demande pas seulement ça pour Grindelwald. Je ne vais pas te le cacher : oui, il cherche à faire de toi une arme. Il veut gagner la guerre, et il est prêt à tout pour cela. Mais cette guerre nous concerne aussi. Nous sommes des sang-purs, c'est notre lutte, et tu peux nous aider à la gagner.
-Je me bats pour ma famille Régulus, pas pour un mage noir qui se croit supérieur.
-Et en te battant à ses côtés, tu représenteras notre nom. Tu te battras pour ce nom. Oublie-le, oublie Grindelwald. Il n'est qu'un moyen pour arriver à nos fins.
-Et moi je ne serai qu'un moyen pour arriver à ses fins.
-Il ne t'utiliseras pas, je t'en fais la promesse. Je veillerai à ce que tu demeures libre de tes propres choix.
-Comme c'est aimable.
Elle se dégagea de son emprise. Il aurait pu la convaincre. Il avait été à deux doigts. Mais Cassiopeia avait l'esprit encore assez lucide pour savoir qu'il était déjà en train de l'utiliser. La manipulation, c'était ce qu'elle maîtrisait le mieux. Et quand on savait comment la contrôler, on savait aussi la reconnaître.
-La Mortemencie est une magie rare, et tu as la chance de la posséder. Ne nie pas tes pouvoirs à cause de la mort. On finit tous par mourir, c'est ce qu'on fait de nos vies qui est important.
-La Mortemencie. Cette merde a même un nom.
Son visage se ferma à l'écoute du mot "merde".
-Tu la portes à l'intérieur de toi, déclara-t-il durement. Si tu ne l'utilises pas, elle finira par te ronger.
-Quel dommage.
Elle voulut partir, mais il la retint une nouvelle fois. À croire qu'il voulait l'enfermer ici jusqu'à ce qu'elle accepte.
-Ne fais pas l'imbécile. Ne refuse pas pour le simple plaisir de t'opposer à Grindelwald.
-Je vais d'abord réapprendre à transplaner, et on verra tout ça après, dit-elle avec son sourire le plus forcé.
Elle se dégagea d'un geste sec et parvint à atteindre la porte. Au dernier moment, une pensée fusa dans son esprit et elle se retourna pour lui faire face.
-Et tu diras à Grindelwald que avant de vouloir me recruter, ce serait bien qu'il sorte de son trou.
-Il observe.
-Il a du en observer des choses depuis quatre ans. Je vais finir par penser qu'il est un lâche.
-Persone n'a dit qu'il ne l'était pas.
Quelle magnifique opinion avait son plus fidèle allié. Cela promettait. Elle lui jeta un dernier regard noir et ressortit, claquant la porte derrière elle. Cette discussion ne lui avait apporté qu'une seule chose : la certitude qu'on la harcèlerait jusqu'à ce qu'elle accepte.
Elle remit un pied dehors en subissant une bourrasque glaciale. Avec ses cheveux trempés, l'effet fut pire. Elle eut l'impression de plonger dans une baignoire de glaçons. Ses yeux se fermèrent, elle se concentra. Elle pouvait y arriver. Elle le devait.
Soudain, une aspiration la poussa de tous les côtés. Elle entra dans un tube invisible, se sentit comprimée, incapable de respirer, puis tout à coup, une légère pluie l'accueillit, bien plus douce que le torrent d'eau froide qu'elle venait de se prendre. Elle souleva une paupière, puis l'autre.
Elle était bien en face de son appartement.
Soulagée, elle passa le portail et se réfugia à l'intérieur. Ce n'était pas exactement son appartement, c'était la maison qu'elle avait en commun avec Perseus. Ce dernier avait insisté l'année précédente à avoir un lieu à eux, secret, où personne ne pouvait les interrompre et voler leur moment, alors Cassiopeia avait acheté le morceau d'immeuble. C'était petit mais bien aménagé. Perseus avait plutôt bon goût en matière de décoration.
Les lieux étaient vides. Ce silence soudain lui fit l'effet d'un coup de masse. Elle entra dans le salon et se laissa tomber sur le canapé, bien trop moelleux pour résister contre la fatigue. Les bras de Morphée l'encerclèrent et elle se laisssa tomber, tomber, tomber.
Ce fut le crépitement du feu qui la réveilla. Une main aussi qui caressait ses cheveux dans un rythme régulier. Sa poitrine était lourde. Elle avait froid, elle tremblait. Une couverture la couvrait, et pourtant, elle avait l'impression d'avoir trempé tout le tissu. Quand elle ouvrit les yeux, un visage bien trop connu lui fit face. Des yeux verts. Une mâchoire carré. Des cheveux ondulés ramenés en arrière.
-Hey.
Elle n'eut pas le courage de se redresser. Elle resta juste comme ça, pelotennée sous la couverture, caressée par les douces mains de son amant. Quelques minutes de plénitude s'offrirent à elle. Elle en profita pour le contempler, se surprendre de son coeur qui gonflait sous un amour familier, tracer avec ses yeux les lignes imaginaires de ses traits. Juste quelques minutes de lui, elle, et le monde qui s'était arrêté de tourner.
Puis tout revint. La discussion avec Régulus la frappa. La pluie, le transplanage, la fatigue soudaine, tout. Un poids sembla s'affaisser sur ses épaules.
-Ça va ? s'enquit-il. Quand je suis rentré j'ai cru que tu t'étais évanouie.
-Presque, articula-t-elle, la voix pâteuse de sommeil.
-Tu trembles, remarqua-t-il.
Que très légèrement, mais cela suffit pour créer une ride au dessus de son nez et l'inquiéter. Il se leva puis revint avec une couverture en plus qu'il posa sur elle. Elle ne fut pas contre un peu de chaleur. Puis il reprit sa place face à elle, l'observant avec attention.
-Qu'est-ce qui s'est passé ?
-Trop de choses.
Peut-être qu'en fermant les yeux, elle oublierait tout ce cauchemar. Peut-être qu'elle ferait de l'intervention de la vieille qu'un souvenir lointain. Peut-être qu'on laisserait elle et son esprit en paix.
Mais c'était trop beau pour être vrai.
-Je ne vais pas te raconter dans cette position, soupira-t-elle, ou je risque de me rendormir entre temps.
Il l'aida à se redresser tout en gardant l'épaisse couche de couverture autour de son corps. Emmitouflée ainsi dans le tissu, elle se sentait bien. Jamais elle ne voudrait sortir de ce cocon. Il s'agenouilla devant elle avec un regard inquisiteur.
-Par quoi commencer ? souffla-t-elle. Si je te parle de Mortemencie, tu ne vas sûrement pas savoir de quoi je te parle.
Son visage se décomposa.
Oh si. Il savait exactement de quoi elle parlait. Elle pencha la tête sur le côté, curieuse de savoir où il en avait entendu parler. S'il faisait parti du coup de Régulus, il aurait intérêt à lui fournir des explications acceptables.
-Pourquoi tu mentionnes ça ?
-Tu sais ce que c'est ?
-On ne réponds pas à une question avec une question.
-Dis-moi d'abord où tu as appris ce mot et je te dis tout.
Il passa une main sur son visage, visiblement frustré. Son annonce l'avait rendu blême.
-Quand j'étais jeune, mon père m'envoyait en France chaque été afin que j'apprenne le français. Les Devigne étaient de proches amis, et ils avaient deux filles qui avaient à peu près mon âge et avec qui je passais mes journées. L'une d'elle maîtrisait la Légilimencie, mais au fur et à mesure des années, ses pouvoirs se sont étendus.
-De quelle manière ?
-Quand elle demandait quelque chose, il lui était impossible de lui céder. Un peu comme un Imperium, en beaucoup plus saisissant. Elle ne s'en rendait pas vraiment compte jusqu'à ce que se son père se penche sur le sujet. Alors ils ont découvert qu'elle avait le don de la Mortemencie. Une dérivation de la Légilimencie beaucoup plus puissante et mortelle.
Ses mots la glacèrent jusqu'au sang tout en la rassurant en même temps. Elle n'était pas la seule. Une personne dans ce monde connaissait le même cas, et elle pourrait peut-être l'aider.
-L'été d'après, je l'ai vue s'entraîner. J'aimais bien la regarder, c'était terriblement puissant et impressionnant. Son maître venait de loin pour lui enseigner à maîtriser son pouvoir, mais il enseignait bien. Mais un jour, un entraînement a mal tourné. Elle a voulu forcer, peut-être trop.
Il déglutit et ferma les yeux.
-Sa tête a littéralement explosé sous mes yeux.
Elle ne pourrait peut-être pas l'aider, au final.
-Comment ça ? s'entendit-elle demander, une pierre dans l'estomac.
-La force spirituelle demandée a été telle qu'elle a fracassé son crâne. Je l'ai vue mourir sous mes yeux. Mourir sous la seule force de son pouvoir. Alors j'ai compris une chose. La Mortemencie est peut-être létale pour ceux qui en sont victimes, mais elle l'est aussi pour celui qui la possède.
-Tu me rassures beaucoup, merci, dit-elle d'une voix tremblante.
L'image était parfaitement claire dans sa tête. Elle se voyait au sol, les os de son crâne explosés, son corps gisant au milieu d'une marre de sang. Elle haïssait la vieille, elle haïssait Régulus, elle haïssait Grindelwald, elle se haïssait elle.
-Pourquoi ?
Il tentait de demeurer calme, mais la panique animait son regard.
-Parce que je l'ai.
-Non.
Ce ne fut qu'un souffle. Mais Cassiopeia y entendit un cri de désespoir. Il la fixait avec un regard suppliant, comme si son sort dépendait d'elle. Si seulement.
-En es-tu sûre ?
Alors elle lui raconta l'apparition soudaine de la vieille, les visions qu'elle lui avait fait subir, l'explication qu'elle lui avait donnée. Elle revoyait l'homme dans le reflet mouvant, souriant face aux cadavres qu'il avait fait tomber comme des mouches. Puis elle lui parla de la discussion avec son cousin. Le désir de Grindelwald de faire d'elle une arme pour sa guerre. Perseus avait la main qui tremblait. De rage ou de tristesse, elle ne le sut.
-Ils veulent que je tue par un désir informulé, mais je...
Les mots s'étranglèrent dans sa gorge.
-Je n'ai jamais tué, reprit-elle. Ce n'est pas moi qui ai poussé Cedrella dans le vide. Pas moi qui ai étouffé Marius dans son sang. Pas moi qui ai assassiné Alander, ni Adonis.
-Tu lui a coupé sa main.
-Mais entre couper une main et prendre une vie, il y a un monde.
-Je sais.
Il prit la main qu'elle lui tendit et la serra fort. Ce contact lui donna presque envie de pleurer. Elle était fatiguée. Elle voulait juste qu'on la laisse tranquille, qu'on la laisse aimer dans ce petit appartement, qu'on la laisse vivre jusqu'à ses soixante dix ans avec cet homme face à qui elle n'avait jamais honte de montrer ses faiblesses. Qu'on la laisse fuir la Mort. Elle était trop jeune pour l'affronter.
-Je ne veux pas devenir un monstre.
-Tu ne le seras pas. S'il faut tuer, je tuerai pour toi.
-Perseus, je...
-Tais-toi.
Il glissa une main dans sa nuque et écrasa sa bouche sur la sienne. Ce fut comme s'il aspirait son âme. Quand il rompit le contact, elle eut l'impression qu'on lui arrachait une partie d'elle.
-Je ne te perdrai pas, Cassiopeia Black. Je ne laisserai aucune magie te détruire. Jamais.
Elle eut envie de croire à sa promesse. Vraiment envie.
Mais au fond, elle connaissait déjà l'issue. Il n'y en avait qu'une seule.
La guerre, et la mort.
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